Cas 4. Une Insuffisance Placentaire Méconnue
PREMIÈRE CONSULTATION
HISTOIRE PÉRINATALE
Le père et la mère sont actuellement en bonne santé. Il y a un an cependant, la mère a été traitée pour une hyperthyroïdie par iode radioactif. Depuis, l’hypothyroïdie secondaire est bien contrôlée par des extraits thyroïdiens.
L’enfant est le premier-né. La surveillance a été celle d’une grossesse considérée comme à bas risque, avec une seule échographie à 18 SA et une amniocentèse en raison de l’âge maternel (38 ans). Ce n’est qu’à 37 SA qu’un transfert en centre spécialisé est demandé pour exécuter une version par manoeuvres externes en raison d’une présentation du siège. C’est alors seulement qu’une RCIU est mise en évidence, avec un oligoamnios sévère. La vélocimétrie Doppler montre un flux diastolique rétrograde dans l’artère ombilicale, mais aussi un flux veineux anormal, une cardiomégalie foetale avec dilatation des cavités droites et de l’artère pulmonaire, situation fréquente en cas d’oligoamnios sévère. Devant cette situation, une césarienne (CS) est pratiquée en urgence. Le score d’Apgar est de 1 à 1 minute, suivi d’une récupération rapide avec des scores d’Apgar de 8 à 5 minutes et de 9 à 10 minutes. L’enfant paraît vigoureux et bien éveillé, malgré une hyploglycémie sévère: première glycémie nulle et de 2,9 mmol/L quelques heures plus tard.
L’histoire néonatale est la suivante: quelques heures après la naissance, l’enfant est en difficulté respiratoire ; le teint est gris. Il est alors intubé et ventilé. Il est traité par diurétiques en raison de la cardiomégalie et d’un possible oedème pulmonaire ; il reçoit des antibiotiques. Il peut être extubé à J2, le problème cardiorespiratoire étant alors résolu. L’hypoglycémie est assez réfractaire à l’apport de sucre et alimentation ; les taux sont contrôlés jusqu’à J5. L’infection n’est pas confirmée: les antibiotiques sont donc arrêtés. La fonction thyroïdienne est normale.
Pendant toute cette période, l’alimentation est difficile: l’enfant est partiellement gavé jusqu’à J14. Il est en permanence en procubitus et traité pour un RGO. Il sort de l’hôpital à J19 mais les premiers jours à la maison sont très difficiles. Malgré le traitement antireflux, l’enfant continue à perdre du poids. On élimine une possible malformation digestive (échographie abdominale, transit du grêle).
Pendant toute cette période et jusqu’à l’âge de 1 mois, il n’est fait aucune mention de l’état neurologique dans le dossier de cet enfant ; toute l’attention est concentrée sur la non-prise de poids. Son comportement seul est décrit: il est hyperexcitable, mais l’éveil et le contact visuel paraissent satisfaisants.
EXAMEN NEUROLOGIQUE À 1 MOIS
Long et maigre, il pèse 2 655 g (< 0,4e perc.). Le PC est de 33,5 (0,4e perc.).
La croissance céphalique au cours du premier mois est de 2 cm, mais non interprétable en raison de l’état nutritionnel très médiocre. À l’examen crânien, on note que toutes les sutures sont chevauchantes et que la fontanelle antérieure est petite avec un diamètre inférieur à 1 cm.
L’examen neurologique est quasiment impossible en raison de l’hyperexcitabilité. Dès que l’enfant est posé sur la table d’examen, la posture est en arc de cercle de façon permanente, mais aussi des accès d’hyperextension se surajoutent lors des manipulations. L’incurvation passive du tronc vers l’avant est très limitée ; le déséquilibre flexion-extension est évident. Les MI sont en extension. L’examen doit être interrompu en raison de l’hyperexcitabilité et de la fatigabilité, c’est pourquoi la manoeuvre du tiré-assis n’est pas faite. La motricité spontanée est pauvre.
COMMENT CONCLURE CETTE PREMIÈRE CONSULTATION ?
OPINION PERSONNELLE DU LECTEUR SUR QUATRE QUESTIONS
1. Quels éléments considérez-vous comme essentiels à ce jour ?
2. Que peut-on dire à la famille aujourd’hui ?
3. Quelle prise en charge proposez-vous ?
4. Quelles investigations considérez-vous comme nécessaires ?
RÉPONSES PROPOSÉES
Éléments essentiels
– RCIU non dépistée jusqu’à 37 SA.
– Situation neurologique d’emblée préoccupante sur la clinique (hyperexcitabilité, opisthotonos) et les aspects échographiques des premiers jours.
– Difficultés alimentaires dès les premiers jours (RGO et prise de poids insuffisante).
Interprétation proposée à la famille
Il faut attendre que le traitement médical améliore le RGO. L’hyperexcitabilité et la posture en arc de cercle peuvent être en partie liées au RGO. Cependant, une surveillance neurologique est indispensable étant donné les événements de la période périnatale. On propose donc à la mère un nouveau rendez-vous d’évaluation.
Prise en charge indiquée
Quelle que soit l’origine des troubles observés, une prise en charge par kinésithérapeute ou ergothérapeute est nécessaire dès maintenant pour mettre en place les postures favorables, aider à la mobilisation et à la socialisation de cet enfant. Le service social doit également intervenir.
Investigations demandées
– Scanner cérébral indiqué dans un premier temps, en raison des délais d’attente pour une IRM.
– Surveillance ophtalmologique programmée.
SUIVI ET RÉSOLUTION DE PROBLÈME
RÉSULTATS DES INVESTIGATIONS
Un scanner cérébral est fait à l’âge de 9 mois. L’atrophie cérébrale bilatérale est évidente, prédominant à gauche (fig. 4.1) avec dilatation a vacuo du VLG et des espaces liquidiens péricérébraux élargis surtout en regard de l’hémisphère gauche.
Fig. 4.1 |
L’examen neuro-ophtalmologique le plus récent à l’âge de 18 mois fait état d’un strabisme convergent de l’oeil gauche et d’une anisohypermétropie. L’enfant porte des verres correcteurs.
ÉVOLUTION ULTÉRIEURE DE L’ENFANT
Celle-ci sera résumée rapidement, sans entrer dans le détail du traitement antireflux.
– Le problème du RGO est progressivement résolu: une pHmétrie était très pathologique à 3 mois ; sous traitement, elle est très améliorée à 4 mois. Une allergie au lait est éliminée.
– La courbe de poids jusqu’à 9 mois montre une absence de rattrapage.
– La croissance céphalique reste voisine du 0,4 centile.
Le développement neuromoteur entre 6 mois et 2 ans est indiqué ci-dessous.
À l’âge de 6 mois, les acquisitions fonctionnelles sont très insuffisantes: le contrôle de la tête n’est pas acquis ; il ne se retourne pas et ne prend pas l’objet. L’examen neurologique est toujours très difficile en raison de l’opisthotonos et de l’hyperexcitabilité. Il a cependant une bonne sociabilité. L’enfant reçoit un traitement symptomatique avec du Mogadon® à raison de 0,1 mg/kg/24 h 3 fois par jour. Ce traitement semble améliorer le sommeil et le confort de l’enfant et de sa mère.