Chapitre 5 Psychosomatique des situations médicales à risque psychologique
Vomissements incoercibles de la grossesse
Ce sujet suscite un intérêt d’intensité variable chez des professionnels médicaux d’horizons très divers : obstétriciens et sages-femmes bien sûr, endocrinologues, gastro-hépatologues, psychologues et psychiatres.
Définitions
Nausées et vomissements gravidiques
Les nausées et vomissements gravidiques (NVG) sont fréquents (atteignant 50 à 90 % des femmes enceintes, 56 % pour les vomissements seuls), banals, limités au 1er trimestre et relativement supportables. Ils surviennent dès la 6e semaine de grossesse, avec une acmé entre 8 et 12 semaines et ne subsistent au 2e trimestre que dans 10 % des cas (Chaussade et al., 1995). Essentiellement matinaux, exacerbés par certaines odeurs alimentaires, de café, de tabac, on peut les juguler par de petits remèdes, voire des anti-émétiques s’ils entravent l’alimentation et altèrent l’état général.
Il s’agit d’un phénomène physiologique dépendant du système neurovégétatif modifié par les taux hormonaux. En effet, ces NVG sont majorés dans les grossesses multiples et les grossesses molaires, situations où les taux hormonaux sont plus élevés que lors d’une grossesse unique normale (Maggioni, Mimoun, 2000). Je reviendrai plus en détail sur cette pathogenèse hormonale au sujet des vomissements incoercibles.
Vomissements incoercibles
Les vomissements incoercibles de la grossesse sont bien plus rares et bien plus graves.
On les appelle aussi hyperémèse gravidique (HG) ou hyperemesis gravidarum chez les Anglo-Saxons ou, tout simplement, vomissements gravidiques sévères.
L’incidence de cet HG est de :
• 3 à 5 pour 1 000 pour Chaussade et al. (1995) Pons et al. (2005), obstétriciens ;
• 1 pour 1 000 pour Dayan (1999b), psychiatre ;
• 1 à 2 % pour Karpel (2004), psychologue ;
• 1,5 % pour Meyer (2007), endocrinologue ;
• 1 % (Arsenault et al., 2002), selon les obstétriciens canadiens.
Ptyalisme
Ce symptôme, ignoré par la plupart des auteurs, est évoqué ici car il relève probablement du même mécanisme physiopathologique que les NVG. Il s’agit d’une hypersalivation majeure, existant jour et nuit, faisant suite, pendant la grossesse, aux NVG ou à l’hyperémèse gravidique. Je ne l’ai rencontré que chez des femmes d’origine subsaharienne quelle que soit leur durée de résidence en France. Il est souvent traité par le mépris parce qu’il ne menace pas la santé de la parturiente, ni celle de son fœtus. D’ailleurs, la femme ne s’en plaint pas toujours, malgré la gêne occasionnée, tant ce symptôme fait partie, pour elle, du tableau gravidique. Un peu de honte s’en mêle, qui expliquerait peut-être le silence : baver toutes les 5 minutes sa salive dans un crachoir, en interrompant la conversation est un tableau ingrat. Pour donner un ordre d’idée, la patiente que je voyais hier à la visite remplissait quatre à cinq crachoirs en une matinée et son sommeil était perturbé par le besoin de vider sa bouche… Comme « nous, les Blancs », disent-elles, ne prêtons pas grande attention au ptyalisme, elles ont recours à une méthode africaine pour se soulager : elles mangent de l’argile. Celle-ci chélate le fer dans le tube digestif, entraînant une anémie que l’on n’arrive pas à corriger si l’on ne pense pas à poser la question : « Mangez-vous de l’argile ? »
Symptomatologie
L’hospitalisation est nécessaire pour perfuser la patiente, l’apaiser elle ainsi que son entourage. On en profite pour éliminer les classiques diagnostics différentiels, éternels pièges de la médecine, que sont : l’appendicite aiguë, la cholécystite aiguë, la méningite et la tumeur cérébrale (Pons et al., 2005), ainsi que l’occlusion intestinale et les hyperthyroïdies (Chaussade et al., 1995).
Cas cliniques
Dès l’entrée, le traitement a consisté en :
• la pose d’une perfusion pour hydrater et rééquilibrer les électrolytes et administrer les médicaments par voie veineuse (Largactil®, Mopral®, Laroxyl®) ;
• des entretiens avec le psychiatre ;
• un soutien psychothérapeutique par la psychologue ;
• des séances d’haptonomie tous les 15 jours avec participation active du conjoint ;
Il s’agit d’une grossesse désirée par le couple.
Étiopathogénie
L’hystérie
Au XIXe siècle, on parlait d’hystérie, de nervosisme.
Jusqu’au milieu du XXe siècle, les travaux et études du profil psychopathologique des femmes présentant ce symptôme orientent vers soit une névrose hystérique avec phénomène de conversion, soit un processus psychosomatique Marty, 1958 ; (Barrucand, 1968).
Des arguments épidémiologiques viennent corroborer ces hypothèses psychogènes.
Les hypothèses sociales et épidémiologiques
Dayan et al., dans leur ouvrage Psychopathologie de la périnatalité (1999), citent différents auteurs qui, entre 1968 et 1994, rapportent que l’HG serait l’apanage des humains (les vomissements incoercibles n’existent pas chez les animaux), des sociétés industrialisées et du milieu urbain. Elle serait déclenchée par le stress, le manque de soutien social, de mauvaises relations conjugales, en tout cas des relations de couple assez pauvres, marquées par un déni de la conflictualité.
Ces femmes auraient une personnalité de type hystérique, elles seraient immatures et dépendantes, profondément suggestibles (selon Marty). La relation à leur mère serait marquée par la soumission ou la domination, traits que l’on retrouve chez les femmes présentant une menace d’accouchement prématuré. Le symptôme vomissements pendant la grossesse pourrait refléter une ambivalence face à la grossesse, résonnant au niveau du corps avec celle liée à l’oralité, à l’acte de nourrissage.
Elles auraient fréquemment des troubles du comportement alimentaire, ou du moins, selon L. Karpel (2004), des « antécédents de problèmes autour de la sphère orale ». Cela reviendrait à dire que ne vomirait gravement pendant la grossesse qu’une femme qui aurait déjà vomi. Ce qui est contredit par certains témoignages postés sur Internet et l’étude de S. Staraci (2004–2005).
D’après C. Maggioni et S. Mimoun (2000), il s’agirait de femmes infantiles, fragiles psychologiquement, de milieu peu favorisé, peu cultivées, les autres ayant plutôt des crampes abdominales ou des contractions utérines (sans modification du col).
Quant à J. Bernuau (1995), hépatologue, il relève une plus grande fréquence chez les femmes émigrées, ce qui correspond à mon impression clinique et à celle de mes correspondants obstétriciens et sages-femmes, ainsi qu’à celle de S. Staraci qui trouvait huit patientes sur dix originaires de différents pays du continent africain. Ceci pose la question de l’aspect culturel. Par contre, l’étude faite à Béclère par L. Karpel (2004) trouve très peu d’étrangères dans son échantillon de 23 parturientes.
L’hypothèse psychanalytique38
Celle-ci s’appuie sur plusieurs concepts théoriques :
• le désir d’enfant et sa relation à l’inconscient : au cours de la grossesse, deux niveaux s’intriquent, l’un d’identification maternelle archaïque, l’autre de réalisation œdipienne. Pour certains psychanalystes, les vomissements gravidiques incoercibles seraient une tentative inconsciente d’expulsion du fœtus, une façon de signer symboliquement son désir d’avorter par voie orale. La reviviscence des représentations archaïques de fécondation orale, refoulées chez l’adulte, donne son sens au symptôme. Pour A. Freud (1955), le « choix » de ce symptôme se réfère à des conflits intrapsychiques dominés par l’oralité, au cœur de la relation première nourricière entre la mère et son nouveau-né ;
• l’ambivalence du désir d’enfant, qui fait partie de la vie psychique normale des femmes enceintes (cf. (p. 20 et 114) : cette notion qui date des années 1960 signifie qu’au désir que l’enfant vive peut s’associer le désir inverse, qu’il ne vive pas. Aussi désiré soit-il, l’enfant du dedans peut s’imposer comme un rival narcissique et une femme aux assises narcissiques fragiles sera en difficulté face à sa propre violence fondamentale. Citons H. Deutsch (1987) pour qui les vomissements pathologiques de la grossesse ne peuvent trouver une origine psychologique que si « les tendances à l’expulsion orale sont accompagnées d’émotions inconscientes, et parfois même conscientes (ou sur le point de l’être), d’hostilité envers la grossesse ou envers le fœtus ». Ces émotions « peuvent prendre la forme d’une protestation irritée, d’une autopunition pour des sentiments hostiles, d’une peur ou de violents affects semblables ». Elle insiste sur l’ambivalence de ces mères souffrant d’HG qui sont très soulagées, consciemment, par la suite, que leur enfant ait pu naître en bonne santé ;
• les concepts de transparence psychique (M. Bydlowski) et de séparation–individuation. S. Missonnier (2003b) pointe que la finalité fonctionnelle de la gestation psychique, contenance et interaction avec l’enfant à venir, n’est possible qu’au prix d’une renégociation du narcissisme primaire maternel, dont l’embryon est, au départ, le dépositaire.
L’excitation engendrée par la présence du fœtus atteint une telle intensité que le pare-excitation, barrière entre le dedans et le dehors, est débordé : l’excitation ne parvient pas à être métabolisée par l’appareil psychique et on assiste à l’émergence du trouble psychosomatique. Or, lors des vomissements, il y a aussi passage du dedans au dehors, une projection à l’extérieur de ce que ces futures mères n’arrivent pas à intérioriser : leur devenir de mère en gestation.
Je vous donne rendez-vous à l’item de la MAP (p. 78) où les mêmes théories vont servir à expliquer le manque de contenance utérine, cette fois dans la sphère génitale.
Traitements
Puis, dès que la symptomatologie s’améliore, une reprise progressive de l’alimentation est possible.
Les traitements psychiques me semblent impératifs. Plusieurs types peuvent être proposés :
• l’hypnose, associée aux médicaments depuis 1942 ;
• la thérapie comportementale ;
• la psychothérapie de soutien ;
• la psychothérapie brève prénatale d’orientation psychodynamique.
Menace d’accouchement prématuré
On nomme familièrement « MAP » la menace d’accouchement prématuré.
Il s’agit d’un chapitre important parce qu’elle atteint une femme enceinte sur six, voire sur cinq (mais avec quelle définition ?), et représente la première cause d’hospitalisation pendant la grossesse ; et, si seulement 30 à 40 % des femmes ayant présenté une MAP accoucheront effectivement prématurément, l’accouchement prématuré (AP) est la première cause de mortalité et de morbidité néonatale, chère en conséquences physiques et psychiques chez l’enfant, et en conséquences psychologiques chez les parents.
Les Britanniques ont répondu à cette question : pour eux, la MAP n’existe pas, ils n’ont même pas de mot pour la dire. La meilleure approximation en est preterm labour.39 Il s’agit d’un diagnostic rétrospectif, c’est-à-dire confirmé dès lors que l’AP a eu lieu… Du coup, ils ne font pas de touchers vaginaux pour évaluer le col (ce qu’obstétriciens et sages-femmes français faisaient tous les mois encore récemment), ne dépistent pas une pathologie qui n’existe pas, et se contentent de traiter les nouveau-nés prématurés.
Je ne suis personnellement pas d’accord avec cette conception et vais tenter de m’en expliquer.
Définitions
Menace d’accouchement prématuré
Un col normal pendant la grossesse est long, postérieur, tonique et fermé.
Les modifications cervicales sont cliniquement : un col raccourci, ramolli, moins postérieur, ouvert à l’orifice externe seulement, ou sur toute sa longueur, voire y compris à l’orifice interne. À l’échographie, la longueur du col est réduite à 20 ou 30 mm, le seuil de 30 mm ayant une bonne valeur prédictive négative avec nombreux faux positifs, et inversement pour le seuil à 20 mm (Haute Autorité de santé40).
Les contractions utérines de la menace d’accouchement prématuré sont non dépressibles, douloureuses, surviennent au moins toutes les 10 minutes et durent au moins 30 secondes (Bérardi, 1995). Elles sont souvent le premier signe d’appel, mais un quart des femmes présentant une MAP n’en ont jamais ressenti, soit parce que la modification de leur col est due à un autre mécanisme, soit parce qu’elles n’ont pas su les reconnaître.
J’insiste sur l’association des CU et de la modification cervicale. C’est l’association qui a une valeur prédictive supérieure à 80 % (Bérardi, 1995). En effet, les contractions utérines seules, certes, inquiètent les femmes enceintes, mais sans modification de leur col, ce ne sont pas des menaces d’accouchement prématuré. Dans le service, nous les appelons des « mapounettes ». Ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas en tenir compte ; bien sûr, il s’agit d’un symptôme à entendre, mais la conduite à tenir sur le plan obstétrical doit être bien différente. C’est peut-être le traitement à l’identique par les tocolytiques des MAP et des « mapounettes » qui, non seulement, a fait exploser les chiffres d’incidence, mais a jeté un doute sur l’entité nosologique de la MAP (Dayan, 1999c) : on finit par considérer comme MAP ce qui est traité par tocolytiques, et on traite par tocolytiques, parce qu’ils sont disponibles, des symptômes qu’une simple réassurance de la femme ou un traitement non médicamenteux suffirait à calmer… avec plus de temps que la rédaction d’une ordonnance, il est vrai ! Poser une main sur l’utérus plutôt que de brancher un monitoring des contractions est évidemment plus chronophage pour la sage-femme, mais c’est la main bienveillante de la professionnelle qui sera le mieux à même d’objectiver les contractions utérines… et de rassurer ! Pendant ce temps passé côte à côte, ou lors de la préparation à la naissance (cf. (p. 39), la femme pourra apprendre à distinguer les contractions normales du muscle utérin des contractions dangereuses, des douleurs ostéoligamentaires, des mouvements actifs de son bébé, ou de douleurs abdominales extra-utérines, intestinales par exemple.
La MAP repose donc sur des données cliniques et ne doit pas être confondue avec le risque d’accouchement prématuré qui repose, lui, sur des données épidémiologiques (Goffinet et al., 2005).
Risque d’accouchement prématuré
Certains facteurs de risque sont :
• plutôt liés à la prématurité modérée (après 32 SA) : l’âge maternel avancé, le tabagisme, l’obésité et le niveau socio-économique ;
• plus fortement liés à la grande prématurité (avant 32 SA) : infection, anomalie placentaire, utérine, béance cervicale, grossesse multiple…
• les femmes asymptomatiques à bas risque (sans antécédents) ;
• les femmes asymptomatiques à haut risque d’AP (grossesse multiple avec 20 % de grande prématurité, ATCD de fausses couches tardives, d’accouchement prématuré) ;
• les femmes symptomatiques qui sont celles présentant des signes cliniques de MAP.
Étiologies
Pour les AP, un tiers est de cause identifiable :
Étiologies des menaces d’accouchement prématuré
Cause infectieuse
C’est elle qui arrive largement en tête des causes identifiées.
Elle est la principale responsable des ruptures prématurées des membranes (RPM), elles-mêmes à l’origine de 30 % des AP. L’infection par voie ascendante est la plus fréquente. Les germes en cause sont de type Gardnerella, Trichomonas, staphylocoque doré, Chlamydia ; ils détériorent le collagène de la matrice directement par la libération de protéases et par le biais de l’inflammation qu’ils provoquent (Goffinet et al., 2005). Le prélèvement bactériologique vaginal (PV) est systématique dans le bilan étiologique de la MAP.
Mais on peut également voir des infections à membranes intactes (poche des eaux non rompue). La chorio-amniotite infraclinique est retrouvée a posteriori dans 30 % des accouchements prématurés. Elle pourrait être responsable des MAP inexpliquées (Bérardi, 1995). C’est sur cette notion que se fondent les obstétriciens, que j’ai appelés « modernes », pour dire que le traitement de la MAP est inutile et dangereux.
Dans ces situations, le dosage de la C-reactive protein est une aide au diagnostic à condition d’utiliser un seuil relativement élevé : 20 à 40 mg/L (Goffinet et al., 2005). Pour autant, la prescription d’antibiotiques par voie générale n’est pas recommandée (Kayem et al., 2005).
Toute infection, ne serait-ce que par la fièvre qu’elle provoque, peut être responsable de CU : appendicite, pyélonéphrite, infection bucco-dentaire (Jacquet, 2009). De plus, le fœtus et ses annexes peuvent être atteints par voie hématogène lors d’une bactériémie, c’est-à-dire par le passage dans le sang des bactéries venant de l’infection maternelle.
Les infections urinaires basses ou hautes, et même les bactériuries asymptomatiques sont de grandes pourvoyeuses de MAP Bérardi, 1995 ; (Kayem et al., 2005), d’où l’importance de rechercher les nitrites à la bandelette urinaire, systématiquement tous les mois, et de l’ECBU dans le bilan étiologique de MAP.
Cause mécanique
Béance cervico-isthmique, congénitale ou acquise
Selon nos définitions précédentes, il s’agit là d’un facteur à haut risque de très grande prématurité, voire de fausse couche tardive (FCT). On parle aussi d’« incompétence » du col, terme vraiment malheureux pour la mère…
Son diagnostic se fait sur l’anamnèse, et son traitement par cerclage prophylactique entre 13 et 16 SA. Le diagnostic est nettement plus difficile lors d’une première grossesse : le dépistage des modifications du col en l’absence de CU, que ce soit par le toucher vaginal ou par mesure échographique du col, revêt là toute son importance. On peut être amené à pratiquer un cerclage « à chaud ».
Mauvaise adaptation utérine
La mauvaise adaptabilité de l’utérus peut survenir en raison d’une surdistension utérine : hydramnios ou grossesse multiple (le taux d’AP est multiplié par six dans les grossesses gémellaires par rapport aux grossesses simples). Elle peut aussi être due à une malformation utérine, souvent non diagnostiquée pendant la grossesse. Celle-ci peut être acquise (fibromes, synéchies), ou congénitale : utérus cloisonné, bicorne, plus ou moins hypotrophe, associé ou non à une béance cervico-isthmique.
Facteurs favorisants non spécifiques
Ils sont étroitement mêlés aux étiologies. Ce sont :
• les conditions socio-économiques :
• les facteurs épidémiologiques :
• le facteur immunologique : en effet, depuis 1990, des travaux ont démontré un lien entre l’existence d’anticorps antithyroïdiens et le risque d’AP, même chez des femmes en euthyroïdie, ce qui serait en faveur d’un dysfonctionnement immunitaire global (Thangaratinam, 2011).
Causes inconnues
Enfin, dans la moitié des cas, on ne trouve pas de cause (Bérardi, 1995).
A contrario, comme le souligne Dayan (1999c), « certaines étiologies, en apparence organiques, n’ont pas d’explications satisfaisantes en dépit d’une valeur prédictive souvent forte : tendance à la récidive d’accouchement prématuré, PMA (procréation médicalement assistée) ». Berkowitz (1983) a montré que la fréquence des AP est deux fois plus élevée chez les femmes infertiles que dans le groupe contrôle. On peut penser que, dans ces cas où le désir de grossesse s’exprime avec tant de force et s’inscrit socialement au travers d’un traitement long et coûteux, l’ambivalence, pourtant légitime quel que soit le mode de procréation, soit autocensurée, et que le rejet du fœtus ressorte par le symptôme physique.
Ces situations si nombreuses de MAP sans causes organiques retrouvées ont excité la curiosité de nombreux chercheurs tentant de cerner des facteurs psychologiques qui, sans forcément induire une MAP à eux seuls, pourraient à tout le moins la favoriser.
Facteurs de risque psychologiques
Stress
Chez la rate gestante soumise à un stress, la conséquence est, notamment, le raccourcissement de la durée de gestation (Roegiers, Molenat, 2011). En laboratoire, chez la femme (non gestante, je vous rassure), le stress entraîne des contractions utérines ; à l’inverse, cette fois chez la femme enceinte, la relaxation diminue le nombre de CU, d’où un intérêt thérapeutique des techniques dites corporelles.
Ainsi, il y a plutôt moins d’AP dans les périodes très stressantes de guerre par exemple, quand les événements sont vécus en groupe dans une ambiance de cohésion sociale. Au contraire, un divorce sera un facteur de stress pouvant générer des contractions utérines et une MAP. La migration engendre un stress majeur.
Mimoun (2000) pose la question intéressante de savoir si le stress psychosocial induit le risque d’AP par le style de vie, le comportement ou au travers des effets des hormones du stress. On verra plus bas que F. Palacio-Espasa et N. Nanzer (2011) parlent de stress et de dépression, à la fois comme inducteurs de MAP et parfois d’AP, par le biais non seulement des hormones de stress mais aussi des conflits intimes non résolus.
Anxiété
Aucune étude n’a prouvé de lien entre prématurité et anxiété qu’elle soit état ou anxiété-trait (Dayan, 1999c). Par contre, l’annonce de la MAP génère de l’anxiété.
Dépression anténatale
Les études ne trouvent pas de lien vraiment direct entre MAP et dépression, sauf dans la population socialement défavorisée chez qui les autres facteurs de risque sont intriqués : comportements à risque, isolement, mauvaise utilisation des circuits de soin, addictions, manque de considération pour son corps, retard à consulter.
J. Dayan et al. (1999c), cependant, dans une étude portant sur 400 femmes enceintes, retrouvent un taux double de MAP chez les femmes déprimées (EPDS), même en ajustant les variables comme la gémellité. Cependant, les données sociodémographiques n’étaient pas prises en compte.
Enfin, F. Palacio-Espasa (2011) et son équipe de Genève étudient actuellement des femmes traitées médicalement pour leurs contractions utérines par des tocolytiques. D’après les premiers résultats de cette étude encore non publiée, ils constatent 3 fois plus d’AP dans les situations de stress et de dépression chez la future mère. Les entretiens réalisés auprès de ces patientes révèlent des conflits intimes avec leur propre mère, une « dépression de type masochiste ». Cependant, le symptôme somatique rend le conflit psychique plus difficile à appréhender sur la scène thérapeutique que lors d’une « simple » dépression anténatale sans transformation somatique.
Attitude psychologique globale face à la grossesse
Que ce soit par la mesure de l’ « investissement de la grossesse » (De Muylder et al., 1992) ou l’ « attitude envers la grossesse » (Mamelle et al., 1997), les chercheurs trouvent un lien direct entre les difficultés psychologiques liées à la grossesse et le risque d’accouchement prématuré. Le questionnaire de cette étude n’étudie pas directement le désir de grossesse de la femme, mais plutôt le retentissement de la grossesse sur celle-ci : image du corps, sentiment de plénitude, recherche de maîtrise…
Une large étude prospective, portant sur 8 000 femmes enceintes et leur désir de grossesse (Laukaran et Van den Berg, 1980), conclut à l’absence de corrélation entre le désir de grossesse et le terme de l’accouchement, le poids de naissance, le déroulement de l’accouchement ; par contre, les auteurs observent plus de décès périnatals, d’infections, d’hémorragies du post-partum, plus de consultations pour anxiété et d’accidents chez les femmes qui ne désiraient pas leur grossesse.
A. Blau et al. (1963) rapportaient quant à eux plus de sentiments conscients d’hostilité et de rejet de la grossesse chez les mères des enfants prématurés, un matériel inconscient livré révélant davantage de fantasmes de destruction. Mais il semble que là l’enfant soit déjà né, et on verra dans les conséquences de la prématurité combien le trop petit, né trop tôt est disqualifiant pour la mère, les sentiments d’hostilité « au-delà de l’ambivalence normale » étant alors courants. Encore une fois, il faut se méfier de ne pas mélanger les causes et les conséquences de la prématurité.
Personnalité de la parturiente à risque d’accouchement prématuré
Chez les femmes qui ont accouché prématurément, on trouverait des traits de personnalité communs : des femmes plus nerveuses, anxieuses, dépendantes et immatures, narcissiques, ayant plus de préoccupations corporelles notamment des difficultés à assumer les transformations physiques de la grossesse, une fragilité de l’identité féminine. Elles auraient une image maternelle dominante, la mère étant un modèle ou au contraire un anti-modèle absolu. Enfin un conflit entre le désir de grossesse et les ambitions professionnelles est décrit (Herms et al., 1982).
Notons que nous avons exposé sensiblement les mêmes traits dans la partie traitant des vomissements incoercibles de la grossesse (cf. p. 69). Comme si, sur un terrain semblable, les conflits psychiques non élaborés prenaient des voies d’extériorisation physiques différentes. Comme si le non-accès à l’ambivalence et la difficulté à intégrer les métamorphoses psychiques de la grossesse, chez certaines femmes, entraînaient la somatisation sous différentes formes ; l’intensité et la gravité des symptômes, aussi bien dans l’exemple des vomissements que dans celui de la MAP, suivraient le curseur de l’impossibilité à symboliser.