6: Imagerie post-thérapeutique du cancer du rectum

Chapitre 6


Imagerie post-thérapeutique du cancer du rectum



La prise en charge du cancer du rectum a beaucoup évolué ces dernières années. Un certain nombre d’évolutions sont communes avec d’autres cancers mais d’autres sont particulières, liées à la situation anatomique et au rôle fonctionnel du rectum.


L’incidence du cancer du rectum est de 15 000 nouveaux cas par an en France [1]. Il s’agit essentiellement d’adénocarcinomes du rectum et nous traiterons dans ce chapitre uniquement de ce type de tumeur, les lymphomes et tumeurs endocrines faisant l’objet d’une prise en charge différente. La survie à 5 ans est de 55 % tous stades confondus [1].


Pour comprendre les différents défis de la prise en charge de ce cancer, il faut revenir sur quelques considérations anatomiques et fonctionnelles. La continuité du rectum avec l’anus met en avant les difficultés de préservation de l’appareil sphinctérien. Contrairement à d’autres segments digestifs, le rectum est en partie extrapéritonéal et entouré du mésorectum, espace graisseux contenant le drainage lymphatique. Le mésorectum est large à sa partie haute mais très étroit en bas, très proche du fascia mésorectal qui le limite.


Le cancer du rectum a un risque de récidive locale important, associé à l’éventualité plus classique de dissémination métastatique hépatique et pulmonaire. La probabilité de contrôle local a été améliorée ces dernières décennies grâce à l’évolution de la technique chirurgicale et l’introduction de traitements néoadjuvants. Aujourd’hui, la prise en charge thérapeutique repose sur la chirurgie, associée selon les cas à une chimiothérapie et/ou une radiothérapie. Toutefois, les modalités après traitement néoadjuvant sont de plus en plus discutées. Le stade initial de la maladie n’est peut-être pas le meilleur élément prédictif du résultat. Certains groupes de patients pourraient bénéficier d’une démarche chirurgicale moins agressive. La réponse tumorale initiale pourrait guider une prise en charge personnalisée.



Place du traitement médical et de la radiothérapie


La prise en charge d’un patient avec une tumeur du rectum est multidisciplinaire reposant sur une concertation entre gastroentérologues, chirurgiens, radiologues, radiothérapeutes, oncologues et anatomopathologistes.



Principes du bilan d’extension initial


La stratégie thérapeutique repose sur un bilan d’extension locorégional (échographie endorectale [EER], IRM) et à distance (TDM thoraco-abdomino-pelvien). Le bilan d’opérabilité du patient est aussi un élément majeur de la prise en charge.


La classification TNM est aujourd’hui utilisée et a remplacé la classification de Dukes. Pour l’extension clinique initiale, le préfixe « c » est utilisé, associé aux données TNM. Pour mémoire, le préfixe « p » fait référence à la classification anatomopathologique après résection chirurgicale. Ces éléments classiques sont complétés par l’évaluation de l’extension en profondeur et de l’atteinte du fascia mésorectal.



Stade T, extension en profondeur et atteinte du fascia mésorectal


L’extension de la tumeur à travers la paroi rectale correspond au stade T.


L’EER permet une meilleure classification et est plus reproductible que l’examen au doigt, grâce à la visualisation directe des couches de la paroi rectale. L’EER a une très bonne sensibilité et spécificité pour les tumeurs T1-T2. En revanche, elle est moins performante pour l’analyse du mésorectum et peut surestimer certains stades T2 [2].


L’IRM est aujourd’hui un examen clé pour l’extension T, principalement pour les tumeurs localement avancées. Elle est réalisée sans antenne endorectale. Par comparaison avec l’EER, elle est moins performante pour distinguer un stade T1 d’un T2 ou un T2 d’un T3 [3].


L’IRM permet d’apprécier les relations de la tumeur avec le fascia mésorectal et donc de prédire l’atteinte initiale de la marge de résection circonférentielle [4]. La proximité immédiate de la tumeur avec le fascia mésorectal augmente le risque d’une atteinte de la marge circonférentielle de résection après chirurgie d’exérèse qui est un facteur majeur et indépendant de récidive locale [5]. Cette extension vers le fascia mésorectal est déterminée avec une performance élevée en IRM et aujourd’hui la valeur seuil est à 1 mm du fascia [6]. L’IRM est également performante pour apprécier l’extension en hauteur et l’atteinte sphinctérienne. L’analyse du mésorectum en IRM apporte des éléments pronostiques pour les tumeurs localement avancées [7]. Elle peut préciser l’extension vasculaire extramurale et l’extension en profondeur dans la graisse mésorectale qui sont de mauvais pronostic. Ce dernier item est à la base d’une sous-classification pour les stades T3 (T3c : 5–15 mm, T3d : > 15 mm) qui n’est pas encore intégrée officiellement à la classification TNM. L’extension vasculaire se traduit par des images tubulaires ou serpigineuses dans la graisse mésorectale suivant ou au sein de structures vasculaires. L’IRM localise aussi la tumeur par rapport à la réflexion antérieure du feuillet péritonéal. Elle permet de classer la lésion intra ou extrapéritonéale. L’atteinte directe du feuillet se présente avec un aspect nodulaire greffé sur la ligne de réflexion péritonéale visible dans le plan sagittal.


L’imagerie par TEP-FDG n’est pas indiquée pour l’évaluation locorégionale. Les faux positifs de la fixation du FDG d’origine inflammatoire ou infectieuse ainsi que les faux négatifs (carcinomes mucineux, petites tumeurs, etc.) font que la TEP-FDG n’est pas pertinente en première intention [8]. Il y a cependant une situation qui mérite une attention particulière. Une fixation rectocolique du FDG chez un patient indemne de cancer colorectal connu doit faire rechercher une lésion, une accumulation focale du FDG correspondant à une situation histopathologique particulière (bénigne ou maligne) dans 70 % des cas [9, 10].




Extension systémique


Les métastases initiales visibles en TDM sont plus fréquentes que dans le cancer colique en raison du drainage veineux systémique du bas et moyen rectum. Un scanner thoraco-abdomino-pelvien est l’examen de choix pour la recherche de métastases pulmonaires et hépatiques qui sont les deux sites les plus fréquemment concernés. La place de la TEP-FDG est discutée. Malgré la découverte de métastases inconnues au terme du bilan conventionnel, la TEP ne peut être considérée comme un examen standard en première intention [8]. Dans le cas particulier des métastases hépatiques potentiellement résécables, deux études [12, 13] ont rapporté des sensibilités et spécificités de 88 et 96,1 % pour la TEP-FDG et de 82,7 et 84,1 % pour la TDM. Pour les lésions extra-hépatiques, les performances sont plus élevées pour la TEP-FDG que pour la TDM (91,5 et 95,4 % pour la TEP-FDG ; 60,9 et 91,1 % pour la TDM, respectivement).




Principes généraux du traitement chirurgical radical


L’étape thérapeutique principale du traitement du cancer du rectum est l’exérèse chirurgicale. Sa qualité est un facteur essentiel du pronostic. Les modalités varient selon la localisation de la tumeur, son extension, le terrain et l’état sphinctérien. Les petites lésions parfaitement sélectionnées peuvent bénéficier d’une résection locale. Pour le reste, l’exérèse du mésorectum est aujourd’hui recommandée. En effet les résidus tumoraux laissés en place sont un facteur majeur de récidive locorégionale. L’exérèse du mésorectum réduit significativement les récidives et constitue une avancée majeure dans la prise en charge [15]. Toutefois, le taux de récidive reste élevé lorsque le traitement chirurgical est réalisé seul et que les marges de la pièce sont atteintes, justifiant un traitement oncologique complémentaire.


Concernant les tumeurs du bas et moyen rectum localement évoluées, le traitement chirurgical de référence reste une exérèse radicale du rectum et du mésorectum par laparotomie ou laparoscopie [1619]. Une conservation sphinctérienne est envisageable lorsqu’une marge distale de résection sous le pôle inférieur de la tumeur d’au moins 1 cm peut être obtenue [20].



Place du traitement néoadjuvant et perspectives



Indications


Plusieurs études randomisées ont démontré le bénéfice en termes de contrôle local d’une irradiation, seule ou associée à une chimiothérapie, en situation néoadjuvante ou adjuvante [2127] pour les cancers localement évolués. L’exérèse totale du mésorectum n’a pas remis en cause la nécessité d’une radiothérapie préopératoire.


Pour les tumeurs rectales localement évoluées (T3, T4, N +), l’intérêt d’une irradiation externe conformationnelle préopératoire a été démontré par un essai randomisé hollandais [28]. L’association d’une irradiation préopératoire à une chirurgie à visée curative intégrant une marge latérale de résection d’au moins 1 mm par exérèse totale du mésorectum est associée à une réduction significative du risque de récidive locorégionale.


L’attitude thérapeutique classique en Europe est de préférer la radiothérapie/radiochimiothérapie préopératoire, par rapport à un traitement adjuvant, du fait de sa supériorité en termes de contrôle local et de tolérance précoce et tardive [21, 29]. Les tumeurs du haut rectum ne relèvent pas d’une radiothérapie sauf si elles envahissent le moyen rectum ou les organes de voisinage [1].


Deux schémas thérapeutiques d’irradiation préopératoire ont été proposés. Le schéma court (short course) délivre 25 Gy en 5 fractions de 5 Gy sur une semaine suivies par une chirurgie précoce (3 à 7 jours après la fin de la radiothérapie). La supériorité de ce schéma par rapport à une chirurgie d’emblée a été démontrée par deux essais randomisés, l’un suédois ayant inclus 1 168 patients avec un bénéfice en contrôle local et en survie [30], l’autre néerlandais et confirmant, malgré une durée de suivi plus courte, un bénéfice en survie sans récidive locale [28]. Le schéma long (long course), habituellement associé à une chimiothérapie à base de 5-fluoro-uracile, délivre 45 à 50,4 Gy en 25 à 28 fractions de 1,8 Gy, 5 fois/semaine durant 5 à 6 semaines. La chirurgie est réalisée après environ 6 semaines. Un délai long (6 à 8 semaines) après le traitement néoadjuvant permet une diminution plus marquée de la taille tumorale sans impact sur la survie ou le contrôle local par rapport à une chirurgie précoce. La fonction sphinctérienne était améliorée de façon non significative chez les patients opérés plus tard [31].


L’association d’une chimiothérapie concomitante à la radiothérapie préopératoire diminue de moitié le taux de récidive à 5 ans (8 % versus 16 %) par rapport à une radiothérapie seule [22, 23]. La chimiothérapie est réalisée en perfusion continue (5 jours/semaine) ou par comprimés de capécitabine. Le taux moyen de réponse complète sur la pièce de résection est de 10 à 15 %. Le taux de contrôle local est plus élevé pour les tumeurs en réponse complète ou partielle après radiochimiothérapie, mais ce critère pronostique était moins puissant que l’extension tumorale ou ganglionnaire au moment de la chirurgie [32].


Le schéma court a été critiqué en raison de la dose par séance supérieure à 2 Gy (risque accru de séquelles) et la dose totale relativement faible par rapport au schéma long. Un essai randomisé [33] n’a pas retrouvé de différence significative en termes de contrôle local et à distance, de survie globale ni de toxicité entre les deux schémas, avec une durée médiane de suivi de près de 6 ans.


Le développement des médicaments spécifiquement dirigés contre le VEGF (Vascular Endothelial Growth Factor) et les récepteurs de l’EGF (Epidermal Growth Factor) a justifié leur évaluation en association avec la radiothérapie. Les études de phase II avec le bévacizumab ont rapporté des taux de réponse complète légèrement supérieurs à ceux des traitements classiques, mais avec des retards à la cicatrisation [34, 35]. Les résultats préliminaires d’une étude de phase II randomisée comparant une chimiothérapie classique à une chimiothérapie avec du cétuximab vont dans le sens d’une amélioration de la réponse radiologique et de la survie mais doivent encore être confirmés [36].


Les essais en cours évaluent aussi l’apport d’une chimiothérapie d’induction précédant la radiochimiothérapie préopératoire ou l’addition d’une chimiothérapie de consolidation durant la période d’attente de la chirurgie.


La réponse tumorale après traitement néoadjuvant peut influencer la chirurgie et l’orienter vers une conservation anale. Des techniques de préservation sphinctérienne ou de résection transsphinctérienne sont maintenant réalisables. Certaines équipes proposent une simple exérèse locale ou une attitude attentiste, dans des populations très ciblées. Plusieurs études multicentriques sont en cours. En France, le GRECCAR (Groupe de recherche chirurgicale sur le cancer du rectum) étudie une stratégie personnalisée selon la réponse à une chimiothérapie d’induction pour les tumeurs localement évoluées. Dans ce contexte, la qualité de l’imagerie d’évaluation est primordiale.



Aspects techniques de la radiothérapie


La préparation de la radiothérapie débute par un scanner de mise en place, qui doit être réalisé en position de traitement : décubitus ventral ou dorsal, bras autour de la tête ou sur la poitrine, une cale sous les pieds ou les genoux permettant une bonne reproductibilité. L’acquisition est réalisée en coupes de 2 à 5 mm, des dernières vertèbres lombaires à l’extrémité proximale des diaphyses fémorales. Le scanner permet de vérifier l’absence de distension rectale.


Le volume cible comprend la tumeur primitive lorsqu’elle est visible sur le scanner en position de traitement (GTV), les voies naturelles d’extension de la maladie (le mésorectum pour la tumeur primitive, les chaînes iliaques internes pour l’extension ganglionnaire), les aires à haut risque de récidive locale (pelvis inférieur et région présacrée) (fig. 6.1 et 6.2) [3741].




Le volume cible anatomoclinique (CTV) sera différent selon le siège moyen ou bas de la tumeur primitive. Pour les tumeurs du moyen rectum, le CTV inclut l’ensemble du mésorectum, les régions périrectale, présacrée et iliaque interne. La limite supérieure est fixée à la jonction rectosigmoïdienne ou à 2 cm au-dessus du GTV, la limite inférieure à 1 cm sous la jonction anorectale (insertion des muscles releveurs de l’anus = limite inférieure du mésorectum), les limites latérales au fascia rectal. Pour les tumeurs du bas rectum, le CTV inclut l’ensemble du mésorectum (cf. ci-dessus) jusqu’à la jonction moyen-haut rectum en haut. Dans tous les cas, le CTV inclut systématiquement les aires ganglionnaires iliaques internes jusqu’à la bifurcation iliaque interne-externe. L’irradiation des aires iliaques externes et des ganglions inguinaux est proposée en cas d’extension au-delà du fascia du mésorectum ou aux organes adjacents (prostate, vagin, utérus, vessie).



Place du traitement adjuvant


La décision du traitement adjuvant dépendra du traitement initial. En l’absence de radiochimiothérapie néoadjuvante, une irradiation postopératoire devra être discutée, notamment en cas de marge chirurgicale insuffisante. Le risque de toxicité digestive est accru par la descente des anses grêles dans la cavité opératoire.


La chimiothérapie adjuvante ne fait pas l’objet de recommandations, contrairement au cancer du côlon. Certains essais de radiothérapie schéma « court » ont une chimiothérapie adjuvante systématique [33]. En l’absence de preuve formelle, une chimiothérapie adjuvante est recommandée pour les tumeurs T4. Les tumeurs du haut rectum ont un risque de récidive locale plus faible que celles situées plus bas et leur pronostic est plus proche de celui d’un cancer colique.



Évaluation de la réponse précoce et tardive au traitement


Bien que la chirurgie reste le traitement standard du cancer du rectum, ses nombreux inconvénients justifient la recherche de critères pronostiques plus précis et de moyens non invasifs de dépistage d’une éventuelle maladie résiduelle préopératoire. Le suivi des patients en imagerie mais aussi les conclusions anatomopathologiques après traitement néoadjuvant ont mis en évidence de nouveaux éléments potentiellement intéressants dans la prise en charge. Ainsi certaines tumeurs fondent voire disparaissent, parfois du tissu persiste mais il est fibreux, des ganglions potentiellement malins ont diminué voire ne sont pas retrouvés. Ce sous-groupe de patients que l’on peut qualifier de répondeurs au traitement néoadjuvant a un bien meilleur pronostic. Ainsi, la prise en charge après traitement néoadjuvant doit-elle reposer sur les conclusions du staging initial ou bien sur un nouveau staging ? Le concept de restaging n’est pas totalement récent mais sa prise en compte comme élément décisif pour la suite du traitement l’est. Identifier des éléments pronostiques de réponse est important car les répondeurs pourraient se voir proposer des prises en charge différentes surtout moins invasives. L’utilisation de techniques chirurgicales d’exérèse locale dépend des possibilités à prédire la réponse histologique par différents moyens génétiques, moléculaires ou d’imagerie. Ceci a comme corollaire une responsabilité importante de cette nouvelle évaluation en sachant qu’il persistait déjà des difficultés lors du staging initial.



Terminologie


Il est nécessaire pour la caractérisation de la réponse tumorale d’avoir de bons outils et une terminologie adaptée. La classification TNM peut être répétée après traitement néoadjuvant et portera alors le préfixe « y ». Le downstaging correspond à un changement vers un stade pronostique inférieur et non un simple changement de stade T ou N. La régression tumorale est appréhendée par le grade de régression tumorale TRG (Tumor Regression Grade). Ce terme est souvent utilisé pour témoigner de la réponse tumorale sous traitement. Mais en théorie il fait référence au ratio sur la pièce opératoire entre tumeur visible et tissu cicatriciel. En effet, les anatomopathologistes peuvent déterminer un ratio entre les cellules tumorales restantes et la nécrose qui détermine le TRG [42]. Différentes classifications sont proposées allant du remplacement complet lésionnel par du tissu fibreux (réponse complète) à la persistance de cellules tumorales sans remaniements fibreux (pas de réponse). Le downsizing est une diminution de taille de la lésion et ne correspond pas forcément à une régression de la composante tumorale. Un lien fort existe entre la réponse complète sur la pièce opératoire, c’est-à-dire p CR (ypT0N0M0 ou TRG 0) obtenue après radiochimiothérapie et amélioration de la survie [43]. Ceci est retrouvé chez 5 à 42 % des patients.

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Apr 24, 2017 | Posted by in RADIOLOGIE | Comments Off on 6: Imagerie post-thérapeutique du cancer du rectum

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