Chapitre 6. Comment décrypter ses émotions et son vécu ?
Le thérapeute, s’il se souhaite neutre, ne l’est que rarement. Son intérêt sera mobilisé par une dimension ou une autre, faisant écho à sa propre histoire. Ce sont ces mouvements internesmouvements internes chez le thérapeute qui justifient l’existence d’une forme de supervision allant de la supervision de pratiques au groupe Balint voire à la psychanalyse personnelle. La gamme des émotions ressenties par le thérapeute est large mais n’est pas infinie. Comme sur un nuancier, elles se déploient de la peur à l’affection voire à la tendresse, en passant par l’indifférence, l’ennui. Ainsi décrypter quelques-unes de ces auto-perceptions, de ces vécus, revient à se poser la question : pourquoi ce patient fait-il naître en moi ce type d’émotions, est-ce compréhensible, de quelle façon ?
Sentiment de peur chez le thérapeute
Il a déjà été évoqué plus haut les conditions de sécurité d’un entretien. Ces conditions concernent surtout les contextes de garde ou les rencontres avec des patients agités, toxicomanes, délirants. Ce sentiment n’est pas le plus fréquent mais il représente une valeur sémiologique majeure.
La peurpeur peut naître du sentiment presque palpable qu’une menace réelle existe.
Arturo est épileptique, il est impulsif et se sent incompris. Il est en psychothérapie pour apaiser des moments de colère et de violence. L’espacement de ses crises amène un médecin-conseil de la sécurité sociale à lui refuser le 100 %. Dans les séances, Arturo livre une colère froide, rancunière. Il raconte qu’il a suivi ce médecin-conseil jusqu’à son domicile, il a repéré l’école où vont ses enfants, il envisage de se venger de manière froide et détachée. Ces propos deviennent terriblement inquiétants, avec des images de meurtre, de torture, d’enlèvement. Durant plusieurs entretiens, rien n’y fait. Avec un traitement la pression et le risque s’éloignent.
Le risque de passage à l’acte est considéré comme une contre-indication à la psychothérapie. Parfois ce risque apparaît ultérieurement ; il était méconnaissable au début. Ce risque est majoré fortement par la prise de toxiques ou d’alcool. Lorsque l’on est un thérapeute femme et que l’on éprouve un sentiment d’insécurité, il est utile d’aménager la relation en faisant intervenir un tiers.
Certaines personnalités où dominent l’étrangeté, le repli, la froideur, suscitent un mal-être, une inquiétude. Même si le patient semble calme, une prudence est de mise. Il s’agit souvent de personnalités dites schizoïdes. Dans d’autres cas, la peur survient en écoutant les antécédents d’homicide ou de meurtre décrits par certains patients. Lorsque l’on a peur, ou si l’on perçoit que certains patients, souvent des structures perverses, utilisent la peur pour déstabiliser le thérapeute, il faut reposer le cadre. Dans ce contexte, on précise avec le patient que la notion de peur, la menace, l’intimidation nécessitent une compréhension et que si cette compréhension s’avère impossible, la thérapie ne pourra pas progresser.
Il est une autre forme de peur, extrêmement fréquente, la crainte de voir son patient se tuer ou faire un geste suicidaire. Dans plusieurs cas, une hospitalisation sera indispensable. Dans d’autres cas, il faut aborder la question pour mettre en place des systèmes de sécurité : appels téléphoniques, visites plus rapprochées, courriels ou SMS. Certains patients pèsent, cachent avec une résolution extrême leurs idées de mort et de disparition. Dans ce cas, lorsque cette dernière survient, le thérapeute reste très désemparé. Il s’interroge sur des signaux qu’il n’a pas su comprendre ou décrypter. Certains décès sont imparables, ils appartiennent au destin privé du patient. Le thérapeute les portera en soi comme autant de brûlures ou de souvenirs douloureux de son exercice professionnel.
Sentiment d’échec
Certes, ce sentiment peut naître après le décès ou la disparition d’un patient comme on l’a vu plus haut. Mais le plus souvent, le sentiment d’échecsentiment d’échec apparaît à la suite de la répétition de certains comportements. Les consommations d’alcool, les prises de toxiques, le maintien de certaines attitudes en représentent des exemples. Pour lutter contre ce sentiment d’échec, il faut avoir des objectifs thérapeutiques limités, de l’ordre du « micro-projet thérapeutique ». Il faut aussi savoir extraire d’une situation qui paraît immuable, comme un alcoolisme chronique, des moments ou des phases positives, plus constructives. Certains échecs thérapeutiques proviennent d’ambitions de soin trop importantes. Un espoir trop prononcé peut amener à une déception cuisante.