Chapitre 6 Maladies malignes
Le cancer est fréquent ; après les maladies cardiovasculaires, il est la cause la plus fréquente de décès. La plupart des tumeurs résultent de mutations génétiques au sein d’une seule population de cellules souches, les anomalies s’accumulant au cours des divisions cellulaires ultérieures. Les gènes les plus souvent touchés sont ceux qui contrôlent les points de contrôle du cycle cellulaire, la reconnaissance des dommages de l’ADN, la réparation de l’ADN, l’apoptose, la différenciation et la prolifération cellulaires. Les mutations génétiques peuvent être :
• germinales – par exemple des mutations des gènes BRCA1 et BRCA2 sont à la base de la plupart des cas familiaux de cancer du sein. Le produit protéique de ces gènes mutés est incapable de se lier à l’enzyme de réparation de l’ADN, Rad51, et de le rendre capable de réparer les cassures de l’ADN.
• somatiques – en réponse à des carcinogènes environnementaux, par exemple fumer.
Diagnostic de malignité
Le diagnostic peut être posé dans les circonstances suivantes.
• Un dépistage chez une personne asymptomatique dans le but d’une détection du cancer avant que les symptômes ne se manifestent et dans l’espoir d’un meilleur résultat thérapeutique. Le dépistage peut s’adresser à une population donnée ou peut être restreint aux personnes à risque. En France, à ce jour, le dépistage est généralisé pour le cancer du sein et pour le cancer colorectal. Le dépistage individuel est recommandé aux personnes dont le risque est supérieur à la moyenne, généralement en raison d’antécédents familiaux ; par exemple une coloscopie est indiquée chez quelqu’un dont un membre de la famille a été atteint d’un cancer du côlon à un jeune âge.
• La surveillance chez un patient atteint d’une maladie qui le prédispose à un cancer ; par exemple chez un patient ayant une cirrhose, une échographie hépatique et le dosage de l’α-fœtoprotéine sérique sont utiles pour la détection d’un carcinome hépatocellulaire avant les manifestations cliniques.
• Les examens chez un patient symptomatique. Les symptômes sont le résultat :
Examens
• Pour confirmer la présence d’une tumeur maligne chez un patient présentant des symptômes suspects. Le diagnostic repose surtout sur l’imagerie radiologique (avec le test spécifique selon le site) et sur la biopsie d’une lésion suspecte (par exemple à l’endoscopie) avec examen histologique et recherche de marqueurs tissulaires. Les marqueurs tumoraux sériques (tableau 6.1) sont des protéines intracellulaires ou glycoprotéines de surface cellulaire libérées dans la circulation ; chez les patients atteints de cancer, leur concentration peut excéder les valeurs normales. Souvent, leur dosage est demandé à tort car les marqueurs tumoraux ne sont ni sensibles ni spécifiques d’une tumeur maligne particulière ; ils peuvent être augmentés dans des affections bénignes. Ils sont principalement utilisés pour le suivi thérapeutique.
• Pour stadifier le cancer qui vient d’être diagnostiqué. La stadification consiste à répartir les patients en groupes de pronostic différent, ce qui peut guider le choix du traitement. Les systèmes de stadification varient selon le type de tumeur ; ils peuvent être spécifiques à chaque site (voir « Lymphome de Hodgkin ») ou, comme la classification TNM (tumeur, ganglions [nodes], métastases), être adaptés aux cancers les plus courants.
• Pour évaluer l’aptitude d’un patient à supporter le traitement envisagé ; par exemple une étude approfondie des fonctions cardiaque et respiratoire avant une transplantation hépatique pour carcinome hépatocellulaire.
α-fœtoprotéine | Carcinome hépatocellulaire et tumeur germinale gonadique non séminomateuse |
β-gonadotrophine chorionique humaine (β-hCG) | Choriocarcinome, tumeurs des cellules germinales (testicules) et cancer du poumon |
Antigène prostatique spécifique (PSA) | Cancer de la prostate |
Antigène carcino-embryonnaire (CEA) | Cancer colorectal. Peut également être élevé dans d’autres cancers gastro-intestinaaux |
CA-125 | Cancer de l’ovaire. Peut également être élevé dans les cancers du sein, du col de l’utérus, de l’endomètre et du tractus digestif |
CA19-9 | Cancers gastro-intestinaux supérieurs |
CA15-3 | Cancer du sein |
Ostéopontine | De nombreux cancers dont le mésothéliome |
Traitement du cancer
La prise en charge des patients atteints de cancer doit être coordonnée par une équipe multidisciplinaire qui comprend, selon le type de tumeur, un chirurgien, un oncologue, un radiologue, un histopathologiste, un interniste, une infirmière spécialisée et parfois d’autres travailleurs de la santé, par exemple un(e) diététicien(ne). Afin que le patient soit bien informé sur chaque option thérapeutique, il importe que l’équipe ait un entretien avec lui à chaque étape du traitement.
Chimiothérapie
Les médicaments de chimiothérapie d’usage courant sont nombreux. Ils endommagent directement l’ADN et/ou l’ARN et tuent les cellules en favorisant leur apoptose et parfois leur nécrose. Ils affectent donc non seulement les cellules tumorales, mais aussi les cellules normales à division rapide de la moelle osseuse, du tube digestif et de l’épithélium germinal.
Les effets secondaires incluent la myélosuppression, qui est suivie d’anémie, de thrombopénie et de neutropénie, une mucite, avec des ulcérations buccales, une perte de cheveux (alopécie) et une stérilité pouvant être irréversible. Afin de minimiser ces effets secondaires, on administre la chimiothérapie par cures espacées, afin de permettre aux cellules de retrouver entre-temps un fonctionnement normal. Les nausées et les vomissements peuvent être importants avec certains médicaments, comme le cisplatine, et sont liés à une action directe de l’agent cytotoxique sur la zone chémoréceptrice du tronc cérébral. Des antiémétiques comme le métoclopramide et la dompéridone (voir en fin de chap. 3) sont utilisés au départ, mais il peut être nécessaire de recourir aux antagonistes du récepteur 5-HT3 de la sérotonine (ondansétron et granisétron) associés à la dexaméthasone en cas de vomissements importants. La chimiothérapie elle-même peut provoquer des cancers, en particulier des leucémies aiguës qui surviennent des années après le traitement. Il existe d’autres effets secondaires qui sont spécifiques à une certaine classe de médicaments ; par exemple les anthracyclines, comme la doxorubicine, peuvent être toxiques pour le cœur, alors que le cisplatine peut endommager le système nerveux et les reins.
Radiothérapie
L’irradiation induit des ruptures dans les brins d’ADN et l’apoptose. Les complications de la radiothérapie dépendent de la radiosensibilité des tissus normaux exposés au rayonnement. Il peut y avoir des dommages cutanés (érythème et desquamation), intestinaux (nausées, ulcérations des muqueuses et diarrhée), testiculaires (stérilité) et médullaires (anémie, leucopénie). Les effets secondaires généraux sont la léthargie et la perte d’énergie.
Hormonothérapie
L’hormonothérapie est utilisée dans le traitement des cancers du sein et de la prostate pour bloquer les effets des estrogènes et les androgènes qui peuvent agir comme facteurs de croissance. Le tamoxifène interagit avec les récepteurs des estrogènes, mais exerce un effet agoniste ou antagoniste selon les tissus ; il est utilisé comme adjuvant dans le cancer du sein, en particulier en cas de métastases. Les inhibiteurs de l’aromatase, par exemple l’anastrozole, le létrozole et l’exémestane, bloquent la conversion des androgènes (synthétisés par les glandes surrénales) en estrone dans la graisse sous-cutanée des femmes ménopausées. Ils ont une efficacité supérieure au tamoxifène dans le traitement du cancer du sein métastatique et sont d’efficacité égale dans le cadre du traitement adjuvant. Les agonistes de la gonadolibérine (GnRH), par exemple la goséréline, qui diminue les taux d’androgènes circulants, et les antagonistes des récepteurs des androgènes, par exemple le flutamide, sont tous deux utilisés dans le traitement du cancer de la prostate.
Thérapie biologique
L’ingénierie génétique a fourni une gamme de molécules protéiques, des chimiokines, des cytokines ou des anticorps, à usage antitumoral.
• Des interférons tels que l’interféron alpha exercent divers effets dans le traitement des maladies malignes ; ils inhibent la prolifération des cellules tumorales tout en stimulant les réponses immunitaires humorales et cellulaires contre la tumeur.
• Des interleukines ont une activité très large dans la coordination des fonctions cellulaires dans divers organes. L’interleukine 2 est utilisée contre le carcinome rénal et le mélanome.
• Les inhibiteurs de tyrosine kinase (imatinib, sunitinib, sorafenib) sont actifs sur la croissance, la différenciation et le métabolisme des cellules.
• Des agents antifacteur de croissance, par exemple le bevacizumab (anti-VEGF [vascular endothelial growth factor]) et le cétuximab (anti-EGFR [epidermal growth factor receptor]) sont ajoutés à la chimiothérapie pour améliorer la réponse.
• Un anti-CD20 (rituximab) agit sur les cellules B en inhibant CD20, qui joue normalement un rôle dans le développement et la différenciation des cellules B en plasmocytes. Un anti-CD52 (alemtuzumab) inhibe CD52 exprimé sur les lymphocytes T et B et les monocytes.
• Des facteurs de croissance hématopoïétiques tels que l’érythropoïétine et le G-CSF (granulocyte colony-stimulating factor) sont utilisés pour traiter l’anémie ou corriger la durée de la neutropénie qui suit la chimiothérapie.
Thérapie myéloablative et greffe de cellules souches hématopoïétiques
La thérapie myéloablative est le traitement qui recourt à une chimiothérapie à haute dose ou à une combinaison de chimiothérapie et radiothérapie, dans le but d’éliminer totalement de la moelle osseuse tant les cellules malignes que bénignes. Sans remplacement de la moelle osseuse par une greffe, le patient mourrait d’insuffisance médullaire. Pour restaurer la fonction, on dispose des moyens suivants.
• Allogreffe de moelle osseuse (GMO) : après un traitement myéloablatif, la moelle osseuse ou des cellules souches périphériques d’une autre personne, généralement un frère ou une sœur qui ont des antigènes leucocytaires humains (HLA) identiques, sont transférées par voie intraveineuse. L’immunosuppression est nécessaire pour prévenir le rejet de la greffe et la réaction du greffon contre l’hôte (graft-versus-host [GVH]). Ce syndrome est causé par l’agression des cellules de la peau, de l’intestin et du foie par des lymphocytes T du donneur, ce qui provoque une éruption maculopapuleuse, de la diarrhée et une nécrose hépatique. Cette réaction survient chez 30 à 50 % des receveurs de greffe et est potentiellement fatale. Après une GMO allogénique, la numération et la formule sanguine se normalisent généralement dans les 3 à 4 semaines. Le taux de mortalité est de 20 à 40 %, selon l’âge de la personne ; l’issue fatale est souvent causée par une infection ou une GVH.
• Autogreffe de cellules souches (celles-ci proviennent du patient lui-même). Elles sont collectées à partir de la moelle osseuse ou du sang périphérique avant une chimiothérapie myéloablative et sont stockées puis réinjectées plus tard. Le principal avantage est le peu de temps nécessaire à la récupération sanguine parce que les cellules souches du sang sont plus différenciées. Cette technique a été particulièrement efficace dans le traitement des rechutes de leucémie, des lymphomes, des myélomes et des tumeurs des cellules germinales.
• Greffe syngénique : les cellules sont prélevées chez un jumeau identique.
• Greffe du sang de cordon ombilical : elle est de plus en plus utilisée pour traiter les leucémies des adultes et des enfants.
Urgences oncologiques
Ces urgences peuvent être la conséquence de la tumeur elle-même ou d’une complication du traitement.
Le syndrome de la veine cave supérieure peut être causé par n’importe quelle masse médiastinale, mais le plus souvent il s’agit d’un cancer du poumon ou d’un lymphome. Des difficultés respiratoires ou de déglutition, un œdème facial et brachial et une congestion veineuse cervicale avec des veines dilatées dans la partie supérieure du thorax et des bras constituent le tableau clinique. Le traitement fait appel aux corticoïdes, à une endoprothèse vasculaire et à une radiothérapie et une chimiothérapie pour les tumeurs sensibles.
Le syndrome aigu de lyse tumorale survient à la suite du traitement, produisant une destruction massive et rapide des cellules tumorales, ce qui entraîne une augmentation des taux sériques d’urate, de potassium et de phosphate, mais avec une hypocalcémie. Il survient le plus souvent comme complication du traitement d’une leucémie aiguë ou d’un lymphome de haut grade, à moins que des mesures préventives ne soient prises. L’hyperuricémie et l’hyperphosphatémie entraînent des lésions rénales aiguës par les dépôts d’urate et de phosphate de calcium dans les tubules rénaux. La prévention et le traitement sont fondés sur l’allopurinol, la rasburicase (urate oxydase) et une hydratation importante, par exemple 4 à 5 litres par jour par perfusion intraveineuse avant et durant la chimiothérapie.
Leucémies
Les leucémies sont des tumeurs malignes des cellules souches hématopoïétiques, caractérisées par le remplacement de la moelle osseuse par des cellules néoplasiques. Dans la plupart des cas, les cellules leucémiques débordent dans le sang, où elles peuvent devenir très nombreuses. Les cellules peuvent aussi infiltrer le foie, la rate, les ganglions lymphatiques et d’autres tissus. Ce sont des maladies relativement rares, avec une incidence annuelle de 10 pour 100 000.
Classement général. Les cellules leucémiques peuvent être caractérisées par microscopie optique et par l’expression d’enzymes cytosoliques et d’antigènes de surface. Ces particularités reflètent la lignée et le degré de maturité du clone leucémique. Sur la base de la vitesse d’évolution de la maladie, on distingue des formes aiguës ou chroniques. Chaque leucémie peut ensuite être classée comme myéloïde ou lymphoïde, selon le type cellulaire impliqué :
• leucémie aiguë myéloïde (LAM) ;
• leucémie aiguë lymphoblastique (LAL) ;
• leucémie myéloïde chronique (LMC) ;