Chapitre 5. Coping et sclérose en plaques
Thibault Moreau
CopingLa sclérose en plaques (SEP) est une maladie invalidante, atteignant préférentiellement les adultes jeunes, en pleine période de projets d’existence, aussi bien socioprofessionnels que familiaux. L’existence de la SEP entraîne des conséquences sur la qualité de viequalité de vie comme sur l’état psychique (humeur, anxiété). L’imprévisibilité évolutive de la SEP rend encore plus compliqués les engagements dans les projets de vie. Le cheminement psychique d’un malade atteint de SEP se fait par plusieurs étapes, à des temps différents, adaptées à chaque personne. La première étape marquante est l’annonce du diagnostic, qui est une étape cruelle, brutale, entraînant une sidération émotionnelle considérable. Le malade passe par des périodes de dénidéni, de révolte, d’anxiétéanxiété, de peur, de désespoir, de marchandage et enfin, dans le meilleur des cas, d’acceptation. De nombreuses recommandations ont été proposées aux neurologues praticiens pour rendre cette étape moins douloureuse, fondées sur la disponibilité du médecin annonceur, sur sa capacité à prévoir une stratégie pour les années à venir et enfin sur l’individualisation d’un soutien proche pour aider le malade. Dès cette période, le neurologue s’interroge sur la quantité et la qualité des informations sur la maladie qu’il se doit de donner au malade en fonction de sa personnalité et de sa réaction à l’annonce diagnostique. Plus tard au cours de l’évolution de la SEP, les patients, en fonction de leur contexte de vie, de leur âge, de leur capacité d’adaptationadaptation et de défensedéfense, installeront une stratégie cognitive et comportementale pour gérer les difficultés de la maladie. Cette stratégie dépendra bien sûr des ressources du sujet, des événements de vie, des paramètres de la SEP. Cette adaptation psychologique à la SEP peut engendrer des troubles tels que la dépression, l’anxiété et altérer grandement la qualité de viequalité de vie.
Les stratégies de «coping» permettent, d’une part, de mieux comprendre le parcours et le vécu du malade atteint de SEP au cours de sa maladie, d’autre part, d’apporter des éléments au neurologue pour gérer au mieux cette prise en charge dès l’annonce diagnostique.
Définition du «coping»
Le concept de «coping» a été introduit dans les années 1960 par Lazarus, d’après le terme anglais to cope with, qui se traduit par faire face, gérer, s’adapter [1]. Le coping se définit comme les efforts cognitifs et comportementaux, constamment changeants, destinés à gérer les exigences internes et/ou externes spécifiques qui sont perçues comme menaçantes ou débordant les ressources d’une personne. En fait, les stratégies de coping adoptées par un individu face à une mauvaise nouvelle vont permettre au sujet de s’adapter à la situation, soit en modifiant cette dernière, soit en modifiant au contraire son état cognitivo-émotionnel. Le choix de la stratégie utilisée est un mécanisme la plupart du temps inconscient, mais le sujet dans certaines circonstances peut en prendre conscience. Le coping varie d’un individu à l’autre; il peut changer en fonction de la situation (stratégie différente face à une difficulté professionnelle ou lors d’un souci familial…) et dans le temps. Il serait également influencé par l’anxiété-trait des sujets. Le caractère imprévisible d’une maladie semble jouer un rôle significatif dans la stratégie de coping utilisée, avec une surreprésentation du coping sur l’émotion [2, 3].
Il existe plusieurs stratégies de coping :
• le coping centré sur l’émotion : il regroupe l’ensemble des stratégies qui ont pour but de contrôler l’attention émotionnelle, c’est-à-dire l’évitement, la réévaluation positive, l’expression émotionnelle, l’autoaccusation, les rêveries… Ces items réunissent le fait de «se sentir mal», de culpabiliser, de souhaiter changer, d’espérer un miracle (pensée magique), de souhaiter modifier la situation, d’essayer de tout oublier, de s’autocritiquer… C’est une stratégie orientée vers la personne;
• le coping centré sur le problème ou la tâche : il correspond à l’ensemble des efforts que le sujet entreprend pour affronter la situation, c’est-à-dire la mise en place de recherches d’informations de moyens d’action, de plans d’action et les actions effectives. Les items de ce type de coping regroupent des efforts pour résoudre le problème, suivre un plan d’action, se battre, se sentir plus fort, prendre les choses une par une, trouver des solutions… C’est une stratégie orientée vers la tâche, le problème.
D’autres stratégies de copingcoping ont été proposées dans la littérature, souvent redondantes avec les catégories de Lazarus [[4][5][6] and [7]] :
• le coping centré sur la recherche du soutien social implique le fait de solliciter et d’obtenir de l’aide d’autrui. Les items correspondants sont demander des conseils, une intervention concrète, l’aide d’un professionnel, mais aussi le soutien émotionnel d’autrui, savoir accepter sa sympathie, parler à quelqu’un de ce que l’on ressent et ne pas s’isoler;
• le coping centré sur l’évitement comprend deux composantes : la diversion sociale, qui a pour objectif d’aller voir d’autres personnes pour penser à autre chose, pour parler d’autre chose, et la distraction, qui fait adopter par l’individu une tâche de remplacement (aller au cinéma, voir une exposition, faire du sport) [8].
Efficacité du coping
Classiquement, il est reconnu dans la littérature que les stratégies «du problème» sont les plus efficaces pour diminuer la détresse émotionnelle (dépression et anxiétéanxiété) et sont corrélées à une meilleure qualité de viequalité de vie [4]. À l’opposé, les stratégies «émotionémotion» sont associées avec la détresse émotionnelle et une altération de la qualité de vie [9, 10]. Toutefois, suite à l’annonce du diagnostic par exemple, un coping «émotion» peut permettre au sujet de mobiliser ses ressources psychiques et d’adapter dans un deuxième temps une stratégie plus adéquate et moins génératrice d’altération de la qualité de vie.
Outils de mesure du coping
Ils sont fondés sur des autoquestionnaires comportant globalement des questions sur l’attitude de l’individu face à une situation stressante. Par exemple, la Coping Inventory for Stressful Situations (CISS)CISS (Coping Inventory for Stressful Situations) comporte 48 items avec des cotations de 1 (pas du tout) à 5 (Beaucoup), avec 16 questions correspondant à un coping orienté vers la tâche, 16 questions sur un coping orienté vers l’émotion, et 16 questions sur un coping orienté vers l’évitement, dont 8 items correspondent à la diversion sociale et 5 à la distraction [11]. Un score global est ainsi déterminé pour mettre en évidence le coping dominant (encadré 5.1). D’autres échelles d’évaluation du coping existent, fondées sur le même principe : le Way of Coping Check list (WCC) [12, 13], le Coping with Heath Injuries and Problems (CHIP) [14], le Coping Orientation for Problem Experiences… Il existe une échelle de coping spécifique à la SEP : la Cope Dispositional Coping Styles Scale [15]. Le patient répond à 15 catégories de questions, correspondant chacune à 4 items, cotés de 0 à 5, permettant d’établir un score qui indique le style de coping utilisé, sur l’émotion ou le problème.
ENCADRÉ 5.1
Le Coping Inventory for Stressful Situations (CISS)CISS (Coping Inventory for Stressful Situations) [11]
Dans les situations stressantes, j’ai habituellement tendance à :
(0 = pas du tout, 1 = un peu, 2 = moyennement, 3 = beaucoup, 4 = énormément)
• mieux organiser le temps dont je dispose
• me centrer sur le problème et voir comment je peux le résoudre
• repenser à de bons moments que j’ai connus
• me tracasser à propos de mes problèmes
• me reprocher de m’être mis(e) dans une telle situation
• faire du «lèche-vitrine», du «shopping»
• m’offrir un de mes plats ou aliments favoris
• me dire que cela n’est pas réellement en train de m’arriver
• déterminer une ligne d’action et la suivre
• me reprocher de ne pas savoir quoi faire
• aller à une soirée, à une «fête» chez des amis
• entreprendre sans délai des actions d’adaptationadaptation
• souhaiter pouvoir changer ce qui s’est passé ou ce que j’ai ressenti
• rendre visite à un(e) ami(e)
• aller me promener
• me mettre en colère
• ajuster mes priorités
• prendre le contrôle de la situation
• profiter de la situation pour montrer ce dont je suis capable
• essayer de m’organiser pour mieux dominer la situation
• etc.
Les différentes échelles utilisées déterminent des catégories de coping souvent hétérogènes, redondantes, expliquant certaines confusions dans l’interprétation des résultats d’étude.
Coping et SEP
L’imprévisibilité de l’évolution de la SEP influence le coping utilisé par les patients [2]. Il est classique d’observer lors d’une imprévisibilité importante dans les maladies chroniques un coping «émotionémotion» plus représenté. La SEP n’échappe pas à cette règle. Ainsi, globalement, le copingcoping sur l’émotion semble préférentiellement utilisé chez les malades atteints de SEP ainsi que la stratégie fondée sur l’«évitement».
Les patients atteints de formes rémittentes adoptent davantage un coping «évitement» que ceux atteints de formes progressives [2, 3].
Parmi les patients atteints de formes progressives, ceux atteints de formes secondairement progressives, où il persiste une certaine imprévisibilité, ont tendance à utiliser davantage des stratégies de coping «émotion» que ceux atteints de formes primitivement progressives [10] (tableau 5.1). Ceux-ci utilisent surtout des stratégies de coping sur «le problème» : cette forme de SEP débute classiquement plus tardivement, a une évolution progressive au fil des mois, le plus souvent sans poussée surajoutée, ce qui limite son caractère imprévisible.
RRMS : forme rémittente; SPMS : forme secondairement progressive; PPMS : forme primaire progressive; DS : déviation standard. | |||||
Scores de coping | |||||
---|---|---|---|---|---|
Tous patients (n = 135) Moyenne (DS) | RRMS (n = 53) Moyenne (DS) | SPMS (n = 53) Moyenne (DS) | PPMS (n = 29) Moyenne (DS) | Valeurs de p ANOVA | |
Coping centré sur le problème (WCC) Coping centré sur l’émotion (WCC) Stratégies de diversion (CHIP) Stratégies palliatives (CHIP) Stratégies instrumentales (CHIP) Stratégies émotionnelles (CHIP) | 36,9 (6,8) 40,6 (9,4) 27,0 (5,7) 25,6 (5,6) 29,7 (5,2) 25,5 (7,1) | 36,8 (6,8) 40,4 (8,6) 27,2 (5,4) 25,9 (6,1) 30,1 (5,1) 25,3 (7) | 36,3 (7,2) 43,5 (9,7) 27,8 (5,9) 25,8 (5,5) 28,8 (5,9) 26,4 (7,7) | 37,9 (6,5) 35,6 (8,5) 25,5 (5,7) 24,9 (5,2) 30,8 (3,9) 24,2 (6,3) | 0,59 0,001 0,24 0,72 0,22 0,40 |
Le «dénidéni» est une stratégie plus rarement employée, surtout en début de maladie [16].

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