6. L’écoute active

Freud, Essais de psychanalyse, « Le moi et le ça », 1923, Payot.


Bien sûr, il ne s’agit pas pour les infirmiers de revêtir tout à coup la fonction de psychologue alors que ce n’est pas la voie qu’ils ont choisi, mais une relation forte unit l’infirmier à la personne qu’il va soigner, d’emblée, sans qu’elle ou lui ne l’ait choisi. Comment réussir cette rencontre ?


Qu’est-ce que la capacité d’écoute suppose comme position de l’infirmier à l’égard du patient ?


Le corps et le psychisme ne font qu’un, il faut donc entendre le terme « position » dans son aspect psychique et physique: quelle attitude, quelle « stratégie » physiques et psychiques adopter ? Comment se situer vis-à-vis de la personne dont on reçoit les propos ? Comment accueillir ce qui est dit ?

Un positionnement du corps en dit long sur l’envie ou non d’écouter quelqu’un, sur le désir ou non de se trouver en entretien avec lui. De même, observer la personne pendant qu’elle parle est aussi une écoute: sa position peut révéler qu’elle pense tout le contraire de ce qu’elle dit par exemple. La communication est souvent infra-verbale.

La situation de parole (du côté du soigné) met en jeu des éléments pulsionnels, affectifs qui peuvent rendre pénible l’écoute.

L’exemple suivant, rapporté par une étudiante infirmière, montre que cette difficulté survient à travers des éléments d’origines diverses:



« B9782294701924500065/u06-01-9782294701924.jpg is missinge regard de la personne qu’on écoute peut être gênant, plus que les mots. Je pense à un monsieur qui me regardait avec des yeux, comme si j’allais le sauver, comme si j’allais sauver le monde. Il était en service de cardiologie et ses jours étaient en danger. Je ne comprenais pas ce qu’il me disait lorsqu’il me regardait comme ça. Je n’arrivais pas à l’écouter. En plus, il n’était pas français, il était maghrébin, comme moi, et dans l’accident qu’il a eu, il avait perdu une partie de ses dents (l’étudiante fond en larmes). Cette image, je ne l’oublierai jamais. »




Cette jeune future infirmière a été très touchée par l’aspect physique très abîmé de ce patient, son pronostic vital critique et son regard qui la déstabilisait parce qu’elle aurait aimé sauver ce patient qui la confrontait à un grand sentiment d’impuissance et à une image de désespoir qui venait toucher des éléments de son histoire à elle, de son expérience humaine, en lien aussi avec ses propres origines qui créaient pour elle un point d’identification (voir Fiche 13, page 159) à ce monsieur. Le regard, la voix sont des objets pulsionnels importants qui jouent un rôle chez chacun dès les premières secondes de la vie et entrent en compte dans le bien-être ou le mal-être du bébé: le regard de la mère sur lui est un premier miroir où l’enfant se perçoit, perçoit l’image de ce qu’il est à travers ce que le regard de sa mère lui en renvoie16.


Dans le regard de ce monsieur, la jeune étudiante s’est sentie investie d’une mission impossible, d’une image de « sauveuse » qui l’a troublée affectivement au point qu’elle n’a pu apporter l’aide nécessaire à cette personne dans le domaine d’une écoute possible. Peut-être ce monsieur n’attendait-il pas d’elle ce qu’elle projetait dans ce regard ? Peut-être qu’une écoute aurait pu la renseigner sur ce qu’il souhaitait ? On voit bien, là encore, comment les affects personnels, l’inconscient, viennent compliquer les choses dans la relation lorsque le patient vient toucher le soignant dans ses sentiments les plus profonds. La relation de soin, d’écoute comme soin aussi, s’imprègne alors de cette difficulté pour l’infirmer de maintenir une indispensable différenciation avec son patient, nécessaire pour la justesse de la position dans la pratique infirmière et pour que le soin prodigué corresponde à l’attente du patient.

Dans la parole que la personne va adresser à l’infirmier, elle lui transmet un message et, par ce fait, elle va initier une relation avec lui: un lien va se tisser du fait de l’écoute du professionnel. Ce lien sera traité différemment selon que celui qui reçoit la parole est médecin, infirmier, psychologue mais dans les trois cas, ce n’est pas tant de faire parler l’autre qui est difficile que de recevoir cette parole (c’est ce que nous montre la situation précédente) et d’en entendre l’important. Il y a toujours une dimension transférentielle dans un entretien et, même si l’infirmier n’est pas psychologue, il a affaire avec le transfert comme on l’a déjà dit: si un patient raconte à un infirmier une violence dont il a été victime et qu’il lui parle comme si c’était lui l’agresseur, c’est qu’il transfère sur lui (il déplace sur lui) les émotions qu’il a conçues pour le véritable agresseur, du simple fait que c’est l’infirmier qui l’écoute à ce moment-là et que c’est à lui qu’il raconte les faits. Mais, ce n’est pas l’infirmier qui est visé et il est important de faire cette distinction.

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May 9, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 6. L’écoute active

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