Chapitre 59. Pathologie fonctionnelle et psychosomatique
«“C’est organique” se dit d’un ton sévère. L’heure est grave et la sentence pèsera lourd. “C’est psychique” au contraire est d’une aimable légèreté, sorte de plaisanterie sans conséquence. Ce n’est rien, et c’est tout dire…»
J. Losserand, 1998.
Fonctionnelle (pathologie)Combien de fois cette alternative a été entendue? Organique et psychique s’affrontent en des joutes mémorables et illusoires, et ce questionnement est toujours d’actualité à l’hôpital général, où le corps est roi et où la règle d’or consiste à toujours éliminer une cause organique avant de penser à une éventuelle cause psychique.
Dans ce lieu du somatique, dans ce milieu médical, la cause psychique est souvent considérée comme subsidiaire, anachronique ou anecdotique. Elle n’est pas déniée mais évacuée, sous la forme d’une délégation au pédopsychiatre ou d’une adresse au psychologue de liaison.
Définitions et délimitations des concepts
Nous abordons ici les différents troubles retrouvés en pratique courante à l’hôpital pédiatrique, en rappelant ici qu’il n’existe pas de classification spécifique à l’enfant et l’adolescent. Deux grands types de pathologies peuvent se définir :
La pathologie fonctionnelle est définie comme la présence de symptômes physiques faisant évoquer des troubles somatiques, sans qu’aucune anomalie organique ne soit décelée, ni aucun mécanisme physiopathologique ne soit reconnu. Selon les classifications et les théorisations, plusieurs formes cliniques sont décrites et regroupées sous des registres similaires mais d’appellation différente : «troubles psychofonctionnelsTroublespsychofonctionnels», «troubles psychogènesTroublespsychogènes» (CFTMEA R. 2000 : Misès & Quémada, 2002), «troubles somatoformes» (DSM IV – TR : APA, 2000; et CIM-10 : OMS, 1993). Sont ainsi déclinés : le trouble somatisation, le trouble somatoforme indifférencié, le trouble de conversionConversion, le trouble douloureux, le trouble hypocondriaque, la peur d’une dysmorphie corporelle et les dysfonctionnements neurovégétatifs somatoformes. Il faut noter ici que certains concepts recouvrent des expressions cliniques, d’autres des mécanismes. Cela participe à une impression de confusion.
Les troubles psychosomatiquesTroublespsychosomatiques doivent eux aussi être définis, car souvent sources de confusion. Leur existence et leur reconnaissance reposent sur des théorisations et courants de pensée bien repérés (Alexander, Marty, Schneider, Kreisler). Selon les écoles, les principes théoriques et les facteurs étiopathogéniques diffèrent, mais retrouvent tous la présence d’un trouble somatique à déterminisme psychique. Et selon les âges, les stades de développement et la vulnérabilité biologique et physique, la symptomatologie varie. Cliniquement, on retrouve ainsi principalement : les coliques idiopathiques du nourrisson, les vomissements et l’anorexie psychogènes, le mérycisme, les spasmes du sanglot, l’asthme, l’eczéma et la pelade. La fatigue musculaire chronique idiopathique, le retard de
; il s’agit de troubles des conduites sphinctériennes qui relèvent d’une psychopathologie de l’enfant. Ils ne seront donc pas traités ici.
Il convient donc d’éliminer dans ce chapitre :
• les troubles facticesTroublesfactices et simulations (production ou feinte intentionnelle de signes ou de symptômes physiques ou psychologiques);
• les réactions psychologiques secondaires à des maladies somatiques (cf.4e partie);
• les aggravations de maladies somatiques du fait de troubles psychiques (cf.5e partie).
Sur le plan épidémiologique, les taux de prévalence des troubles à expression somatique chez l’enfant sont variables (2 à 10 %) et fonction des définitions et concepts utilisés (Garralda, 1996).
Pathologies fonctionnelles
Fonctionnelle (pathologie)Le diagnostic des troubles fonctionnels (classification française) ou somatoformes (classifications internationales) repose sur des signes positifs et pas seulement sur l’exclusion d’une affection organique. Comme le soulignait déjà Zumbrunnen en 1992, les patients souffrant de ces troubles sont encore rejetés, à la fois par les somaticiens parce qu’ils n’ont rien de somatique, mais aussi par les psychiatres parce qu’ils n’ont pas de demande d’ordre psychologique (Zumbrunnen, 1992).
Depuis une trentaine d’années, on s’efforce de clarifier la description clinique des troubles dits «somatoformes» (DSM III). À l’heure actuelle, les prises en charge sont réservées aux spécialistes (pédopsychiatres et psychologues), alors que les patients souffrant de ces troubles consultent avant tout les médecins somaticiens (généralistes et pédiatres), et sont pour la plupart réticents à consulter un pédopsychiatre.
Devant la persistance des plaintes, la multiplication des doléances et la difficulté à établir un diagnostic précis, ces enfants sont souvent orientés vers l’hôpital pédiatrique. Mais au-delà de cette fonction de refuge, l’hôpital est utile pour remettre une en route une prise en charge adaptée et cohérente et proposer un accompagnement psychologique ou psychiatrique si nécessaire.
Troubles somatoformes
TroublessomatoformesSomatoforme (trouble)Les troubles somatoformes ont pour caractéristique essentielle et commune la présence de symptômes physiques faisant évoquer des troubles somatiques sans qu’aucune anomalie organique ne puisse être décelée, ni aucun mécanisme physiopathologique reconnu (Duverger, 2000). Aucune affection médicale générale ni aucun autre trouble mental ne peut rendre compte des troubles somatoformes. Les classifications internationales actuelles (DSM IV – TR : APA, 2000; et CIM-10 : OMS, 1993) regroupent, sous ce registre, un ensemble de troubles dont les mécanismes psychopathologiques ne sont pas univoques, mais qui nécessite une démarche clinique commune : l’élimination d’une étiologie organique. Le cadre originel de l’hystérieHystérie se trouve redistribué, et l’éventail des troubles somatoformes retient six principales modalités d’expression clinique : le trouble somatisation, le trouble somatoforme indifférencié, le trouble de conversion, le trouble douloureux, l’hypocondrie et la peur d’une dysmorphie corporelle. La CIM-10 retient de plus le dysfonctionnement neurovégétatif somatoforme. La classification française des troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent (CFTMEA R. 2000 : Misès & Quémada, 2002) ne retient pas le concept de troubles somatoformes et lui préfère celui de troubles à expression somatique. Cette catégorie regroupe l’ensemble des troubles psychosomatiques et psychofonctionnels, sans lésion tissulaire.
Diagnostic
Les troubles somatoformes doivent être différenciés des troubles psychologiques secondaires à une pathologie organique. De même, s’il existe un trouble physique authentique, celui-ci ne peut rendre compte ni de la nature ou de la gravité des symptômes, ni de la détresse ou des préoccupations du sujet. Enfin, sont exclues les manifestations psychosomatiques présentant des lésions et une physiopathologie propre (tels l’asthme, les colites ulcéreuses…) et les troubles factices.
Aussi l’avènement des nouvelles classifications des troubles mentaux entraîne la disparition du concept de névrose hystérique au profit de descriptions sémiologiques plus restrictives des troubles. En effet, une des conséquences paradoxales de l’élucidation psychanalytique de la dynamique des symptômes hystériques a été l’extension de la dénomination hystérique à des manifestations très diverses dépassant de loin la seule conversion hystérique : hystérie avec dissociation, manifestations somatiques banales et peu spécifiques, manifestations caractérielles, voire simples traits de personnalité… Une telle dilution du concept a conduit les nouvelles nosographies psychiatriques à faire disparaître la névrose hystérique en tant qu’entité morbide autonome et à développer et tenter d’individualiser les troubles dits somatoformes. Cette évolution reste discutée. Malgré les affinements des classifications récentes, l’utilisation du concept «troubles somatoformes» et les distinctions entre les différents troubles demeurent incertaines dans la pratique clinique. Cependant, cette catégorisation apparaît utile au clinicien désireux de se repérer dans la multitude des troubles fonctionnels situés à la frontière psychosomatique.
La survenue de troubles somatoformes est fréquente chez l’adulte, mais les prémices sont retrouvées chez l’enfant et l’adolescent. Selon l’âge, certains troubles sont plus ou moins fréquents.
Trouble somatisation
Somatisation (trouble)Terme très fréquemment utilisé en psychiatrie, la somatisation est définie comme un processus inconscient qui consiste à cacher des difficultés affectives ou morales sous un masque somatique pouvant revêtir toutes les formes de troubles fonctionnels : céphalées, dysphagie, douleurs abdominales… Le sujet a ainsi tendance à avoir, conceptualiser ou communiquer des états ou des contenus psychologiques sous la forme de sensations corporelles, de changements fonctionnels ou de métaphores somatiques (Lipowski, 1969).
Il s’agit donc d’un ensemble de plaintes et symptômes physiques multiples, variables, récurrents, fluctuants, entraînant des répercussions sur le fonctionnement social, scolaire, familial. Les doléances somatiques subjectives font l’objet d’examens complémentaires répétés qui se révèlent toujours négatifs. Des traitements médicaux sont souvent entrepris, sans résultat. Les organes impliqués sont multiples. Il s’agit le plus souvent de symptômes douloureux, de symptômes gastro-intestinaux, pseudo-neurologiques. À l’adolescence, le trouble somatisation est rarement isolé; il s’accompagne souvent de troubles anxieux ou dépressifs. Plus rare, mais devant être systématiquement recherché, un trouble délirant d’une schizophrénie peut débuter par des préoccupations corporelles. De même, une authentique maladie physique peut venir émailler le cours évolutif d’un trouble somatisation.
La somatisation chez l’enfant est une notion peu étudiée. Une étude récente (Desombre et al., 2004) dans les services de pédiatrie a montré que les symptômes les plus fréquents sont les douleurs abdominales chroniques ou récurrentes (53 %) et les céphalées (20 %). Mais les somatisations peuvent se présenter sous de multiples formes :
• douleurs : douleurs abdominales, céphalées, douleurs du dos, des membres, des articulations…
• symptômes gastro-intestinaux : nausées, vomissements, ballonnements, «intolérances diver- ses», diarrhées…
• symptômes cardio-respiratoires : respiration courte, palpitations, douleurs dans la poitrine, malaises…
• symptômes pseudo-neurologiques : amnésies, aphonie, difficultés de déglutition, surdité, diplopie, vision brouillée, cécité, crise à type de convulsion, trouble de la marche, faiblesse…
• symptômes sexuels et gynécologiques (chez l’adulte).
Dans la plupart des cas, les enfants et ses parents entretiennent depuis longtemps des relations complexes avec les services de pédiatrie, spécialisés ou non, et participent à un nomadisme médical. De nombreuses investigations ont été effectuées, parfois invasives. L’absence de cause somatique retrouvée ne rassure en rien l’enfant et ses parents et reste difficilement supportable. Quant à l’éventualité d’une causalité psychique, elle est le plus souvent refusée. Ce n’est donc qu’après un long parcours médical qu’une consultation pédopsychiatrique est parfois possible.
Trouble somatoforme indifférencié
Il s’agit d’un trouble somatisation a minima.
En effet, il consiste en une ou plusieurs plaintes somatiques variables dans le temps, persistantes pendant au moins six mois. Le tableau clinique est moins complet et typique que le trouble somatisation. Les conséquences sociofamiliales et scolaires sont moindres, voire absentes. Ce trouble semble beaucoup plus fréquent à l’adolescence et s’exprime généralement par une fatigue, une perte d’appétit, des symptômes gastro-intestinaux ou urinaires… pouvant être à l’origine d’une souffrance cliniquement significative. Le trouble peut ainsi s’accompagner d’éléments de présomption en faveur d’une cause psychologique. Le diagnostic est porté avec la même prudence et les mêmes réserves que pour le trouble somatisation.
Trouble de conversion
ConversionVéritable «langage d’organe», le trouble débute en général entre la fin de l’enfance et le début de l’âge adulte. Il correspond à un ou plusieurs symptômes ou déficits touchant la motricité volontaire ou les fonctions sensitives ou sensorielles, sans systématisation anatomique ni atteinte organique sous-jacente. Durant l’adolescence, le trouble de conversion est fréquent; il survient sur des organisations névrotiques mal ou peu structurées et peut engendrer des bénéfices secondaires. Le symptôme apporte une détente, bien qu’incomplète, et la belle indifférence devant le trouble est caractéristique. Ce symptôme ayant un sens (inconscient), il peut être interprété comme un rêve auquel la plasticité corporelle prêterait son langage.
Ce trouble est historiquement lié à l’organisation névrotique de type hystérique (Freud), terme totalement écarté aujourd’hui des classifications modernes, car connoté trop négativement (Mai & Merskey, 1980). Subsistent cependant toujours des présentations cliniques très caractéristiques (paralysies, aphonies, cécité, pertes de connaissance…), témoignant d’organisation psychique de la personnalité de type hystérique.
Trouble douloureux
TroublesdouloureuxIl est caractérisé par une douleur intense, persistante, dans une ou plusieurs localisations anatomiques. Cette plainte s’accompagne d’une souffrance psychologique et survient dans un contexte de conflits émotionnels ou de problèmes psychosociaux. Ces facteurs psychiques jouent un rôle important dans le déclenchement, l’intensité, l’aggravation ou la persistance de la douleur. L’évolution peut se faire sur un mode aigu, itératif ou chronique, persistant. La douleur est parfois à l’origine d’une altération du fonctionnement scolaire, social ou familial.
À l’adolescence, mais aussi durant l’enfance, la douleur est un mode d’expression courant, souvent au premier plan. Notre société valorise cette approche de la douleur où certains, pour exister et être entendu, mettent en avant la douleur : avoir mal devient une façon d’être. Il en est autrement de la souffrance et de sa reconnaissance dans la société : être souffrant n’est pas mesurable ni valorisant (cf.chapitre 26). Ainsi, les troubles somatoformes douloureux sont fréquents et leurs significations psychopathologiques variées. Devant un trouble douloureux qui persiste, il importe de toujours rechercher un trouble anxieux ou dépressif.
Trouble hypocondriaque
TroubleshypocondriaquesLes craintes hypocondriaques sont banales à l’adolescence. Elles peuvent se définir comme une préoccupation excessive à l’égard du corps et de son état de santé, une exacerbation des moindres sensations physiologiques, une interprétation erronée de symptômes physiques. Quand cette préoccupation s’organise et se focalise sur la crainte ou l’idée d’être atteint d’une maladie grave, elle définit le trouble hypocondriaque. Celui-ci entraîne une souffrance psychologique qui peut s’installer durablement. Elle est à l’origine d’une altération du fonctionnement scolaire, social ou familial. La normalité des bilans médicaux appropriés ne rassure pas le sujet. Il s’accompagne fréquemment d’une anxiété importante. Enfin, si le trouble hypocondriaque est marqué par une croyance anxieuse, il se différencie d’une conviction délirante.
Peur d’une dysmorphie corporelle
L’adolescence est la période classique d’apparition de ce trouble qui se caractérise par une préoccupation concernant un défaut imaginaire de l’apparence physique et entraîne une souffrance psychologique longtemps masquée par l’adolescent. Les conséquences psychosociales et scolaires sont parfois marquées. Si un léger défaut physique est apparent, l’adolescent focalise démesurément sa préoccupation sur ce défaut qu’il estime laid et inacceptable. S’y associent des sentiments de honte et de gêne de cette partie du corps. Toutes les parties du corps peuvent être concernées. Ces craintes liées à la morphologie corporelle marquent, d’un côté, le rapport de l’adolescent avec son corps propre et, de l’autre, l’engagement de ce corps dans le groupe social. La peur d’une dysmorphie corporelle peut s’organiser progressivement sur un mode obsessionnel. Un trouble délirant somatique doit être éliminé. Il en va de même des phénomènes passagers de dépersonnalisation, non rares à la puberté.
Dysfonctionnements neurovégétatifs somatoformes
Le diagnostic de ce type de trouble repose sur la survenue de plaintes et de symptômes en rapport avec des signes objectifs d’un hyperfonctionnement neurovégétatif. Il s’agit du système cardiovasculaire, gastro-intestinal et respiratoire (palpitations, sueurs, bouffées de chaleurs ou frissons, tremblements, hyperventilation, hoquet, toux, aérophagie et ballonnements, diarrhées, pollakiurie…). Ces troubles sont persistants et gênants. Parfois s’y associent des plaintes plus idiosyncrasiques, subjectives, non spécifiques et variables tels des douleurs vagues, des sensations de brûlures, de lourdeurs, d’oppression attribuées par le patient à un organe ou à un système spécifique. La composante anxieuse est ici très présente. La crainte d’une possible maladie grave n’est pas soulagée par les propos rassurants et répétés des médecins.
Ces types de troubles sont définis dans la CIM-10 (OMS, 1993) et non dans le DSM IV (APA, 2000). Ils correspondent aux troubles psychofonctionnels de la CFTMEA R. 2000 (Misès & Quémada, 2002). Ils étaient auparavant décrits par des formules très expressives, telles «névrose cardiaque», «névrose gastrique» ou encore «diarrhée nerveuse».
Les troubles somatoformes constituent une entité nosographique discutée (Duverger, 2000). La description de ces différents troubles permet en effet un repérage sémiologique et descriptif précis, mais n’apporte aucun élément théorique ni conceptuel et donc aucune orientation étiopathogénique ni thérapeutique. L’intérêt de ce repérage réside principalement dans la recherche clinique.
Troubles psychosomatiques – maladies psychosomatiques
PsychosomatiqueDistincte de la médecine, distincte aussi de la psychanalyse dont elle procède et dont elle élargit le champ d’intérêt, la psychosomatique constitue aujourd’hui une discipline en soi (Kamieniecki, 1999). Sa spécificité réside dans les réponses qu’elle apporte au vieux débat sur l’unité fondamentale de l’être humain. Abordant ce problème à travers la dialectique des rapports qu’un individu, dans sa totalité psychique, biologique, historique et sociale, entretient avec lui-même comme avec les autres, la psychosomatique offre une conception cohérente et objective des phénomènes de somatisation. Pour F. Alexander, les manifestations les plus primitives du psychisme sont inscrites dans la physiologie des fonctions viscérales correspondant aux besoins vitaux. Ainsi, la dualité disparaît si nous considérons le phénomène psychique comme un aspect subjectif de certains processus physiologiques (Alexander, 1952).
En un sens, toutes les maladies comportent, dans leur éventail étiologique, des éléments psychologiques. D’autre part, la causalité morbide se ramène rarement à un seul type de facteurs, dont la nature dépend trop évidemment de l’orientation des investigations. La ligne de démarcation entre maladies qui admettent plus souvent une étiologie psychosomatique et maladies à étiologie organique paraît assez artificielle (Porot, 1969).
En France, sous l’impulsion de P. Marty, se crée l’école de psychosomatique dite «de Paris» (Institut de psychosomatique de Paris). La psychosomatique y gagne son autonomie et accède ainsi au statut de discipline scientifique. Elle est la discipline qui considère les mouvements psychiques et somatiques ainsi que les relations entre ces mouvements, tant chez les sujets bien portants («variation de la normalité» de Kreisler, 1987) que chez les malades somatiques (Marty, 1998a et b, 1999). Outre l’élaboration de concepts théoriques, la psychosomatique a développé des approches cliniques et psychothérapiques.
Chez l’enfant, même si leur unité structurale reste toujours douteuse, certains troubles et maladies psychosomatiques sont bien connus et repérés. Ils viennent rappeler que l’homme est psychosomatique, par définition. Ces affections infantiles présentent certains points communs, dont celui de traduire, exprimer et moduler au niveau du corps certaines problématiques paraissant d’ordre psychique. Car si l’appareil psychique supporte parfaitement, dans de bonnes conditions, l’existence de tendances qui n’apparaissent contradictoires qu’au niveau conscient, le corps est lui beaucoup moins tolérant (Fain, 1971).
Plusieurs théories ont donc tenté de sérier l’étiopathogénie des troubles psychosomatiques et d’en proposer des principes thérapeutiques (Garralda, 1996; Carr, 2003). Il en est ainsi :
• de théories biologiques mettant en avant une vulnérabilité physique liée au patrimoine génétique ou à l’histoire développementale de l’enfant. Certains stress induisent alors des réactions corporelles, voire des défaillances partielles des défenses immunitaires;
• de théories cognitives et comportementales sous-tendues par des facteurs de risque complexes et intriqués (situation sociofamiliale…), la constitution et l’organisation personnelle (tempérament), l’écologie et l’environnement (famille…), la gestion du stress et les réactions aux événements (coping…);
• de théories systémiques selon lesquelles des difficultés adaptatives familiales participeraient au développement et à l’entretien de symptômes somatiques (conflits, rigidité, laxisme, réorganisation autour de symptômes…);
• et de théories psychanalytiques et psychosomatiques que nous allons développer du fait de leur intérêt en pratique clinique de pédopsychiatrie de liaison.
Ces théories psychosomatiques reposent principalement sur le fait que le corps est considéré comme la source des émotions et de l’inconscient; les affects et les proto-représentations qui leur sont liées sont le chaînon manquant entre corps et psyché. Et cela dès le début de la vie. En effet, il n’y a rien de plus «psychosomatique» qu’un bébé : le corps occupe une place privilégiée dans les interactions avec l’entourage, et les diverses fonctions physiologiques et corporelles (alimentation, élimination sphinctérienne, tonus…) servent de base à la communication. L’entourage – principalement la mère – traduit et mentalise les comportements de son bébé (préoccupation maternelle primaire, illusion anticipatrice…). Et chez l’enfant, le dialogue s’établit d’abord avec les personnes de son entourage. Le symptôme psychosomatique prend une place privilégiée dans le système d’interaction entre la mère et l’enfant.
Depuis les années 1950, les désordres psychosomatiques ont été mis en relation avec les spécificités de la relation entre la mère et l’enfant. Ainsi, pour Spitz, les désordres psychosomatiques de l’enfant sont de deux ordres : désordres par absence ou déficience de la mère, qui répondent donc à des relations entre la mère et l’enfant insuffisantes d’un point de vue quantitatif (pouvant conduire à la dépression anaclitique et au marasme du bébé), et désordres psychotoxiques, qui répondent à des relations entre la mère et l’enfant mère-enfant inappropriées sur le plan qualitatif (Spitz, 1968). Dans cette lignée, de nombreux travaux ont suivi et décrit les différents désordres psychosomatiques de l’enfant (Kreisler et al., 1974; Marty, 1980; Kreisler, 1987).
En 2010, plusieurs entités pathologiques sont bien individualisées. Selon l’âge et le degré de maturité de l’enfant, certains symptômes psychosomatiques se manifestent montrant bien là combien les troubles doivent être mis en étroite relation avec la maturation du fonctionnement des organes et avec les caractéristiques du développement psychologique (Marcelli & Cohen, 2009). La figure page suivante rappelle ces principales expressions psychosomati- ques de l’enfant en fonction de l’âge (figure 59.1).
![]() |
Figure 59.1 D’après Marcelli & Cohen (2009). |
La réflexion psychosomatique existe depuis les origines hippocratiques de la médecine. Et il ne s’agit plus aujourd’hui de rechercher une causalité psychique à certaines affections organiques, mais plutôt de définir un certain type d’approche des maladies (Dejours, 1986). Notre expérience clinique nous amène à prendre en compte cette dimension psychosomatique, c’est-à-dire à prendre en considération à la fois des mécanismes émotionnels et des mécanismes physiologiques impliqués dans les processus morbides du sujet, ceci en mettant l’accent sur l’influence de ces deux facteurs l’un sur l’autre et sur l’individu considéré comme un tout. Cette approche est particulièrement propre à saisir les liens de la psychanalyse avec la biologie et la médecine.
Ainsi, tout enfant n’est pas susceptible de développer une maladie psychosomatique. À une probable vulnérabilité biologique, s’ajoute une participation psychique spécifique sous la forme d’un déplacement de conflits inconscients, générateurs d’anxiété, sur un organe. Et pour communiquer et exprimer leurs émotions, ces enfants utiliseraient la «voie somatique».
Certains troubles psychosomatiques sont bien connus. Il s’agit d’affections somatiques lésionnelles pour lesquelles des facteurs psychiques interviennent, tant dans leur genèse que dans leur évolution. Ce sont les coliques du nourrisson, les vomissements et l’anorexie psychogènes, le mérycisme, les spasmes du sanglot, l’asthme, et enfin l’eczéma et la pelade.
Colique du nourrisson
Colique du nourrissonLa colique du nourrisson se traduit par la survenue, fréquemment au décours du repas, de pleurs et de cris paroxystiques difficiles à consoler. Cet accès de pleurs survient par période. L’examen somatique est normal en dehors de fréquents ballonnements intestinaux et d’émission fréquente de gaz. Les cris cessent lorsque la mère propose une nouvelle tétée (biberon ou sein), mais réapparaissent aussitôt après. La succion, accompagnée d’un doux bercement, apaise l’enfant qui parvient à s’assoupir et à s’endormir dans les bras de l’adulte.
Ces troubles seraient fréquents; leur prévalence est estimée entre 10 et 30 % selon les études.
Le trouble naîtrait de la rencontre entre une sollicitude primaire excessive et anxieuse de la mère et l’hypertonie de l’enfant (Marcelli & Cohen, 2009).
En effet, les mères de ces enfants sont souvent repérées comme très anxieuses. Elles font preuve d’une extrême sollicitude envers leur bébé et éprouvent des difficultés à le calmer. Le bébé n’est pas gratifiant pour la mère; les pleurs et les cris sont vécus comme la marque d’une incompétence, voire d’un échec. Cela renforce les tensions au sein de l’interaction et majore les symptômes. D’autre part, ces troubles sont très liés à l’entourage et aux personnes qui s’en occupent. Ainsi, les coliques cèdent fréquemment lorsque le nourrisson est confié à une tierce personne (nourrice, crèche…) ou hospitalisé. Cela culpabilise d’autant plus la mère et auto entretient le cercle vicieux.
De leur côté, les nourrissons sont souvent de petits bébés, volontiers toniques et éveillés. Ils ont tendance à boire ou téter goulûment (Stagnara, 1997).
Les coliques cèdent habituellement spontanément, avec le temps. L’enfant découvre de nouvelles modalités d’expression de ses émotions, de nouvelles voies de décharge de ses tensions psychiques et de ses angoisses (oralité…). La mère parvient de son côté à s’ajuster progressivement.
Lorsque le trouble s’installe durablement malgré les conseils et les réassurances du pédiatre, le pédopsychiatre est sollicité. La prise en charge se centre sur les interactions entre le nourrisson et son entourage et tente de comprendre ce qui s’y joue, de manière consciente et inconsciente.
Vomissement psychogène et anorexie du second trimestre
Vomissement psychogèneAnorexie du second trimestreAvec le sommeil, l’alimentation est la deuxième grande fonction physiologique du tout-petit. Ainsi, lorsque des dysfonctionnements et des distorsions relationnelles existent, ces deux fonctions sont rapidement touchées.
Les symptômes alimentaires et digestifs sont fréquents chez le nourrisson, et il existe tout un continuum entre les simples régurgitations banales après le biberon et les véritables vomissements répétés. Ces vomissements sont spontanés ou provoqués (par contractions musculaires). Lorsqu’il n’existe aucun contexte pathologique (infection, déshydratation), ni aucune anomalie physiologique (malformation digestive) ou diététique (erreurs), ces symptômes, lorsqu’ils se répètent, peuvent devenir problématiques. D’autant qu’une anorexie, totale ou sélective, peut s’y associer (de manière concomitante ou en alternance), et que le nourrisson peut perdre du poids.
Ces vomissements sont dits psychogènes car aucun substratum organique n’est retrouvé ou ne peut, en tout cas, expliquer la symptomatologie.
L’anorexie est parfois isolée et débute vers le cinquième ou sixième mois (moment du sevrage). Elle touche principalement les filles et s’installe plus ou moins rapidement, mais se révèle rapidement un trouble inquiétant pour la mère. La courbe pondérale s’infléchit mais continue de progresser malgré la faible quantité de nourriture ingérée. La soif est conservée. L’éveil intellectuel est souvent précoce et témoigne d’une grande vivacité. Cette anorexie est réactionnelle (sevrage) ou parfois plus complexe et massive, relevant de troubles psychopathologiques.

Stay updated, free articles. Join our Telegram channel

Full access? Get Clinical Tree


