4: Presbytie et lentilles de contact

CHAPITRE 4 Presbytie et lentilles de contact



Il existe plusieurs méthodes pour corriger la presbytie. Certaines sont actives, d’autres passives. Dans tous les cas, l’objectif est de rétablir la profondeur de champ qui diminue avec l’âge. Les lentilles font partie des méthodes passives, comme les implants multifocaux, les traitements lasers de surface et intrastromaux. Le but est de créer une pseudoaccommodation en augmentant le parcours accommodatif, c’est-à-dire la distance entre le punctum remotum et le punctum proximum [44]. Selon les méthodes employées, cette pseudoaccommodation peut être monoculaire ou binoculaire : elle est binoculaire si les deux yeux sont nécessaires pour l’obtenir; elle est monoculaire si chaque œil contient séparément un système multifocal. Avec les lentilles de contact, il existe trois méthodes de correction:



La monovision procure une pseudoaccommodation bi-oculaire. Les deux yeux doivent être performants et corrigés différemment. Les lentilles multifocales recréent une pseudoaccommodation monoculaire.




Principe


Au sens strict, la monovision est pratiquée avec des lentilles unifocales : une pour la vision de loin, l’autre pour celle de près. À tout instant, un œil reçoit une image claire, l’autre œil une image brouillée (fig. 4-1). À terme, l’image défocalisée doit être éliminée. Cependant, au-delà de 1,50 D d’addition apparaît une perturbation de la vision binoculaire avec des altérations de la vision des contrastes, de la vision stéréoscopique et de la vision nocturne (fig. 4-2) [36]. La dominance oculaire joue un rôle capital. Pour une monovision réussie, la suppression du flou visuel doit facilement changer, d’un œil à l’autre, à toutes les distances [27]. La sommation binoculaire est maintenue lorsque l’addition est placée sur l’œil non dominant ou préféré de près. Mieux vaut une faible qu’une forte dominance oculaire, sous peine de créer des perturbations sensorielles. En cas de forte dominance oculaire, le passage d’un œil à l’autre se fait mal et la profondeur de champ est altérée. Si la dominance est douteuse au cours de l’examen du patient, il est recommandé de multiplier les tests moteurs et sensoriels.






Résultats


Une revue de la littérature réalisée en 1996 retrouve un taux de succès moyen élevé (73 %), selon Jain et al. [29]. Paradoxalement, les résultats après chirurgie réfractive ou chirurgie de la cataracte se situent au-dessus, entre 85 % et 98 % [15]. Cependant, malgré ces résultats « spectaculaires » après chirurgie, Nijkamp et al. (2004) constatent que si 43 % des patients sont libres de toute correction supplémentaire pour la lecture [33], 28 % portent toujours des lunettes pour lire. La différence statistique relevée entre la monovision en lentilles de contact et après chirurgie tient probablement à la constance de la correction optique chirurgicale, sans réversibilité et sans contrainte de manipulation.




Limites


Certaines sont liées au terrain, d’autres aux conséquences visuelles.


Pour le terrain, il faut citer les amblyopies qu’elles soient mono- ou binoculaires, l’absence de vision bi-oculaire, les trop fortes dominances ou l’absence d’inversion de dominances [27]. Ceci souligne l’importance de réaliser de manière systématique un test rouge/vert polarisé. Certaines anomalies de la vision binoculaire, comme les hétérophories mal compensées ou après strabisme opéré, doivent susciter la prudence, car il a été observé des diplopies irréductibles après monovision chirurgicale [28]. Ces effets délétères sont plus accentués si c’est l’œil dominant qui est corrigé pour la vision de près.


Les limites liées aux conséquences visuelles sont multiples.


L’absence de vision intermédiaire handicape sévèrement les informaticiens et tous ceux dont la profession exige une vision nette et continue entre 50 cm et 1 m. Ce souci s’exacerbe dès que l’anisométropie nécessaire dépasse 1,50 D. C’est pour pallier cet inconvénient que la monovision aménagée, la monovision « modified » et la balanced progressive technology ont vu le jour [5].


Les résultats sont plus favorables chez les myopes que chez les hypermétropes, et défavorables aux astigmates non ou mal corrigés. Plus généralement, elle est défavorable lorsque la correction optique n’est pas parfaite sur les deux yeux.


Des besoins visuels pointus en continu, comme la lecture prolongée, le travail sur écran, la conduite sur route pour de long trajet de surcroît la nuit, ne sont pas de bonnes indications, certains auteurs soulevant le problème médicolégal de la monovision pour la conduite d’un véhicule.


L’anisométropie induite a des limites : jusqu’à 1,50 D d’addition, la sommation binoculaire existe; plus ce seuil est dépassé, plus la vision binoculaire se dégrade. Il faut atteindre une ani-sométropie de 3,25 D pour que la vision devienne strictement monoculaire (voir fig. 4-2). En vision des contrastes, pour les basses fréquences, il n’y a pas de différence significative entre lunettes et monovision. En revanche, pour les hautes fréquences, la réduction est significative avec la monovision. Selon Pardhan [36] et Durrie [16], c’est là aussi à partir d’une anisométropie induite de + 1,50 D que la vision des contrastes se modifie de façon significative. En éclairage photopique (250 cd/m2), la monovision, même avec une anisométropie élevée, n’a pas d’effet réel sur l’acuité binoculaire en faibles ou forts contrastes [3]. Rajagopalan et al., au cours de tests de contrastes, ont montré la supériorité évidente des lentilles rigides multifocales, à égalité avec les lunettes, sur tous les autres modes de correction, notamment la monovision [41].


La vision stéréoscopique se dégrade avec la monovision. Les modifications deviendraient perturbantes à partir d’une addition de 2 D. Une anisométropie supérieure à + 2 D peut ne pas entraîner de perte subjective de profondeur de champ mais, dans les mêmes conditions, la vision stéréoscopique peut être franchement perturbée chez certains patients. Une étude récente menée par Chapman et al. [6] a conclu à un réel danger de chute par manque de vision stéréoscopique. En outre, en ambiances mésopique et scotopique, le taux de satisfaction est plus faible. Les principales plaintes sont des éblouissements, des halos autour des lumières. Le principal problème est la suppression du flou de l’œil défocalisé. Alors qu’en forte luminance, le flou disparaît, sous faible éclairage il réapparaît d’autant plus que l’objet regardé est petit. L’adaptation à une monovision prend ainsi quelques minutes, quelques jours ou même parfois trois mois, avec une moyenne de trois semaines [22]. La profondeur de champ ne semble pas être altérée. La somme des deux visions monoculaires balaye le parcours complet entre la vision de loin et celle de près, sans altérer la vision intermédiaire pour les additions inférieure ou égale à 1,50 D. Audelà, il existe un « manque ». Des conséquences à terme existent. La vision des contrastes et la vision nocturne sont très perturbées. À la longue, la perturbation de la stéréoacuité et celle de la fusion fovéale induites sont à l’origine de perturbations sensorielles difficilement réversibles. Des conséquences non négligeables sont notées sur les performances lors de la conduite automobile [51]. Depuis l’amélioration des géométries multifocales, l’engouement pour la monovision décroît, même outre-Atlantique.



Perspectives


L’arrivée des lentilles multifocales a considérablement changé les habitudes et permet de faire évoluer la monovision classique. L’idée de mêler monovision et multifocalité pour obtenir une pseudoaccommodation à la fois monoculaire et bi-oculaire est devenue une voie de plus en plus explorée. C’est ainsi que sont apparues:



la monovision aménagée, qui consiste à utiliser une lentille unifocale, généralement pour l’œil de loin, et une lentille multifocale pour l’autre [19]. Cette méthode permet de conserver une vision de loin intacte tout en préservant une sommation binoculaire pour certaines distances, en particulier en vision intermédiaire. Par la suite, la monovision a été pratiquée avec des lentilles multi focales : deux lentilles multifocales comprenant la correction exacte de loin sur chacun des deux yeux, mais avec des additions différentes;


la « modified monovision » décrite par les Anglo-Saxons, qui consiste à utiliser deux lentilles multifocales de même géométrie et de mêmes additions avec une surcorrection positive en vision de loin d’au moins 0,50 D à 1 D pour l’œil de près. L’avantage est d’obtenir une sommation binoculaire en vision intermédiaire. Une forme de monovision « soft » consiste à mixer des géométries optiques différentes;


la balanced progressive technology [5] (cf. infra, « Lentilles multifocales »), où l’œil de loin est corrigé avec une lentille multifocale concentrique à vision de loin centrale et l’œil de près avec une lentille de même concept mais à vision de près centrale (principe des géométries inversées).


L’avenir est à la binocularité avec multifocalité, sans renier les avantages de la monovision.



II HYPERMÉTROPIE SATURÉE


Encore appelée « hypervision » [18], cette technique, rarement citée comme technique de compensation de la presbytie, n’en demeure pas moins une méthode simple et logique, applicable aux hypermétropes [45].



Principe


Cette méthode consiste à corriger totalement l’hypermétropie en vision de loin sur chacun des deux yeux avec des lentilles uni focales. La correction de l’hypermétrope, même en vision de loin, demande le port d’un dispositif convexe. Celui-ci grossit l’image rétinienne. Ce grossissement se fait dans les trois dimensions. Il est d’autant plus accentué que le dispositif de correction est plus éloigné de l’œil. Un hypermétrope, à l’âge de la presbytie, est plus gêné par ses lunettes qu’un myope, car le grossissement rétinien l’oblige à développer un effort accommodatif plus important, puisqu’il n’y a pratiquement plus de distance entre les deux plans de mise au point de l’image rétinienne. Ce grossissement s’effectue dans toutes les dimensions, en particulier d’avant en arrière. Le fait de ramener le dispositif au contact de l’œil réduit le grossissement. L’hypermétrope équipé de lentilles voit plus petit, accommode moins et converge moins. La qualité de l’acuité visuelle de loin comme de près est celle obtenue avec des lentilles unifocales, sans compromis visuel. Les champs visuels centraux et périphériques sont préservés. La vision des contrastes et la vision stéréoscopique ne sont pas altérées. Ce mode de correction libère ainsi des possibilités étonnantes d’aisance accommodative. Plus l’hypermétropie est forte, plus les résultats sont spectaculaires. L’hypermétropie doit être corrigée totalement, à la limite de la chute d’acuité visuelle de loin, comme pour les strabismes accommodatifs. Au test duochrome rouge/vert, une légère prévalence dans le rouge est recommandée. Cette « surcorrection » permet de soulager à la fois l’accommodation et la convergence, et procure une profondeur de champ acceptable pour les différentes tâches de la vie quotidienne, en supprimant les signes fonctionnels de fatigue associés.







Vision alternée


Encore appelée « vision à translation », c’est la première technique utilisée en contactologie pour corriger la vision de loin et la presbytie avec un seul dispositif optique. Deux ou trois surfaces bien distinctes sont définies, chacune destinée à l’une des trois visions (de loin, intermédiaire, de près). L’objectif est de faire alterner devant la pupille des zones optiques de puissances différentes. La pupille sélectionne les rayons lumineux qui la traversent. La discrimination vision de loin-vision de près est volontaire. C’est le sujet qui choisit en fonction de la direction de son regard (fig. 4-3). La vision alternée reste à ce jour le domaine des LRPG (lentilles rigides perméables aux gaz). Les lentilles souples, trop stables, trop centrées sur la cornée, avec un matériau trop souple et malléable ne translatent pas ou peu; cependant, l’arrivée du silicone hydrogel, dont la rigidité est plus élevée, relance les recherches.



Souvent bifocales, parfois progressives, les lentilles peuvent être concentriques à vision de loin centrale ou segmentées (fig. 4-4).




LENTILLES RIGIDES CONCENTRIQUES


La vision de loin est au centre, entourée d’une zone de progression destinée à la vision intermédiaire et, plus excentrée, à la vision de près. Même si la lentille tourne sous l’effet du clignement, dans le regard en bas la zone périphérique de près se trouve face à la pupille.





LENTILLES RIGIDES SEGMENTÉES


Ce design est le plus ancien et le plus dessiné par de nombreux professionnels depuis près de soixante-dix ans. Le regard droit devant, le sujet regarde à travers la zone optique de loin (fig. 4-8).



Dans le regard vers le bas, la lentille « translate » sur la cornée et le sujet regarde à travers celle de près. Chacune des deux zones optiques juxtaposées est sphérique et la qualité des deux visions est celle de surface sphérique. Au niveau de la zone de transition, les centres optiques sont confondus pour éviter des sauts d’images.




SYSTÈMES DE STABILISATION


Ils sont au nombre de deux, un prisme ballast et une troncature. Ils sont chargés d’assurer le bon fonctionnement de la translation et de lutter contre toute rotation intempestive (fig. 4-9).








Vision simultanée


La méthode est fondée sur la discrimination cérébrale et consiste à placer devant l’œil un système optique comportant plusieurs distances focales qui contribuent simultanément à la formation des images. L’ensemble de ces zones de distances focales différentes sont présentées en même temps face à la pupille, de telle sorte que plusieurs images sont produites simultanément sur la rétine (fig. 4-11). L’une nette, produite par la focale utile et les autres floues, causées par les autres focales. L’exemple caractéristique est celui de la mouche placée sur la vitre : l’œil fixe la mouche et le cerveau perçoit en même temps, en arrière-plan, le paysage; à l’inverse, si l’œil fixe le paysage, le cerveau perçoit la mouche dans son champ de vision. Le cerveau perçoit les deux images mais s’il se concentre sur l’une d’elle, il peut ignorer l’autre. Ce « tri » cortical nécessite une période d’apprentissage dont la longueur est variable selon les individus. Ce mode de fonctionnement a pour but de restituer la profondeur de champ perdue avec la presbytie. Il réalise une pseudoaccommodation. La pseudoaccommodation d’une lentille représente donc le parcours d’accommodation apporté artificiellement et de manière passive au presbyte. Une aberration optique est créée volontairement dans la lentille de manière à augmenter la profondeur de champ (fig. 4-12). La forme exacte de l’aberration induite est critique parce qu’elle conditionne un compromis entre la longueur du parcours de pseudoaccommodation et les autres performances de la lentille. Pour être efficace, la conception de ce type de lentilles doit tenir compte de l’ensemble des paramètres qui influent sur le résultat visuel : le degré d’addition, la dynamique pupillaire, le centrage et le mouvement des lentilles. Le myosis accommodatif est mis à profit pour la vision de près. Les lentilles progressives à vision simultanée vont donc rétablir un parcours d’accommodation continu qui permet de voir net à toutes les distances. Le fonctionnement de la vision simultanée est pupillodépendant. La zone optique de la vision de près est au centre. La totalité de la zone optique ne doit pas excéder 4 mm, pour que toutes les zones de vision de loin et de près se trouvent face à la pupille. Pour un bon fonctionnement, il faut des lentilles bien centrées sur la cornée et peu mobiles. Rares sont les lentilles rigides qui répondent à ces critères, alors que toutes les lentilles souples remplissent ces conditions.






LENTILLES SOUPLES


Les lentilles souples se distinguent entre elles selon leur design, qui peut être bifocal, multizone, sphéro-asphérique ou asphérique progressif, selon la répartition de leurs zones optiques et selon leur degré de pupillodépendance.




LENTILLE INDÉPENDANTE DU CENTRAGE


Ce sont les lentilles multizones, faites de cercles concentriques, alternant des zones optiques de puissances différentes. La face externe est sphérique ou légèrement asphérique. La face interne est multisphérique. La combinaison des deux dioptres crée une multitude de focales de puissances différentes, correspondant à la vision de loin et à la vision de près. La différence entre ces puissances réalise la puissance d’addition. Cette puissance est obtenue en faisant varier le nombre, la largeur et la courbure de chaque anneau. Selon l’intensité lumineuse, le nombre et la nature des surfaces optiques utiles varient. La plus connue, dite « pupil intelligent », alterne sur une zone optique de 8 mm, trois zones de vision de loin et deux de près. Ces variations de puissance sont obtenues par des variations de l’ordre du micromètre de l’épaisseur de la lentille. Cette géométrie multizone n’est pas sensible au décentrement. En revanche, les variations du diamètre pupillaire, fonction de l’intensité lumineuse et de la distance du stimulus, privilégient l’une ou l’autre vision. Utilisant ce concept, une nouvelle lentille en silicone hydrogel vient de voir le jour. Les deux faces sont asphériques. La face avant est faite d’anneaux asphériques, ce qui facilite la vision intermédiaire. Ces anneaux, au nombre de cinq, varient en fonction de l’addition dans leur forme, leur largeur et leur positionnement. Le centrage est optimisé par la face interne asphérique, ce qui permet de réduire les « glares », halos et images en échos, parfois rencontrés avec ces géométries en anneaux concentriques (fig. 4-13). Ce concept peut se décliner différemment : selon la répartition des anneaux, la vision de loin ou celle de près peuvent être dominantes.




LENTILLES PUPILLODÉPENDANTES


Leur fonctionnement est directement en rapport avec la taille et le centrage de la zone optique face à la pupille, dont le diamètre varie en fonction de la luminosité et de la proximité du stimulus.



Jun 6, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 4: Presbytie et lentilles de contact

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