Chapitre 6. Cyber atelier
Marie Rajablat
infirmière de secteur psychiatrique
Mise en place de l’activité
Contexte institutionnel de création des ateliers
Objectifs
Les personnes décompensant ne pouvant être prises en charge de manière satisfaisante, nous avons dû renforcer le soutien en amont et en aval. Accueils thérapeutiques à temps partiel, accueils temporaires de crise, hospitalisation à domicile… Et surtout, il a fallu faire confiance aux autres… : s’appuyer d’une part beaucoup plus sur les ressources des patients et de leurs familles (parfois dans des conditions très difficiles) ; d’autre part, sur celles des collectivités, des associations et institutions de quartier. C’est dans ce contexte tout à fait particulier que se sont intensifiés et diversifiés les accueils du CMP des Minimes50 pour se transformer petit à petit en Ateliers (ou Accueils) thérapeutiques à temps partiels (ATTP).
Choix du médiateur
Nombre de patients s’interrogent sur ces nouvelles bêtes qui ont envahi notre environnement : les ordinateurs.
• Que peut-on donc raconter de leur vie à ces machines ? Que peuvent-elles en comprendre ? Quelle part prennent-elles dans leurs soins ?…
• Comment ? Pourquoi faire ? Avec qui ?…
En écoutant et/ou regardant les patients tourner auprès des secrétaires face à leur écran du centre, quatre infirmiers ont eu l’idée de monter un atelier informatique. C’est donc comme toutes les autres activités que celle-ci est née : d’un besoin repéré par des soignants et/ ou d’une demande formulée par des patients.
Montage du projet
La suite est assez classique : déplier le projet, trouver le matériel et lancer l’activité. Nous avons proposé à un certain nombre de patients de penser autour de cette idée. La première rencontre fut un peu déconcertante pour tout le monde, la plupart d’entre nous n’ayant pas encore l’habitude de travailler ensemble à ce stade de la construction d’un projet. Les patients sont donc restés un peu en retrait et les soignants un peu sur leur faim. Il a fallu deux ou trois réunions pour que chacun entrevoie sa participation tant dans le montage du projet que dans sa réalisation.
Une fois la proposition écrite, nous l’avons présentée en conseil de service et adoptée pour une durée expérimentale d’une année (et plus si affinités !).
Les objectifs, à ce stade, restaient encore assez flous. Nous n’imaginions pas encore toutes les conséquences d’une telle activité. L’objectif principal de notre petit groupe était de rompre la solitude des patients les plus isolés en les aidant à tisser des liens humains à l’intérieur de notre atelier mais aussi avec le monde, via Internet. Sur un plan beaucoup plus pratique, nous cherchions également à élargir les périmètres de circulation de ces patients qui, pour la plupart, sortaient de chez eux uniquement pour des raisons utilitaires (courses, consultations).
La question du matériel fut beaucoup plus complexe… à la hauteur des lourdeurs institutionnelles et si nous avions attendu d’obtenir le matériel nécessaire, l’activité n’aurait jamais vu le jour. L’initiation à l’outil informatique s’est d’abord faite sur deux ordinateurs portables, l’un appartenant à l’un d’entre nous et l’autre, prêté par l’hôpital de Laragne (05) pour une recherche commune avec l’Anaes51. Ces deux appareils n’appartenant pas au parc informatique de notre institution, nous vous laissons imaginer les scénarios lorsque les appareils sont tombés en panne… Monter une activité nécessite aujourd’hui une volonté farouche de la part des acteurs ainsi qu’un savoir-faire acrobatique relevant parfois du grand art.
Indication
Nous avons évoqué un peu plus haut les objectifs de cet atelier. Il s’adressait donc en priorité à toute personne isolée, rencontrant des difficultés à entrer en contact avec l’extérieur et/ou les autres, que ce soit passager ou plus structurel. Nous n’avons donc pas limité l’admission aux personnes souffrant de troubles psychotiques, même si elles étaient beaucoup plus nombreuses.
Comme toutes les activités, le cyber atelier nécessite une prescription médicale. Nous sommes toutefois toujours restés très souples, acceptant qu’un patient se laisse apprivoiser avant de consulter un des psychiatres du CMP.
Cadre de l’activité
Des « pro », patients ou soignants ont d’abord initié des néophytes, patients ou soignants, à la manipulation de l’objet. Là était notre premier impératif : construire cette activité et ce groupe sur un réel échange de compétences et non sur un supposé savoir des soignants. Nous étions donc à la création de l’atelier, trois animateurs (deux patients et un infirmier) et cinq à dix apprentis (dont 3 infirmiers).
Un infirmier est l’élément « fil rouge », ce qui signifie qu’il coanime toutes les séances. Les trois autres alternent. En cas d’absence du « fil rouge », les autres infirmiers animent systématiquement deux séances de suite afin de faire le lien d’une semaine sur l’autre.
Fonctionnement de l’activité
Présentation de l’activité à ses différentes étapes
1re étape : initiation en dedans
Tous les patients venant déjà en consultation au CMP, nous avons choisi de commencer l’atelier au même endroit, pour éviter aux plus hésitants, les inquiétudes ou les angoisses liées à un nouveau trajet. Tous les mercredis matins, nous nous retrouvions donc autour de trois animateurs et trois ordinateurs pour apprivoiser cette nouvelle « bête ». Toujours le même rituel pendant quelques séances : un volontaire s’asseyait devant l’écran, un animateur à ses côtés pour le guider. Les autres restaient debout tout autour. Chacun venait s’asseoir lorsqu’il se sentait près. Il y avait ceux qui se lancent rapidement et ceux qui tournent autour longtemps.
Les nouvelles allant bon train, le groupe a très rapidement grossi. Il a fallu s’adapter à ce succès et c’est ainsi que nous avons instauré 3 plages d’1 heure où 3 personnes prenaient rendez-vous pour des séances individuelles. Chacun a commencé à travailler seul sur son ordinateur, tout en échangeant découvertes et/ou difficultés avec les autres. Les animateurs allaient de l’un à l’autre, cherchant la bonne distance pour permettre à chacun d’apprendre à son rythme et à sa façon. Du solitaire dans du communautaire.
Très rapidement, les élèves se sont montrés aussi bons que les maîtres et tous ont décidé, plus ou moins doucement, de passer à l’étape suivante : se connecter au monde.
2e étape : ouverture au monde
Là encore, c’est tout aussi progressivement que nous avons quitté le CMP. Rendez-vous était donné directement en ville pour les plus hardis. Un animateur accueillait le groupe chez Mahmoud, propriétaire de L’internaute café. Pour les plus anxieux, un autre groupe partait du CMP pour faire un repérage collectif du trajet de bus, trouver des points de rencontres communs sur le chemin afin de réussir à terme à venir seul. Tous ont réussi le pari en moins de trois mois. Situé au cœur de Toulouse, donc loin de notre quartier des Minimes, c’était là aussi une occasion pour tous d’élargir leur cercle de connaissances et de promenades. Dans la boutique, on échangeait avec les clients et le patron. Dans la rue, on commentait les vitrines. À l’arrêt de bus, on papotait avec les badauds. Bref, la vie. Sans compter que la découverte d’Internet a été fabuleuse pour ceux qui, jusqu’alors, ne sortaient pas de chez eux. Un peu moins solitaires dans un peu plus de communautaire.
Le CMP restait cependant un lieu de retrouvailles, au moins une fois par mois, pour faire le point. Chacun racontait le chemin qu’il avait parcouru, que ce soit dans la manipulation de l’objet, dans ses recherches ou dans sa vie de tous les jours.
3e étape : partage
L’idée de faire partager ses découvertes a germé tout doucement. Ce groupe était un vivier d’échanges d’informations et d’émotions. Chacun parlait de ses difficultés mais aussi et peut-être surtout de ses intérêts et/ou passions, de ses rencontres, de ses coups de gueule ou de cœur… Le groupe s’est aperçu qu’il avait plein de choses à dire et à transmettre. C’est comme ça que l’idée d’un journal est née. C’était aussi une volonté de se montrer sous un autre jour, une manière de « retrouver une dignité »52. Mais pour faire un journal, nous n’étions pas assez calés.