61: Glaucome, hypertonie oculaire et uvéites

Chapitre 61 Glaucome, hypertonie oculaire et uvéites





Épidémiologie


L’élévation de la pression intraoculaire (PIO) est une complication classique de l’inflammation endoculaire susceptible d’aggraver considérablement le pronostic et de compliquer la prise en charge thérapeutique des patients atteints d’uvéite. Dans la littérature, les données sur la fréquence du glaucome dans l’uvéite sont très variables, celle-ci variant entre 10 % et 42 %, toutes causes confondues[19] ; en effet, plusieurs études, rétrospectives le plus souvent, se sont intéressées à l’épidémiologie du glaucome dans l’uvéite, avec des séries et des critères de diagnostic concernant la PIO et l’inflammation oculaire très hétérogènes (tableau 61-I)[1,49]. Certains auteurs s’intéressaient uniquement à la PIO avec des seuils diagnostiques variables selon les études, d’autres à la neuropathie optique glaucomateuse ou à la nécessité d’instaurer un traitement médical. Par ailleurs, les durées de suivi étaient également hétérogènes et les données pachymétriques n’ont pas été prises en compte, même dans les études les plus récentes. En outre, les causes des uvéites étaient de fréquences différentes en raison des localisations variées des centres de recrutement (Japon, États-Unis, France, Grande-Bretagne).



En revanche, les données épidémiologiques sur la gravité du glaucome dans l’uvéite semblent relativement plus homogènes. En effet, une neuropathie optique glaucomateuse était retrouvée dans seulement 10 % des cas d’uvéite dans l’étude de Herbert et al. et dans 3 % des cas dans celle de Merayo-Lloves et al.[4,7]. Une atteinte glaucomateuse du champ visuel était suspectée chez 3 % des patients présentant une uvéite dans l’étude de Panek et al. (20 % des patients présentant une hypertonie intraoculaire) et dans 1 % à 2 % des cas dans celles de Menezo et Lightman et celle de Saouli et al.[1,59]. Notons que l’analyse de l’excavation papillaire ou du champ visuel est souvent difficile chez les patients atteints d’uvéite en raison du trouble des milieux ou de la neuropathie optique d’origine inflammatoire — 11 % de neuropathies optiques inflammatoires dans l’étude de Saouli et al. —, ce qui implique une analyse prudente de ces données[5]. D’autre part, il peut également exister dans certaines de ces études un biais important faisant surestimer à la fois la fréquence de l’hypertonie intraoculaire mais aussi sa gravité, biais lié au recrutement d’uvéites potentiellement plus graves dans les centres spécialisés comme ceux où ont été réalisées la plupart des études citées ici.


Les facteurs de risque de développer une hypertonie intraoculaire, voire un glaucome avéré, au cours des uvéites sont divers. Pour la plupart des auteurs, la chronicité de l’uvéite est un facteur de risque majeur pouvant multiplier par deux ou par trois le risque de survenue d’une élévation prolongée de la PIO[2]. Les uvéites aiguës n’entraînent le plus souvent qu’une élévation transitoire et facilement résolutive de la PIO. L’incidence du glaucome augmente avec la durée de l’uvéite. Dans l’étude de Neri et al.,[8] le pourcentage de patients présentant une élévation de la PIO nécessitant un traitement médical était de 6,5 % à un an, de 11,1 % à cinq ans, de 15,2 % à six ans, de 21,6 % à huit ans et de 22,3 % à dix ans. Par ailleurs, l’activité de l’uvéite ainsi que la topographie de l’inflammation semblent être également des facteurs de risque importants de survenue d’une élévation de la PIO[1,57]. En effet, pour des raisons physiopathologiques évidentes, l’élévation de la PIO est plus fréquente dans les uvéites antérieures que dans les uvéites intermédiaires et postérieures — l’obstruction et l’inflammation trabéculaires, la survenue de synéchies angulaires ou postérieures sont consécutives à l’inflammation du segment antérieur. Ainsi, dans la série de Takahashi et al. — qui utilisait comme critère diagnostique une élévation de la PIO supérieure à 21 mm Hg associée à la nécessité d’instaurer un traitement médical —, la PIO maximale des patients glaucomateux présentant une uvéite antérieure était de 35,6 mm Hg en moyenne, contre 31,5 mm Hg chez les patients présentant une uvéite intermédiaire et 26,9 mm Hg chez les patients avec une uvéite postérieure[6]. Dans cette même étude, des synéchies antérieures périphériques en gonioscopie étaient retrouvées chez 44,7 % des patients présentant une élévation de la PIO, dont 7,5 % sur plus de 180°.


Un autre facteur favorisant classiquement la survenue d’une élévation de la PIO est l’administration de traitements corticoïdes par voie orale ou sous forme de collyre au cours de l’uvéite. Or, dans les études précédemment citées, la corticothérapie n’a été incriminée que dans un faible pourcentage de cas : 0 % des cas dans l’étude de Panek et al., 4,5 % et 8,9 % dans les études de Saouli et de Takahashi respectivement[1,56].


En revanche, un des facteurs majeurs influant sur le risque de survenue d’une élévation de la PIO est l’étiologie de l’uvéite. En effet, certaines causes, comme le syndrome de Posner-Schlossman, l’uvéite herpétique ou la cyclite hétérochromique de Fuchs, s’accompagnent fréquemment d’élévation de la PIO. Les données sont toutefois variables selon les études (cf.infra, « Diagnostic étiologique »). D’autres facteurs ont été incriminés dans certainesétudes, comme la forme granulomateuse de l’uvéite[5] ou l’âge des patients[7].


On peut retenir que, malgré la grande variabilité des données de la littérature sur la fréquence de l’élévation pressionnelle dans l’uvéite, cette dernière est un facteur pronostique péjoratif. Ce point est bien illustré par les résultats de l’étude de Neri avec la survenue d’une baisse d’acuité visuelle dans 14,5 % des cas d’uvéite sans élévation de la PIO, contre 31,7 % des cas dans les uvéites associées à une élévation de la PIO, soit un risque de baisse d’acuité visuelle multiplié par deux. De plus, les données relatives aux facteurs de risque de survenue d’une élévation de la PIO et d’un glaucome que sont la chronicité, l’activité et la topographie antérieure de l’uvéite sont homogènes selon les études et bien corrélées aux mécanismes physiopathologiques.



Physiopathologie


La pression intraoculaire mesurée lors d’une uvéite dépend de l’équilibre entre la production d’humeur aqueuse par le corps ciliaire inflammatoire et l’évacuation de l’humeur aqueuse à travers le trabéculum inflammatoire.


Les changements de composition de l’humeur aqueuse, tels que l’augmentation du taux de protéines et de la cellularité, la présence de prostaglandines, de cytokines pro-inflammatoires, peuvent stimuler la production d’humeur aqueuse ou diminuer sa résorption. Les modifications morphologiques de l’angle iridocornéen concourent à diminuer l’évacuation de l’humeur aqueuse.


Cliniquement, trois grandes formes de glaucome secondaire uvéitique se distinguent : glaucome secondaire à angle ouvert, glaucome secondaire à angle fermé, glaucome secondaire associant les deux formes précédentes.



GLAUCOME SECONDAIRE À ANGLE OUVERT


Le glaucome secondaire à angle ouvert est rencontré aussi bien dans les uvéites aiguës que dans les uvéites chroniques.



OBSTRUCTION DU TRABÉCULUM


Il s’agit de la cause la plus fréquente de glaucome secondaire[1012]. Le trabéculum est obstrué de cellules inflammatoires et de protéines exsudées. L’augmentation de la concentration protéique de l’humeur aqueuse entraîne une réduction de sa résorption. Ladas et al. ont montré que les patients présentant une uvéite avec un tyndall protéique élevé mesuré par flare meter avaient une résorption de l’humeur aqueuse plus faible[10]. De plus, les cellules, les débris inflammatoires et la fibrine libérés par la rupture de la barrière hémato-aqueuse se bloquent au niveau du trabéculum juxtacanaliculaire et l’obstruent[13].







GLAUCOME SECONDAIRE À ANGLE FERMÉ







Diagnostic clinique


Nous insisterons sur les points clés de l’examen clinique qui peuvent avoir une incidence diagnostique et/ou thérapeutique sur l’hypertonie oculaire ou le glaucome. L’examen doit être méthodique en évaluant :





La gonioscopie recherche des dépôts irréguliers de pigments, des nodules, des néovaisseaux, des précipités trabéculaires. Le degré de fermeture de l’angle doit être apprécié et quantifié. En cas d’étroitesse ou de fermeture de l’angle, la gonioscopie avec indentation (fig. 61-1) doit être systématique pour différencier une fermeture de l’angle par apposition d’une fermeture de l’angle par synéchies antérieures périphériques (fig. 61-2), qui contre-indiquent la réalisation d’une iridotomie au laser.




Il peut exister à l’état normal des vaisseaux dans l’angle iridocornéen. Ces vaisseaux sont caractérisés par leur orientation radiaire ou circonférentielle, la pauvreté de leur anastomose et le fait qu’ils ne traversent jamais l’éperon scléral. Ils sont surtout visibles sur des iris clairs. Les vaisseaux pathologiques sont plus fins, ont une orientation anarchique, traversent l’éperon scléral etsont associés à un tissu fibreux en cas de glaucome néovasculaire. Des vaisseaux sanguins pathologiques peuvent également être retrouvés en cas de cyclite hétérochromique (de Fuchs) ou d’uvéite antérieure chronique.


L’examen du segment postérieur évalue le nerf optique en corrélant l’excavation et la taille du disque et en recherchant un œdème maculaire qui peut influer sur le choix d’une molécule antiglaucomateuse



Diagnostic étiologique


Différentes formes spécifiques d’uvéite peuvent être associées à une élévation de la PIO ou à un glaucome (tableau 61-II). La fréquence de survenue de cette complication est variable et dépend de plusieurs facteurs, comme la localisation de l’inflammation ou la chronicité de l’uvéite. Cependant, même si classiquement le risque de survenue d’une élévation de la PIO, voire d’un glaucome, est plus important dans les formes antérieures, cette élévation peut être la conséquence de toutes formes d’uvéite : uvéites antérieure, intermédiaire, postérieure, ou panuvéite. En théorie, une élévation de la PIO peut être retrouvée quelle que soit l’étiologie de l’uvéite, même en l’absence de traitement cortisonique. Cependant, certaines causes s’accompagnent plus souvent d’une élévation de la PIO (tableau 61-II). Les syndromes les plus fréquents sont présentés ciaprès, les entités plus rares étant résumées dans le tableau 61-II. Par ailleurs, pour chaque étiologie, seules les informations relatives au glaucome sont détaillées ici, le reste étant traité dans les autres chapitres de ce rapport.




UVÉITES ANTÉRIEURES



CYCLITE HETEROCHROMIQUE DE FUCHS


Le glaucome est une complication classique et fréquente de la cyclite hétérochromique de Fuchs. En effet, dans sa définition — qui est exclusivement clinique —, la cyclite hétérochromique de Fuchs associe une uvéite chronique non granulomateuse à une hétérochromie de l’iris, une cataracte et à un glaucome[13]. L’incidence du glaucome au cours de l’évolution de cette pathologie est très variable selon les études, cette complication étant retrouvée dans 6,3 % à 59 % des cas[1419]. Par ailleurs, pour certains, le risque de développer un glaucome au cours de la cyclite hétérochromique de Fuchs augmenterait avec la durée de la maladie de 0,5 % à 4 % par an[16,20]. Il semblerait également que l’incidence de cette complication soit plus élevée dans les cas bilatéraux et chez les patients noirs, et qu’elle survienne plus souvent après la chirurgie de la cataracte[14,21]. Notons que même si, classiquement, la cyclite hétérochromique de Fuchs est une pathologie unilatérale, des cas bilatéraux ont été rapportés[22].


Sur le plan physiopathologique, le glaucome est surtout la conséquence de l’inflammation chronique, les corticoïdes n’étant pas classiquement prescrits car non efficaces dans cette pathologie. Les mécanismes physiopathologiques de survenue d’une élévation de la PIO dans la cyclite hétérochromique sont nombreux : membrane inflammatoire sur le trabéculum, sclérose trabéculaire, trabéculite, néovascularisation, intumescence du cristallin, phacoanaphylaxie, collapsus du canal de Schlemm, hyphéma[14,16,20,2226].


Sur le plan clinique, le glaucome de la cyclite hétérochromique de Fuchs ressemble le plus souvent à un glaucome à angle ouvert, où s’associent une augmentation de la résistance à l’évacuation de l’humeur aqueuse et une pression veineuse épisclérale normale. En gonioscopie pourront être retrouvés de fins vaisseaux radiaires ou concentriques au niveau du trabéculum, susceptibles de saigner lors de traumatismes minimes et d’entraîner une hémorragie filiforme responsable du classique signe d’Amsler (fig. 61-3). Une rubéose irienne associée ou non à un glaucome néovasculaire peut également être observée[20].



Le diagnostic différentiel principal de la cyclite hétérochromique de Fuchs est la crise glaucomatocyclitique, ou syndrome de Posner-Schlossman (cf.infra), répondant bien à de faibles doses de corticoïdes contrairement à la cyclite hétérochromique qui est corticorésistante ; notons que des publications récentes ont mis en cause le virus de la rubéole comme facteur étiologique de la cyclite hétérochromique[27,28], le syndrome de Posner-Schlossman pouvant quant à lui être lié au cytomégalovirus[29,30]. Un autre diagnostic différentiel est le syndrome endothélial iridocornéen — qui associe des anomalies cornéennes endothéliales à des synéchies périphériques antérieures et à des anomalies de l’iris —, où une hétérochromie par atrophie irienne peut aussi être associée à l’hypertonie oculaire.


Le glaucome de la cyclite hétérochromique de Fuchs est sévère et de traitement difficile. Le traitement médical est rarement suffisant : une chirurgie filtrante est souvent indiquée, car la trabéculoplastie au laser argon est contre-indiquée dans la mesure où elle favorise la rupture de la barrière hémato-aqueuse, majorant l’inflammation intraoculaire. Dans la publication de La Hey s’intéressant au traitement et au pronostic du glaucome dans la cyclite hétérochromique (série de cent onze patients, dont trente présentaient un glaucome), le traitement médical maximal était insuffisant dans 73 % des cas[19]. En revanche, la chirurgie filtrante permit de contrôler la pression intraoculaire dans 72 % des cas sur un suivi moyen de vingt-six mois. En effet, l’évolution des techniques chirurgicales avec, en particulier, l’utilisation des antimétabolites au cours de la chirurgie filtrante du glaucome (sclérectomie profonde ou trabéculectomie), a permis d’améliorer considérablement la prise en charge de ces patients, même si la fibrose conjonctivale reste un facteur de risque important d’échec de la chirurgie.



SYNDROME DE POSNER-SCHLOSSMAN


Le syndrome de Posner-Schlossman, décrit en 1948 par Posner et Schlossman, est aussi dénommé crise glaucomatocyclitique. Il estcaractérisé par des épisodes récurrents d’élévation importante et unilatérale de la PIO associés à une inflammation discrète de la chambre antérieure[31]. Ainsi, par définition, l’élévation de la pression oculaire est présente dans 100 % des cas. Cette affection débute en général vers quarante à soixante ans, rarement après la soixantaine[3]. Les épisodes peuvent évoluer sur quelques heures à quelques semaines, avec un retour à la normale des signes cliniques entre les crises. Sur le plan symptomatologique, la crise s’accompagne d’un flou visuel avec halos et d’une douleur modérée, contrastant avec l’élévation pressionnelle souvent majeure ; elle peut même parfois être asymptomatique. L’hyperhémie conjonctivale est souvent minime ou absente. L’examen biomicroscopique retrouve classiquement des petits précipités rétrocornéens ronds et non pigmentés localisés au niveau du tiers inférieur de la cornée. L’inflammation de la chambre antérieure est minime à modérée, sans synéchie postérieure. En gonioscopie, l’angle est ouvert et d’apparence normale. Une dilatation de la pupille peut être observée du côté atteint. En revanche, l’hétérochromie irienne présente dans la description initiale du syndrome[31] n’est pas caractéristique. La PIO initiale est souvent élevée (de 40 à 60 mmHg) et l’angle iridocornéen est ouvert et non synéchié en gonioscopie. L’examen de la tête du nerf optique peut mettre en évidence une excavation papillaire glaucomateuse, liée à la récurrence et à l’intensité des crises. Le champ visuel peut être altéré. Dans une étude récente de Jap et al.[32], un glaucome (neuropathie optique) était diagnostiqué chez 26,4 % des patients présentant un syndrome de Posner-Schlossman. De plus, les patients présentant une récurrence des crises depuis plus de dix ans avaient un risque 2,8 fois plus élevé de développer un glaucome par rapport aux patients dont la durée des symptômes était inférieure à dix ans.


Sur le plan physiopathologique, l’élévation de la PIO au cours de la crise serait liée à une augmentation de la résistance à l’écoulement de l’humeur aqueuse[33], mais aussi, ce qui est inhabituel, à une augmentation de sa production[34,35].


Plusieurs causes au syndrome de Posner-Schlossman ont été incriminées, comme le terrain atopique[36] et, plus récemment, l’infection par le cytomégalovirus[29,30]. Il existerait également une relation avec le glaucome primitif à angle ouvert (GPAO)[37,38]. En effet, contrairement à ce qui a été décrit par Posner et Schlossman initialement, il semblerait que les patients présentant ce syndrome auraient une incidence plus élevée de réponse aux corticostéroïdes par rapport aux sujets normaux, incidence identique à celle des patients présentant un glaucome primitif à angle ouvert. Par ailleurs, certains patients présentent, dans l’œil controlatéral également, une élévation de la PIO, une excavation papillaire, une résistance à l’évacuation de l’humeur aqueuse et une altération du champ visuel. Aussi la prise en charge des patients présentant un syndrome de Posner-Schlossman doit-elle être impérativement associée à une surveillance clinique voire campimétrique de l’œil atteint et de l’œil controlatéral. De plus, des cas bilatéraux de crise glaucomatocyclitique ont été décrits, les crises survenant sur les deux yeux, simultanément ou non[37].


En général, la crise glaucomatocyclitique du syndrome de Posner-Schlossman est résolutive dans le temps quelle que soit la thérapeutique instaurée. Cependant, durant les crises, un traitement hypotonisant local est préconisé ; les collyres de la famille des prostaglandines sont classiquement contre-indiqués. Un traitement anti-inflammatoire stéroïdien ou non peut y être associé, en tenant compte du risque de glaucome cortico-induit. La chirurgie filtrante est parfois indiquée[39,40] mais est le plus souvent réservée aux patients présentant une neuropathie optique progressive avec atteinte du champ visuel. Elle peut être également discutée pour certains (indication relative) chez les patients présentant des symptômes sévères et invalidants[40].



ARTHRITE CHRONIQUE JUVÉNILE


Le glaucome est une complication grave et fréquente de l’uvéite de l’arthrite chronique juvénile, ou arthrite juvénile idiopathique[4,41]. Il s’agit de la troisième cause de baisse d’acuité visuelle chez ces patients après la cataracte et la kératite en bandelette[42]. Le glaucome est présent dans 15 % à 38 % des cas, selon les études, chez les patients présentant une uvéite sur arthrite chronique juvénile ; l’incidence augmente avec la durée de la maladie[4347]. La positivité des anticorps anti-cytoplasme des polynucléaires (ANCA) serait associée à une augmentation du risque de survenue d’un glaucome secondaire[47].


Plusieurs mécanismes physiopathologiques souvent intriqués peuvent expliquer la survenue l’une élévation de la PIO et d’un glaucome dans l’arthrite chronique juvénile[44]. Néanmoins, il s’agit le plus souvent d’une fermeture de l’angle iridocornéen. Cette fermeture peut être soit aiguë, secondaire à des synéchies postérieures avec constitution d’un bloc pupillaire avec « iris tomate », soit progressive suite à la constitution de synéchies antérieures périphériques (fig. 61-4). L’élévation de la PIO peut également être la conséquence d’une obstruction trabéculaire inflammatoire ou liée à l’administration de corticostéroïdes.



Sur le plan thérapeutique, l’épargne cortisonée avec l’utilisation d’immunosuppresseurs par voie générale est une des premièresmesures permettant d’éviter la survenue d’un glaucome corticoinduit ou l’aggravation d’un glaucome préexistant[48]. Des traitements hypotonisants locaux comme les bêtabloquants ou les inhibiteurs de l’anhydrase carbonique (IAC) topiques pourront être prescrits pour tenter de baisser la pression intraoculaire, en tenant compte de leurs potentiels effets systémiques. Les myotiques, en revanche, ne doivent pas être utilisés en raison du risque de rupture de la barrière hémato-aqueuse, qui favorise la formation de synéchies. Le traitement topique étant souvent insuffisant, il est fréquemment nécessaire de prescrire un traitement par acétalozamide par voie générale, plus efficace que les traitements en collyre et souvent mieux toléré chez l’enfant que chez l’adulte.


Cependant, les effets secondaires de ces thérapeutiques ne sont pas négligeables et un traitement chirurgical est souvent nécessaire. Notons que la trabéculoplastie au laser argon n’est pas efficace dans les uvéites sur arthrite chronique juvénile. En revanche, une iridotomie au laser pourra être réalisée en cas de bloc pupillaire complet avec « iris tomate » ou chez les patients à risque de fermeture de l’angle par ce mécanisme.


L’utilisation des antimétabolites a amélioré le pronostic de la chirurgie filtrante conventionnelle (trabéculectomie) dans cette pathologie[49], bien que les résultats soient encore assez décevants. En effet, chez l’enfant, la sclère est plus rigide, ce qui augmente le risque d’issue de vitré ou d’ectasie sclérale[50]. Par ailleurs, la cicatrisation conjonctivale est augmentée, majorant le risque de fibrose des bulles de filtration et de remontée pressionnelle après la chirurgie. Une alternative chirurgicale possible chez les patients atteints d’arthrite chronique juvénile est la goniotomie, qui semble plus efficace et moins risquée[51,52] ; elle consiste à créer une communication entre le canal de Schlemm et la chambre antérieure. Selon Ho (série de quarante yeux), les facteurs pronostiques péjoratifs de cette chirurgie seraient l’âge du patient, la présence de goniosynéchies, l’aphakie et des antécédents de chirurgie antérieure[51]. La cyclodestruction au laser diode, en revanche, n’a pas montré de bons résultats dans cette pathologie, probablement en raison de l’importante réaction inflammatoire liée à ce type de traitement[53]. Une alternative thérapeutique est l’implantation de tubes de drainage de type Molteno, Ahmed, Baerveldt ou Krupin, qui peuvent être proposés principalement en cas d’échec d’une chirurgie antérieure en raison du risque élevé de complications[54].



UVÉITE HERPÉTIQUE


Les récurrences oculaires d’infections herpétiques peuvent se présenter sous forme de kératites, d’uvéites ou de kérato-uvéites (fig. 61-5). Les kérato-uvéites herpétiques s’accompagnent d’hypertonie oculaire dans 28 % à 54 % des cas, avec une progression vers un glaucome dans 12 % des cas[55,56]. La fréquence de survenue d’un glaucome augmente dans les cas de kérato-uvéite compliquée d’ischémie du segment antérieur et atteint alors 83 % des cas[57]. Sur le plan physiopathologique, l’angle est le plus souvent ouvert, l’obstruction par les débris inflammatoires ou la trabéculite étant les mécanismes de l’hypertonie oculaire. Un glaucome à angle fermé par des synéchies antérieures périphériques peut également s’observer dans les cas sévères de kératouvéite avec perforation cornéenne.



Le traitement médical peut nécessiter l’utilisation d’inhibiteurs de l’anhydrase carbonique, de bêtabloquants ou d’α2-agonistes.


L’utilisation d’analogues de prostaglandines est déconseillée en raison de la possibilité de récurrences induites, ces cas de figures ayant été décrits dans différents cas cliniques[5860] et études expérimentales chez le lapin[61,62]. En effet, dans ces études, le latanoprost aggraverait la kératite au stade aigu et favoriserait les récurrences herpétiques[61,62].


Par ailleurs, le glaucome de l’uvéite herpétique peut être non contrôlé médicalement et nécessiter un traitement chirurgical[6365].

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Jun 13, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 61: Glaucome, hypertonie oculaire et uvéites

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