Chapitre 7
Douleurs abdominales : troubles gastro-intestinaux et atteinte du système urogénital
Le diagnostic et le traitement des pathologies abdominales font appel à toutes vos compétences de soignant. Les patients souffrant de douleurs abdominales présentent un large éventail de signes et symptômes. Par conséquent, poser un diagnostic différentiel large et ensuite l’affiner pour arriver à une hypothèse de travail est difficile même pour les plus experts des cliniciens. Ce chapitre est destiné à accroître vos connaissances et vos compétences en vous apprenant à chercher les indices qui peuvent vous conduire à un diagnostic précis. Nous commencerons par un rappel sur le fonctionnement de l’appareil digestif ainsi que celui de ses organes. Ensuite, nous aborderons signes, symptômes et traitements de diverses causes de douleurs abdominales, que vous êtes susceptible de rencontrer le plus souvent sur le terrain. Enfin, nous passerons en revue les douleurs abdominales les plus fréquentes qui ont pour origine les autres systèmes que le système digestif.
Anatomie et physiologie
Le système digestif comprend les organes impliqués dans la consommation, la transformation et l’élimination des aliments. Il commence par la bouche, se continue par l’œsophage, traverse la cavité thoracique pour aller dans la cavité abdominale et se termine dans le petit bassin par le rectum. La figure 7-1 montre la localisation des organes digestifs. Tout au long de ce système, de nombreux problèmes peuvent survenir. Les plaintes des patients sont souvent non spécifiques et aboutir à un diagnostic est souvent un défi, même avec tous les outils diagnostiques perfectionnés mis à notre disposition.
Figure 7-1 Localisation des organes digestifs. (Source : Sanders MJ : Mosby’s paramedic textbook, revised ed 3, St Louis, 2007, Mosby.)
Système digestif supérieur
Le système digestif commence par la bouche, avec la langue et les glandes salivaires. Le processus de digestion commence avec la mastication. La mastication est le processus par lequel les dents et la salive brisent les aliments solides pour faciliter leur passage dans l’œsophage. L’étape suivante de la digestion prend place dans l’œsophage, un organe creux, musculaire, postérieur à la trachée qui passe à travers le thorax et le diaphragme pour se terminer dans l’estomac. La paroi musculaire de l’œsophage propulse la nourriture depuis la bouche dans l’estomac. Comme l’œsophage n’a pas de paroi rigide, il est facilement comprimé. À la fin de l’œsophage se situe le sphincter œsophagien distal, un anneau musculaire qui prévient le reflux du contenu gastrique dans l’œsophage.
Système digestif inférieur
La digestion continue depuis l’estomac dans l’intestin grêle, première structure du tractus gastro-intestinal distal. Étendu, l’intestin grêle mesure plus de 7 mètres de long, mais il est enroulé dans la relativement petite cavité abdominale. Le duodénum, le jéjunum et l’iléon sont les trois parties de l’intestin grêle. Le duodénum qui part de l’estomac est, avec ses 30 cm de longueur, le segment grêle le plus court. Il reçoit le contenu semi-liquide, partiellement digéré de l’estomac (ou chyme) ainsi que les sécrétions exocrines du foie et du pancréas. Le jéjunum mesure presque 3 mètres et est responsable de la majeure partie de la digestion chimique et de l’absorption des aliments. L’iléon est la dernière partie du grêle, la plus longue, avec ses 4 mètres. Il est également responsable de l’absorption des aliments. Le gros intestin est composé du cæcum, du côlon et du rectum. Le cæcum est une poche qui reçoit les restes des produits digérés par le grêle. L’appendice est attaché au cæcum. Le gros intestin est principalement responsable de la réabsorption d’eau et de vitamines. Le rectum est responsable de l’expulsion des selles.
Foie: Le foie est situé dans le quadrant supérieur droit de la cavité abdominale, sous le diaphragme. Les fonctions spécifiques du foie sont vastes et incluent la production de la bile aussi bien que la régulation métabolique et hématologique. Le foie accomplit plus de 200 tâches dans le corps dont certaines sont énumérées dans le tableau 7-1.
Tableau 7-1
Métabolique | Hématologique | Autres fonctions |
Extraction des aliments du sang Extraction des toxines du sang Stockage des nutriments en excès tel le glucose Maintien à niveau de la glycémie Réserve de vitamines | Suppression des globules rouges lésés ou vieux Synthèse des protéines plasmatiques Synthèse des facteurs de coagulation | Sécrétion de la bile Absorption et destruction d’hormones |
Vésicule biliaire: La vésicule biliaire est un organe en forme de poire situé sous le foie. Son rôle est de modifier et de stocker la bile. Une précipitation excessive de sels biliaires dans la vésicule peut provoquer la formation de calculs biliaires qui peuvent être douloureux.
Pancréas: Le pancréas est situé derrière l’estomac entre la première partie du duodénum et la rate, dans la région épigastrique moyenne. Son canal (le canal de Wirsung) rejoint le cholédoque et se vide dans le duodénum. Sa fonction dans la digestion est celle d’un organe exocrine, sécrétant enzymes, bicarbonates, électrolytes et eau. Il a également une fonction endocrine qui n’est pas directement impliquée dans la digestion en secrétant :
Fonctions du système digestif
Pour transformer et digérer les aliments de façon efficace, les quatre principales fonctions du système digestif (motilité, sécrétion, digestion et absorption) doivent être intactes. Ces fonctions font appel à des interactions complexes entre les systèmes nerveux, endocrine, locomoteur et cardiovasculaire.
Motilité: La nourriture progresse à travers le système digestif grâce à un processus appelé motilité intestinale. Ce processus permet également de mélanger les composants alimentaires et de réduire la taille des particules, de sorte que les aliments puissent être digérés et les nutriments absorbés. Une réponse musculaire structurée et coordonnée appelée péristaltisme est indispensable au succès de ce processus. Le système neurologique, plus spécifiquement le système sympathique et parasympathique, orchestre cet effort.
Le nerf vague, qui fait partie du système parasympathique, innerve le tube digestif jusqu’au côlon transverse. Ce nerf joue un rôle prépondérant dans la vidange gastrique en contrôlant la contraction et l’ouverture des sphincters (musculature lisse). De plus, il a une fonction sécrétoire et aide à stimuler les vomissements. (Comme le nerf vague régule également le rythme cardiaque, une bradycardie est souvent présente chez une personne qui vomit.) Les racines sacrées stimulent le côlon descendant, le côlon sigmoïde, le rectum et le canal anal. Ces nerfs innervent la musculature striée du tiers supérieur de l’œsophage et du sphincter anal externe (figure 7-2).
Figure 7-2 Innervation par le système nerveux autonome des principaux organes cibles. Les fibres sympathiques sont en rouge, les parasympathiques en bleu. (Source : Sanders MJ : Mosby’s paramedic textbook, revised ed 3, St Louis, 2007, Mosby.)
Sécrétion: Le tube digestif est bordé de cellules qui sécrètent des liquides favorisant la motilité et la digestion. Ces cellules sécrètent jusqu’à 9 litres de liquide, d’acides, de bases, d’électrolytes et d’enzymes en 24 heures. Une majorité de ce liquide est réabsorbé en temps normal. Lors d’épisodes de diarrhées importantes, une perte liquidienne significative peut survenir, qui va conduire le patient à un état de déshydration ou un état de choc.
Digestion: La digestion est le processus qui nous permet de décomposer la nourriture en des éléments utilisés à l’alimentation des cellules. La digestion implique une décomposition à la fois mécanique et chimique des aliments que nous ingérons.
Douleurs
Les plaintes gastro-intestinales les plus courantes sont les douleurs abdominales. Malgré ou peut-être à cause de cette constante, en déterminer la cause est un défi même pour un soignant expérimenté. Souvent, les plaintes sont vagues et mal définies. Pour obtenir les informations nécessaires et aboutir à un diagnostic, vous devez connaître la physiopathologie du système digestif, comprendre comment faire une anamnèse et pratiquer un examen clinique d’une façon rassurante. Comme un diagnostic précis n’est pas toujours rapidement évident, les patients sont vite frustrés et ont l’impression de ne pas être crus. Établir un climat de confiance peut vous aider à obtenir des informations importantes, y compris les facteurs déclenchants et la description d’autres symptômes qui pourront vous conduire à un diagnostic présumé.
Douleurs viscérales
Les douleurs viscérales apparaissent lorsque la paroi des viscères creux est mise sous tension, ce qui active les récepteurs de pression. Ce type de douleurs est caractérisé par un mal profond, persistant, allant de modéré jusqu’à intolérable. On les décrit souvent comme des brûlures, des crampes, des brûlures ou des tiraillements.
Les douleurs viscérales sont difficiles à localiser car les organes digestifs transmettent des signaux de douleurs des deux côtés de la moelle épinière, mais elles sont typiquement ressenties dans le creux épigastrique, la région périombilicale ou sus-pubienne. Les douleurs épigastriques proviennent généralement de l’estomac, de la vésicule biliaire, du foie, du duodénum ou du pancréas. Les douleurs périombilicales sont liées à l’appendice, à l’intestin grêle ou au cæcum, tandis que les douleurs sus-pubiennes proviennent des reins, des uretères, de la vessie, du côlon, de l’utérus ou des ovaires (figure 7-3).
Figure 7-3 Localisation des douleurs viscérales. Les douleurs provenant des organes dessinés en 1, 2 et 3 sont ressenties dans l’épigastre, la région périombilicale et l’hypogastre respectivement, comme montré en A. (Source : Feldman M, Friedman LS, Brandt LJ : Sleisenger & Fordtran’s gastro-intestinal and liver disease pathophysiology/diagnosis/management, Philadelphia, Saunders, 2006.)
Le patient a parfois de la peine à trouver une position confortable et devra souvent être repositionné durant le transport. Selon les causes, le patient peut transpirer, être nauséeux, agité ou pâle. Le tableau 7-2 souligne les diagnostics différents des douleurs abdominales chez des patients nauséeux et qui vomissent. Le tableau 7-3 énumère les différents agents antiémétiques utilisés chez ces patients.
Tableau 7-2
Diagnostics différentiels des douleurs abdominales accompagnées de nausées et vomissements
Tableau 7-3
Médicament | Posologie | Effets secondaires |
Ondansétron (Zophren®) | 8 mg PO 3 fois/jour ou 0,15 mg/ kg IV en 15 min | Hypersensibilité, hypertension, tachycardie, céphalées, vertiges |
Prochlorpérazine (Compazine®) | 5–10 mg (PO, IM, IV) 3–4 fois/jour selon besoin | Réactions extrapyramidales, somnolence, syndrome malin des neuroleptiques |
Prométhazine (Phenergan®) | 12,5–25 mg (PO, IM, IV) toutes les 4–6 h, IV lent | Bouche sèche, vision trouble, somnolence, dépression respiratoire |
Métoclopramide (Primperan®) | 20–40 mg PO | Somnolence, réactions extrapyramidales |
Méclizine (Antivert®) | 25–50 mg PO/24 h selon besoin | Somnolence, bouche sèche, vision trouble |
Douleurs pariétales
Les douleurs pariétales sont provoquées par une irritation des fibres nerveuses du péritoine pariétal ou d’autres tissus profonds comme ceux du système locomoteur. La localisation de ces douleurs est plus facile à préciser que celle des douleurs viscérales. L’examen clinique révèle une douleur localisée, aiguë, bien définie, accompagnée de douleurs à la palpation, d’une défense et d’une détente.
La douleur pariétale apparaît plus tard dans l’évolution de la maladie. Comme le péritoine pariétal entoure les organes concernés, cela prend plus de temps pour que les structures affectées deviennent irritées et douloureuses. Les ganglions dorsaux de la moelle épinière activent les douleurs péritonéales, en sorte que la douleur est typiquement du même côté et sur le même dermatome que l’organe atteint. Les dermatomes représentent la relation entre le nerf spinal et la partie du corps qu’il innerve (figure 7-4).
Figure 7-4 Diagnostic différentiel des douleurs abdominales aiguës. ICC : insuffisance cardiaque congestive ; LID : loge inférieur droit ; LIG : lobe inférieur gauche ; RGO : reflux gastro-œsophagien. (Source : Marx JA, Hockberger RS, Walls RM, et al : Rosen’s emergency medicine, ed 7, St Louis, Mosby, 2009.)
Douleurs référées
On appelle douleur référée une douleur qui se situe ailleurs qu’à son origine. En d’autres termes, la douleur est référée, projetée de l’organe incriminé à un autre endroit. Les chevauchements des fibres nerveuses sont responsables de ce phénomène. Par exemple, une douleur référée accompagne souvent une cholécystite et le patient ressent des douleurs dans la région de l’omoplate droite. Ces douleurs sont aussi fréquentes en cas d’infarctus myocardique : les douleurs sont référées au cou, à la mâchoire ou au bras (voir figure 1-18, chapitre 1).
Évaluation
Observation initiale
Lors de l’observation initiale, vous allez vous former une impression initiale du patient. L’Advanced Medical Life Support (AMLS) conseille de se laisser guider par cette impression initiale.
Votre observation initiale commence en fait quand vous recevez un appel concernant une douleur abdominale. Lorsque vous arrivez sur place, vous allez pouvoir déterminer à quel point les informations données par votre centrale d’appel cadrent avec vos propres impressions. Ensuite, cherchez des indices qui peuvent vous indiquer une menace vitale. Si vous en trouvez, commencez la réanimation cardiovasculaire tout en continuant votre examen. Si aucune menace vitale n’est présente, centrez votre examen sur l’identification de la présentation cardinale et sur la formulation d’une liste de diagnostics différentiels associés aux douleurs abdominales. Occupez-vous d’abord des affections critiques, et ensuite des situations urgentes. Les signes associés à une série de plaintes abdominales critiques, urgentes et non urgentes sont résumés dans le tableau 7-4.
Votre travail consiste à réunir des indices afin de poser un diagnostic différentiel. Alors que vous cherchez ces indices, essayez de définir le matériel médical nécessaire décrit dans l’encadré 7-1. Vous devrez confirmer ou infirmer les diagnostics possibles sur la base de vos propres observations sur les lieux, de l’anamnèse, de l’examen physique et des examens biologiques. L’encadré 7-2 énumère des considérations concernant l’examen primaire du patient souffrant de douleurs abdominales. Pour une description détaillée de l’examen primaire, vous pouvez vous reporter au chapitre 1. Les examens de laboratoires couramment réalisés chez les patients souffrant de douleurs abdominales sont résumés dans le tableau 7-5.
État général du patient: La principale menace vitale associée à des douleurs abdominales est le choc causé par une hémorragie, une déshydratation ou un état septique, comme dans les circonstances suivantes :
hémorragie interne due à une rupture d’anévrisme, une hémorragie gastro-intestinale, ou une grossesse extra-utérine ;
déshydratation provoquée par des vomissements ou des diarrhées de diverses origines ;
état septique secondaire à un appendice perforé, une perforation intestinale ou une infection d’une sonde urinaire.
Prise en charge des urgences vitales: Le diagnostic de causes spécifiques de douleurs abdominales est complexe même avec les techniques radiologiques et de laboratoire les plus avancées. La décision fondamentale que vous devez prendre sur le terrain est de savoir si votre patient est en danger de mort (signes vitaux anormaux ou détresse respiratoire, par exemple). Un tel patient doit être rapidement traité et transporté dans une structure appropriée. Le traitement des menaces vitales liées aux plaintes abdominales est résumé dans l’encadré 7-3. Dans le tableau 7-6 sont exposés les désordres abdominaux urgents, y compris leur traitement sur le terrain et à l’hôpital. Le tableau 7-7 résume les examens radiologiques utilisés pour diagnostiquer les problèmes abdominaux.
Anamnèse ou histoire de la maladie: Obtenir une anamnèse détaillée et précise est essentiel quel que soit le patient, mais c’est particulièrement important chez le patient se plaignant de problèmes gastro-intestinaux. Ce peut être un défi d’obtenir des informations utiles, mais se souvenir du SAMPLER vous aidera à poser les bonnes questions (voir l’encadré Rappel rapide au chapitre 1). Faire preuve de patience avec le malade améliorera vos rapports avec lui. L’encadré 7-4 présente une liste de points à considérer lorsque vous prenez en charge un patient ayant des douleurs abdominales. Le tableau 7-8 énumère les signes cliniques associés à des pathologies abdominales particulières. Toute plainte abdominale devrait aussi rapidement vous inciter à poser des questions sur l’appétit, les selles, les urines, les règles et autres pertes alors que vous faites l’anamnèse du patient.
Tableau 7-8
Signes cliniques associés à certaines pathologies abdominales
Signe | Description | Diagnostic différentiel |
Hématémèse | Vomissements de sang | Hémorragie digestive haute |
Vomissements marc de café | Vomissements de sang partiellement digéré | Hémorragie digestive |
Vomissements fécaloïdes | Vomissements nauséabonds avec odeur de selles | Obstruction intestinale |
Rectorragie (hématochézie) | Sang rouge dans les selles | Hémorragie digestive basse |
Méléna | Selles noires qui contiennent du sang digéré | Hémorragie digestive haute |
Hémocult positif | Test de laboratoire qui identifie le sang occulte dans les selles | Hémorragie digestive basse |
Selles décolorées | Selles blanchâtres | Maladie hépatique ou biliaire |
Hématurie | Sang dans les urines | Infection urinaire Maladie rénale Traumatisme |
Évaluation de la douleur: Lors de l’évaluation de troubles gastro-intestinaux, votre examen doit inclure une appréciation détaillée des douleurs du patient. Les douleurs abdominales sont souvent diffuses et difficiles à catégoriser. Les documenter méthodiquement vous aidera à affiner votre diagnostic. La première tâche est de vérifier l’origine des douleurs et de déterminer les localisations référées (figure 7-5 ; voir aussi figures 7-3 et 7-4). Connaître le début de l’apparition de ces douleurs va vous aider à estimer comment les douleurs ont évolué, ce qui peut indiquer la gravité de la maladie. Soyez attentif à tous les signes accompagnant les douleurs, comme les vomissements. Pour les signes associés à certains syndromes douloureux abdominaux, voir le tableau 7-4.
Figure 7-5 Douleurs référées. Des douleurs ou une gêne dans ces régions donnent souvent des indices quant à la maladie sous-jacente. (Source : Hamilton GC, Sanders AB, Trott AT, et al : Emergency medicine : an approach to clinical problem solving, ed 2, Philadelphia, 2002, Saunders.)