54. Tentatives de suicide

Chapitre 54. Tentatives de suicide



État du problème


Suicide (tentative de)Le suicide demeure une énigme qui, à l’adolescence, se double d’un scandale : pourquoi certains jeunes tentent-ils de mettre fin à leurs jours? (Jeammet & Birot, 1994).

L’acte suicidaire est complexe et d’origine plurifactorielle.

Une tentative de suicide (TS) est l’une des conduites pathologiques les plus caractéristiques de l’adolescence. Elle n’est cependant jamais banale et ne doit pas être considérée comme une réponse normale aux conflits de l’adolescent.

La TS est un symptôme. Elle est transnosographique et repose sur une grande hétérogénéité psychopathologique. Quelle qu’en soit la gravité somatique, la TS révèle une souffrance psychique et une vulnérabilité. Elle ne préjuge pas systématiquement de l’existence d’une pathologie psychiatrique.

À l’adolescence, l’acte suicidaire est plus souvent un moyen de fuir une tension insupportable que le point d’aboutissement d’un véritable désir de mort (Jeammet & Birot, 2004). Quand un adolescent fait une TS, c’est parce qu’il veut en finir avec quelque chose, mais qui n’est pas forcément la vie (Duverger et al., 2006). Autrement dit, c’est presque toujours parce qu’il veut vivre… mais autrement (Alvin & Marcelli, 2005).


Définitions et terminologie


Malgré l’abondante littérature médicale disponible, il est difficile de trouver une définition claire, précise et consensuelle de la tentative de suicide. Selon l’ANAES, la tentative de suicide est «une conduite ayant pour but de se donner la mort sans y aboutir» (ANAES, 1998). Certains auteurs préfèrent le terme de «parasuicide» et ne prennent pas en considération la dimension de l’intentionnalité suicidaire.

Par ailleurs, il convient de différencier les termes de «suicidaire» (qui a des idées ou exprime des menaces de suicide) de «suicidant» (qui a réalisé une TS) et de «suicidé» (qui est décédé par suicide).


Un problème majeur de santé publique


Les tentatives de suicide à l’adolescence représentent un problème prioritaire de santé publique, du fait de leur fréquence, mais aussi de leur gravité potentielle. Leur repérage, leur prise en charge et leur prévention sont des enjeux importants. Ils ont fait l’objet de recommandations (ANAES, 1998).

Qu’un jeune souhaite se donner la mort est difficilement acceptable, voire insupportable. Les conduites suicidairesConduite suicidaire chez les jeunes constituent donc un sujet sensible et difficile. Et l’impact psychologique et social du suicide est tel que, dans le doute, la tendance est de considérer la mort comme d’origine accidentelle. Il existerait ainsi une sous-estimation des TS de près de 20 % d’après l’Inserm (Choquet & Ledoux, 1994).


Des données épidémiologiques bien connues


Les conduites suicidaires concernent surtout les adolescents et adultes jeunes; elles restent rares dans l’enfance.

En France, le suicide représente la seconde cause de mortalité dans la tranche d’âge des 15–24 ans, derrière les accidents de la circulation (Choquet & Granboulan, 2004; Marcelli & Humeau, 2006; Marcelli & Braconnier, 2008). La mortalité par suicide concerne surtout les garçons (8 garçons pour 2 filles), alors que les TS sont plus fréquentes chez les filles (inversion du sex ratio). Les décès par suicide font souvent suite à l’utilisation de moyens à fort potentiel létal (pendaison, chute d’une hauteur, arme à feu).

Malgré une diminution des taux de suicide depuis 1985 (Choquet & Granboulan, 2004; Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), 2009), la morbidité suicidaire s’aggrave. Selon une enquête nationale en milieu scolaire, 9 % des jeunes de 14 à 19 ans déclarent avoir fait une TS (European School Survey Project on Alcohol and Other Drugs(ESPAD), 2000; Choquet & Granboulan, 2004), contre 7 % six ans auparavant (Choquet & Granboulan, 1994). Par ailleurs, 30 % des jeunes suicidants réitèrent leur geste suicidaire. Dans la moitié des cas, la récidive survient dans l’année qui suit la TS initiale (Choquet & Granboulan, 2004).


Recommandations ANAES (1998)


Dans le cadre du Programme national de prévention du suicide chez les jeunes mis en place par le secrétariat d’État à la Santé, l’ANAES a été sollicitée pour élaborer des recommandations professionnelles sur la prise en charge hospitalière des adolescents suicidants (ANAES, 1998). Ces recommandations pour la pratique clinique, largement diffusées auprès des professionnels, indiquent qu’une triple évaluation somatique, psychologique et sociale doit être systématiquement réalisée. L’hospitalisation d’un adolescent après une tentative de suicide est très fortement recommandée. Cette recommandation repose sur un consensus clinique qui aujourd’hui n’est plus discuté.

L’hospitalisation permet :




• de reconnaître l’acte suicidaire;


• de se donner le temps d’analyser la place et la fonction du geste suicidaire;


• d’observer le jeune et son mode de fonctionnement;


• de rencontrer les parents et l’entourage;


• de permettre une mise à distance, souvent nécessaire, avec le milieu familial;


• de prendre en compte une éventuelle situation de crise ou de conflit;


• de mettre en place les modalités de prise en charge ultérieure du jeune et de sa famille (Duverger et al., 1999).


Circulaire CNAM (1998)


En 1998, une circulaire de la Caisse nationale de l’assurance-maladie (CNAM, 1998) précise que les caisses d’assurance-maladie peuvent prendre en charge les actes réalisés par des pédiatres pour des patients jusqu’à l’âge de 18 ans. Une des conséquences a été la multiplication d’unités d’hospitalisation d’adolescents dans les services de pédiatrie en vue d’améliorer l’accueil des jeunes présentant des états de souffrance psychologique dont les tentatives de suicide.

Le pédopsychiatre de liaison en pédiatrie est donc en première ligne dans l’accueil et les soins psychiques de ces jeunes admis aux urgences pédiatriques des hôpitaux généraux.


Tentatives de suicide en milieu pédiatrique : aspects cliniques


La tentative de suicide représente un des motifs pédopsychiatriques les plus fréquents d’hospitalisation en pédiatrie (Desombre, 2005); d’où la nécessaire collaboration entre pédiatres et pédopsychiatres de liaison autour de la prise en charge des jeunes suicidants.


Généralités sur les tentatives de suicide des jeunes


Les tentatives de suicide concernent surtout les adolescents de plus de treize ans. Nous aborderons donc essentiellement les TS de l’adolescent, mais, avant cela, un mot s’impose sur les TS des enfants.


Particularités des tentatives de suicide chez l’enfant


Qu’un enfant attente à ses jours est proprement insupportable, voire impensable. Les termes d’enfant et de mort sont très difficiles à juxtaposer et à penser simultanément.

De plus, évoquer le suicide chez un enfant suppose que cet enfant ait une conscience de la mort et en ait intégré les concepts (notamment dans ses aspects universel, irréversible et irrévocable). Les représentations et la notion de mortMort s’inscrivent dans l’histoire et le contexte familial de l’enfant, et dépendent de son développement psychoaffectif et cognitif. Le «jeu du foulard» sur les cours de récréation est à ce titre particulièrement révélateur de ces questions et de cette difficulté à déterminer ce qu’il en est d’une intentionnalité de se donner la mort.

Les suicides chez l’enfant sont rares et leur taux est stable dans le temps (moyenne de 30 cas de mort par suicide par an). Nombre d’accidents mortels restent cependant de cause indéterminée, et une sous-estimation est probable. Il existe une prépondérance masculine.

Concernant les conduites suicidaires, il n’existe pas d’études épidémiologiques nationales concernant les TS chez l’enfant. Ce qui ressort des expériences des professionnels (pédiatres et pédopsychiatres) et de la littérature médicale est que le niveau socio-économique de l’enfant, sa place dans la fratrie, son niveau intellectuel, ne sont pas des facteurs de risque. En revanche, il existe une surreprésentation des problèmes familiaux (séparations et divorces répétés, violences, alcoolisme parental, antécédents de TS…).

Les modalités de passage à l’acte suicidairePassage à l’acte suicidaire chez l’enfant relèvent souvent de moyens brutaux, violents et impulsifs (pendaison, arme à feu, défenestration…), et, plus l’enfant est jeune, moins le geste apparaît élaboré. L’incidence des TS va ensuite augmenter avec l’âge.

Il n’existe pas toujours de signe avant-coureur. Néanmoins, la reprise après coup d’un passage à l’acte suicidaire chez un enfant retrouve des signes d’appel qui sont restés sans réponse.

Les conduites suicidaires chez l’enfant renvoient à des significations et des fonctions différentes qu’il s’agit de déceler : fonction d’appel, de fuite et d’évitement, fonction d’autopunition (châtiment), d’auto-agressivité, fonction ordalique, fonction de jeu, parfois d’imitation ou encore de souhait de rejoindre un être cher, perdu.

D’un point de vue psychopathologique, la survenue d’un passage à l’acte suicidaire chez un enfant doit systématiquement faire rechercher : des carences narcissiques massives, une éventuelle maltraitance, des troubles dépressifs majeurs, des problématiques névrotiques graves et des troubles de la personnalité (psychose). Ces circonstances peuvent bien sûr être associées. Ainsi, pour C. Delamare, les conduites suicidaires chez l’enfant viennent souvent signifier un vécu existentiel dépressif, sur fond de grande fragilité narcissique, généralement lié à un contexte environnemental particulier (Delamare et al., 2007).


Tentatives de suicide à l’adolescence


Contrairement à l’enfant, les idées de suicide sont fréquentes à l’adolescence : 12 à 35 % y ont pensé une fois, et 7 à 9 % des collégiens y pensent fréquemment (Choquet & Granboulan, 2004). L’idée de suicide n’implique néanmoins pas le passage à l’acte.

Les tentatives de suicide, lorsqu’elles sont décelées et diagnostiquées, sont admises principalement dans les hôpitaux généraux et particulièrement dans les services de pédiatrie. Les équipes soignantes pédiatriques et les pédopsychiatres de liaison ont donc développé un savoir-faire clinique et des cadres de soins adaptés à l’accueil de ces jeunes. Une des dérives en serait de banaliser la valeur. Plus rarement, un TS survient chez un jeune déjà hospitalisé, ce qui n’est pas sans susciter de nombreuses interrogations, teintées d’angoisse.


Moyens de la tentative de suicide


L’intoxication médicamenteuse volontaire (IMV) est le mode de tentative de suicide le plus utilisé (80 à 90 % des TS), surtout chez les filles. Les médicaments utilisés sont souvent ceux de l’adolescent, ou des médicaments de la pharmacie familiale.

Les autres moyens de TS sont plus rares : phlébotomie, puis défenestration, ingestion de produits toxiques (produits ménagers), noyade, précipitation sous un véhicule ou d’un étage, pendaison, arme à feu. Les moyens qualifiés de «violents» sont 4 fois plus utilisés par les garçons que par les filles.

Il n’existe pas de parallélisme strict entre la gravité de l’acte en terme de vie ou de mort, l’intensité du désir de mort et la gravité des perturbations psychopathologiques observées (Alvin & Marcelli, 2005).


Remarques psychopathologiques


Il ne s’agit pas de reprendre ici l’ensemble des données psychopathologiques concernant les conduites suicidaires, mais de faire quelques rappels sur les tentatives de suicide à l’adolescence.

Il y a lieu de différencier les conduites à risque et les conduites suicidaires. En effet, il n’y a pas d’adolescence sans risque, et parfois certains comportements d’adolescents posent la question d’une intentionnalité suicidaire, plus ou moins consciente. Une banalisation dans l’après-coup ne doit pas amener une minimisation de ces comportements à risque. À titre d’exemple, citons le cas des accidents à répétition.

La TS apparaît fréquemment comme l’association de contraintes externes (biographie) et d’une vulnérabilité interne et psychique (personnalité). Elle signe la rupture des ressources d’adaptation et de protection (défenses psychiques); une volonté d’en finir avec une situation qui n’est plus tenable. Il ne s’agit donc pas d’un véritable désir de mort, mais d’en finir avec un intolérable. Le passage à l’acte vient comme un court-circuit de la pensée, il signe la faillite symbolique.

L’acte apparaît alors comme un retournement de l’agressivité contre soi; il réalise une attaque du corps; corps qui devient le théâtre et le lieu d’expression du vécu psychique.

Le geste suicidaire est polyfactoriel et pluridéterminé; il relève de significations multiples.

Il n’existe pas d’organisation de la personnalité particulière rattachée aux conduites suicidaires à l’adolescence, et dans près de 70 % des cas, aucun diagnostic psychiatrique ne peut être porté. Pourtant, certaines caractéristiques se dégagent, et deux dimensions dominent chez l’adolescent suicidant : la dimension dépressive et l’impulsivité. De plus, l’adolescence est une période de particulière vulnérabilité, durant laquelle le processus pubertaire sollicite le fonctionnement psychique et les mécanismes de défense et d’adaptation. L’adolescent suicidant présente souvent une incapacité à supporter les pertes ou les séparations et une fragilité de ses assises narcissiques. S’y associent fréquemment une vulnérabilité relationnelle et une vulnérabilité identitaire (Marcelli & Humeau, 2006).

E. et M. Laufer ont proposé de comprendre la TS à l’adolescence comme l’expression d’une violence et d’une haine dirigées contre le corps sexué (Laufer & Laufer, 1989).

Par ailleurs, si la TS constitue une attaque du corps propre, elle réalise aussi une attaque du cadre familial. La TS acquiert une fonction de langage et de maîtrise de la distance relationnelle entre l’adolescent et ses parents. Le corps apparaît en effet comme le représentant des identifications et de la filiation (Jeammet & Birot, 2004).


La tentative de suicide est transnosographique


Si la TS ne signe pas systématiquement une pathologie psychiatrique, un trouble pédopsychiatrique associé doit toujours être recherché.

Les troubles pouvant être associés à une conduite suicidaire sont variés : dépression, troubles de l’humeur, consommation de produits, troubles anxieux, troubles des conduites, troubles psychotiques (rarement), troubles du comportement alimentaire… Parfois, aucun diagnostic psychiatrique ne peut être posé sur le plan nosographique.

Un trouble dépressif serait retrouvé chez 50 à 65 % des suicidants (Marcelli & Humeau, 2006).

La TS étant transnosographique, il serait illusoire, voire néfaste, de proposer une prise en charge unique. Le repérage d’un diagnostic psychiatrique associé à la TS est important, car cela va conditionner en partie le pronostic et orienter les modalités de la prise en charge.


Facteurs de risque suicidaire


Un grand nombre de «facteurs de risque» (FDR) ont été décrits. Ces facteurs de risque ne doivent en aucun cas être considérés comme des éléments de causalité : ils constituent des signaux d’alerte, des «clignotants». La conférence de consensus sur la crise suicidaire (Darcourt & Mazet, 2001) identifie 3 niveaux de facteurs de risque (Darcourt & Mazet, 2001; Périsse & Cohen, 2003) :




• FDR primaires (valeur prédictive forte) : antécédents personnels de TS, dépression;


• FDR secondaires (alerte en présence des facteurs primaires) : mauvaise qualité des relations familiales, violences entre les parents ou entre parents et enfants, psychopathologie parentale, événement stressant ou déclenchant;


• FDR tertiaires : sexe, âge.

Il existe des facteurs de risque individuels, familiaux, mais aussi environnementaux (Marcelli & Humeau, 2006). Les facteurs de risque de passage à l’acte suicidaire à l’adolescence mis en évidence par les travaux épidémiologiques sont les suivants (Choquet, 2001; Choquet & Granboulan, 2004) :




• antécédent personnel de tentative de suicide;


• troubles psychiques, et particulièrement la dépression;


• violences subies, antécédent d’abus sexuel;


• climat intrafamilial pathogène;


• psychopathologie parentale;


• antécédent de suicide ou de tentative de suicide dans la famille, ou parmi l’entourage proche;


• mauvais état de santé physique;


• troubles du comportement (consommation de produits, fugues, comportements délictueux, violence, troubles scolaires, comportements sexuels à risque);


• précarité de l’insertion sociale; échec scolaire, rupture avec la scolarité;


• cumul d’événements de vie négatifs (déménagement, décès, ruptures, pertes).

Le repérage de ces FDR est important. C’est surtout le cumul de ces facteurs qui doit attirer l’attention.


Particularités de l’accueil des suicidants à l’hôpital général pédiatrique



Parcours de soins à l’hôpital général


Les services d’urgence et de pédiatrie des hôpitaux généraux sont souvent les seules structures pouvant admettre les jeunes suicidants «en urgence».

Les adolescents suicidants passent souvent par différentes unités : service d’urgences, service de pédiatrie générale; plus rarement, réanimation, chirurgie pédiatrique (en cas de traumatisme après défenestration ou après ingestion de produits toxiques).

Ainsi, les adolescents ayant fait une intoxication volontaire médicamenteuse sont généralement accueillis aux urgences (pédiatriques ou d’adultes, selon l’âge) ou en réanimation (selon la gravité de l’intoxication), avant d’être transférés et hospitalisés en pédiatrie générale (parfois dans une unité spécifique d’adolescents).


Dans un premier temps, le corps au premier plan


L’adolescent admis pour une TS mobilise en premier lieu le réseau médical somatique. Le risque vital est au premier plan des préoccupations (Picherot & Haulle, 2000). L’examen clinique du jeune suicidant est capital; il se complète par un bilan (examens complémentaires) et une surveillance. L’hôpital général est bien adapté pour cette nécessaire prise en charge somatique.

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Apr 22, 2017 | Posted by in PÉDIATRIE | Comments Off on 54. Tentatives de suicide

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