Chapitre 5 Cas complexes en implantologie
stratégies thérapeutiques
Au cours des trente dernières années, l’implantologie a considérablement progressé en transformant favorablement les perspectives de traitement de l’édentement partiel ou total [1]. Il apparaît que le remplacement d’une ou plusieurs dents à faible pronostic par des implants devient un choix thérapeutique rationnel naturellement reproductible. Une prothèse implantoportée réussie s’appuie sur un plan de traitement qui tient compte [2] :
Le choix d’un traitement adapté à une situation pré-implantaire distincte nécessite un bilan préopératoire exhaustif qui réunit les éléments cliniques et radiologiques requis pour poser l’indication d’un traitement par implant [4]. Les fondamentaux respectés, la mise en place d’implants – unitaire ou multiple – constitue une option de traitement usuelle pratiquée convenablement dans la majorité des cas par des praticiens généralistes et abondamment publiée avec des taux de succès voisins de 98 % [5–7]. La faisabilité d’un acte chirurgical en implantologie et son aboutissement prothétique, abordable par le plus grand nombre, sont néanmoins associés à des impératifs incontournables.
Les uns sont liés à la formation du praticien et à son sens des responsabilités pour ne pas différer le cas clinique par absence de jugement en parachevant le traitement [8]. Les autres dépendent étroitement de la spécificité du cas clinique, d’un recul suffisant à l’égard du matériel commercialisé, des moyens mis en œuvre pour aboutir à un résultat acceptable [9].
Implant unitaire et défi méthodologique en secteur antérieur
Dès lors qu’un volume osseux est préservé, l’achèvement d’un profil d’émergence idéal et la stabilité des tissus mous entourant une réhabilitation unitaire implantoportée sont facilités. Le résultat esthétique en région antérieure des maxillaires est alors conforme à l’attente des patients (encadré 5.1, figures 5.1 et 5.2). L’évolution des procédures techniques en implantologie et l’évaluation des risques ont permis de codifier parfaitement la mise en place d’un implant unitaire en région antérieure avec une reproductibilité des résultats.
Encadré 5.1 Norme esthétique actuelle avec une réhabilitation implantoportée unitaire
Agénésies dentaires
Lors d’agénésies dentaires, l’implantologie est fréquemment préférée afin de corriger une anomalie de nombre uni- ou bilatérale. Le plan de traitement est accentué sur l’étude occlusale, les rapports intermaxillaires, l’état parodontal des dents adjacentes, l’épaisseur de la table osseuse alvéolaire souvent étroite. Le bilan préopératoire analyse précisément l’existence d’un espace spécifique nécessaire à une réalisation implantoportée. Les agénésies intéressent plus souvent les deuxièmes prémolaires mandibulaires, les incisives latérales maxillaires et les deuxièmes prémolaires maxillaires. L’agénésie des incisives latérales maxillaires est mise en exergue car elle constitue un double défi (esthétique et fonctionnel) pour le praticien.
Agénésie des incisives latérales maxillaires (encadré 5.2, figures 5.3 à 5.9)
Dans cette situation, l’espace mésiodistal disponible recommandé pour mettre en place un implant de diamètre 3,5 mm, est de 6,3 mm pour la distance intercoronaire et 5,7 mm pour l’écart interradiculaire. Cet espace ainsi défini tient compte des dimensions de la prothèse définitive. Le parallélisme des racines dentaires adjacentes ne doit pas être négligé. En effet, un espace suffisant au niveau de la crête n’exclut pas une convergence radiculaire qui entrave le placement d’un implant [10]. Les cas cliniques au maxillaire antérieur traités de façon asymétrique ou symétrique nécessitent une approche interdisciplinaire (orthodontie, prothèse) pour un résultat esthétique satisfaisant quant à la restauration finale [11].
Anomalies d’éruption : la canine incluse
Face à une canine incluse asymptomatique, l’avulsion devient inévitable lorsque la dent temporaire est atteinte et que la dent retenue est en position dystopique (encadré 5.3, figures 5.10 à 5.24). Tel est également le cas lorsque la canine devient symptomatique (complications nerveuses, infectieuses, mécaniques, tumorales). Le traitement implantaire est une alternative réelle quand le réalignement orthodontique sur l’arcade est abandonné ou lorsqu’il s’agit d’éviter un traitement prothétique avec une préparation conventionnelle des dents naturelles [12].
Encadré 5.3 Avulsion d’une canine incluse
Par voie palatine : régénération osseuse préalable à une mise en place d’un implant
Fig. 5.14 Bilan radiographique à 6 mois.
La reconstruction osseuse est avérée. Aucune insuffisance osseuse n’est perceptible.
L’approche thérapeutique implique une analyse clinique qui recherche une voussure vestibulaire, palatine ou linguale (pour les inclusions de canine mandibulaire). L’examen scanner, indispensable dans un traitement à visée implantaire, localise précisément l’emplacement de la canine incluse (dans 50 % des cas, la canine est en situation palatine ; dans 30 % des cas, son orientation est vestibulaire ; dans 20 % des cas, la canine est en position intermédiaire). Cet examen identifie les structures anatomiques de voisinage, évalue les éventuelles séquelles sur les dents adjacentes et procure un bilan osseux dans les trois plans de l’espace [13].
Les suites traumatiques : dent ankylosée ectopique
L’ankylose est une complication habituelle des traumatismes mécaniques et en particulier des réimplantations dentaires (fréquentes en région antérieure des maxillaires). Chez l’enfant, l’ankylose d’une dent réimplantée conduit à un arrêt de son éruption [16] et s’accompagne d’un déficit osseux par arrêt de la croissance alvéolaire. Prise en charge tardivement, la dent ankylosée n’est plus mobilisable et un traitement orthodontique pour tracter la dent sur l’arcade s’avère inefficace. La dent reste en infraclusion pendant que les dents adjacentes achèvent leur éruption. Le décalage vertical créé entre la dent ankylosée et les dents adjacentes dresse une situation inesthétique et non fonctionnelle.
Si la croissance est terminée, l’avulsion de la dent ankylosée et son remplacement par une prothèse implantoportée reste le traitement idéal (une prothèse conjointe classique implique une préparation des dents naturelles voisines) (encadré 5.4, figures. 5.25 à 5.29). Généralement, une régénération osseuse préalable à la mise en place d’un implant est nécessaire pour préserver ou reconstruire la table osseuse alvéolaire [17].
Odontome : une tumeur bénigne odontogénique
L’odontome est une tumeur bénigne, composée de dentine, d’émail ainsi que de cément et de tissu pulpaire. L’étiologie est inconnue et, selon sa morphodifférenciation, l’odontome peut être complexe (fréquemment localisé en région mandibulaire postérieure) ou composé (il se développe surtout en région maxillaire antérieure) [18]. La plupart des odontomes sont asymptomatiques, de découverte fortuite par un examen radiologique de routine [19]. Cette tumeur à croissance lente, qui déforme le procès alvéolaire, se développe souvent aux dépens des racines dentaires. Un bilan scanner d’extension de la tumeur est nécessaire avant son exérèse chirurgicale (encadré 5.5, figure 5.30 à 5.39).
Encadré 5.5 Ablation d’un odontome : reconstruction par prothèse implantoportée
Crête osseuse alvéolaire étroite : les solutions alternatives aux greffes osseuses
La perte des dents s’accompagne généralement d’une résorption de la crête osseuse alvéolaire. La faible épaisseur de la paroi alvéolaire vestibulaire, comparée aux parois alvéolaires palatine ou linguale plus résistantes, aboutit à un taux de résorption plus accentué en vestibulaire. En édentement intercalaire, les dents adjacentes à l’édentement limitent la perte osseuse verticale. Cette physiopathologie de la résorption postextractionnelle se traduit par une transformation dimensionnelle de la crête alvéolaire qui devient étroite et fine. Ces cas cliniques, lorsque l’indication le permet, se traitent classiquement par régénération osseuse guidée ou par greffe osseuse (cf. chapitres 3 et 6) ou encore par d’autres procédés de type « mèche en titane » [20]. Ce sont des actes chirurgicaux invasifs qui nécessitent une coopération totale du patient dès le début du traitement jusqu’au résultat escompté. Selon l’état de santé du patient et le cas clinique, des options moins invasives sont également de bons pronostics.
Implants de faible diamètre
Face à une crête alvéolaire amincie et à des situations délicates (contre-indication médicale, chirurgicale, désaccord du patient pour une greffe osseuse), l’application clinique d’implants de petits diamètres est proposée comme alternative thérapeutique [21]. L’amplitude des tensions sur l’os péri-implantaire est influencée par les dimensions de l’implant [22], la qualité osseuse [23], la profondeur d’insertion de l’implant. Quelques études cliniques ont démontré une réduction des tensions en relation avec la profondeur d’insertion de l’implant et ce, quel que soit le diamètre de l’implant [24].
L’approche thérapeutique des implants de petit diamètre est également étendue aux espaces édentés interdentaires étroits avec des résultats positifs qui concernent principalement les régions antérieures des maxillaires [25, 26] (encadré 5.6, figures 5.40 à 5.43).
Encadré 5.6 Placement d’un implant de diamètre réduit en région antérieure du maxillaire
Cependant, malgré des résultats encourageants, il convient de ne pas sous-estimer les possibles complications qui dérivent de l’utilisation des implants de petit diamètre en raison de leurs résistances limitées et de leur surface d’ostéo-intégration réduite (figure 5.44).
Impératifs de placement des implants de faible diamètre
En tenant compte des récentes publications [24–26] qui développent le champ d’intérêt des implants de faible diamètre, il est possible de dégager les idées directrices retenues pour s’adapter à chaque cas clinique (tableau 5.1).
Adapter le traitement | Caractéristiques |
---|---|
Les implants de petit diamètre sont indiqués en région antérieure des maxillaires | |
Position de l’implant | De préférence le long des corticales linguale ou palatine, plus résistantes que la corticale vestibulaire |
Longueur de l’implant | Un minimum de longueur de 10 mm est recommandé pour accentuer la surface de contact avec l’os trabéculaire |
Contrôle de l’insertion de l’implant | Un enfouissement sous-crestal réduit les contraintes et améliore l’environnement biomécanique de l’implant [29] |
Implants multiples | Solidariser les éléments prothétiques pour minimiser les contraintes occasionnées par les forces occlusales ou par une guidance antérieure excessive [30] |
Complications
Expansion transversale de la crête osseuse alvéolaire et mise en place simultanée d’un implant (encadré 5.7)
Encadré 5.7 Correction osseuse transversale par expansion de la crête alvéolaire
S’agissant des insuffisances osseuses transversales limitées de la crête alvéolaire, une série d’instruments de conception nouvelle facilite la pose des implants avec un volume osseux restreint. La technique, atraumatique, associe la mise en place d’implants et une expansion osseuse progressive. Ces instruments, nommés « expanseurs » osseux ou ostéotomes (appellation variable selon les fabricants ; cf. chapitre 2) et utilisés de façon séquentielle en effectuant des mouvements latéraux vestibulopalatins ou linguaux amplifiés, créent un élargissement de la crête alvéolaire tout en amorçant la préparation du site implantaire.
Néanmoins, des complications peuvent survenir, telles que :
Les critères d’inclusion retenus pour l’indication d’une technique d’expansion osseuse sont généralement [37] :
La méthode d’expansion de la crête osseuse alvéolaire étroite peut éventuellement être combinée à une régénération osseuse guidée pour un meilleur pronostic de résultat [38].
Face à l’impossibilité de réaliser une greffe osseuse et lorsque l’indication d’implants étroits ou d’expansion de crête est rejetée dans un édentement étendu incluant une insuffisance osseuse transversale, la stratégie prothétique peut quelquefois transformer une condition clinique complexe en un cas plus simple à traiter. Chaque implant est un pilier essentiel [39] et quelques auteurs ont montré que les contraintes sont intensifiées sur trois implants supports d’une prothèse fixée pour remplacer quatre dents. Elles sont ensuite réduites quand le support prothétique est assuré par quatre ou cinq implants [40]. Toutefois, la forme de l’arcade et une répartition harmonieuse des implants jouent un rôle non négligeable dans la répartition des contraintes [41], ce qui permet d’envisager une prothèse fixe de quatre dents supportée par trois implants satisfaisant aux conditions biomécaniques comme illustré dans l’encadré 5.8.
Obstacles anatomiques à la mise en place d’implants et problématiques
Les obstacles anatomiques – tels que le sinus maxillaire, les fosses nasales, le canal palatin antérieur, le nerf alvéolaire inférieur, le foramen mentonnier – compliquent le positionnement des implants dans le sens vertical. Le recul dont nous disposons pour éloigner tout risque d’atteinte d’une structure anatomique est en faveur de procédures amplement décrites telles que le placement d’implants courts ou les greffes osseuses. Des méthodes encourageantes, comme l’usage d’implants angulés permettant de contourner un obstacle anatomique, présentent encore un recul insuffisant et méritent d’être développées [42].
La tomodensitométrie, avec les reconstructions tridimensionnelles et la planification assistée par ordinateur, permet le positionnement des implants en évitant les structures vitales. Il est alors possible de réaliser des guides chirurgicaux qui majorent la précision de la planification implantaire et changent véritablement l’approche chirurgicale [43].
Situation du nerf alvéolaire inférieur
Les préjudices les plus fréquents qui accompagnent la lésion du nerf alvéolaire inférieur, secondaires à un traitement implantaire, sont des dysfonctions sensorielles persistantes (paresthésies, dysesthésies, douleurs aiguës ou chroniques, une combinaison de signes de neuropathie). Ces complications, exceptionnelles et généralement réversibles lorsque l’implant est retiré [44], sont fréquemment attribuées à une interprétation équivoque du scanner pré-implantaire.
En effet, le trajet du nerf alvéolaire inférieur dans le canal mandibulaire est quelquefois imperceptible malgré le rapprochement des différentes coupes tomodensitométriques et notamment lorsque la mandibule est déminéralisée [45]. La mise au point des logiciels de navigation chirurgicale [46] a permis, dans les cas complexes, de lever toute équivoque relative au trajet du nerf alvéolaire inférieur et de réaliser un guide chirurgical par procédé stéréolithographique qui accroît la qualité du geste opératoire [47, 48] (encadré 5.9, figures 5.58 à 5.74).