Chapitre 6
Mécanismes d’action des lymphocytes T
Fonctions des lymphocytes T dans la défense de l’hôte
Modes de réactions immunitaires dépendant des lymphocytes T
Migration des lymphocytes T au cours des réactions immunitaires cellulaires
Fonctions effectrices des lymphocytes T auxiliaires CD4+
Rôle des lymphocytes TH1 dans la défense immunitaire
Rôle des lymphocytes TH17 dans la défense immunitaire
Fonctions effectrices des lymphocytes T cytotoxiques CD8+
La défense de l’hôte dans laquelle les lymphocytes T interviennent comme cellules effectrices relèvent de ce que l’on appelle l’immunité cellulaire. Les lymphocytes T sont essentiels pour éliminer les microbes qui survivent et se répliquent à l’intérieur des cellules mais aussi pour éradiquer des infections par certains microbes extracellulaires, souvent par le recrutement d’autres cellules assurant l’élimination du pathogène. Les réponses immunitaires cellulaires commencent par l’activation des lymphocytes T naïfs, qui les fait proliférer et se différencier en cellules effectrices. Celles-ci éliminent des microbes associés aux cellules, souvent en agissant de concert avec des macrophages et d’autres leucocytes. Dans le chapitre 3, nous avons décrit les fonctions des molécules du complexe majeur d’histocompatibilité (CMH) dans la présentation des antigènes des microbes intracellulaires afin qu’ils soient reconnus par les lymphocytes T. Le chapitre 5 a ensuite décrit la manière dont les lymphocytes T naïfs reconnaissent ces antigènes dans les organes lymphoïdes et se développent en lymphocytes effecteurs. Dans ce chapitre, nous répondrons aux questions suivantes :
Comment les lymphocytes T effecteurs localisent-ils les microbes intracellulaires dans n’importe quel site de l’organisme ?
Comment les lymphocytes effecteurs éradiquent-ils les infections provoquées par ces microbes ?
Quels sont les rôles des macrophages et d’autres leucocytes dans la destruction des pathogènes infectieux ?
Modes de réactions immunitaires dépendant des lymphocytes T
Pour éliminer différents types de microbes intracellulaires, l’immunité cellulaire recourt à deux modes de réaction. Les lymphocytes T auxiliaires CD4+ sécrètent des cytokines qui recrutent et activent d’autres leucocytes afin qu’ils phagocytent (ingèrent) et détruisent les microbes. Les lymphocytes T cytotoxiques CD8+ (CTL) tuent toute cellule contenant des protéines microbiennes dans le cytosol ou le noyau, éliminant ainsi les réservoirs cellulaires infectieux (fig. 6.1). Les infections microbiennes peuvent survenir n’importe où dans l’organisme et certains pathogènes sont capables d’infecter et de vivre à l’intérieur des cellules. Les germes pathogènes qui infectent les cellules et qui survivent à l’intérieur de celles-ci comprennent :
Fig. 6.1 Immunité cellulaire dirigée contre les microbes intracellulaires.
A. Les lymphocytes T effecteurs des sous-populations CD4+ TH1 et TH17 reconnaissent les antigènes et sécrètent des cytokines, qui recrutent des leucocytes (inflammation) et qui activent les phagocytes, afin qu’ils détruisent les microbes. Les lymphocytes T CD8+ peuvent aussi produire des cytokines qui induisent de l’inflammation et activent des macrophages (non montré). B. Les CTL CD8+ tuent les cellules infectées par des microbes présents dans le cytoplasme.
CTL, lymphocytes T cytotoxiques.
de nombreuses bactéries, des champignons et quelques protozoaires qui sont ingérés par les phagocytes mais résistent aux mécanismes de destruction de ces phagocytes et survivent dans des vacuoles ou dans le cytoplasme ;
des virus qui infectent des cellules, phagocytaires ou non, et vivent dans le cytoplasme de ces cellules (voir chapitre 5, fig. 5.1).
Les réactions de l’immunité dépendant des cellules T se déroulent en plusieurs phases (voir chapitre 5, fig. 5.2). Des lymphocytes T naïfs sont stimulés par des antigènes microbiens dans les ganglions lymphatiques et dans la rate, ce qui génère des cellules T effectrices, dont la fonction est d’éradiquer les microbes intracellulaires. Les lymphocytes T effecteurs différenciés migrent ensuite dans le foyer infectieux. Dans ce site, les phagocytes qui ont ingéré les microbes dans des vacuoles intracellulaires présentent des fragments peptidiques des protéines microbiennes associés à des molécules du CMH de classe II à la surface cellulaire afin qu’ils soient reconnus par les lymphocytes T effecteurs CD4+. Les antigènes peptidiques provenant des microbes vivant dans le cytosol des cellules infectées sont présentés par des molécules du CMH de classe I afin qu’ils soient reconnus par des lymphocytes T effecteurs CD8+. La reconnaissance des antigènes par les lymphocytes T effecteurs active ceux-ci afin qu’ils accomplissent leur tâche d’élimination des pathogènes. Ainsi, dans l’immunité cellulaire, les lymphocytes T reconnaissent les antigènes protéiques lors de deux phases distinctes :
premièrement, les lymphocytes T naïfs reconnaissent les antigènes dans les tissus lymphoïdes et réagissent par une prolifération et une différenciation en cellules effectrices (voir chapitre 5) ;
deuxièmement, celles-ci reconnaissent les mêmes antigènes n’importe où dans l’organisme et réagissent en éliminant ces microbes.
Migration des lymphocytes T au cours des réactions immunitaires cellulaires
Pour que des cellules T puissent répondre à une infection, elles doivent prendre part à deux types d’activité migratoire. Tout d’abord, des cellules T naïves doivent migrer entre le sang et les tissus lymphoïdes dans tout l’organisme, jusqu’à ce qu’ils rencontrent, au sein d’un ganglion lymphatique ou de la rate, des cellules dendritiques qui présentent les antigènes que des lymphocytes T reconnaissent (voir chapitre 3). Ensuite, après activation, différenciation et expansion des cellules T naïves sous forme de clones de lymphocytes T effecteurs, ceux-ci migrent dans les foyers infectieux d’où ils doivent éliminer les microbes. La migration des cellules T naïves et effectrices est contrôlée par trois familles de protéines, des sélectines, des intégrines et des chimiokines, qui régulent la migration de tous les leucocytes, comme décrit au chapitre 2. Les voies de migration des cellules T naïves et des effectrices diffèrent nettement, en raison de l’expression sélective de différentes molécules d’adhérence et de récepteurs de chimiokines sur les lymphocytes T naïfs par rapport aux cellules T effectrices, conjointement avec l’expression sélective des molécules d’adhérence endothéliales et des chimiokines dans les tissus lymphoïdes ou les foyers inflammatoires (fig. 6.2).
Fig. 6.2 Migration des lymphocytes T naïfs et effecteurs.
A. Les lymphocytes T naïfs gagnent les ganglions lymphatiques suite aux liaisons de la sélectine L et des intégrines à leurs ligands sur les veinules à endothélium élevé (HEV, high endothelial venule). Les chimiokines exprimées dans les ganglions lymphatiques se lient à des récepteurs des cellules T naïves, augmentent ainsi l’adhérence dépendant des intégrines et favorisent la migration à travers la paroi des HEV. Le phospholipide, sphingosine-1-phosphate (S1P), joue un rôle dans la sortie des cellules T des ganglions lymphatiques, par liaison au récepteur, appelé S1PR1 (récepteur de type 1 de la sphingosine-1-phosphate). Les lymphocytes T activés, qui comprennent les lymphocytes effecteurs, migrent (homing, ou écotaxie) dans les foyers infectieux dans les tissus périphériques, et cette migration est assurée par la sélectine E, la sélectine P, des intégrines et des chimiokines sécrétées dans les sites inflammatoires. B. Les fonctions des principaux récepteurs et de leurs ligands responsables de l’écotaxie des lymphocytes T sont présentées dans le tableau.
ICAM-1, intercellular adhesion molecule 1 ; LFA-1, leukocyte function-associated antigen 1 ; VCAM-1, vascular cell adhesion molecule 1 ; VLA-4, very late antigen 4.
Les lymphocytes T naïfs expriment la molécule d’adhérence L-sélectine (CD62L) et le récepteur de chimiokine CCR7, qui assurent leur migration sélective dans les ganglions lymphatiques à travers les vaisseaux spécialisés dénommés veinules à endothélium élevé (HEV) (fig. 6.2). Ces vaisseaux sont situés dans les zones des lymphocytes T des tissus lymphoïdes et sont bordés par des cellules endothéliales spécialisées, porteuses de ligands glucidiques qui se lient à la L-sélectine. Les HEV expriment également des chimiokines propres aux tissus lymphoïdes et spécifiques de CCR7. Les lymphocytes T naïfs du sang, en interagissant avec la L-sélectine, roulent sur l’endothélium de l’HEV, ce qui permet ensuite à leur CCR7 de se lier aux chimiokines. CCR7 transmet des signaux intracellulaires qui activent l’intégrine LFA-1 (leukocyte function-associated antigen 1) des cellules T naïves. LAF-1 activée s’attache alors fermement à son ligand, ICAM-1 (intercellular adhesion molecule 1), présent sur l’HEV, et arrête ainsi le roulement des cellules T. Ensuite, celles-ci sortent du vaisseau à travers les jonctions endothéliales et restent dans la zone des cellules T du ganglion lymphatique en raison des chimiokines présentes. En conséquence, un bon nombre des cellules T naïves amenées par le sang dans une HEV atteignent la zone des cellules T dans le stroma du ganglion. Ceci se déroule en permanence dans tous les ganglions et tissus lymphoïdes des muqueuses. Les lymphocytes T effecteurs n’expriment pas CCR7 ou la L-sélectine et ne sont donc pas attirés dans les ganglions.
Le phospholipide sphingosine-1-phosphate (S1P) joue un rôle clé dans l’entrée et la sortie des cellules T dans les ganglions lymphatiques. Les taux de S1P sont plus élevés dans le sang et la lymphe que dans les ganglions lymphatiques. S1P se lie à son récepteur et réduit ainsi l’expression de celui-ci, avec en conséquence une densité faible du récepteur de S1P sur les cellules T naïves circulantes. Quand une cellule T naïve entre dans le ganglion, elle est exposée à une plus faible concentration de S1P et l’expression du récepteur commence à augmenter. Si la cellule T ne reconnaît aucun antigène, elle quitte le ganglion par les vaisseaux lymphatiques efférents en suivant le gradient de S1P du ganglion jusque dans la lymphe. Si la cellule T rencontre un antigène spécifique et est activée, l’expression en surface du récepteur S1P est supprimée pendant plusieurs jours. Par conséquent, les cellules T récemment activées restent dans le ganglion lymphatique assez longtemps pour subir une expansion clonale et une différenciation. Lorsque ce processus est terminé, le récepteur de S1P est exprimé à nouveau à la surface des cellules, qui entre-temps ont perdu l’expression de la L-sélectine et CCR7, qui les avaient attirées dans les ganglions lymphatiques. En conséquence, les cellules activées sont entraînées en dehors des ganglions dans le lymphatique de drainage, qui transporte ensuite les cellules dans la circulation. Le résultat net de ces changements est que les cellules T effectrices différenciées quittent les ganglions lymphatiques et gagnent la circulation. L’importance de la voie de S1P a été révélée par le développement d’un médicament, le fingolimod, qui se lie au récepteur S1P et bloque la sortie des cellules T des ganglions lymphatiques. Ce médicament est approuvé pour le traitement d’une maladie inflammatoire, la sclérose en plaques.
Les lymphocytes T effecteurs migrent dans les foyers infectieux, car ces cellules expriment des molécules d’adhérence et des récepteurs de chimiokines qui se lient à des ligands exprimés ou présentés sur l’endothélium vasculaire à la suite des réactions de l’immunité innée aux microbes. Le processus de différenciation des lymphocytes T naïfs en effecteurs, décrit au chapitre 5, s’accompagne de changements dans les collections de molécules d’adhérence et de récepteurs de chimiokines sur ces cellules (fig. 6.2). La migration des cellules T activées dans les tissus périphériques est contrôlée par les mêmes interactions que celles qui dirigent la diapédèse des autres leucocytes dans les tissus (voir chapitre 2, fig. 2.16), dont voici un rappel des points principaux. Les cellules T activées expriment en forte densité des ligands glycoprotéiques pour les sélectines E et P, et les formes à haute affinité des intégrines LFA-1 et VLA-4 (very late antigen 4), qui apparaît plus tard que LFA-1 lors de l’activation des lymphocytes T. Dans le foyer infectieux, l’endothélium est exposé à des cytokines comme le TNF (tumor necrosis factor) et l’interleukine 1 (IL-1), qui font exprimer davantage par les cellules endothéliales les sélectines E et P ainsi que les ligands des intégrines, en particulier ICAM-1 (intercellular adhesion molecule 1, le ligand de LFA-1) et VCAM-1 (vascular cell adhesion molecule 1, le ligand de l’intégrine VLA-4). Les lymphocytes T effecteurs qui traversent les vaisseaux sanguins dans le site de l’infection se lient d’abord aux sélectines et roulent sur la surface endothéliale. Les cellules T effectrices expriment aussi des récepteurs pour les chimiokines qui sont produites par les macrophages et les cellules endothéliales dans ces foyers infectieux et qui sont présentes à la surface de l’endothélium. Les lymphocytes T roulant sur cette surface reconnaissent ces chimiokines, qui induisent une augmentation de l’affinité de liaison des intégrines pour leurs ligands et ainsi une adhérence ferme des cellules T à l’endothélium. Après s’être arrêtés sur l’endothélium, les lymphocytes T effecteurs interagissent avec d’autres molécules d’adhérence situées aux jonctions entre les cellules endothéliales et s’insinuent à travers ces jonctions jusque dans le tissu. Les chimiokines qui ont été produites par les macrophages et d’autres cellules dans les tissus stimulent la motilité des leucocytes en train de migrer. Le résultat net de ces interactions moléculaires entre les cellules T et les cellules endothéliales est la migration des cellules T hors des vaisseaux sanguins dans le foyer infectieux. Les lymphocytes T naïfs n’expriment pas de ligands pour les sélectines E ou P, pas plus qu’ils n’expriment de récepteurs pour les chimiokines produites dans des sites inflammatoires. Par conséquent, les cellules T naïves ne migrent pas dans les sites d’infection ou de lésion tissulaire.
Cette migration, ou « homing », des lymphocytes effecteurs dans le site d’infection est indépendante de la reconnaissance des antigènes, mais les lymphocytes qui reconnaissent les antigènes microbiens sont retenus et activés de préférence dans ce site. Comme la migration des lymphocytes T effecteurs vers les sites d’infection dépend surtout des molécules d’adhérence et des chimiokines, et non de la reconnaissance de l’antigène, tous les lymphocytes effecteurs présents dans le sang, quelle que soit leur spécificité antigénique, peuvent pénétrer dans le site de n’importe quelle infection. Cette migration non sélective maximise probablement les chances des lymphocytes effecteurs d’entrer dans les tissus où ils peuvent rencontrer les microbes qu’ils reconnaissent. Ces cellulesT effectrices qui sortent de la circulation et reconnaissent de manière spécifique des antigènes microbiens présentés par les cellules présentatrices d’antigène (APC) tissulaires locales sont réactivées et contribuent à la destruction du microbe dans les APC. Une conséquence de cette réactivation est une augmentation de l’expression des intégrines VLA sur les cellules T. Certaines de ces intégrines se lient de manière spécifique aux molécules présentes dans la matrice extracellulaire, comme l’acide hyaluronique et la fibronectine. Par conséquent, les lymphocytes stimulés par l’antigène adhèrent fermement aux protéines de la matrice tissulaire près de l’antigène, ce qui peut servir à garder les cellules dans les foyers inflammatoires. Cette rétention sélective contribue à l’accumulation de cellulesT spécifiques des antigènes microbiens dans le foyer infectieux.
Cette séquence d’événements migratoires des cellules T permet un déclenchement et un déroulement efficaces de l’immunité cellulaire quelle que soit la localisation de l’infection. Contrairement à l’activation des lymphocytes T naïfs, qui nécessite la présentation de l’antigène et une costimulation par des cellules dendritiques, les lymphocytes effecteurs différenciés sont moins dépendants d’une costimulation. C’est pourquoi la prolifération et la différenciation des lymphocytes T naïfs sont confinées aux organes lymphoïdes dans lesquels les cellules dendritiques (qui expriment d’abondants costimulateurs) présentent des antigènes, alors que les fonctions des lymphocytes T effecteurs peuvent être réactivées par toute autre cellule présentant des peptides microbiens associés à des molécules du CMH, et pas seulement par des cellules dendritiques.