63. Travail de liaison

Chapitre 63. Travail de liaison


Travailde liaisonSi, comme le rappelle opportunément la circulaire ministérielle du 11 décembre 1992, le travail conjoint entre le pédopsychiatre et le somaticien, qui définit la pédopsychiatrie de liaison, apparaît aujourd’hui comme une nécessité quasi instituée, cette rencontre est en réalité le fruit d’un rapprochement progressif de ces deux champs, débouchant aujourd’hui souvent sur la reconnaissance réciproque, parfois houleuse, mais parfois aussi amicale, des compétences de chacun, au point que des relations initialement informelles se sont progressivement structurées sur un mode plus systématisé.

C’est ainsi que le pédiatre hospitalier n’est plus rivé à la seule organogénèse comme le décrivait Winnicott en 1953 dans son article «Le respect du symptôme en pédiatrie», pas plus que le pédopsychiatre ne s’appuie que sur le seul langage, occultant la dimension corporelle au profit du seul «parlêtre».

La pratique de la pédopsychiatrie à l’intérieur des services de pédiatrie est en fait très diversifiée, du fait, d’une part, de la nature et de la spécificité de chacun des services (du côté de l’offre de soin) et, d’autre part, de la diversité des situations cliniques rencontrées (du côté de la demande d’aide). Avant d’aborder les aspects thérapeutiques les plus concrets de notre discipline, nous décrirons en quoi consiste le travail de liaison.


Savoirs et discours


Cette question est essentielle, en particulier dans un lieu – la pédiatrie – où s’entremêlent, parfois jusqu’à la confusion, le discours de l’enfant, celui de ses parents, celui du médecin et des divers soignants, et, de manière plus impersonnelle et parfois écrasante, celui de la science.

Comment concilier tous ces discours, et autant le dire, comment concilier l’inconciliable? Tel est certainement l’une des problématiques autant que l’un des enjeux majeurs de la pédopsychiatrie de liaison à l’hôpital pédiatrique. Car il ne s’agit pas là d’un simple travail de mise en adéquation du discours de l’un avec celui de l’autre, illustré par exemple par le fait d’expliquer à l’enfant avec ses mots à lui ce que l’on va lui faire. Il s’agit de bien autre chose, en particulier de permettre aux différents savoirs de coexister, de rechercher cette dimension de co-occurrence, et non celle de leur nivellement ou encore de leur homogénéisation.

Cette conception du savoir et des discours introduit ainsi l’idée que ceux-ci ne doivent faire l’objet d’aucune hiérarchie. C’est ainsi que le savoir – autant que le discours – de l’enfant sur lui-même apparaît tout aussi essentiel que celui de toute autre personne, médecin compris. De la même façon, la préoccupation du médecin à l’égard de l’enfant et de sa maladie est, en soi, le moteur de toute action thérapeutique consistante et, partant, efficace.

Dans ces conditions, le profond respect des savoirs et des discours de chacun apparaît ainsi comme préalable à tout travail institutionnel en milieu pédiatrique. À cet égard, le pédopsychiatre de liaison veille à élaborer et à entretenir tous les outils nécessaires à la culture de ce respect mutuel.

De quels savoirs et de quels discours s’agit-il?


Savoir de l’enfant


L’enfant n’attend pas d’explication pour se forger une représentation de ce qui lui arrive. Il n’est pas en quête de compréhension, mais en quête de sens de ce qu’il est en train de vivre, ce qui est très différent. L’explication n’a ainsi pour lui de sens qu’à partir du moment où elle vient prendre position dans une chaîne signifiante déjà amorcée par des représentations de mots et de choses préexistantes. C’est ainsi que, par exemple, l’image inconsciente du corps n’est en rien influençable par l’explication rigoureuse d’une amputation par le chirurgien. C’est en revanche l’inflexion de la voix de ce dernier, son visage, sa mimique, la résonance inconsciente des mots qu’il choisit pour le dire qui, si l’on peut dire, opéreront. L’enfant produit ainsi du savoir, son savoir, en liant des signifiants entre eux «à sa manière». Le savoir produit par l’enfant est donc à concevoir comme le fruit de son propre questionnement, de ses propres doutes, auxquels il tente de trouver ses propres réponses sur la base de ce qui lui est dit, transmis.


Discours du pédo médecin


Pour la psychanalysePsychanalyse, le médecin est en place d’un Maître qui sait. Le discours du Maître apparaît ainsi comme une parole qui gouverne, au sens qu’elle ordonne, tranche, nomme, unifie. Le Maître incarne une autorité, une puissance, mais qui ne garantit pourtant aucune liberté pour celui qui s’y trouve assujetti dès lors que cet opérateur – le Maître – ne parvient à articuler son discours à aucun autre discours possible que le sien. Pour que le malade retrouve sa place de sujet de ses propres désirs, il lui faut pouvoir s’adresser au médecin – au Maître donc – en l’interrogeant sur son savoir. Il s’agit alors pour lui de parvenir à inverser les places (et non les rôles) en passant à une place d’agent du questionnement. Pour illustrer cela, lorsque l’enfant demande pourquoi à l’adulte, il réclame ainsi une explication à celui dont il suppose qu’il sait, mais tout en prenant le soin de mener les débats…


Et le discours du pédopsychiatre?


Il s’agit pour le pédopsychiatre ou psychologue d’aider l’enfant à une ouverture du corps sur le discours (c’est toute la question du ressenti), à un passage par le corps donc, support matériel du sujet, pour ouvrir sur une parole et permettre l’expression de ses désirs propres. Il s’agit donc de redonner du sens à la parole de l’enfant, au sujet.


Particularités des équipes pédiatriques comprenant des pédopsychiatres ou psychologues


Certains services de pédiatries se sont depuis longtemps dotés de psychologues, voire de pédopsychiatres, pour des raisons parfois historiques, parfois idéologiques, parfois techniques (du fait de la lourdeur des répercussions psychopathologiques de certaines maladies somatiques). Ces spécialistes de la psyché participent ainsi au quotidien des services, ont la confiance des soignants qui y travaillent, et, comme eux, ont connu les moments difficiles de la vie institutionnelle du service, les espoirs, les déceptions. Ils ont parfois connu certaines «premières médicales», sur les effets psychiques desquelles ils ont été les premiers à se pencher. Cette proximité a bien entendu de nombreux avantages, mais elle présente également certains inconvénients, notamment la difficulté de se décentrer suffisamment des soucis des somaticiens : le psychiatre peut parfois se retrouver à partager une préoccupation à ce point proche de celle du pédiatre qu’il ne parvient plus à occuper une place tierce auprès de lui. Cette remarque plaide en faveur de l’intérêt d’un regard extérieur, sous forme de structure de coordination entre différentes équipes psychologiques de différents services de pédiatrie d’un même département, ou encore sous forme de supervisions par un intervenant extérieur attaché au service. Parfois, et c’est le cas au CHU d’Angers, l’équipe de pédopsychiatrie de liaison assure une partie de cette mission, de par sa place à la fois interne et décentrée, en situation d’interface.


Intervention du pédopsychiatre de liaison auprès d’équipes pédiatriques sans psychologue, ni pédopsychiatre


La plupart des services de pédiatrie sont dépourvus de psychologues ou de pédopsychiatres. Leur absence ne signifie toutefois pas pour autant une fermeture à la dimension psychopathologique des maladies somatiques. En effet, nombreux sont les pédiatres dont le repérage intuitif, et parfois certains compléments de formation théorique, permet de reconnaître une souffrance psychique; repérage qui motivera alors l’intervention du pédopsychiatre de liaison. Le travail de liaisonTravailde liaison consiste alors, dans ces situations, en un travail de transmission au personnel soignant de ce que le pédopsychiatre a perçu de la psychopathologie de l’enfant.


Différentes missions du pédopsychiatre auprès d’un service de pédiatrie



Intervention auprès de l’enfant hospitalisé


Le travail du pédopsychiatre de liaison auprès d’un enfant hospitalisé est quadruple : décrypter le sens donné par l’enfant à sa maladie, reconstruire une histoire psychique interrompue, accueillir et contenir l’expression de la souffrance et assurer la continuité.


Décrypter le sens donné par l’enfant au non-sens de sa maladie


Il s’agit d’un travail de décodage, de mise en sens par recentrage des symptômes dans l’organisation de la dynamique des interactions familiales et dans l’organisation de la dynamique inconsciente de l’enfant. Cette dynamique continue à jouer à l’arrière-plan de la maladie et va organiser des symptômes psychologiques ou se saisir des symptômes physiques déjà existants pour leur donner un sens lié à l’irruption de la maladie somatique (Ferrari, 2001). Ce que Freud souligne en disant que toute souffrance corporelle «éveille le travail de formation de symptômes, de telle sorte que le symptôme fourni par la réalité devient immédiatement le représentant de toutes les fantaisies inconscientes qui épient la première occasion de se manifester» (Freud, 1938).

Toute souffrance corporelle est ainsi l’occasion d’un remaniement psychologique. Ce remaniement psychologique va permettre à son tour une construction psychique aboutissant à l’élaboration d’un sens subjectif et donc d’un fantasme liant la maladie à l’inconscient du sujet. La question de la culpabilité (formation névrotique par excellence) se trouve ainsi très souvent convoquée par l’émergence de la maladie.


Reconstruire une histoire psychique dont le déroulement temporel se trouve interrompu par la maladie (travail d’historicisation)


Dans certains cas, la maladie corporelle ou l’accident traumatique, quelle qu’en soit la forme (parfois le simple fait de l’hospitalisation), représente une rupture dans le sentiment de continuité existentielle du sujet, en particulier la continuité temporelle. Ce trauma produit alors un état de détresse susceptible de sidérer l’appareil psychique au point de risquer de véritablement «trouer» l’histoire du sujetHistoirede l’enfant. Le pédopsychiatre a alors pour tâche de permettre à l’enfant, avec prudence, de nommer des éléments de ce vécu traumatique, d’en évoquer des images, des émotions, des souvenirs le cas échéant, afin d’aider à la reconstruction cohérente d’une histoire psychique brutalement interrompue et, in fine, de faire de ce vécu traumatique un morceau d’histoire qui puisse ainsi accéder au statut psychique d’objet pensable.

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Apr 22, 2017 | Posted by in PÉDIATRIE | Comments Off on 63. Travail de liaison

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