Chapitre 4. Toux chronique de l’enfant
Bertrand Delaisi and Nicole Beydon
Toux chronique de l’enfantLa toux est un phénomène qui, s’il peut être volitionnel, est le plus souvent réflexe et physiologique car indispensable à l’épuration et à la protection des voies aériennes. Bien que physiologique, il s’agit d’un motif de consultation très fréquent tant chez l’enfant que chez l’adulte. La toux inquiète ou exaspère, en particulier lorsqu’elle survient la nuit et s’inscrit dans le temps. Dans ce chapitre, nous ne traiterons que de la toux chronique de l’enfant, de façon à exclure essentiellement la toux d’origine infectieuse aiguë rapidement résolutive avec la guérison de l’infection.
Définitions
Toux chronique de l’enfantdéfinitionsIl n’existe pas de définition univoque de la toux chronique. Ont été proposés comme critères de chronicité de la toux :
• évoluant depuis plus de 4 semaines;
• > 3 mois/an depuis au moins 2 ans;
• ≥ 1 semaine/mois depuis 6 mois;
• ≥ 2 épisodes/an ≥ 2 semaines.
On parle aussi de toux récidivante quand celle-ci survient plusieurs fois par mois, plusieurs mois durant (plus de 3 mois).
Enfin, la notion de résistance de la toux aux antibiotiques est parfois utilisée dans la définition.
Cette multiplicité de définitions ne facilite pas l’analyse sémiologique des tableaux décrits dans les différentes études, ni leur comparaison, en particulier lorsque l’on en vient à comparer l’efficacité des traitements administrés. Rappelons que la toux satellite des infections respiratoires aiguës de l’enfant guérit en moins de 10 jours dans 50 % des cas, et en moins de 25 jours dans 90 % des cas.
Cadre nosologique
La figure 4.1 illustre que, dans bien des situations, la toux est en fait une réaction physiologique qui peut être considérée comme normale, voire bénéfique. En cas de toux réellement excessive, la première préoccupation est la recherche d’indices cliniques et paracliniques qui pourraient permettre de rattacher cette toux à une cause spécifique connue (par exemple : hyperréactivité bronchique, allergie respiratoire, reflux gastro-œsophagien). Cependant, l’expérience clinique et l’analyse de la littérature médicale montrent que, dans la majorité des cas, cette toux chronique isolée reste sans cause spécifique, même après des investigations approfondies. La cause de cette toux chronique, qui existe aussi chez l’adulte, et dont la prévalence est loin d’être négligeable (5 à 10 %), reste encore mystérieuse, bien que plusieurs pistes soient suivies. On ne dispose que de rares données épidémiologiques chez l’enfant, en France. Delmas et al. ont montré que la prévalence de la toux sèche nocturne est superposable à celle des sifflements chez les enfants en classe de troisième (∼10 %), mais qu’elle est bien plus fréquente que les sifflements (15 % versus 9 %) chez les plus jeunes enfants en classe de CM2 (voir tableau 3.1). Par ailleurs, la toux n’a pas de sex ratio, contrairement aux sifflements respiratoires, plus fréquents chez le garçon. Ces constatations sont en faveur d’une étiologie asthmatique de la toux nocturne plus fréquente chez le grand enfant que chez l’enfant plus jeune, ce que reflète bien la pratique clinique quotidienne.
Fig. 4-1 |
RGO : reflux gastro-œsophagien. | |
Per- ou postinfectieuse | Coqueluche, mycoplasme, Chlamydia, virus, tuberculose1 |
Toux suppurative : dilatation bronchique à rechercher | Congénitale malformative, acquise post-corps étranger ou accompagnant une autre malformation, une maladie spécifique : déficit immunitaire, mucoviscidose, dyskinésie ciliaire primitive |
Toux avec anomalies radiologiques persistantes ± signes cliniques d’orientation | Malformations : kystes, sténose, malacie |
Pathologie d’inhalation corps étranger, RGO, troubles de la déglutition, fausses routes | |
Cardiopathies | |
Inflammation spécifique (bilan allergologique) | Asthme |
Inflammation non spécifique | RGO, inhalation de polluant (tabac ++) |
Physiologie et physiopathologie de la toux chronique
Physiologie
Toux chronique de l’enfantphysiologieL’arc réflexe de la toux est connu dans ses généralités chez l’homme, mais les rôles et surtout le contrôle des différentes structures de cet arc réflexe restent encore incertains, car issus d’expériences animales ou déduits des modifications de la toux induites en pharmacologie clinique chez l’homme.
L’arc réflexe de la toux est semblable à de nombreux autres arcs réflexes du corps humain. Il comprend des récepteurs, des voies afférentes, un centre bulbaire d’intégration et de traitement de l’information, des voies efférentes et enfin des muscles effecteurs.
Le phénomène de toux comprend trois phases qui se succèdent rapidement.
• Première phase, inspiratoire : permet la constitution de la colonne d’air qui sera comprimée puis chassée lors de la dernière phase. Surtout, elle met en tension les muscles effecteurs pour une plus grande contraction subséquente.
• Deuxième phase, compressive : fermeture de la glotte contemporaine de la contraction isométrique des muscles expiratoires. Cette phase permet une augmentation importante de la pression intrathoracique pendant une durée très brève (200 ms) ainsi que la réalisation de débits aériens très élevés à la phase suivante.
• Troisième phase, expiratoire : l’ouverture de la glotte permet à la colonne d’air d’être expulsée avec un débit initial extrêmement important (supérieur au débit expiratoire de pointe et appelé «débit de toux») qui diminue rapidement. Cette phase ne dure pas plus d’une demi-seconde.
Les récepteurs (mécaniques, chimiques et thermiques) sont essentiellement situés dans l’épithélium des voies aériennes supérieures (larynx) et inférieures (trachée, bronches) ainsi qu’au niveau du pharynx et des conduits auditifs externes; il en existe aussi dans la plèvre et l’abdomen (fig. 4.2). Les mécanorécepteurs sont majoritaires dans les voies aériennes supérieures de façon à s’opposer efficacement à la pénétration intrathoracique des corps étrangers. Il est d’ailleurs intéressant de noter que la stimulation des mécanorécepteurs laryngés est responsable d’un réflexe de toux incomplet, c’est-à-dire qui omet la première phase inspiratoire de façon à éviter la progression intrathoracique du corps étranger. Les récepteurs plus distaux sont en majorité des chémorécepteurs plus sensibles à l’encombrement bronchique et à l’inflammation, leur stimulation étant responsable de la clairance des voies aériennes et du fonctionnement efficace du système mucociliaire. Les récepteurs stimulent d’une part des fibres nerveuses Aδ rapides myélinisées, en particulier les mécano- et thermorécepteurs, d’autre part des fibres C lentes non myélinisées en réponse à une stimulation endogène, dite neurogène, des chémorécepteurs, comme lors de l’inflammation bronchique.
Fig. 4-2 |
La voie afférente du réflexe de toux est essentiellement vagale (+ glossopharygien et trijumeau), et chemine par les ganglions dorsaux et dans les racines postérieures pour arriver après regroupement au niveau du tronc cérébral, lieu d’intégration et de gestion de l’information. Les faisceaux nerveux sont projetés vers le noyau du tractus solitaire lui-même en étroite relation avec le centre de la toux qui semble être localisé à la partie inférieure du tronc cérébral dans le complexe pré-Bötzinger qui contrôle les mouvements respiratoires. En effet, la toux nécessite, en dehors des trois phases sus-décrites, un arrêt de la respiration normale. L’information circule ensuite par les voies efférentes : nerfs vague, phrénique et moteurs spinaux, jusqu’aux muscles effecteurs expiratoires (diaphragme et muscles accessoires).
À côté de cet arc réflexe indispensable à la protection et à la clairance des voies aériennes inférieures, la toux peut être totalement volitionnelle lorsque le centre de la toux répond à une stimulation corticale. La volonté peut aussi moduler la toux réflexe, sauf lorsque celle-ci est d’origine laryngée (pour des raisons vitales).
Physiopathologie
Toux chronique de l’enfantphysiopathologieLa physiopathologie de la toux chronique est mal connue, et deux hypothèses non exclusives l’une de l’autre sont avancées.
Hyperréactivité des récepteurs périphériques
Il a été mis en évidence chez certains patients, lors des infections respiratoires, de l’inflammation chronique des voies aériennes (asthme, bronchopneumopathie chronique obstructive [BPCO]) ou de la toux chronique, un état d’hyperréactivité des chémorécepteurs TRPV1 (dits sensibles à la capsaïcine) lors de stimulation par des agents tussigènes comme l’acide citrique (ou la capsaïcine). Cependant, cette hyperréactivité ne semble pas persister au-delà des périodes de toux.
Remodelage central du réflexe de toux
Le rôle important des centres bulbaires de la toux est privilégié depuis quelques années. En effet, depuis longtemps, il a été mis en évidence le rôle de certains neurotransmetteurs sur l’évolution de la toux. Par exemple, les opiacés sont reconnus pour leur rôle antitussif. Il a été trouvé une action antitussive des GABAergiques. Surtout, le glutamate (récepteurs N-méthyl-D-aspartate [NMDA]) et les neurokinines sont des neurotransmetteurs essentiels présents dans le centre de la toux, et leur inhibition est responsable d’une diminution de la toux chez l’animal et chez l’homme. Ces neurotransmetteurs du centre de la toux (complexe pré-Bötzinger) ont pu être trouvés augmentés chez des enfants ayant une hypersensitivité des récepteurs à la toux. L’hypothèse, calquée sur ce que l’on sait de la douleur chronique, serait qu’à l’occasion d’un épisode de toux aiguë chez certains patients, le centre de la toux stimulé stimule en retour le noyau du faisceau solitaire, abaissant ainsi son seuil de réactivité par plasticité neuronale (mécanisme de potentialisation à long terme). Par la suite, le noyau du faisceau solitaire réagirait à des stimuli très faibles, rendant compte d’une activité tussigène qui semble inadaptée.
Cette hypothèse d’une origine centrale de la pérennisation de la toux n’est pas incompatible avec les modifications structurales et inflammatoires des bronches des sujets tousseurs chroniques, interprétées comme initialement le reflet de l’événement déclencheur de la toux (infection, inhalation, etc.), et secondairement comme celui du traumatisme physique dû à la répétition des épisodes de toux répétés secondaires au remodelage central.
Ces nouveaux concepts invitent au développement de la pharmacopée en direction de molécules abaissant le seuil d’excitation des neurones du centre de la toux, plutôt qu’à la poursuite du développement de molécules d’action périphérique.
Démarche diagnostique devant une toux chronique
Toux chronique de l’enfantdémarche diagnostique devant uneLa démarche diagnostique est à adapter à l’âge de l’enfant, mais quelques généralités peuvent s’énoncer :
• le seul examen réellement indispensable, comme souvent en pneumologie, est la radiographie thoracique de face en inspiration et expiration;
• l’interrogatoire, l’examen du carnet de santé (courbe staturopondérale), l’examen clinique de l’enfant et l’analyse du cliché thoracique doivent permettre de différencier d’emblée deux situations très différentes :