Chapitre 6 Traumatisme du rachis thoracolombaire-sacré
Épidémiologie
Les fractures du rachis n’apparaissent qu’au 21e rang des fractures de l’adulte [1]. Elles surviennent généralement dans un contexte d’accident de la voie publique ou de chute d’un lieu élevé. Les traumatismes sportifs sont l’apanage du sujet jeune, les chutes à domicile celui du sujet âgé. L’âge moyen de ces patients est de 43 ans. La sex-ratio est globalement de deux hommes pour une femme. Après 55 ans, on note une recrudescence féminine liée à l’ostéoporose. Si 80 % de ces fractures concernent le rachis thoracique et lombaire [2–4], elles ne représentent qu’environ 20 % des traumatismes médullaires [5]. La plupart de ces fractures siègent entre T10 et L3. Les lésions les plus sévères peuvent gravement compromettre le pronostic fonctionnel et parfois vital. Le diagnostic topographique et lésionnel repose essentiellement sur la radiographie et le scanner. L’IRM est de plus en plus indiquée dans le bilan du complexe ligamentaire postérieur.
Description radiologique
Lésions en compression
Tassement cunéiforme antérieur
La compression n’affecte que la partie antérieure du corps vertébral (fig. 6.1). Elle est liée à un mouvement brusque de flexion autour du centre de mobilité de la vertèbre. Cette coïncidence entre l’axe de rotation et l’axe physiologique de flexion–extension préserve le complexe ligamentaire postérieur et l’arc neural de toute lésion.
Le diagnostic repose sur la radiographie de profil. La diminution de hauteur du mur antérieur peut être en rapport avec une lésion du plateau vertébral supérieur, une plicature du cortex antérieur ou plus rarement une lésion du plateau inférieur. Le mur postérieur est constamment intact. La cyphose osseuse déterminée à partir de l’angle formé par les plateaux vertébraux ne peut dépasser 15 à 20°, des valeurs supérieures n’étant plus compatibles avec une intégrité ligamentaire postérieure. La radiographie de face reste normale sauf si le tassement s’accompagne d’une composante latérale en inflexion. On vérifiera de principe l’absence d’écart interépineux en faveur d’une lésion par traction. Le scanner confirmera l’intégrité du mur postérieur, de l’arc postérieur, des ligaments jaunes sus- et sous-jacents (fig. 6.2 et 6.3). L’IRM n’est pas indiquée pour le diagnostic positif. Elle confirme l’intégrité du segment mobile rachidien.
Le tassement cunéiforme antérieur est une lésion bénigne, au pronostic favorable sous traitement fonctionnel.
Fracture–séparation en diabolo
Les forces de compression axiale sont concentrées sur le nucléus pulposus (fig. 6.4). Elles vont, à la manière d’un coup de hache, fendre le corps vertébral de haut en bas. L’orientation du trait de fracture suit le mouvement du coup de hache. Elle est sagittale si le coup est porté dans le plan médiolatéral. Elle est coronale si le mouvement est porté de l’arrière vers l’avant, situation de loin la plus fréquente (fig. 6.5). Dans ce cas, la radiographie de face est normale. La radiographie de profil montre le trait de fracture s’étendant du plateau supérieur au plateau inférieur et séparant la vertèbre en une partie antérieure et une partie postérieure. Le déplacement dans le plan sagittal peut concerner une seule ou les deux parties vertébrales à la fois et avoir trois types de conséquences :
• une sténose canalaire en rapport avec le déplacement en bloc de l’hémivertèbre postérieure facilement identifiable sur la radiographie de profil ;
• une incarcération du disque dans le foyer de fracture si la séparation est importante. Le diagnostic de certitude repose sur l’IRM (fig. 6.6) ;
• un dysfonctionnement interapophysaire postérieur avec la vertèbre sous-jacente attestée par un diastasis antéropostérieur sur les coupes scanographiques passant par les interlignes articulaires (fig. 6.7).
Fracture comminutiveou burst fracture
Les forces de compression axiale agissent sur une surface d’appui nettement plus grande que précédemment. Leur vecteur n’est plus le nucléus pulposus mais l’annulus fibreux reposant sur le plateau vertébral. L’atteinte concerne donc toute la colonne antérieure de Louis ou les colonnes antérieure et moyenne de Denis (fig. 6.8). La dénomination de burst ou bursting fracture proposée par Holdsworth est liée à l’éclatement centrifuge concomitant au tassement corporéal. Faute de composante en traction et/ou en rotation, l’arc neural et les ligaments restent intacts.
Les radiographies de face et de profil sont pathologiques (fig. 6.9). Sur l’incidence de face, on note une réduction de hauteur des murs latéraux, plus ou moins associée à une augmentation de la distance interpédiculaire. Sur l’incidence de profil, on constate une réduction de hauteur des murs antérieur et postérieur.
Le scanner montre mieux que les radiographies l’atteinte du mur postérieur, la présence d’un fragment osseux dans le canal rachidien, le pourcentage de sténose canalaire (fig. 6.10). L’arc postérieur reste intact. Toutefois, et pour une augmentation flagrante de la distance interpédiculaire, il peut mettre en évidence une fracture verticale plus ou moins déplacée sur la lame ou à la jonction spinolamaire.
Fig. 6.10 Burst fracture de L1.
g, h, i. Coupes parasagittale droite (g), sagittale médiane (h) et parasagittale gauche (i).
L’IRM démontre que le tassement vertébral est souvent accompagné d’un hématome épidural antérieur. Sur les vertèbres contiguës ou à distance, elle peut mettre en évidence des lésions occultes sous forme de fractures trabéculaires (bone bruise edema). Elle confirme l’intégrité de la composante ligamentaire du segment mobile rachidien. Dans de rares cas, elle signale des anomalies discales à type d’hémorragie intradiscale, de hernie intra-osseuse, de fissuration annulaire [6,7]. Le pronostic de ces lésions discales reste à définir. Pour certains auteurs, le pincement discal constaté sur les radiographies de contrôle en cours ou en fin de traitement serait plus lié à l’affaissement du plateau vertébral qu’à une dégénérescence précoce post-traumatique. En ce sens, leur présence ne constituerait donc pas un argument pour une arthrodèse vertébrale immédiate [8]. Une brèche durale est possible en présence d’une bascule du coin postérosupérieur du mur postérieur, d’une sténose canalaire supérieure à 50 %, ou si les écarts interpédiculaire et interlamaire sont respectivement supérieurs à 28 et 2 mm [9].
Le traitement des burst fractures dépend de la clinique. Les troubles neurologiques sont des urgences chirurgicales. Ils sont en rapport avec la sténose canalaire. À l’étage thoracique, leur sévérité est directement proportionnelle au degré de sténose. En l’absence de trouble neurologique, la réduction des déformations peut être obtenue par ligamentotaxis sur cadre de Böhler (manœuvres de traction dans l’axe ou en légère lordose autorisées en raison de l’intégrité des ligaments longitudinaux). Les fragments osseux restés solidaires du disque vont réintégrer leur position d’origine et diminuer la sténose canalaire de plus d’un tiers. Des remodelages, avec restitution ad integrum des mensurations canalaires, sont possibles sous l’effet des battements du liquide cérébrospinal (fig. 6.11).
Lésions par traction en flexion
Entorse grave lombaire
Elle est nettement plus rare que l’entorse grave cervicale. Elle a pour support anatomopathologique une déchirure partielle par élongation du complexe ligamentaire postérieur. Les radiographies initiales sont presque toujours normales. Certains signes méritent cependant une attention particulière. De profil, il faut l’évoquer en présence d’une fracture oblique d’un processus épineux, d’une avulsion du listel vertébral antérosupérieur, d’un tassement cunéiforme supérieure à 30°. De face, il faut y penser systématiquement devant une augmentation de la distance interépineuse lombaire de plus de 7 mm par rapport aux étages adjacents [10]. L’évolution naturelle de l’entorse grave conduit, par distension ligamentaire progressive, à une subluxation voire une luxation, avec pour signes cliniques d’appel des lomboradiculalgies. Dans les rares observations que nous avons pu colliger, le spondylolisthésis survenait dans un intervalle de 1 à 12 mois. À ce stade, on met souvent en évidence un syndesmophyte ou une rétraction du ligament longitudinal antérieur entravant toute possibilité de réduction manuelle (fig. 6.12). Le traitement de l’entorse grave lombaire ne peut être que chirurgical. À notre connaissance, il n’existe pas de cas publié au rachis thoracique.
Luxation intervertébrale
Le diagnostic repose sur la perte complète des rapports articulaires postérieurs. Les lésions du corps vertébral sont variables. Il est normal ou présente une lésion par avulsion du listel ou du plateau vertébral de la vertèbre sous-jacente si la distraction est pure (fig. 6.13). Il présente un tassement cunéiforme en cas de compression associée. Ces lésions se comportent comme des pièges si la luxation est spontanément ou partiellement réduite. C’est dire l’importance du scanner et surtout de l’IRM dans le bilan de ces lésions (fig. 6.14). Les arguments en faveur d’une lésion du complexe ligamentaire postérieur sont : de profil, un tassement cunéiforme de plus de 50 % avec mur postérieur intact, un agrandissement de l’aire de projection du foramen intervertébral, un diastasis interapophysaire ; de face, un écart interépineux excédant 7 mm par rapport aux étages adjacents, et à l’étage thoracique une augmentation de l’espace intercostal. En IRM, on retiendra en plus un œdème interépineux en pondération STIR, une rupture capsulaire, ligamentaire (ligaments jaune, inter- et surépineux) ou du fascia thoracolombaire. On notera toutefois que la sensibilité et la spécificité de ces signes IRM varient selon les structures anatomiques [11]. C’est pourquoi il convient de rester prudent si l’IRM est normale, alors que les circonstances de l’accident et l’examen clinique plaident pour un mécanisme en traction. La luxation intervertébrale est, contrairement à l’entorse grave, une lésion immédiatement instable. Son traitement est chirurgical.