5. L’agressivité dans la relation de soin

ne jeune infirmière entre dans la chambre d’un patient, dans un hôpital, afin de lui faire une perfusion. Nouvelle dans la profession, elle tente de faire de « l’humour »: « Ah, bah, vous allez souffrir ! Vous avez pas de chance, vous. Je débute et je ne sais pas faire les perfusions. C’est ma première. Il risque d’y avoir du sang partout. Bon, tant pis, hein ? » Puis elle se met à rire toute seule à sa « blague ». En fait, le patient, peu rassuré, choisit de se laisser faire quand même, d’ailleurs, elle ne lui a pas laissé le choix puisque l’infirmière s’est saisi de son bras en débitant tout cela, avec une certaine nervosité dans les gestes et une voix extrêmement aiguë, désagréable et avec un débit rapide qui ne laissait pas de place à une possible réponse du patient. Résultat : la perfusion fut posée sans problème et le patient, rendu nerveux par l’entrée en matière de la jeune infirmière, a pu alors se détendre, sans comprendre très bien pourquoi cette infirmière lui avait dit tout cela. L’infirmière le laissa dans sa perplexité, sans autre mot, et disparut après avoir accompli son devoir. »






L’« humour » de cette jeune professionnelle débutante, sans doute peu à l’aise d’avoir à poser cette perfusion, apparaît comme une défense contre son angoisse, angoisse dévoilée par la prosodie de sa voix et son débit rapide. Une certaine agressivité ressort de cette plaisanterie puisqu’en fait, elle fait mention, de manière exagérée, d’une possible souffrance du malade (« du sang partout »). Cette agressivité, liée à la peur, est dirigée vers le patient parce qu’il est considéré inconsciemment par la jeune débutante comme fautif d’un risque de mise en échec qu’elle redoute (donc comme un mauvais objet pour elle). Elle craint la remise en question de ses compétences à travers sa peur de faire du mal au patient. Elle choisit de dire son émotion de manière détournée (c’est cela qui est agressif, cet humour noir dont elle fait preuve) et dans une attaque agressive où surgit la destruction (le risque de destruction dont elle tente de se dire à l’avance que ce ne sera rien : « Il risque d’y avoir du sang partout. Bon tant pis, hein ? »). Garder ses craintes pour elle ou dire calmement au patient qu’elle a besoin de sa coopération pour poser sa première perfusion aurait été préférable.

L’ambivalence de l’agressivité apparaît bien dans cet exemple puisqu’elle est à la fois destinée à entrer en relation avec le patient (de manière très maladroite) tout en le sacrifiant (en l’angoissant) au but d’éliminer la tension interne que créait la nécessité de poser cette première perfusion. C’est une agressivité pulsionnelle ici qui n’avait pas pour but de détruire intentionnellement l’autre mais plutôt de soutenir narcissiquement le moi de l’infirmière qui, ainsi, croyait ne pas dévoiler ses peurs qu’elle dissimulait (à elle-même aussi) sous une apparente plaisanterie, comme pour annuler ainsi le risque d’incompétence.

Inquiéter une personne malade peut avoir des conséquences négatives sur son moral : la perte de confiance en l’infirmière par exemple peut retarder une guérison ou la compliquer s’il s’y ajoute une angoisse liée à un doute sur les capacités professionnelles du soignant.




L’humour contre l’agressivité : l’expérience d’une jeune infirmière dans un service de rééducation en gériatrie


L’humour, s’il est bien employé, c’est-à-dire comme trait d’esprit destiné à susciter le rire, peut se révéler un bon moyen de répondre à l’agressivité en la détournant, en se décalant du discours de la personne au lieu de le prendre violemment pour soi.

Une jeune infirmière qui commence à travailler en gériatrie, dans un service de rééducation me rapporte l’échange suivant avec un patient :

« B9782294701924500053/u05-02-9782294701924.jpg is missing‘arrive dans le service, c’était mon premier jour et le premier patient que je vais voir me repousse énergiquement, avec un regard dur et un ton catégorique : « Allez-vous en ! Ne me touchez pas ! Je déteste les blouses blanches ! » Alors, je lui réponds calmement et avec un sourire : « Mais moi, je suis une petite bleue, je commence. » Il m’a regardée, surpris, et il a eu un petit rire : « Ah, alors, ça va, les débutants, ils se sentent souvent très impliqués avec les malades. » Bon, au début, j’ai tâtonné, mais c’est pas grave, ça s’est bien passé. Je crois que c’est une question d’attitude. Ça commençait plutôt mal mais après, la relation a été vraiment facile. »




Le mot d’esprit de l’infirmière débutante a permis de désamorcer chez ce monsieur une hantise du corps médical dont on ne sait pas à quoi elle est liée dans son histoire. En tout cas, au lieu de se laisser décourager et décontenancer par un accueil peu chaleureux, la jeune infirmière a eu la ressource d’une répartie agréable, décalée par le ton et le contenu des propos du patient. Ce décalage provoque surprise et apaisement chez celui-ci qui, en outre, loin de se trouver anxieux de voir une débutante s’occuper de lui, s’en montre même ravi puisqu’il associe les notions de plus grande implication et application dans le soin au professionnel débutant.

Dans cet exemple, l’infirmière montre, par sa réponse, qu’elle a entendu son patient, son inquiétude et elle adapte sa répartie à l’expression du patient à travers le jeu de mots reposant sur les couleurs « blouse blanche/petite bleue », ceci au sein d’un transfert positif pour ce patient malgré sa réaction de rejet. Elle transforme la tentative d’assimilation de tous les membres d’une équipe médicale à une masse informe incompétente connotée par la couleur blanche, en se distinguant de manière géniale par la désignation « petite bleue » marquant avec humilité (« petite ») sa singularité et sa nouveauté susceptibles d’apaiser le patient.

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May 9, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 5. L’agressivité dans la relation de soin

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