Chapitre 6 – Items 145, 141. Tumeurs de la cavité buccale
Plan du chapitre
Généralités sur les cancers des voies aérodigestives supérieures
Épidémiologie
Anatomopathologie
Particularités anatomiques des voies aérodigestives supérieures
Prévention
Facteurs de risque
Lésions précancéreuses
Diagnostic précoce
Aspect clinique classique
Circonstances de découverte
Lésion muqueuse
Dissémination lymphatique régionale
Biopsie et examen anatomopathologique
Dissémination à distance par voie sanguine
Bilan préthérapeutique
Bilan d’extension carcinologique et classification TNM
Bilan dentaire
Bilan général
Propositions thérapeutiques
Formes topographiques
Cancers de la langue
Cancers du plancher de bouche
Cancer des gencives
Cancer de la commissure intermaxillaire (trigone rétromolaire, zone des trois replis)
Cancer de la face interne de joue
Cancers des lèvres (portion muqueuse)
Cancer de l’amygdale palatine (tonsille)
Cancer du voile du palais
Moyens thérapeutiques
Chirurgie
Curiethérapie sur la tumeur primitive
Radiothérapie externe exclusive
Association radiochirurgicale
Chimiothérapie
Traitements adjuvants
Indications thérapeutiques
Surveillance
Détection et gestion des complications post-thérapeutiques immédiates et précoces et des séquelles
Surveillance carcinologique
Résultats
Survie
Confort et qualité de vie
Item 145 (tumeurs de la cavité buccale et des voies aérodigestives supérieures) : diagnostiquer une tumeur de la cavité buccale et des voies aérodigestives supérieures.
Item 141 (traitement des cancers – chirurgie, radiothérapie, chimiothérapie, hormonothérapie ; la décision thérapeutique multidisciplinaire et l’information du malade) : expliquer les effets secondaires les plus fréquents et les plus graves des traitements, leurs signes d’appel et leur prévention.
Généralités sur les cancers des voies aérodigestives supérieures
Épidémiologie
On dénombre, en France, environ 17 000 nouveaux cancers des voies aérodigestives supérieures (VADS) par an et la mortalité est très élevée, avec 10 500 décès. Ils sont plus fréquents en France que dans les autres pays du monde. Ils posent un problème de santé publique non seulement par le nombre de patients atteints, mais aussi par les tranches d’âge concernées (incidence rapidement croissante dès trente-cinq ans, pour atteindre son maximum à soixante ans) et par leur pronostic défavorable.
En France, les cancers des VADS représentent 10 % environ de l’ensemble des cancers, avec une répartition géographique inégale : les départements de l’Ouest, du Nord et de l’Est sont les plus touchés.
La prépondérance masculine (90 % des cas concernent des hommes) reste écrasante bien que, depuis trente ans, le nombre de cancers des VADS chez la femme soit en constante augmentation. Chez l’homme, cette localisation au niveau des VADS se range en quatrième position en termes de fréquence, après la prostate, les bronches et le côlon-rectum.
Dans 90 % des cas, ces cancers sont en rapport avec une intoxication alcoolo-tabagique. Font exception les cancers du cavum (virus d’Epstein-Barr), les cancers des cavités aériennes paranasales (travailleurs du bois, ébénistes, menuisiers), certains cancers du larynx secondaires à un surmenage vocal chronique ou encore certains cancers de la cavité buccale en rapport avec des lésions muqueuses dysplasiques (lichens).
L’atteinte cancéreuse des VADS peut être multiple, de façon synchrone (concernant plusieurs localisations en même temps) ou métachrone (décalée dans le temps). Pour les cancers des VADS habituels (à l’exception des cancers du cavum et des cavités paranasales), la recherche systématique d’un deuxième cancer avec biopsie des zones douteuses permet la détection d’une deuxième localisation dans environ 20 % des cas. L’avenir des malades porteurs d’un cancer des VADS demeure menacé, non seulement par une récidive de la tumeur primitive, mais également par l’émergence d’une deuxième localisation aux VADS, voire à l’arbre trachéobronchique ou à l’œsophage. Au-delà de cinq ans, le risque de deuxième cancer devient plus important que le risque de récidive de la tumeur initiale.
• Cavité buccale (25 % des cas)
• Oropharynx (25 %)
• Larynx (25 %)
• Hypopharynx (15 %)
• Cavum (7 %)
• Cavités nasales et paranasales (3 %)
Anatomopathologie
Les cancers des VADS sont, dans plus de 90 % des cas, des Carcinomes épidermoïdescarcinomes épidermoïdes.
Les cancers des cavités sinusiennes paranasales sont, dans la moitié des cas, un carcinome glandulaire (adénocarcinome). Les cancers du cavum sont des carcinomes indifférenciés de type nasopharyngien (UCNT, undifferentiated carcinoma of nasopharyngeal type). Les formations lymphoïdes de l’anneau de Waldeyer (cavum, amygdales, base de langue) sont le siège de prédilection des lymphomes malins.
Particularités anatomiques des voies aérodigestives supérieures
Selon le siège tumoral initial et les structures envahies, la symptomatologie clinique et les séquelles thérapeutiques concerneront, à des degrés divers, les trois fonctions principales intéressant les VADS, la respiration, la déglutition et la phonation qui, toutes, retentissent sur la vie de relation.
Le drainage lymphatique du cou se fait en général dans le sens du courant lymphatique. L’envahissement ganglionnaire est en rapport avec la localisation de la tumeur primitive. C’est ainsi que dans les localisations latéralisées, les adénopathies sont généralement homolatérales, mais on peut retrouver une bilatéralité. Lorsque la tumeur est médiane ou antérieure, les adénopathies sont souvent bilatérales. Les carcinomes de la base de la langue donnent volontiers des adénopathies bilatérales.
Prévention
La prévention repose sur la détection des facteurs de risque et des lésions précancéreuses.
Facteurs de risque
Les facteurs de risque sont :
• l’alcool et le tabac : l’association des deux constituant indéniablement un facteur de risque majeur (cf. encadré et tableau 6.I) ;
*En g par jour. | |||||
**En cigarettes (= 1 cig) par jour. | |||||
D’après Rothmann K, Keller A. J Chron Dis, 1972 ; 25 : 711. | |||||
Alcool* | |||||
---|---|---|---|---|---|
0 | 11,5 | 11,5–42,5 | 42,5 | ||
Tabac** | 0 | 1 | 1,4 | 2,6 | 2,3 |
< 20 | 1,5 | 1,7 | 4,4 | 4,1 | |
20–39 | 1,2 | 3,2 | 4,5 | 9,6 | |
≥ 40 | 2,4 | 3,2 | 8,2 | 15,5 |
• les irritations chroniques de la muqueuse : qu’elles soient mécaniques, par frottement sur une dent délabrée, une prothèse mal ajustée, ou par morsures répétées, ou qu’elles soient également thermiques (rôle de la chaleur des cigarettes, d’une alimentation brûlante) ;
• les états carentiels ;
• les terrains immunodéprimés (greffés, VIH, etc.).
La prévention est affaire d’éducation du public et de politique de santé.
• Le tabac agit :
– par brûlure chronique
– par ses composants toxiques (nicotine)
– par ses composants cancérigènes (hydrocarbures)
• L’alcool agit, semble-t-il :
– par action irritante locale directe par l’éthanol (directement proportionnelle à la prise d’alcool)
– par la dégradation des moyens hépatiques, notamment, de résistance aux agressions externes et aux carences nutritionnelles (avitaminose A)
– par son rôle de solvant des substances cancérigènes du tabac
• D’après J.-L. Lefèbvre, L. Adenis. Rev Prat, 1995 ; 45 (7) : 818-24.
Lésions précancéreuses
Lésions précancéreusesLes lésions précancéreuses précèdent dans environ 10 % des cas la lésion cancéreuse. On distingue les lésions muqueuses blanches (le plus souvent) et rouges.
Lésions muqueuses blanches
Leucoplasie, ou leucokératose
LeucoplasieLa leucoplasie (fig. 6.1) se caractérise par une plage blanchâtre, souple, ne se détachant pas au grattage et correspondant histologiquement à une accumulation de kératine (hyperkératose) en surface. Plus ces leucoplasies paraissent inhomogènes, plus elles sont suspectes.
Figure 6.1 |
Lichen buccal
Non tant le lichen plan typique, qui peut évoluer vers la chronicité ou même la guérison, que le lichen érosif (fig. 6.2) ou atrophique qui évolue par poussées. La survenue d’un placard érythémateux, irrégulier, parsemé de ponctuations grisâtres, adhérentes, fines et serrées est très évocatrice de cancer.
Figure 6.2 |
Candidose chronique
Une candidose chronique (fig. 6.3), notamment dans ses formes hyperplasiques, voire pseudo-tumorales, est à surveiller.
Figure 6.3 |
Papillomatose orale floride
Papillomatose orale florideParfois dénommée kératose villeuse maligne, la papillomatose orale floride (fig. 6.4) se présente sous la forme de touffes de fines villosités plus ou moins allongées, de couleur blanche ou rosée. Cette tumeur est extensive, très récidivante. Son diagnostic nécessite souvent trois ou quatre prélèvements successifs et très profonds. L’évolution vers un carcinome verruqueux est quasi inéluctable.
Figure 6.4 |
Lésions muqueuses rouges, ou érythroplasies de Queyrat
Les Érythroplasies de Queyratlésions muqueuses rouges, ou érythroplasies de Queyrat (fig. 6.5), sont moins fréquentes mais plus inquiétantes que les lésions blanches. Ce sont des plaques rouges souvent étendues, restant superficielles, d’aspect velouté à bords irréguliers. L’épithélium est atrophique et recouvre un réseau vasculaire télangiectasique. La lésion intraépithéliale précancéreuse correspond à une dysplasie sévère ou carcinome in situ. Dans 50 % des cas, cette lésion intraépithéliale est déjà associée à un carcinome épidermoïde infiltrant.
Figure 6.5 |
Diagnostic précoce
Les carcinomes de la cavité buccale passent, au début de leur évolution, presque toujours par un stade intraépithélial dénommé Carcinome in situcarcinome in situ. Il s’agit de lésions asymptomatiques mais déjà visibles, qui ne peuvent échapper à un examen attentif et systématique de la muqueuse buccale. Qu’elles apparaissent spontanément ou sur une lésion précancéreuse blanche ou rouge, toutes nécessitent un avis spécialisé et une biopsie dès que la lésion persiste plus de dix à quinze jours. C’est à ce stade initial qu’il faudrait faire le diagnostic ; sinon, la lésion va évoluer et aboutir aux aspects cliniques classiques.
Aspect clinique classique
Circonstances de découverte
Parfois, la découverte de la lésion est fortuite, faite par le patient lui-même, ou plus souvent par son chirurgien-dentiste ou son médecin lors d’un examen de la cavité buccale.
Au début, les signes d’appel sont frustes et discrets : simple gêne avec impression d’accrochage alimentaire, irritation sur une prothèse ou une dent délabrée agressive, « inflammation muqueuse » persistante, saignement gingival, dent mobile.
La persistance et la constance du signe, son unilatéralité et sa localisation toujours au même endroit doivent attirer l’attention.
Plus tard, apparaissent douleurs à la déglutition, accompagnées souvent d’otalgies réflexes, fétidité de l’haleine due à une infection à germes anaérobies fréquemment associée, dysphagie, dysarthrie, limitation progressive et inexorable de l’ouverture buccale ou de la protraction linguale, survenue d’une stomatorragie, autant de manifestations faisant présager la malignité du mal.
L’état général est généralement conservé tant que l’alimentation reste possible.
Lésion muqueuse
La cavité buccale est examinée à l’aide d’un éclairage efficace (miroir frontal sur transformateur), le patient ayant quitté ses prothèses dentaires avec, au besoin, une anesthésie locale pour combattre les réflexes nauséeux. Elle s’intéresse à l’ensemble de la muqueuse buccale soigneusement déplissée et explorée dans ses moindres recoins. La tumeur peut se présenter sous différents aspects.
Ulcération
L’ulcération (fig. 6.6) ne guérit pas, est sensible, voire, en cas de surinfection, douloureuse et s’accompagnant alors d’une haleine fétide. Elle est de forme variable et ses bords plus ou moins irréguliers, surélevés, parfois éversés présentent un versant externe recouvert de muqueuse saine ou inflammatoire. Le versant interne discrètement bourgeonnant, d’aspect framboisé et parfois recouvert d’un enduit gris verdâtre, se prolonge par le fond cruenté, sanieux de l’ulcération. Cette ulcération saigne facilement au contact et, surtout, repose sur une base indurée appréciée par la palpation. Cette induration dépasse les limites visibles de la tumeur qui sont plus ou moins nettes selon le degré d’infiltration de la tumeur dans les plans sous-jacents. Cette induration revêt une valeur quasi pathognomonique de cancer.
Figure 6.6 |
L’ulcération est parfois peu visible, dissimulée dans un sillon anatomique (formes fissuraires), dite aussi en « feuillets de livre » (fig. 6.7).