Chapitre 5 Le narcissisme primaire et la symbolisation primaire
Dans l’Antiquité, le symbole a pour origine la particularité d’être constitué de deux parties séparées d’un objet. Pour que l’objet retrouve sa signification, son sens, il faut que les deux parties soient rassemblées afin de redonner à l’objet son unité et son sens. On utilisait vraisemblablement ce stratagème lors des conflits armés pour garantir à celui qui recevait un message que le messager était fiable. Chacun possédait une partie de l’objet et c’est ce rassemblement des deux parties, la mise en commun qui garantissait la validité du message.
On assiste à une transformation des formes de symbolisation en fonction des phases d’évolution du sujet. À l’adolescence, on peut considérer qu’un travail de symbolisation tertiaire s’accomplit dès lors qu’il s’agit de symboliser ce qui peut désormais s’accomplir (l’inceste) pour qu’il n’ait pas lieu. À la phase œdipienne, l’enfant devait symboliser ce qu’il ne pouvait accomplir (interdit de l’inceste) R. Roussillon (2007).
À travers la symbolisation, la phase essentielle de la vie psychique ce sont donc la rencontre, les modalités de la rencontre et les conditions de son déroulement. Rencontre entre deux subjectivités (mère-bébé) qui ne cessent de s’ajuster, qui passent 60 % du temps de leur rencontre à s’ajuster et même à se transformer mutuellement. On mesure dès lors la forme que prend cette rencontre. Il s’agit prioritairement d’un dialogue tonico-émotionel, sensoriel, sensori-moteur, affectif, mimétique, gestuel, postural, libidinal et verbal. D’où la nécessité d’inscrire cet ensemble de dialogues dans « des langages des corps » décrits précédemment.
Coordination des flux sensoriels
Le tout premier dialogue s’instaure autour de la sensorialité, autour des « flux sensoriels ». Le but de la rencontre est de favoriser les états de rassemblement, l’échec de la rencontre crée à l’opposé, des états de démantèlement. La sensorialité du bébé, comme nous l’avons décrite précédemment, ne peut se satisfaire d’elle-même sauf dans les cas de morbidité. Les premières coordinations des flux sensoriels permettent de situer l’objet dans l’espace (notamment à travers l’œil, la main, la bouche), elles dépendent de la qualité de la rencontre. Le premier niveau consiste en une reconnaissance des états sensoriels et émotionnels du vécu du bébé par la mère. Le dernier niveau étant le signe qu’elle lui donne que cette reconnaissance qualifie son état psychique. Ainsi, la reconnaissance en écho des émois du bébé par la mère, qui lui montre qu’elle fait le miroir de ses émotions, permet une première intégration d’un état de lui-même. La mère, en imitant les émois du bébé, en exagérant les signes de ses émois, lui indique qu’elle est en train de lui signaler un état de lui-même. En jouant l’image du même elle montre sa différence. Alors qu’à l’opposé, si elle montre sa propre colère ou sa propre dépression, le bébé, non encore différencié, va incorporer l’état de sa mère en colère ou déprimée comme état de lui-même. Tout se joue dans un dialogue « homosexuel primaire en double » R. Roussillon (2008), ce qui signifie que la mère fait le miroir du bébé mais, qu’en retour, celui-ci imite sa mère dans le but de la comprendre. Nous pouvons retrouver ce développement dans l’ouvrage dirigé par J. Nadel et J. Decety : « Imiter pour découvrir l’humain » (2002).
Nous avons développé par ailleurs la question de la différence de plaisir qui accompagne le sexuel précoce et la sexualité adulte. Ainsi, la rencontre entre deux sexualités éprouvant du plaisir, notamment au cours de l’allaitement, est un stimulant, un attracteur de la curiosité que le bébé va éprouver face à l’énigme du plaisir de l’autre. Rappelons qu’un des fondements de la transitionnalité a pour but de rendre indécidable l’originaire. À ce stade du narcissisme et au cours de la symbolisation primaire, la rencontre mère-bébé fonde l’ipséité, relation mimétique en double, et l’identité entre hallucination et perception.
Dans la pensée de D.W. Winnicott, il s’agit d’un moment essentiel qui fonde l’illusion du « trouvé-créé ». Lors de cette phase fondamentale du nourrissage, tout se passe comme si les dialogues entre les corps, les différents langages des corps étaient rassemblés, le sein est créé par le bébé, mais il était déjà là, donc trouvé pour être créé. L’illusion du trouvé-créé est organisée à partir de ce paradoxe, elle préfigure une scène primitive au cours de laquelle le sujet découvre que ses parents l’ont créé, mais il est déjà là pour en décrire la scène.
En résumé, R. Roussillon nous donne une définition du paradoxe du narcissisme primaire : « L’investissement de l’objet se superpose à l’investissement de soi-même sans antagonisme pour autant que l’investissement de l’objet vienne refléter ses propres états ou des états correspondants au mode près. » (2008).

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