Techniques de reconstruction isolée du ligament croisé postérieur
Posterior cruciate ligament reconstruction
Résumé
Les méthodes de traitement des ruptures du ligament croisé postérieur (LCP) sont encore controversées, probablement en raison du nombre limité de ruptures opérées et d’études cliniques. Néanmoins, au cours de ces dernières années, les connaissances concernant l’anatomie, la biomécanique et les résultats des différents traitements ont apporté un jour nouveau sur ce sujet. Les notions récentes concernant l’anatomie ont permis d’améliorer le geste chirurgical, en particulier le positionnement des tunnels, une des clés du contrôle du tiroir postérieur. Le choix de la greffe est variable. Qu’il s’agisse d’une autogreffe ou d’une allogreffe, le greffon doit être de taille et de résistance suffisantes pour reconstruire ce volumineux ligament. Lorsque la chirurgie est décidée, le délai entre rupture et intervention dépend de plusieurs facteurs. L’un d’eux est l’association à des lésions latérales ou postéro-latérales qui doivent être traitées dans le même temps de façon complète si l’on veut éviter des échecs précoces. L’intérêt croissant pour la reconstruction à double faisceau est indéniable mais actuellement la littérature n’a pas apporté la preuve de la supériorité clinique de la reconstruction à double faisceau sur celle à simple faisceau. Certains auteurs sont partisans de la technique « inlay » afin d’éviter la réflexion à angle aigu de la greffe lors de son issue postérieure du tunnel tibial en cas de technique transtibiale. Quelle que soit la technique, les gestes sont en majorité réalisés sous arthroscopie, la chirurgie du LCP réalisée entièrement à ciel ouvert étant de moins en moins pratiquée. Les complications de cette chirurgie ne sont pas rares. La proximité du paquet vasculo-nerveux poplité, la relative rareté de cette chirurgie et le manque de connaissance et d’expérience des chirurgiens expliquent en grande partie les complications spécifiques de la chirurgie du LCP. Plusieurs variantes techniques ont d’ailleurs été décrites dans la littérature pour faciliter la précision du geste ou éviter les complications. Elles sont également développées dans cet article afin de permettre au lecteur de faire son propre choix en se basant sur les connaissances les plus récentes.
Abstract – Posterior cruciate ligament reconstruction
There is much debate and controversy on the methods of treatment of posterior cruciate ligament (PCL) injuries, probably due to the limited number of cases and clinical studies. Nevertheless, in recent years, advances in the knowledge of anatomy, biomechanics and clinical results of different treatments have provided a new light on this ligament. Recent concepts concerning the anatomy of the PCL have improved the surgical procedure in particular with respect to tunnel positioning. The choice of the graft is variable. Whether it is an autograft or an allograft, the graft must be of sufficient size and strength to rebuild this large ligament. When surgery is decided, the time between rupture and surgical repair will depend upon several factors. One such factor is the association with lateral or posterolateral lesions which must be repaired at the same time to avoid early failures. The growing interest in double bundle reconstruction is undeniable, however, the current literature has not provided evidence of a clinical superiority of the double bundle reconstruction over use of the single bundle. Additionally, some authors prefer the inlay technique to avoid the so-called “killer turn” with the transtibial technique. Whatever the technique, the procedures are now mostly performed arthroscopically. Complications are not uncommon after reconstruction of the PCL. The proximity of the neurovascular structures, the lack of knowledge and experience due to the relative infrequency of PCL injuries and the technically demanding nature of PCL reconstructive procedures explain the specific potential complications in PCL surgery. Several tips and tricks have been described in the literature to facilitate the surgical technique or to prevent complications. We have also developed them in this paper to enable the reader to design his own surgical technique based on the latest knowledge.
Anatomie
L’intervention devant reconstituer au mieux l’anatomie du ligament, il n’est pas possible de parler de reconstruction du ligament croisé postérieur sans rappeler l’anatomie du LCP natif [4, 11, 19].
Le LCP est un volumineux ligament s’étendant de la face latérale du condyle fémoral médial à la portion postérieure du tibia (figure 1). Anatomiquement, il est intimement lié à d’autres structures comme la capsule articulaire, le ligament croisé antérieur (LCA), les ménisques, les ligaments de Humphry et de Wrisberg ainsi que les structures vasculo-nerveuses postérieures.
Figure 1 Vue antérieure du LCP, genou droit. FAL : faisceau antéro-latéral. FPM : faisceau postéro-médial. LMFA : ligament ménisco-fémoral antérieur de Humphry.
Insertion tibiale
L’insertion tibiale du LCP est située 1,5 cm au-dessous de l’interligne articulaire postérieur, dans une fossette postérieure située entre les plateaux tibiaux, légèrement en dehors (figure 2). Cette fossette est trapézoïdale avec une base inférieure large. Le faisceau AL est inséré sur la portion supéro-latérale et le faisceau PM sur la portion inféro-médiale de la fossette. Les deux surfaces d’insertion sont distinctes et ont une pente différente.
Une partie des fibres descend de 5 mm sur la face postérieure du tibia à 1 ou 2 mm de la capsule articulaire postérieure [30]. La paroi antérieure de l’artère poplitée se situe à une distance allant de 7 à 10 mm du bord postérieur du LCP.
Insertion fémorale
L’insertion fémorale du LCP a un aspect circulaire, en demi-lune, sur la portion antérieure de l’échancrure intercondylienne (figure 3). Sa portion distale suit le cartilage du condyle médial à une distance de 1 à 2 mm. Cette insertion est étalée dans le plan coronal de 4 heures à midi pour un genou droit et de 8 heures à midi pour un genou gauche, mais son extrémité supéro-latérale dépasse fréquemment la ligne médiane. Les faisceaux AL et PM ont des surfaces d’insertion distinctes, dont la pente est différente. Une crête médiale intercondylienne définit la limite proximale de l’insertion fémorale du LCP et elle est généralement orientée entre 75° et 90° par rapport à l’axe longitudinal du fémur, tandis qu’une crête médiale de bifurcation sépare les insertions de chaque faisceau. Lors d’une arthroscopie, le faisceau AL est plus facilement repéré, le faisceau PM ayant une position plus inféro-médiale (figure 4).
Figure 3 Insertion fémorale du LCP. AL : insertion du faisceau antéro-latéral. PM : insertion du faisceau postéro-médial. Les flèches indiquent la crête médiale intercondylienne. Genou droit, vue de la face axiale du condyle médial.
Ligaments ménisco-fémoraux
Le LCP est pris en sandwich entre les ligaments ménisco-fémoraux, de Wrisberg en arrière et de Humphry en avant. Les ligaments ménisco-fémoraux sont deux structures distinctes qui connectent le ménisque latéral et la surface intercondylienne médiale. Lors des dissections anatomiques, il a été constaté la présence d’au moins un ligament ménisco-fémoral dans 93 % et des deux dans 50 % des cas [4]. Le ligament de Wrisberg peut représenter jusqu’à 25 % de la taille du LCP. Ces deux ligaments sont des freins secondaires de la translation tibiale postérieure. Ils doivent donc être conservés dans la mesure du possible au cours du geste de reconstruction du LCP.
Choix de la greffe
Les ligaments synthétiques, alors qu’ils ont été largement abandonnés dans le cadre des reconstructions du LCA, sont utilisés par certaines équipes [10, 24]. La plupart des auteurs dans ce cas les utilisent non pas comme un substitut ligamentaire mais comme un tuteur maintenant la réduction du tiroir postérieur en attendant la ligamentisation complète du greffon ligamentaire.
Technique de reconstruction « simple faisceau »
Avant d’envisager une ligamentoplastie du LCP, il faut vérifier que l’on dispose des instruments spécifiques de cette intervention. Il s’agit essentiellement d’un ancillaire constitué d’instruments courbes permettant la réalisation du tunnel tibial sous arthroscopie. En pratique, il est possible d’utiliser la même boîte de matériel que pour la ligamentoplastie du LCA, à laquelle il faut ajouter le kit spécifique pour ligamentoplastie du LCP (figure 5).
Figure 5 Instrumentation spécifique pour ligamentoplastie du LCP. Au premier plan, le guide tibial. Au deuxième plan, l’instrument permettant de protéger les structures postérieures lors du méchage. L’extrémité de la broche-guide est dans ce cas positionnée dans l’orifice central de l’instrument pour éviter sa progression en arrière pendant le méchage. En 3e et 4e plans, une curette et une râpe adaptées.
Installation du patient (figure 6)
Figure 6 Installation du patient. Le patient est positionné en décubitus dorsal sur une table ordinaire. Deux appuis sont mis en place, l’un transversal en bout de table afin d’appuyer le talon du patient pour réaliser un flexion à 90°, l’autre latéral à la racine de la cuisse pour maintenir le genou dans cette position.
Prélèvement du greffon
Le premier temps est celui du prélèvement du greffon. Il est effectué de la même manière que pour une reconstruction du LCA. Une incision verticale en dedans de la tubérosité tibiale antérieure permet de prélever les tendons gracilis et semi-tendinosus. Le prélèvement est effectué à l’aide d’un stripper « queue de cochon », ce qui permet en cas de transplant un peu court de gagner de la longueur en prélevant suffisamment de périoste au moment de la désinsertion finale distale des tendons. Chaque extrémité tendineuse est faufilée à l’aide de fils n° 2 non résorbables de couleurs différentes permettant de repérer chaque tendon. Un endobouton, habituellement de 15 ou 20 mm, est mis en place. Le quadruple transplant est calibré puis mis en pré-tension sur table de tension. Une marque circulaire au stylo stérile à 2 cm de l’extrémité proximale permet un repérage facile ultérieur lors de la progression du transplant dans les tunnels (figure 7).
Figure 7 Préparation du greffon d’ischio-jambiers. Un endobouton, habituellement de 15 ou 20 mm, est mis en place. Le quadruple transplant est calibré puis mis en prétension sur table de tension. Une marque circulaire au stylo stérile à 2 cm de l’extrémité proximale permet un repérage facile ultérieur lors de la progression du transplant dans les tunnels.
Repérage du point fémoral
Deux voies arthroscopiques antéro-latérale et antéro-médiale sont d’abord réalisées. La voie antéro-latérale peut être réalisée de façon habituelle. Il faut prendre garde à ne pas faire la voie antéro-médiale trop médiale, ce qui pourrait rendre difficiles certaines phases ultérieures comme celle de la visualisation arthroscopique lors de la réalisation du tunnel fémoral. Les éventuelles lésions méniscales ou cartilagineuses sont d’abord traitées. Les reliquats du LCP rompu sont excisés. Il faut noter qu’il est plus fréquent d’observer un LCP détendu, d’aspect pathologique, qu’une véritable rupture. L’évaluation du LCA fait partie du bilan intra-articulaire. Elle doit se faire en réduction du tiroir postérieur spontané afin d’éviter de considérer à tort que le LCA est détendu. La future zone d’insertion fémorale du transplant est repérée à ce stade, grâce aux reliquats de ligament. Le but de la reconstruction simple faisceau est de reproduire la portion antéro-latérale du LCP. Le tunnel doit donc être situé dans la portion distale et antérieure du LCP natif. Le point d’entrée de la broche-guide, dans cette technique « in-out », est situé à 5 ou 6 mm de la limite cartilagineuse du condyle médial, à 1 heure pour un genou droit et à 11 heures pour un genou gauche (figure 8). C’est donc bien dans une position assez « haute » au cours de cette vue arthroscopique, genou fléchi à 90°, que le tunnel fémoral doit se situer. Le repérage du point d’entrée est au mieux effectué à l’aide d’un bistouri bipolaire.
Voie postéro-médiale
L’exposition du site d’insertion tibiale est effectuée à l’aide du shaver, du bistouri bipolaire ou de curettes courbes. Ces instruments doivent être constamment orientés vers l’avant. La capsule est désinsérée du tibia jusqu’à voir les fibres du muscle poplité. Cette capsulotomie permet de mieux positionner le guide et il a été montré qu’elle augmentait la distance entre l’insertion tibiale du LCP et le paquet vasculo-nerveux [3]. Elle expose en revanche au risque de syndrome de loge, en particulier dans les cas aigus. C’est la raison pour laquelle elle ne doit être effectuée que juste avant la réalisation du tunnel tibial et que la pression de l’arthro-pompe doit être contrôlée (50 mmHg maximum).