49. Maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI)

Chapitre 49. Maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI)

Chapitre relu par J.-L. Giniès, M. le Pr


professeur de pédiatrie au CHU d’Angers



Rappel sur les maladies


MaladieMICILes maladies inflammatoires chroniques de l’intestin constituent un des problèmes majeurs de la gastroentérologie du XXIe siècle. Leur prévalence est en constante augmentation (Seddik et al., 2001). Elles touchent environ 2,5 millions de personnes dans le monde. Ce sont des maladies chroniques qui touchent des sujets jeunes, évoluent par poussées et ont une morbidité élevée. Leur étiologie est inconnue mais il existe des arguments pour une étiologie mixte, à la fois génétique et environnementale (Baron et al., 2005). Leur fréquence est plus élevée dans les pays d’Europe du Nord et dans certaines régions françaises (Colombel et al., 1990; Tourtelier et al., 2000).

En France, jusqu’en 1988, il n’existait aucune donnée épidémiologique sur les MICI. Aujourd’hui, les MICI touchent 200 000 personnes, dont 120 000 personnes souffrant de la maladie de Crohn (MC) et 80 000 personnes souffrant de rectocolite hémorragique (RCH). On observe 5 000 à 6 000 nouveaux cas par an. Les MICI touchent principalement des adultes jeunes (20 à 40 ans); les signes cliniques débutent fréquemment durant l’adolescence. Du fait des symptômes, les MICI sont des maladies mal acceptées et mal comprises par les patients et leur entourage; elles ont mauvaise réputation en terme de gravité. Pourtant dans la majorité des cas (90 %), elles sont compatibles avec une vie normale, hormis dans les moments des poussées inflammatoires. Une minorité des patients sont invalidés par cette maladie. L’incidence de ces maladies semble en augmentation, ces dernières années, dans les pays industrialisés. Des facteurs environnementaux sont suspectés : alimentation, tabac, mycobactéries, virus… (Baron et al., 2005; Talbotec & Gailhoustet, 2005).

Ces deux principales pathologies (MC et RCH) se caractérisent par des lésions inflammatoires du tube digestif, conséquences d’une réponse immunitaire intestinale inadaptée à l’encontre de bactéries habituelles de la flore intestinale. Elles se manifestent donc par des troubles digestifs à type de douleurs abdominales avec diarrhées de plus en plus fréquentes et de plus en plus liquides, parfois sanglantes donc très angoissantes. Un amaigrissement peut s’y associer et inquiète l’entourage. Parfois, des manifestations extra-digestives complètent le tableau : arthrites, inflammations oculaires, lésions cutanées (érythème noueux). Les principaux facteurs de gravité chez l’enfant sont le retentissement sur la croissance staturo-pondérale et sur le développement pubertaire, dont la surveillance est indispensable pour apprécier l’activité de la maladie et l’efficacité des traitements (Turck, 2009).

Les maladies inflammatoires de l’intestin chez l’enfant sont des maladies chroniques qui ont des périodes de quiescence. Elles évoluent par poussées successives, imprévisibles, suivies de périodes de rémission plus ou moins longues. C’est la persistance ou la répétition des symptômes qui permet de penser à une MICI.

Il n’y a pas de risque vital, mais la qualité de vie reste très altérée surtout dans les formes les plus graves qui concernent 35 % des cas. Enfin, un risque accru de survenue de cancer à l’âge adulte impose une surveillance médicale tout au long de la vie (Seddik et al., 2001).

Le diagnostic différentiel entre les deux maladies n’est pas aisé au début de la maladie (enfance/adolescence) et dans les affections graves. Il repose sur un faisceau d’arguments, cliniques, biologiques et anatomopathologiques.


Maladie de Crohn (MC)


Maladiede CrohnC’est une maladie découverte en 1932 par B. Crohn. Dans 15 % des cas, elle est diagnostiquée avant l’âge de quinze ans (Turck, 1993). Contrairement à l’adulte, la MC affecte plus souvent les garçons que les filles (sex ratio : 0,9). C’est l’ensemble du tube digestif qui peut être atteint (de la bouche à l’anus). Les lésions atteignent toute l’épaisseur de la paroi intestinale; elles sont généralement profondes et peuvent être parfois à l’origine de fistules intestinales. Ce n’est pas une maladie héréditaire mais il existe un facteur génétique de prédisposition à la maladie : le gène NOD2 / CARD15 sur le chromosome 16 du génome humain. Cliniquement, la MC se manifeste par des douleurs abdominales, des diarrhées (parfois sanglantes), une fièvre, une anorexie, un amaigrissement, voire une altération de l’état général avec une asthénie majeure et des signes systémiques (œil, articulations, peau…). Il existe des phases de rémission plus ou moins complète et prolongée.


La rectocolite hémorragique (RCH)


Rectocolite hémorragiqueLes lésions sont localisées au colon; elles atteignent les muqueuses et sont souvent plus superficielles; elles occasionnent cependant d’importants saignements. Cliniquement, la RCH se manifeste par des douleurs abdominales, un syndrome rectal, des diarrhées sanglantes, voire une fièvre, une tachycardie, une pâleur, une asthénie intense… Il existe des phases de rémissions complètes (Lacaille et al., 2000).

L’aspect nutritionnel est fondamental chez le jeune patient.

Les traitements médicamenteux actuellement proposés permettent d’améliorer la qualité de vie de la majorité des patients mais ne guérissent pas la maladie; ils visent principalement à réduire les poussées inflammatoires. Parfois, en cas de complications (sub-occlusions, péritonite, fistules…) ou dans un deuxième temps, un traitement chirurgical peut s’imposer (stomies, résections…).


Spécificités de ces maladies



Au plan physique et fonctionnel



Des douleurs intenses, imprévisibles


DouleurAprès un début souvent insidieux et progressif, la maladie s’installe durablement et les douleurs abdominales sont au premier plan. Lors des poussées, ces douleurs abdominales sont paroxystiques et invalidantes; elles précipitent alors le jeune aux urgences de l’hôpital. Ces symptômes, non spécifiques au début, peuvent mimer une gastroentérite infectieuse ou une appendicite. Parfois, s’associe une diarrhée plus ou moins sanglante (selon la localisation des lésions).

Lorsque la maladie s’installe et devient chronique, elle entraîne une altération de l’état général avec une fréquente anorexie et un amaigrissement (80 à 90 % des cas), le jeune refusant de manger de peur de favoriser la survenue de douleurs. Dans un tiers des cas, la dénutrition entraîne un retard de croissance. C’est la conséquence la plus néfaste à cet âge. Enfin, un retard pubertaire peut venir compliquer la maladie.

Le diagnostic est parfois fait tardivement; il repose en effet sur un faisceau d’arguments cliniques, biologiques, radiologiques, endoscopiques et anatomopathologiques. Ce retard au diagnostic n’est pas fait pour apaiser les douleurs du jeune et les angoisses de ses parents.


Impacts sur la croissance et le développement



Croissance staturo-pondérale


Le retard de croissance staturo-pondérale est une des complications majeures des MICI et particulièrement de la maladie de Crohn (Cézard et al., 2000). Il est d’autant plus fréquent que la maladie a débuté tôt et est principalement dû à l’anorexie, la malabsorption, la diarrhée et les effets secondaires des médicaments tels les corticoïdes (Sentongo et al., 2000). Ce retard de croissance (supérieur à − 2 DS) précède parfois l’apparition des signes digestifs (Kanof et al., 1988). Il est observé chez 30 % des patients au moment du diagnostic, mais près de 75 % présentent un ralentissement de leur vitesse de croissance associé de façon harmonieuse à un retard pubertaire et d’âge osseux (Talbotec & Gailhoustet, 2005).

L’évolution de ce retard de croissance après la prise en charge est controversée (conséquence naturelle de la malnutrition? complication inévitable de la maladie? retard possible à corriger médicalement?). Les traitements pédiatriques doivent prendre en compte cette dimension staturo-pondérale, fondamentale pour l’avenir de l’enfant.


Puberté


Très liée au retard staturo-pondéral, la puberté peut, pour les mêmes raisons, présenter un retard d’apparition. Ainsi, les filles qui ont débuté une MC avant la puberté présentent parfois un retard de menstruation. Aucune anomalie endocrinienne n’a cependant été mise en évidence. Les facteurs nutritionnels semblent seuls en cause.

Tout retard pubertaire doit faire l’objet d’une surveillance médicale attentive. La prise en charge pédiatrique devra prendre en compte cet éventuel retard pubertaire, dont les répercussions, physiques et psychiques, sont très importantes pour le jeune patient.


Sexualité


SexualitéLe développement de la sexualité semble comparable à celui de la population générale (Seddik et al., 2001), en dehors des poussées de la maladie. La fertilité n’est pas altérée par la maladie et la grossesse ne semble pas un facteur de risque de poussée ni d’aggravation de la maladie. Une surveillance est cependant importante du fait d’un risque d’accouchement prématuré (Kane, 2003).


Scolarité et activités extrascolaires


L’efficience intellectuelle n’est pas affectée par les MICI, et la scolarité des jeunes est normale. Cependant, en cas de poussées inflammatoires sévères et répétée, un absentéisme scolaire peut venir enrayer la scolarité. Il convient de dédramatiser et de limiter au maximum les hospitalisations et les interruptions de la scolarité. De plus, des PAI (projet d’accueil individualisé) et certains aménagements peuvent être mis en place pour rassurer l’enfant et ses parents (par exemple pour permettre des temps de déplacement pour aller aux toilettes pendant les examens). Il n’existe aucune contre-indication à l’exercice d’une profession. De même, toutes les activités sportives ou culturelles sont possibles, excepté bien sûr au moment des poussées.


Des examens invasifs


Il s’agit principalement d’examens endoscopiques réalisés sous anesthésie générale. L’évaluation endoscopique (avec biopsies) est l’étape clé du diagnostic. Elle permet d’établir un bilan lésionnel (étendue, sévérité). Elle permet aussi de suivre l’évolution de la maladie, sous traitement (efficacité des médicaments, rechutes, extension…). Selon les symptômes cliniques, on réalise une œsogastroduodénoscopie ou une coloscopie, avec biopsie. Le scanner abdominal, l’échographie, l’IRM et le transit baryté du grêle complètent parfois le bilan.


Des hospitalisations répétées


Des hospitalisations répétées s’imposent lorsque les douleurs sont trop invalidantes. Ces hospitalisations durent plus ou moins longtemps et comportent souvent un arrêt de l’alimentation avant une reprise progressive d’une alimentation sans résidu.

Les parents sont souvent confrontés à un sentiment d’impuissance. Il leur est intolérable de voir souffrir leur enfant et de ne pas pouvoir agir sur cette douleur.


Des traitements symptomatiques


Les MICI sont des maladies chroniques évoluant par poussées, entrecoupées de périodes de rémissions. Il n’existe pas de traitement curatif. L’objectif principal du traitement est de contrôler les poussées, d’éviter les rechutes et de permettre une bonne croissance staturo-pondérale et un développement pubertaire normal (Heuschkel et al., 2000; Turck, 2009). Selon la gravité de la maladie, les traitements font appel à :




• des anti-inflammatoires, stéroïdiens et non stéroïdiens;


• des immunosuppresseurs et anticorps monoclonaux anti-TNF (tumor necrosis factor);


• des apports nutritionnels adaptés (régimes, nutrition entérale, parentérale);


• la chirurgie, en cas d’échec des traitements médicamenteux.

La prise en charge thérapeutique est souvent complexe. Elle doit tenir compte de l’âge, des traitements et de leur surveillance, de son observance, en particulier chez l’adolescent. C’est une maladie dont l’évolution est imprévisible, avec un fort potentiel de rechutes.


Au plan psychopathologique



Vécu de l’enfant


Il existe une grande variabilité du vécu de la maladie. Cependant, on retrouve fréquemment certaines caractéristiques.


«Intranquilité»


Cette évolution par poussées de la maladie est particulièrement difficile à supporter par le jeune. Parfois, des périodes de longue rémission font espérer une guérisonGuérison… puis, une nouvelle rechute vient annihiler tout espoir. Une épée de Damoclès est continuellement au-dessus de sa tête et peut entraver son esprit d’initiative et sa spontanéité. Il en ressort fréquemment un sentiment de vulnérabilité, souvent doublé de culpabilité. Avec une mauvaise estime de soi, le jeune ne sent pas capable de réussir certaines tâches, voire donne un sens punitif à ses insuffisances momentanées et à ses incapacités ponctuelles. Les représentations de la maladie sont multiples, mais le plus souvent, la maladie confronte le jeune à des questionnements sur l’avenir, sur la mort.

À l’adolescence, la maladie est d’autant plus difficile à accepter qu’elle vient s’intriquer au développement pubertaire. Ainsi, lorsqu’une crise douloureuse survient, c’est le corps qui trahit, souffre, s’échappe; un corps douloureux où la pudeur est mise à rude épreuve et l’intimité mise à mal. La maladie instaure des relations de dépendance au moment où l’adolescent met tout en œuvre pour s’autonomiser. Comment alors se rebeller face à des parents et des soignants dont on a tant besoin? Cette épreuve de la maladie est souvent complexe à vivre; elle exacerbe les désaccords et majore les conflits. Il ne faut sans doute pas attendre les situations de crise pour mettre en place un accompagnement psychologique.

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Apr 22, 2017 | Posted by in PÉDIATRIE | Comments Off on 49. Maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI)

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