Chapitre 6. Pneumopathies et pleuropneumopathies bactériennes
Véronique Houdouin and Antoine Bourrillon
La pneumopathie aiguë communautaire (PAC) de l’enfant est un problème majeur de santé publique dans le monde. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime que 19 % des décès des enfants de moins de 5 ans sont secondaires à une pneumopathie. Les pneumopathies aiguës traduisent une atteinte infectieuse du parenchyme pulmonaire. L’infectionInfection parenchymateuse résulte le plus souvent de la pénétration d’un micro-organisme virulent dans les voies aériennes. Celle-ci peut être favorisée par une fragilité des mécanismes de défenses locales et générales : obstruction bronchique, infection virale, malnutrition, immunosuppression, etc. La démarche diagnostique et thérapeutique repose sur un faisceau d’arguments prenant en considération l’âge, l’origine géographique, l’analyse sémiologique et radiologique.
Épidémiologie
Incidence des pneumopathies aiguës communautaires et facteurs de risque
Pneumopathieaiguë communautaireépidémiologiePneumopathieaiguë communautaireLe jeune âge est le facteur de risque principal de PAC, avec une plus forte incidence chez l’enfant âgé de moins de 5 ans. Actuellement, l’OMS estime à 60/1000 le nombre d’épisodes de pneumopathie/an chez l’enfant de moins de 5 ans en Europe et aux États-Unis; 40/1000 lorsque le diagnostic repose également sur le critère radiologique. L’incidence des pneumopathies est moindre chez les enfants de plus de 5 ans, passant de 22/1000 enfants de 5 à 9 ans, 11/1000 enfants de 9 à 12 ans, pour atteindre un taux proche de l’adulte entre 12 et 15 ans, avec 7/1000. Les autres facteurs de risque sont essentiellement la malnutrition, les déficits immunitaires et l’absence de couverture vaccinale contre le pneumocoque et l’Haemophilus influenzae b, avec une incidence de PAC chez les enfants de moins de 5 ans de 290/1000 dans les pays en développement.
Étiologie bactérienne au cours des PAC
Pneumopathieaiguë communautaireétiologiesLa répartition des causes virales et bactériennes varie selon l’âge. Alors que les virus responsables de PAC sont nombreux (respiratoire syncytial [VRS], H. influenzae types a et b, parainfluenza, adénovirus, rhinovirus, human herpes virus 6 [HHV6]), seuls deux germes sont les plus fréquemment en cause chez l’enfant (pneumocoque et Mycoplasma pneumoniae). Avant l’âge de 2 ans, la cause virale prédomine, puis laisse place aux bactéries (fig. 6.1). La co-infection virale et bactérienne est fréquente, retrouvée au cours de 16 à 30 % des pneumopathies, Ainsi, l’origine bactérienne des PAC, par sa fréquence, justifie d’une antibiothérapie systématique. Préciser l’étiologie microbiologique d’une pneumonie chez l’enfant est difficile car cela implique le recours à des méthodes le plus souvent invasives; l’antibiothérapie est donc essentiellement probabiliste. En France, le pneumocoque est le principal pathogène retrouvé au cours des PAC de l’enfant de moins de 5 ans. Au-delà de cet âge, M. pneumoniae est le principal agent incriminé.
Fig. 6-1 D’après Michelow, Pediatrics, 2004; 42 : 3339–41. |
Streptococcus pneumoniae
Streptococcus pneumoniaeLe pneumocoque, bactérie Gram positif commensale du rhinopharynx, est le principal responsable de pneumopathie bactérienne chez les enfants âgés de moins de 5 ans. Il existe plus de 90 sérotypes de pneumocoque dont la répartition peut différer selon les pays. Différents réseaux de surveillance permettent d’évaluer l’évolution des sérotypes et des résistances à l’échelon national et international. En France, deux réseaux de laboratoires hospitaliers permettent un suivi des infectionsInfection à pneumocoques : le réseau Epibac, coordonné par l’Institut national de veille sanitaire (InVS) qui assure le suivi de l’incidence des infections invasives à pneumocoque depuis 1991; et le réseau des Observatoires régionaux du pneumocoque (ORP) coordonné par le Centre national de référence des pneumocoques (CNRP). Depuis la mise en place de la vaccination antipneumococcique, on observe une modification des sérotypes de portage, avec une diminution des sérotypes vaccinaux (4, 6B, 9V, 14, 18C, 23F), à l’exception du 19F, et une émergence de sérotypes de remplacement (19A, 6A, 23B, 3, 11A, 15, 16, 22F, 31, 35) et des pneumocoques non typables. Les sérotypes de portage sont le plus souvent impliqués dans les pneumopathies du jeune enfant de moins de 3 ans.
Avant la mise en place de la vaccination antipneumococcique, la responsabilité de S. pneumoniae dans la PAC variait de 13 à 44 % (tableau 6.1). Aux États-Unis, l’immunisation par le vaccin antipneumococcique à 7 valences a permis de réduire d’environ 20 % les pneumonies prises en charge en ambulatoire quelle qu’en soit la cause, et de 39 % les hospitalisations pour PAC chez les enfants de moins de 2 ans vaccinés. On note également une diminution des hospitalisations pour PAC dans la population non vaccinée (17 % chez les enfants de plus de 2 ans, 26 % chez les adultes jeunes).
NF : non fourni. | |||||
a32 % d’enfants hospitalisés. | |||||
b50 % d’enfants hospitalisés. | |||||
cTraitement ambulatoire exclusivement. | |||||
dRecherche virus respiratoire syncythial (VRS), adénovirus, influenza A et B et parainfluenza 1, 2, 3. | |||||
eRecherche VRS, adénovirus, influenza A et B, parainfluenza 1, 2, 3, rhinovirus (PCR), human herpes virus 6 (HHV6), virus d’Epstein-Barr (EBV), virus varicelle zona (VZV). | |||||
*Diagnostic sérologique. | |||||
**PCR et culture en plus du diagnostic sérologique. | |||||
Auteur, année | Heiskanen-Kosma, 1998 | Gendrel, 1997 | Juven, 2000 | Wubbel, 1999 | Michelow, 2004 |
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Âge | 3 mois–14 ans | 18 mois–13 ans | 3 mois–15 ans | 6 mois–16 ans | 2 mois–17 ans |
Pays | Finlande | France | Finlande | États-Unis | États-Unis |
Nombre de cas | 201 | 104 | 254 | 168 | 154 |
Années de l’étude | 1981–1982 | 1992–1994 | 1993–1995 | 1996–1997 | 1999–2000 |
Type de l’étude | Ambulatoirea | Urgencesb | Hospitalisation | Ambulatoirec | Hospitalisation |
Pneumocoque | 28 %* | 13 % | 37 %* | 27 %* | 44 %* |
Mycoplasma pneumoniae | 22 % | 39 % | 7 % | 7 %** | 14 % |
Chlamydia pneumoniae | 0 % | 0 % | 3 % | 6 % | 9 % |
Haemophilus influenzae | 6 % | 0 % | 9 % | 0 % | NF |
Co-infection pneumocoque et virus | 10 % | 2 % | 24 % | 4 % | 21 % |
Causes virales | 25 %d | 29 %d | 62 %e | 20 %d | 19 %d |
Causes inconnues | 49 % | 15 % | 15 % | 57 % | 21 % |
Mycoplasma pneumoniae, Chlamydia pneumoniae
Mycoplasma pneumoniaeChlamydia pneumoniaeL’enfant est le réservoir principal des germes intracellulaires. Les pneumopathies à germes atypiques évoluent sur un mode épidémique, essentiellement intrafamilial, avec un taux d’attaque de 70 %. Le portage de M. pneumoniae est de l’ordre de 2 %. Il peut s’élever à 15 % en période épidémique. La survenue d’une pneumopathie à germe atypique est exceptionnelle chez l’enfant de moins d’un an. Chez l’enfant de plus de 2 ans, environ un tiers des pneumopathies sont dues à M. pneumoniae et 10 % à C. pneumoniae. Le pic de fréquence survient chez l’enfant de 5 à 7 ans, chez qui 50 % des pneumopathies sont dues à un germe atypique.
Autres germes
Dans les pays développés, les pneumopathies à H. influenzae b sont devenues exceptionnelles depuis la mise en place de la vaccination, et la responsabilité de Staphylococcus aureus dans les PAC bactériennes de l’enfant est devenue rare. La fréquence de Moraxella catarrhalis au cours des infections respiratoires basses est mal connue. Ce germe survient surtout en co- ou surinfection virale chez l’enfant de moins de 2 ans.
Diagnostic et particularités liées aux germes
Diagnostic clinique
La démarche clinique devant un enfant pour lequel on évoque une PAC a deux buts :
• d’une part, poser le diagnostic;
• d’autre part, rechercher les signes de gravité qui conduiront à l’hospitalisation (tableau 6.2).
L’examen clinique permet d’évaluer le risque de pneumopathie et son degré de gravité chez l’enfant. L’OMS propose de poser le diagnostic de pneumopathie devant la constatation des critères suivants :
• présence d’une tachypnée;
• fièvre supérieure à 38,5° C;
• existence de signes de lutte;
• présence d’anomalies à l’auscultation pulmonaire (souvent localisées, diminution du murmure vésiculaire, foyer de râles alvéolaires, souffle tubaire) et absence de sibilants.
La toux est parfois retardée par rapport au début des symptômes. La tachypnée est un signe majeur en faveur d’une pneumopathie. Elle doit être évaluée pendant une minute et doit être interprétée en fonction de l’âge (> 60/min chez les moins de 2 mois, > 50/min entre 2 et 12 mois, > 40/min entre 1 et 3 ans, > 30/min entre 3 et 5 ans). Le risque relatif de pneumopathie en présence de tachypnée varie de 1,56 à 8 en fonction des études. L’absence de tachypnée reste le meilleur critère pour écarter le diagnostic de pneumopathie. Les autres signes cliniques revêtent une importance variable d’une étude à l’autre et n’ont de valeur que s’ils sont positifs.
La méta-analyse de Margolis et al. montre que la présence d’un seul de ces signes suffit à évoquer le diagnostic de pneumopathie dans les pays à forte prévalence alors que, dans les pays à faible prévalence, la présence de plusieurs de ces signes est nécessaire au diagnostic. Enfin, dans les pays où la prévalence est faible, l’absence de tous les signes évocateurs de pneumopathie a une bonne valeur prédictive négative. Les signes de gravité sont liés à l’intensité des symptômes (fièvre mal tolérée, troubles hémodynamiques) et à la sévérité des signes respiratoires. La présence de signes de lutte, d’une mauvaise prise de biberons, de signes d’hypoxie (cyanose) ou d’hypercapnie (sueurs, troubles de la conscience) témoigne d’une atteinte alvéolaire diffuse et nécessite une hospitalisation (tableau 6.2 et encadré 6.1).
Signes respiratoires – Tachypnée : >60/min si plus de 2 ans; >70/min si moins de 2 ans – Tirage intercostal – Battement des ailes du nez – Balancement thoracoabdominal – Geignement – SpO2 <92 % – Hypercapnie : sueurs, hypertension artérielle |
Signes digestifs – Vomissements – Refus de boire – Déshydratation |
Fièvre mal tolérée. Asthénie importante |
Terrain – Déficit immunitaire – Drépanocytose – Cardiopathie congénitale – Mucoviscidose – Dysplasie bronchopulmonaire – Âge <6 mois – Asthme sévère |
Signes radiologiques – Épanchement pleural – Pneumopathie étendue à plus de deux lobes – Abcès |
Encadré 6.1
• L’auscultation peut être normale, en particulier chez le petit enfant
• L’expectoration purulente est inhabituelle
• L’hémoptysie est un signe de nécrose tissulaire
• La mauvaise prise de biberons est un signe de mauvaise tolérance faisant craindre une hypoxémie
Tableau clinique évocateur d’une pneumopathie virale
Le contexte épidémique est essentiel pour le diagnostic présomptif d’une étiologie virale. Le début progressif, consécutif à une atteinte des voies aériennes respiratoires supérieures, une fièvre de niveau variable, la présence de myalgies ou d’éruption cutanée, oriente vers une étiologie virale.
Tableau clinique évocateur d’une infection à pneumocoque
Pneumocoque, infection à, tableau clinique évocateur d’uneLe début est brutal, associant une fièvre élevée parfois mal tolérée, une toux, une tachypnée, et parfois une douleur thoracique. L’examen clinique peut aider à localiser l’infection, mais l’auscultation pulmonaire peut être normale chez le nourrisson. Le souffle tubaire peut apparaître à la phase d’état. Les douleurs abdominales sont retrouvées chez environ 10 % des enfants hospitalisés pour PAC à pneumocoque. Elles peuvent être au premier plan, mimant un tableau appendiculaire. Les formes pseudoméningées sont également plus fréquemment retrouvées dans les infections à pneumocoque. La rougeur des pommettes et le bouquet de vésicules d’herpès péribuccal sont des signes classiques. Un syndrome hémolytique et urémique (SHU) peut survenir au cours des formes sévères de pneumonies à pneumocoque.
Tableau clinique évocateur d’une pneumopathie à Mycoplasma pneumoniae
Mycoplasma pneumoniaetableau clinique évocateur d’une pneumopathie àLe diagnostic est évoqué devant une toux durable, d’installation progressive, chez un enfant de plus de 3 ans, en bon état général, volontiers dans un contexte d’épidémie familiale. Une symptomatologie ORL peut être associée. Mais les tableaux cliniques peuvent être très variés : myalgies, signes cutanés, arthralgies ou arthrites. L’association pneumopathie et anémie hémolytique doit faire évoquer le diagnostic. Des complications sont possibles mais rares : épanchement pleural, abcès, pneumatocèle. La survenue de séquelles à type de dilatation des bronches ou de bronchiolite oblitérante est possible. Enfin, M. pneumoniae est parfois impliqué dans l’apparition ou les exacerbations d’asthme.
Tableau clinique évocateur d’une pneumopathie à Staphylococcus aureus
Staphylococcus aureus, tableau clinique évocateur d’une pneumopathie àS. aureus est responsable d’infections des voies aériennes basses souvent sévères : trachéites nécessitant une assistance respiratoire, abcès pulmonaires, pleuropneumopathies, pneumatocèles. L’évolution d’une pneumopathie à S. aureus est souvent celle d’une pneumopathie nécrosante. La responsabilité de S. aureus doit être évoquée en présence d’une atteinte cutanée associée, d’un aspect de bulle ou de pneumatocèle à la radiographie de thorax, en cas de déficit immunitaire, et également dans un contexte de risque d’infection nosocomiale. Exceptionnellement, S. aureus synthétise une toxine leucotoxique et nécrotique : la leucocidine de Panton et Valentine. Cette toxine est retrouvée dans moins de 5 % des S. aureus et est responsable de pneumonie nécrosante chez le grand enfant et l’adolescent essentiellement.