5: Maladies hématologiques

Chapitre 5 Maladies hématologiques


Le sang se compose de globules rouges, globules blancs, plaquettes et plasma. Le plasma est le composant liquide du sang qui contient du fibrinogène soluble, et dans lequel les autres composants sont en suspension. Le sérum est ce qui reste après la formation du caillot de fibrine.


L’hématopoïèse est la formation des cellules sanguines. La moelle osseuse est la seule source de cellules sanguines pendant l’enfance et la vie adulte. Les cellules souches pluripotentes sont à l’origine des lignées suivantes.



Les réticulocytes sont des globules rouges jeunes qui viennent d’être libérés de la moelle osseuse et qui contiennent encore de l’ARN. Ils sont plus grands que les globules rouges matures et représentent normalement 0,5 à 2,5 % du total des globules rouges circulants. La numération des réticulocytes permet l’évaluation de l’activité érythroïde dans la moelle osseuse ; normalement, leur nombre augmente après une hémorragie, une hémolyse et après traitement par des agents érythropoïétiques spécifiques en cas de déficience.



Anémie


La principale fonction physiologique de l’hémoglobine (Hb) est de transporter l’oxygène des poumons aux tissus. L’Hb est un tétramère composé de deux paires de chaînes polypeptidiques de globine : une paire de chaînes alpha et une paire de chaînes non alpha. Un groupe hème, composé d’une seule molécule de protoporphyrine IX contenant un seul ion ferreux (Fe2+), est lié de façon covalente à un site spécifique de chaque chaîne de globine. Le fer héminique constitue le site d’oxygénation et de désoxygénation de l’Hb.


L’anémie est une diminution du taux d’Hb dans le sang en dessous des normes établies en fonction de l’âge et du sexe de l’individu. Une réduction du taux d’Hb est généralement accompagnée par une diminution du nombre de globules rouges (GR) et de l’hématocrite (Ht), même si une augmentation du volume plasmatique (par exemple en cas de splénomégalie massive) peut provoquer une anémie alors que le nombre de GR et l’hématocrite restent normaux (anémie par dilution). Le tableau 5.1 indique les valeurs normales des paramètres sanguins, qui sont mesurés au moyen de compteurs de cellules automatisés dans le cadre des hémogrammes de routine.


Tableau 5.1 Valeurs sanguines normales chez l’adulte











































  Homme Femme
Hb (g/dl) 13,5–17,5 11,5–16
Ht (hématocrite, l/l) 0,4–0,54 0,37–0,47
Hématies (1012/l) 4,5–6,0 3,9–5,0
VGM (fL) 80–96
TCMH (pg) 27–32
CCMH (g/dl) 32–36
IDR (%) 11–15
Leucocytes (109/l) 4,0–11,0
Plaquettes (109/l) 150–400
VS (mm/h) < 20
Réticulocytes 0,5–2,5 % (50–100 × 109/l)

CCMH : concentration corpusculaire moyenne en hémoglobine ; Hb : hémoglobine ; IDR : indice de distribution des globules rouges ou index d’anisocytose (une augmentation indique une plus grande variation dans la taille des globules rouges, certains étant plus grands et d’autres plus petits) ; TCMH : teneur corpusculaire moyenne en hémoglobine ; VGM : volume globulaire moyen des globules rouges ; VS : vitesse de sédimentation.






Anémie microcytaire


Une microcytose reflète généralement une diminution de la teneur en Hb des GR ; elle est souvent associée à une réduction de la teneur corpusculaire moyenne en hémoglobine (TCMH) et de la concentration corpusculaire moyenne en hémoglobine (CCMH), ce qui donne un aspect hypochrome au frottis sanguin. Les causes d’anémie microcytaire sont énumérées dans le tableau 5.2 : les thalassémies mineures α ou β (voir plus loin) sont associées à une microcytose habituellement sans anémie.



Carence en fer


Le fer est nécessaire pour la formation de l’hème et la carence en fer est la cause la plus fréquente d’anémie dans le monde. Le régime alimentaire quotidien moyen dans les pays développés contient 15 à 20 mg de fer, bien que normalement 10 % seulement soient absorbés, principalement dans le duodénum. L’absorption intestinale régule la teneur en fer de l’organisme ; elle augmente sous l’effet de l’acidité gastrique, en cas de carence en fer ou d’amplification de l’érythropoïèse. L’élimination du fer est fixée à 1 mg/jour ; elle se produit par la desquamation des cellules cutanées et muqueuses ainsi que par la sueur, l’urine et les selles. En raison de leurs règles, les femmes, avant la ménopause, sont souvent à la limite d’une carence en fer. On distingue deux formes de fer alimentaire.



Dans le plasma, le fer est transporté par la transferrine, une protéine synthétisée dans le foie et normalement saturée en fer à environ un tiers de sa capacité (fig. 5.1). Le fer de l’organisme est présent surtout dans l’hémoglobine des précurseurs érythroïdes et des globules rouges, le reste étant stocké sous forme de ferritine et d’hémosidérine dans les hépatocytes, les muscles et les macrophages.






Examens




La carence en fer est presque toujours la conséquence d’un saignement gastro-intestinal chronique, souvent occulte, chez les hommes et les femmes après la ménopause. Un examen plus approfondi de l’appareil gastro-intestinal est nécessaire pour déterminer la cause de la perte de sang. L’anémie ferriprive chez les femmes avant la ménopause est généralement le résultat de la perte de sang menstruel. Dans ce groupe, le seul examen nécessaire est la sérologie de la maladie cœliaque, et une endoscopie uniquement en présence de symptômes intestinaux ou d’antécédents familiaux de cancer colorectal (deux parents au premier degré ou un < 45 ans).





Anémie des maladies chroniques


Cette anémie survient chez les patients atteints de maladies inflammatoires chroniques, comme la maladie de Crohn et la polyarthrite rhumatoïde, d’infections chroniques, comme la tuberculose, un cancer ou une maladie rénale chronique. L’anémie est normochrome, normocytaire ou microcytaire. Les résultats de laboratoire caractéristiques sont un faible taux de fer sérique, une moindre capacité de fixation du fer sérique (fig. 5.1) et un taux sérique de ferritine augmenté ou normal. Les mécanismes exacts responsables de ces effets ne sont pas clairs ; l’offre de fer de la moelle osseuse aux érythroblastes en développement serait moindre ; la réponse à l’érythropoïétine à l’anémie serait inadéquate et la production hépatique d’hepcidine augmenterait. Ce petit peptide se lie à la protéine exportatrice du fer, la ferroportine, à la surface basolatérale des entérocytes duodénaux, provoquant ainsi son internalisation et sa dégradation. Le traitement de l’anémie des maladies chroniques est celui de la cause sous-jacente ; parfois, on recourt à l’érythropoïétine recombinante.




Anémie macrocytaire


La macrocytose est une augmentation anormale du volume moyen des globules rouges. Les anémies macrocytaires peuvent être réparties en types mégaloblastique et non mégaloblastique, selon l’aspect du myélogramme. En pratique, la macrocytose est habituellement étudiée sans le recours à un examen de la moelle osseuse. Les premiers examens sont les dosages de la vitamine B12 sérique et du folate érythrocytaire.




Carence en vitamine B12


en vitamine B12Les produits animaux (viande et produits laitiers) constituent la seule source alimentaire de vitamine B12 pour les humains. Le besoin journalier, qui est de 1 μg, est facilement couvert par une alimentation équilibrée occidentale, qui en fournit 50 à 30 μg par jour. La vitamine B12 est libérée des complexes protéiques des aliments par l’acide gastrique et la pepsine et se lie à une protéine porteuse provenant de la salive (de liaison « R »). La B12 est ensuite libérée par les enzymes pancréatiques et se lie au facteur intrinsèque, qui, avec les ions H+, est sécrété par les cellules pariétales gastriques. Ce complexe passe dans l’iléon terminal, où la vitamine B12 est absorbée et transportée vers les tissus par le transporteur protéique, la transcobalamine II. La vitamine B12 est stockée dans le foie, où les réserves sont suffisantes pour 2 ans ou plus. Environ 1 % d’une dose orale de vitamine B12 est absorbée « passivement » sans avoir besoin de facteur intrinsèque, principalement à travers le duodénum et l’iléon. Le tableau 5.3 énumère les causes de carence en vitamine B12.


Tableau 5.3 Causes de carence en vitamine B12





Faible apport alimentaire
Végétaliens
Absorption réduite
Estomac


Intestin grêle



Utilisation anormale
Carence congénitale en transcobalamine II (rare)
Oxyde nitreux (inactive B12)


Anémie pernicieuse


L’anémie pernicieuse est une maladie auto-immune responsable d’une gastrite atrophique (infiltration de lymphocytes et plasmocytes dans le fundus) avec perte des cellules pariétales et achlorhydrie ; le facteur intrinsèque ne peut donc plus être produit et la vitamine B12 absorbée. Elle est la cause la plus fréquente de carence en vitamine B12 chez les adultes dans les pays occidentaux.








Carence en folate


Le folate est présent dans les légumes verts et les abats comme le foie et les reins. Il est absorbé dans l’intestin grêle. L’exigence quotidienne pour le folate est de 100 à 200 μg et un régime normal équilibré en contient 200 à 300 μg. Les réserves de l’organisme sont suffisantes pour environ 4 mois, mais une carence en folate peut se développer beaucoup plus rapidement chez les patients qui en ingèrent peu ou qui en utilisent davantage, par exemple les patients en soins intensifs. La principale cause de carence en folate est un apport insuffisant, éventuellement combiné avec une utilisation excessive ou avec une malabsorption (tableau 5.4).


Tableau 5.4 Causes de carence en folate


















Ingestion trop faible Age avancé, pauvreté, alcoolisme (aussi mauvaise utilisation), anorexie
Malabsorption Maladie cœliaque, maladie de Crohn, sprue tropicale
Utilisation excessive Physiologique : grossesse, allaitement, prématurité
  Pathologique : anémie hémolytique chronique, maladies malignes et inflammatoires, dialyse rénale
Médicaments Phénytoïne, triméthoprime, sulfasalazine, méthotrexate






Anémie causée par insuffisance médullaire (anémie aplasique)


L’anémie aplasique est définie comme une pancytopénie (insuffisance de tous les éléments cellulaires du sang) avec hypocellularité (aplasie) de la moelle osseuse. C’est une affection rare mais grave qui peut être héréditaire, mais est le plus souvent acquise. Le nombre de cellules souches pluripotentes est réduit, et celles qui restent sont défectueuses ou sont la cible d’une réaction immunitaire, en sorte qu’elles sont incapables de repeupler la moelle osseuse. L’aplasie peut aussi ne toucher qu’une seule lignée cellulaire, par exemple celle des globules rouges.







Soins


Le traitement comprend le retrait de l’agent en cause, des soins de soutien et certains traitements décrits ci-dessous. Les transfusions sanguines et les plaquettes sont utilisées avec prudence pour éviter une sensibilisation des candidats à une greffe de moelle osseuse. Les patients ayant une neutropénie sévère (polynucléaires neutrophiles < 500 cellules/μl) courent le risque d’infections graves bactériennes, mycotiques (par exemple Candida et Aspergillus) et virales (herpès). La fièvre chez un patient neutropénique est une urgence médicale (encadré 5.1– Urgence).



Encadré 5.1 – Urgence Évaluation et traitement d’une septicémie neutropénique suspecte


Il faut suspecter une septicémie chez un patient neutropénique (neutrophiles < 1 × 109/l) qui est fiévreux, qui montre des signes de confusion, qui est tachycarde, hypotendu, dyspnéique ou hypotherme.


Évaluation



Examens



Antibiotiques



L’évolution de l’anémie aplasique est très variable, allant d’une rémission rapide spontanée à une pancytopénie persistante de plus en plus grave, qui peut conduire à la mort par hémorragie ou infection. Les caractéristiques qui indiquent un mauvais pronostic sont : un nombre de neutrophiles < 0,5 × 109/l, de plaquettes < 20 × 109/l et de réticulocytes < 40 × 109/l.


Chez les patients qui ne guérissent pas spontanément, les options thérapeutiques sont les suivantes.




Anémie hémolytique


Les anémies hémolytiques sont la conséquence d’une destruction accrue des globules rouges avec une réduction de leur durée de vie en circulation, qui est normalement de 120 jours. De manière compensatoire, l’activité médullaire augmente, ce qui se traduit par la libération prématurée de précurseurs érythrocytaires (réticulocytes, voir au début du chapitre).


La destruction des globules rouges peut être extravasculaire (au sein du système réticuloendothélial) ou intravasculaire (dans les vaisseaux sanguins). Dans la plupart des affections hémolytiques, la destruction des globules rouges est extravasculaire, et les cellules sont retirées de la circulation par les macrophages du système réticuloendothélial, en particulier dans la rate. Le tableau 5.8 énumère les causes de l’anémie hémolytique chez les adultes.


Tableau 5.8 Causes d’anémie hémolytique









Héréditaires Acquises
Défectuosité membranaire des hématies


Anomalies de l’hémoglobine




Défauts métaboliques


Immunitaires


Non immunitaires



G6PD : glucose-6-phosphate déshydrogénase.


Lorsque les hématies sont dégradées dans la circulation, l’hémoglobine apparaît dans le plasma sous la forme oxydée, la méthémoglobine, qui se dissocie en globine et ferrihème. La liaison de celui-ci à l’albumine forme la méthémalbumine, qui peut être détectée dans le plasma (test de Schumm). L’hémoglobine libre se lie à l’haptoglobine plasmatique ; le complexe est rapidement éliminé par le foie, ce qui entraîne une réduction du taux plasmatique d’haptoglobine. L’hémoglobine non liée à l’haptoglobine traverse les glomérules rénaux et apparaît dans l’urine (hémoglobinurie). Certaines molécules sont cependant décomposées dans les cellules tubulaires rénales et se retrouvent dans les urines sous forme d’hémosidérine. La figure 5.2 montre la démarche diagnostique face à un cas suspect d’anémie hémolytique.




Anémies hémolytiques héréditaires


Les anémies hémolytiques héréditaires sont dues à des défauts dans un ou plusieurs composants de l’érythrocyte mature :




Défectuosités membranaires



Sphérocytose héréditaire


C’est l’anémie hémolytique héréditaire la plus fréquente chez les Européens du nord ; elle est transmise de façon autosomique dominante. Un défaut dans la membrane des globules rouges provoque une augmentation de la perméabilité au sodium, les globules rouges deviennent sphériques, sont plus rigides et moins déformables que des globules rouges normaux ; ils sont détruits prématurément dans la rate. La cause la plus fréquente de la sphérocytose héréditaire est un déficit de la spectrine, une protéine entrant dans la structure membranaire des globules rouges.







Anomalies de l’hémoglobine


L’Hb adulte normale est constituée de l’hème et de deux chaînes polypeptidiques des globines, α et β. Les hémoglobinopathies peuvent être classés en deux sous-groupes, l’anomalie portant sur la production ou la structure des chaînes polypeptidiques (tableau 5.9).




Thalassémie


Dans l’Hb normale, la production de chaînes α et β est équilibrée (1 : 1). Les thalassémies sont causées par un ou plusieurs défauts géniques, aboutissant à une réduction de la production d’une ou de plusieurs chaînes de globine. La production déséquilibrée conduit à la précipitation des chaînes de globine dans les globules rouges ou leurs précurseurs. Il en résulte des dommages cellulaires, la mort de précurseurs érythrocytaires dans la moelle osseuse (érythropoïèse inefficace) et de l’hémolyse. Les thalassémies touchent les gens partout dans le monde. Il existe deux types principaux :




Thalassémie β


Dans la thalassémie β homozygote, la production faible ou nulle de la chaîne β conduit à un excès de chaînes α. Celles-ci se combinent avec les chaînes δ et γ, conduisant à une augmentation de l’Hb A2 et de l’Hb F. Il existe trois principales formes cliniques de thalassémie β.







Diagnostic prénatal des anomalies de l’hémoglobine


Une analyse de l’ADN pratiquée sur des échantillons de villosités choriales prélevés au cours du premier trimestre, ou un test sur le sang du cordon ombilical au cours du deuxième trimestre, permet la mise en évidence d’anomalies graves de l’hémoglobine chez un fœtus. En cas de résultat positif, il faut proposer l’interruption de la grossesse. Cet examen est indiqué si un test prénatal chez la mère a révélé une anomalie de l’hémoglobine et si le père est également affecté.




Anémie falciforme



Caractéristiques cliniques


Comme la production d’Hb F est normale, la maladie ne se manifeste en général qu’après d’âge d’environ 6 mois, au moment où l’Hb F a diminué pour atteindre le taux normal de l’adulte. La variabilité phénotypique est extrême, certains patients n’ayant peu ou aucun symptôme, alors que d’autres souffrent de crises récurrentes et ont une espérance de vie nettement réduite.





Problèmes à long terme

La nécrose avasculaire a comme conséquence, chez les enfants, le raccourcissement et la déformation des os. Les autres complications de la vaso-occlusion sont l’atrophie splénique (ce qui prédispose à l’infection par le pneumocoque, les salmonelles et par Haemophilus), l’ischémie rétinienne, qui peut occasionner une rétinopathie proliférative et une perte visuelle, et un infarctus cérébral, cause de divers troubles neurologiques. Une échographie-Doppler transcrânienne mesure la vitesse moyenne du flux sanguin dans les grands vaisseaux intracrâniens et permet de dépister les patients à risque élevé d’accident vasculaire cérébral (AVC) et de les faire bénéficier d’une transfusion prophylactique. Une séquestration de globules rouges dans les corps caverneux est cause de priapisme (érection douloureuse prolongée) puis d’impuissance. L’hémolyse chronique est associée à une formation accrue de calculs biliaires pigmentés. Les autres complications de la drépanocytose sont une maladie rénale chronique, des ulcères, une ostéomyélite, de l’hypertension pulmonaire et un syndrome thoracique aigu. Ce dernier est une urgence médicale, caractérisée par de la fièvre, de la toux, de la dyspnée et des infiltrats pulmonaires visibles à la radiographie du thorax. Il est causé par une infection, une embolie graisseuse à partir de la moelle osseuse nécrotique ou par un infarctus pulmonaire dû à la séquestration des cellules falciformes.


Aug 1, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 5: Maladies hématologiques

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