Chapitre 59 Conséquences cornéennes des uvéites
Les uvéites, généralement lorsqu’elles sont antérieures ou intermédiaires, entraînent parfois des conséquences sur la cornée. Une complication cornéenne typique d’épisode d’uvéite est la kératopathie en bandelette. Une insuffisance endothéliale transitoire ou irréversible peut aussi compliquer une uvéite. Les précipités endothéliaux rétrodescemétiques n’appartiennent pas à proprement parler aux complications cornéennes des uvéites car ils correspondent à du matériel (cellulaire ou non) en suspension dans l’humeur aqueuse, simplement déposé ou agrégé sur la surface cornéenne endothéliodescemétique.
Kératopathie en bandelette
ÉTIOLOGIE RELATIVE AUX UVÉITES
UVÉITES CHRONIQUES
L’expérimentation animale a montré, sur un modèle de lapin, qu’on pouvait induire la survenue d’une kératite en bandelette chez des animaux hypercalcémiques, uniquement dans les yeux ayant ou ayant eu une uvéite. De plus, l’intensité de la kératite en bandelette semble être proportionnelle à l’intensité de l’uvéite expérimentale [1]. Il semble donc que l’inflammation uvéale favorise la survenue d’une kératite en bandelette. Tous les types d’inflammation d’origine systémique ne semblent cependant pas avoir le même retentissement sur la cornée, comme le suggèrent les observations chez les souris possédant des génotypes favorables aux maladies auto-immunes ou arthritiques [2, 3].
ARTHRITE CHRONIQUE JUVÉNILE
L’arthrite chronique juvénile affecte principalement les filles avec un pic d’incidence vers l’âge de trois ans. Elle est habituellement pauciarticulaire. Les enfants atteints d’arthrite chronique juvénile sont d’autant plus susceptibles de développer une uvéite qu’ils ont un profil d’anticorps antinucléaires positif [4]. Jusqu’à 95 % des patients atteints d’arthrite chronique juvénile pourraient développer une uvéite [5]. L’incidence de la kératite en bandelette chez ces patients atteints d’arthrite chronique juvénile semble variable selon les séries publiées, allant de 5 % à plus de 66 % [6–10].
PHYSIOPATHOLOGIE
NON SPÉCIFIQUE
La kératopathie en bandelette est caractérisée par une accumulation de dépôts calcaires (phosphate de calcium, hydroxyapatite ou carboxyapatite) ou, plus rarement, de dépôts protéiques non calciques à la surface de la cornée [11, 12]. Ces dépôts progressifs gris clair ou parfois bruns débutent généralement dans l’aire de la fente palpébrale, habituellement au méridien 3 h-9 h, de manière adjacente au limbe (fig. 59-1), pour s’étendre ensuite vers l’axe visuel qu’ils peuvent totalement occlure (fig. 59-2a). Dans les couches cornéennes, ils s’accumulent dans l’épithélium, la couche de Bowman (fig. 59-3), parfois en la clivant [13], et, plus rarement, le stroma antérieur superficiel. Ils seraient favorisés principalement par la diminution du pH local, l’hypertonie lacrymale (évaporation dans l’aire de la fente palpébrale) [14] et l’administration locale de traitements contenant des phosphates [15, 16](fig. 59-2, b et c). La kératopathie en bandelette peut s’associer au cours des uvéites — hors causes locales ou arthrite chronique juvénile — à des maladies systémiques comme l’hypercalcémie ou le lupus. Il pourrait exister un terrain héréditaire favorisant [17–20].
Fig. 59-2 Kératopathie en bandelette. a. Elle implique typiquement l’axe visuel dans l’aire de la fente palpébrale (Cliché de G. Renard). b. et c. Lorsqu’elle complique une uvéite chronique traitée par corticoïdes topiques contenant des phosphates, elle peut être de distribution atypique (b), mais toujours superficielle au niveau de l’épithélium et de la couche de Bowman (c, en fente lumineuse).
SPÉCIFIQUE AU COURS DE L’UVÉITE
La kératopathie en bandelette survient plus volontiers au décours d’uvéites chroniques et d’uvéites liées à l’arthrite chronique juvénile, sans qu’aucune explication physiopathologique ne soit clairement acceptée à ce jour. L’adjonction chronique de traitements topiques stéroïdes combinés aux phosphates pourrait être un facteur favorisant non négligeable [15].
TRAITEMENT
Le traitement de la kératopathie en bandelette associe la prise en charge de l’étiologie systémique si elle est connue et l’ablation chirurgicale lorsqu’elle est symptomatique et/ou empiète sur l’axe visuel (épisodes d’érosion épithéliale récidivante, baisse d’acuité visuelle). Selon sa densité et son imprégnation calcique, il est possible de pratiquer un grattage cornéen manuel avec imprégnation possible préalable d’EDTA (chélateur du Ca2+), une photokératectomie thérapeutique au laser à excimères [21–23] ou une kératectomie lamellaire antérieure (lorsque la densité des dépôts calciques compromet l’efficacité d’un traitement laser).
Dysfonction endothéliale
ÉTIOLOGIE RELATIVE AUX UVÉITES
Plus rarement, l’infection virale active à Herpesviridae (HSV, VZV) est simultanément responsable d’une uvéite et d’une endothélite virale active [24]. L’insuffisance endothéliale fonctionnelle qui en résulte (fig. 59-4) est habituellement réversible après un traitement adapté.
Fig. 59-4 Dysfonction endothéliale. a. L’endothélium cornéen est une cible immune (endothélite) au cours des épisodes d’uvéite antérieure aiguë, à hypopion (astérisque blanc) ou non, et peut ne plus assurer sa fonction de déturgescence stromale cornéenne dans un secteur de l’aire cornéenne (têtes de flèche) ou de manière diffuse, habituellement transitoire. Il se produit alors un œdème stromal avec, parfois, présence de bulles sous-épithéliales (astérisque noir). b. Œdème vu en fente lumineuse.