46: Uvéites et sclérites

Chapitre 46 Uvéites et sclérites





Sclérites, uvéo-sclérites : définitions


Sur le plan clinique, la sclère correspond à la tunique externe de l’œil qui s’étend de la cornée au nerf optique. L’uvée est constituée de trois couches : l’iris, le corps ciliaire et la choroïde. Ces tissus sont en contact étroit puisque le corps ciliaire et la choroïde sont directement en contact avec la sclère. Une inflammation de la sclère produit une sclérite. Une inflammation oculaire sévère produit simultanément une inflammation des tissus externes, comme cela est observé lors d’infection intraoculaire, et l’endophtalmie se complique fréquemment en panophtalmie. Par définition, seul le site principal de l’inflammation est classiquement utilisé par le clinicien pour définir la maladie en cause. Une sclérite marquée produisant une rupture de la barrière hémato-oculaire faible à modérée sera la plupart du temps classée dans les sclérites, le terme de scléro-uvéite, désignant les situations hybrides où plusieurs tissus oculaires sont concernés, n’étant que peu utilisé. Une recherche extensive de la littérature mondiale sur Medline témoigne de cette dichotomie clinique. La recherche sur le terme « uveitis » génère 27 461 articles, le terme « scleritis » 1 083 et le terme « sclerouveitis » 10 articles, la recherche sur la combinaison de « scleritis and uveitis » ne produisant quant à elle que 128 articles dont la plupart concernent les traitements des maladies inflammatoires sévères par des immunosuppresseurs ou des anticorps monoclonaux sur des groupes de patients atteints soit d’uvéite soit de sclérite.


Il est cependant nécessaire pour le clinicien de connaître l’association entre la sclérite et l’uvéite puisque, lors de sclérites, 42 % des patients présentent simultanément une rupture de la barrière hémato-oculaire répondant ainsi à la définition de sclérouvéite [1]. Le clinicien parlera de sclérite avec rupture de la barrière hémato-oculaire, tandis que le puriste utilisera le terme de sclérouvéite (sclerouveitis ou scleritis-associated uveitis).


Aucune association n’a pu être établie entre la présence d’une maladie systémique et la survenue d’une scléro-uvéite lors d’une sclérite [1]. De nombreuses maladies systémiques d’origine inflammatoire peuvent être à l’origine soit d’une sclérite soit d’une uvéite, telles que la maladie de Wegener, le lupus érythémateux disséminé, le syndrome de Sweet, le syndrome de Vogt-Koyanagi-Harada, la maladie de Behçet et le syndrome TINU (néphrite tubulo-interstielle avec uvéite) [25]. De rares cas de sclérite sont associés à l’antigène HLA-B27 [6, 7].


Les atteintes oculaires infectieuses dont les germes sont à même de pénétrer le globe oculaire se présentent typiquement comme une atteinte sclérale avec progression vers une pathologie intraoculaire dans les stades avancés de la maladie. Principalement, les atteintes secondaires à la tuberculose, la syphilis, la toxocarose, la lèpre et la nocardiose sont à l’origine de telles manifestations [810]. Ces atteintes sont cependant extrêmement rares dans les séries publiées. Les atteintes herpétiques sont souvent à l’origine de kérato-uvéites et ne touchent la sclère que dans une faible mesure, l’atteinte étant limitée à la cornée et au segment antérieur. Il existe cependant des atteintes rares de kérato-scléro-uvéites où la sclère s’enflamme. Un signe pathognomonique est la présence d’une atrophie de l’iris en regard de l’atteinte sclérale.


Une infiltration sclérale et endoculaire est également rencontrée lors de lymphomes oculaires (cf. chapitre 48) ou d’hystiocytose maligne entrant dans le diagnostic différentiel des scléro-uvéites [11].


Les sclérites postérieures sont également associées à une sclérouvéite puisque les structures anatomiques telles que l’uvée ou le corps ciliaire sont fréquemment enflammées de manière concomitante. Les puristes pourraient parler de scléro-uvéite postérieure.



La sclère





Sclérites antérieures et scléro-uvéites



DÉFINITION ET CLASSIFICATION DES SCLÉRITES


Une inflammation des tissus superficiels produit une épisclérite. Cette inflammation est généralement faible à modérée, spontanément résolutive. Elle est rarement associée à une maladie systémique et apparaît le plus souvent de façon isolée. Les sclérites correspondent à une forte inflammation de la sclère (fig. 46-1 et 46-2). Cette atteinte est associée dans la moitié des cas à une maladie systémique.




La classification des sclérites selon P. Watson est fondée sur la localisation anatomique et l’aspect de la sclérite : il peut s’agir d’une inflammation de la partie antérieure (sclérite antérieure) ou postérieure (sclérite postérieure) de l’œil, la limite de distribution entre les deux étant représentée par l’ora serrata (tableau 46-I).


Tableau 46-I Classification des épisclérites et sclérites selon P. Watson [14].












Épisclérite Diffuse
Nodulaire
Sclérite antérieure Diffuse
Nodulaire
Nécrosante :
– avec inflammation
– sans inflammation (scléromalacie perforante)
Sclérite postérieure Diffuse
Nodulaire
Nécrosante (au moins à l’histologie)

Une sclérite antérieure peut être diffuse, nodulaire ou nécrosante ; cette dernière peut être soit inflammatoire soit non inflammatoire. Les sclérites antérieures sont de loin les plus fréquentes, comptant pour environ 94 % des cas de sclérites. Les formes postérieures, plus rares, sont les plus dangereuses. Environ deux tiers des cas surviennent chez des femmes. Les sclérites antérieures sont de clinique très bruyante en raison de la douleur importante qu’elles déclenchent. Un diagnostic précoce est nécessaire pour éviter une évolution menant à la cécité dans les cas de sclérites postérieures.


Sclérite antérieure diffuse. – La forme antérieure diffuse est la plus fréquente et celle qui a le meilleur pronostic. Une sclérite antérieure diffuse est retrouvée dans environ 40 % des sclérites [12] (fig. 46-3, a et b).



Sclérite antérieure nodulaire. – La forme nodulaire survient dans une proportion similaire à celle de la sclérite antérieure diffuse, soit dans 44,5 % des cas [12]. Elle peut être associée à une atteinte herpétique. Elle est bilatérale dans environ un quart des cas.


Sclérite antérieure nécrosante. – Elle est rencontrée dans 13 % à 23 % des sclérites antérieures [1213] et représente la forme la plus sévère de sclérite antérieure (fig. 46-3, c et d). Environ un quart sont bilatérales. La forme non inflammatoire, ou scléromalacie perforante (fig. 46-4), survient chez des patients atteints de polyarthrite rhumatoïde évoluant depuis longtemps (fig. 46-5). Étant donné l’absence de symptômes, cette forme d’atteinte est avant tout diagnostiquée par l’examen clinique du patient, révélant une zone d’amincissement de la sclère avec protrusion du tissu uvéal sous-jacent. Initialement, la lésion apparaît grisâtre ou jaunâtre avant la nécrose. Un staphylome peut apparaître avec menace de perforation oculaire spontanée. Une telle lésion peut également apparaître après chirurgie du segment antérieur. Le terme de scléromalacie perforante a été utilisé par Van der Hoeve en 1934 et désigne un tableau clinique caractérisé par une fonte sclérale progressive en l’absence de douleur ou de rougeur oculaire et sans que le patient n’en ait conscience [14]. Bien que cette lésion ait été décrite initialement en l’absence de processus inflammatoire, une exsudation marquée a pu être observée à l’angiographie au vert d’indocyanine du segment antérieur [15].




Sclérite postérieure. – Elle est moins caractéristique puisqu’elle peut se manifester uniquement par une diminution de l’acuité visuelle. Une atteinte du nerf optique associée est observée dans 43 % des cas [16].


Une classification étiologique, séparant les formes infectieuses des formes auto-immunes, est essentielle pour introduire un traitement approprié. Les sclérites infectieuses endogènes sont rares et proviennent avant tout de septicémie, de bactériémie ou d’une infection granulomateuse, telle que la tuberculose, la lèpre ou la syphilis [17]. Une infection herpétique doit également être recherchée, puisqu’elle peut être à l’origine d’une sclérite qui ne cède pas aux corticostéroïdes. Un traumatisme oculaire ou une intervention chirurgicale peut également provoquer une sclérite par surinfection ou par déclenchement d’une maladie auto-immune. L’utilisation de mitomycine C lors de chirurgie filtrante a également été associée à la survenue d’une sclérite antérieure ou postérieure [18]. Les principales causes de sclérite sont résumées dans le tableau 46-II, selon Portnoy [19].


Tableau 46-II Étiologie des sclérites.















Maladies de systèmes Polyarthrite rhumatoïde
Maladie de Wegener ou granulomatose de Wegener
Polyartérite noueuse
Lupus érythémateux disséminé
Maladie de Behçet
Pyoderma gangrenosum
Sarcoïdose
Dermatomyosite
Polychondrite atrophiante
Spondylarthrite
Atopie
Infection locale et systémique Varicella-zoster virus
Herpes simplex virus
Pseudomonas
Streptococcus pneumoniae
Mycobactéries (tuberculose)
Nocardiose
Toxoplasmose
Syphilis
Acanthamoeba
Atteinte métabolique Goutte
Porphyrie cutanée tardive
Autres Tumeur
Lésion chimique
Après cataracte

(d’après Portnoy, 1994 [19])


Une classification reposant sur le score inflammatoire mesuré par l’angiographie au vert d’indocyanine est également très utile [15, 20]. Une exsudation sévère quantifiée à l’angiographie au vert d’indocyanine est fréquemment associée à une maladie systémique, comme la sarcoïdose, le lupus érythémateux disséminé, la maladie de Wegener ou la polyarthrite rhumatoï’de [15] (fig. 46-6).




ANATOMOPATHOLOGIE


La lésion anatomopathologique classique d’une sclérite est la présence d’une vasculite profonde associée à une nécrose fibrinoïde et à une infiltration de neutrophiles de la paroi des vaisseaux sanguins [21]. En cas d’inflammation marquée, une occlusion des veinules est observée [14]. La biopsie sclérale peut être un examen particulièrement utile pour démontrer la présence d’une infection. Il peut s’agir soit d’une infection endogène, comme dans la tuberculose ou la lèpre, soit d’une infection exogène telle qu’elle peut être observée après plaie traumatique ou chirurgicale [17]. Un glaucome a été retrouvé chez 49 % des patients ayant nécessité une énucléation lors de sclérite. L’examen histologique a montré la présence d’une infiltration lymphocytaire du système de drainage de l’humeur aqueuse dans 80 % des yeux atteints de glaucome [22]. L’image histologique montre le plus souvent des lymphocytes avec quelques polymorphonucléaires et quelques plasmocytes [21]. Lors de maladies comme le syndrome de Goodpasture, la maladie de Wegener ou l’infection par le virus de la varicelle et du zona (VZV), l’image histologique montre la présence d’une lésion de nécrose centrale entourée d’histiocytes, de polymorphonucléaires et une zone externe de lymphocytes et de plasmocytes [21]. Une zone de vasculite est également présente dans la plupart des cas. Lors de maladies oculaires inflammatoires, différents mécanismes ont été mis en cause en fonction de l’étiologie de la maladie.



ANAMNÈSE ET EXAMEN CLINIQUE


La douleur est marquée et irradie le long du Ve nerf crânien. Elle touche l’orbite, la tempe ou le zygomatique et irradie dans la mâchoire. Une exacerbation est présente lors des mouvements oculaires. Typiquement, les patients décrivent une douleur qui augmente souvent la nuit et interfère avec le sommeil, réveillant le patient au petit matin. Une photophobie est présente chez environ 70 % des patients atteints de sclérite nécrosante [23]. Les sclérites antérieures produisent une inflammation du plexus épiscléral profond, ce qui donne à la sclère un aspect violet foncé à bleuté [24]. La face sclérale est bombée vers l’avant en raison de l’inflammation. L’examen à la lumière du jour peut être complété par un examen détaillé à la lampe à fente en lumière verte.


L’examen clinique s’effectue avant tout à l’œil nu, de préférence à la lumière du jour. La sclérite produit une lésion violacée ou bleu foncé. La douleur est décrite comme sourde, profonde, intense voire invalidante. Elle réveille le patient durant la nuit. L’examen biomiscroscopique effectué avec une fente fine met en évidence lors d’épisclérite un espace entre le bord antérieur (conjonctival) et le bord postérieur (scléral), traduisant l’œdème inflammatoire. En cas de sclérite, le bord postérieur est également tuméfié (cf. fig. 46-1). Une évolution vers l’atrophie sclérale (aspect noirâtre), par visualisation accrue du tissu uvéal sous-jacent à travers la sclère amincie, voire une sclérose, est également typique. Lors de sclérite nécrosante (fig. 46-4), l’aspect inflammatoire est difficilement visible spontanément.


Un examen détaillé de la vision, des annexes oculaires, de la chambre antérieure, de l’iris, du cristallin, du fond d’œil, en examinant en particulier l’ora serrata, la macula et le nerf optique est nécessaire pour exclure la présence d’une complication oculaire secondaire à la sclérite. Une diminution d’acuité visuelle est observée dans 37 % à 82 % des cas lors de sclérite nécrosante [13, 25]. Une kératite périphérique ulcérante (PUK) est un signe de gravité important, puisqu’elle est présente dans 41 % des sclérites nécrosantes, alors qu’on ne la retrouve que dans 14 % des autres types de sclérites [13]. Une association statistiquement significative a également été démontrée entre la présence d’une kératite périphérique ulcérante et la survenue d’une sclérite nécrosante, d’une diminution d’acuité visuelle, d’une uvéite antérieure, du risque de perforation oculaire et d’une association systémique mortelle [26]. Il est donc important de reconnaître cette pathologie et d’exclure la présence d’une maladie rhumatismale sous-jacente [27]. Une diminution de la profondeur de la chambre antérieure est un signe clinique qui ne doit pas être négligé, puisqu’il traduit la présence d’un gonflement du corps ciliaire ou doit faire évoquer le diagnostic de cyclite annulaire.


Une inflammation du segment antérieur signe le diagnostic de scléro-uvéite. Cette présentation clinique est également associée de façon statistiquement significative aux sclérites nécrosantes (37 %, p = 0,0001), à une diminution de la vue (49 %, p = 0,0046 %) ou à un glaucome (19 %, p = 0,0313). Ces constatations cliniques confirment également les observations anatomopathologiques : une uvéite a été observée dans 68 % des yeux énucléés avec une atteinte secondaire à une sclérite [28] et une infiltration lymphocytaire a été retrouvée dans 80 % des yeux atteints de glaucome [22]. L’extension d’une sclérite au tractus uvéal antérieur est un élément de mauvais pronostic et doit être évalué à chaque visite [1].

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Jun 13, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 46: Uvéites et sclérites

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