Chapitre 4 Pathologie vasculaire et troubles circulatoires
Connaître les mécanismes physiopathologiques des troubles hémodynamiques et de la maladie thromboembolique. Définir les notions d’ischémie, d’infarctus blanc et rouge, et décrire les principales modifications macroscopiques et microscopiques associées. Connaître et expliquer l’évolution possible de ces lésions.
Définir l’athérosclérose, en connaître les facteurs de risque et les principales formes topographiques. Connaître la structure générale d’une plaque athéroscléreuse et ses complications évolutives.
Connaître les principes généraux de la classification des artérites et les principales caractéristiques anatomocliniques de la maladie de Horton.
Stase sanguine/pathologie hémodynamique
Œdème
L’œdème est une augmentation de la quantité d’eau dans les espaces extra-vasculaires.
Physiopathologie : on distingue deux types d’œdèmes, selon qu’ils sont liés à des phénomènes hémodynamiques ou à un processus inflammatoire. Les principales causes des œdèmes sont résumées dans le tableau 4.1.
Augmentation de la pression hydrostatique |
Anomalies du retour veineux – Insuffisance cardiaque congestive – Obstruction ou compression veineuses – Compression extrinsèque (ex : par une tumeur) Vasodilatation artériolaire |
Diminution de la pression oncotique du plasma (Hypoprotéinémies) |
Glomérulopathies avec fuite protéique (syndrome néphrotique) Cirrhose du foie (ascite) Malnutrition Gastroentéropathie avec fuite protéique |
Obstruction lymphatique |
Inflammatoire Néoplasique Après chirurgie Post-radiothérapiques |
Rétention sodée |
Apport excessif de sel en cas d’insuffisance rénale Excès de réabsorption tubulaire de sodium |
Inflammation |
Inflammation aiguë Inflammation chronique Angiogénèse |
Modifié d’après Leaf A, Cotran RS : Renal Pathophysiology, 3 rd ed. New York, Oxford University Press, 1985, p 146
Les œdèmes hémodynamiques ou transsudatssont pauvres en protéines plasmatiques.
Ils peuvent résulter de plusieurs mécanismes (figure 4.1) :
• augmentation de la pression hydrostatique dans le secteur veineux : soit œdème localisé par obstacle sur une veine, soit œdème généralisé par insuffisance cardiaque globale (voir plus loin le paragraphe dédié à la congestion passive) ;
• diminution de la pression oncotique des protéines plasmatiques, dans les états d’hypoprotidémie (malnutrition sévère, protéinurie massive, insuffisance hépatique grave) ;
• rétention hydro-sodée (insuffisance rénale) ;
Les œdèmes lésionnels ou exsudatssont riches en protéines plasmatiques.
Conséquences des œdèmes : elles varient selon le siège et l’intensité de l’œdème :
• compression gênant le fonctionnement d’un organe : trouble de la fonction ventriculaire au cours d’un hydropéricarde (tamponnade) ;
• réaction inflammatoire (et surinfection) : complication possible des œdèmes prolongés ;
• décès, si l’œdème se développe dans une zone dangereuse : œdème aigu de la glotte, du poumon (OAP), œdème cérébral.
Congestion
La congestion est une augmentation de la quantité de sang contenue dans des vaisseaux qui se dilatent.
La congestion peut être active ou passive (figure 4.2). Beaucoup de causes de congestion sont aussi des causes d’œdèmes, ce qui explique que les deux anomalies soient souvent associées.
Congestion active
La congestion active est la conséquence d’une augmentation de l’apport de sang artériel (hyperhémie) par vasodilatation active des artérioles de la microcirculation (figure 4.3).
Elle se traduit par une rougeur et une chaleur locales. Les organes touchés sont de poids augmenté.
Congestion passive
La congestion passive est la conséquence d’un ralentissement du drainage sanguin veineux (stase).
Congestion liée à une insuffisance cardiaque gauche
Il s’agit d’une incapacité du cœur gauche à évacuer le sang veineux pulmonaire. Elle entraîne une élévation des pressions dans la circulation veineuse pulmonaire et des conséquences pathologiques prédominant au niveau du poumon : « poumon cardiaque».
Congestion liée à une insuffisance cardiaque droite ou globale
Elle entraîne une élévation des pressions dans l’oreillette droite, les veines caves et sus-hépatiques, et des conséquences pathologiques prédominant au niveau du foie : « foie cardiaque».
Si la stase est aiguë, le foie est gros, lisse, ferme, rouge sombre, laissant s’écouler à la coupe du sang noirâtre par les veines sus-hépatiques dilatées. Les tranches de section montrent une surface de coupe bigarrée (« foie muscade ») : un réseau rougeâtre se détache sur un fond jaune (figure 4.4). Microscopiquement, ce réseau correspond à une dilatation des veines et des capillaires centro-lobulaires. Si la stase est importante, l’hypoxie altère les hépatocytes centro-lobulaires, entraînant une stéatose puis une nécrose des hépatocytes. Ces lésions hépatocytaires peuvent confluer d’une zone centro-lobulaire à une autre, mais respectent les zones péri-portales mieux oxygénées (car recevant le sang de l’artère hépatique). Les lésions régressent rapidement avec le traitement de l’insuffisance cardiaque : le foie retrouve un volume normal, tout au moins jusqu’à l’épisode suivant de décompensation (« foie accordéon ») et les pertes hépatocytaires sont remplacées par la régénération hépatocytaire (division des hépatocytes sains).
Hémorragie
L’hémorragie est une issue de sang hors des cavités vasculaires.
• Hémorragie artérielle : sang rouge vif, s’écoulant de manière saccadée.
• Hémorragie veineuse : sang rouge sombre, s’écoulant de manière continue.
Les circonstances étiologiques sont multiples
• Rupture des vaisseaux ou du cœur : traumatisme externe, rupture d’une paroi fragilisée par une pathologie antérieure (anévrisme artériel), rupture du myocarde par nécrose ischémique (infarctus), destruction d’une paroi artérielle par un processus pathologique extrinsèque (ulcère gastrique, tumeur).
• Érythrodiapédèse au travers de parois capillaires altérées : lésions de l’endothélium par des toxines bactériennes (au cours de septicémies) ou à l’occasion de coagulopathies de consommation (lors de divers états de choc) ou au cours de certaines inflammations localisées (dites « hémorragiques »).
Types anatomiques des hémorragies
• Hémorragies extériorisées (externes) : hématémèse, méléna, rectorragies, épistaxis, hémoptysie, plaie cutanée.
• Hémorragies collectées dans une cavité naturelle (hémothorax, hémopéricarde, hémopéritoine, hémosalpinx).
• Hémorragies intratissulaires : hématomes (collection sanguine assez importante et bien limitée), hémorragie interstitielle (ecchymose, purpura, pétéchies).
Évolution des hémorragies localisées
• Les hémorragies tissulaires peu étendues évoluent progressivement vers la résorption et la guérison, avec réaction inflammatoire et dégradation locale de l’hémoglobine : hémosidérine et autres pigments dérivés de l’hème (« biligénie locale », expliquant le passage successif des ecchymoses par différentes couleurs). Les macrophages se chargent de pigment hémosidérinique (sidérophages).
• Si l’hémorragie, abondante, s’est accompagnée d’une nécrose tissulaire : développement d’une réaction inflammatoire, aboutissant à un tissu fibreux cicatriciel tatoué d’hémosidérine, parfois calcifié.
• En cas d’hématome volumineux, la détersion est souvent incomplète : il se produit alors un enkystement, on parle d’hématome enkysté. Cet hématome est une coque fibreuse entourant du sang dégradé (liquide citrin, teinté d’hémosidérine et renfermant des cristaux de cholestérol). Rarement, peut survenir une surinfection avec suppuration.
• Dans une cavité séreuse, des dépôts de fibrine vont s’organiser en un tissu fibreux, épaississant les séreuses et ayant tendance à donner des adhérences ou des symphyses (accolement des feuillets viscéraux et pariétaux de la séreuse).
Conséquences des hémorragies
Elles varient en fonction de leur importance et de leur siège.
• Choc hypovolémique en cas d’hémorragie abondante et rapide.
• Anémie ferriprive, si les hémorragies sont espacées dans le temps et lentes.
• Destruction d’un tissu fonctionnellement vital pour l’organisme, dilacéré par l’hémorragie (hémorragie intracérébrale ou surrénalienne).
• Compression gênant la fonction d’un viscère : hémopéricarde provoquant une insuffisance cardiaque aiguë (tamponnade), hématome extra-dural comprimant le cerveau.
État de choc
Le choc (ou collapsus cardio-vasculaire) est une défaillance circulatoire aiguë avec hypoperfusion généralisée des tissus. Il entraîne rapidement des lésions tissulaires par anoxie, initialement réversibles, mais dont la persistance aboutira à l’apparition de lésions tissulaires irréversibles et au décès.
Mécanismes des états de choc
Selon les mécanismes mis en jeu, les états de choc sont classés en :
• choc hypovolémique, par diminution du volume sanguin : hémorragie, pertes plasmatiques des grands brûlés, pertes hydro-sodées par vomissements ou diarrhée ;
• choc cardiogénique, par diminution du débit cardiaque : insuffisance cardiaque ; arrêt de la circulation cardiaque par embolie pulmonaire ;
• choc par vasodilatation généralisée : choc septique, choc neurogène (accident anesthésique, traumatisme médullaire), choc anaphylactique, choc toxique.
Morphologie des lésions du choc
• Système nerveux central : encéphalopathie ischémique, généralisée ou plurifocale, puis ramollissement cérébral.
• Myocarde : ischémie puis nécrose localisée ou généralisée.
• Muqueuse intestinale : lésions ischémiques multifocales coexistant avec des territoires sains, ulcérations de stress.
• Reins : nécrose tubulaire aiguë : les cellules épithéliales tubulaires sont très sensibles à l’anoxie et aux toxines. Morphologiquement : nécrose des cellules des tubes, œdème interstitiel et congestion.
• Poumons : atteinte surtout sévère dans les états de choc septiques : dommage alvéolaire diffus, responsable d’un syndrome de détresse respiratoire aiguë.
• Foie : dans les régions centro-lobulaires, nécrose ischémique en nappe des hépatocytes, stéatose (signe d’hypoxie).
Thrombose et maladie thrombo-embolique
Thrombose
La thrombose correspond à la coagulation du sang dans une cavité vasculaire (cœur, artère, veine, capillaire) au cours de la vie.
Le thrombus ainsi formé exclut par définition :
• les caillots sanguins formés après la mort (caillots post-mortem ou cadavériques) ;
• une collection de sang coagulé hors d’une cavité vasculaire (c’est un hématome).
Pathogénie de la formation du thrombus
Trois facteurs principaux, dont l’importance respective varie selon les situations pathologiques, interviennent dans la formation d’un thrombus. C’est la triade de Virchow (figure 4.5).
Facteur pariétal
Les causes de cette lésion pariétale sont multiples :
Morphologie du thrombus
Le thrombus récent
Il peut prendre des aspects variables, qui dépendent de son siège et de ses circonstances d’apparition.
1. une tête : le thrombus blanc constitué de plaquettes et de fibrine adhérant à la paroi ;
2. un corps : le thrombus mixte constitué en alternance d’éléments figurés du sang (leucocytes, hématies, plaquettes) et de fibrine : aspect hétérogène et strié (stries de Zahn). Le mécanisme de cette alternance est expliqué par les turbulences consécutives à l’obstacle initial (tête) : il se crée une série d’ondes stationnaires où le sang est immobile et coagule (bandes rouges), alternant avec des zones de turbulences, où les plaquettes et la fibrine s’accumulent (bandes blanches) favorisant la coagulation sanguine dans la bande rouge suivante ;
3. une queue : le thrombus rouge, formé de sang plus ou moins bien coagulé avec peu de fibrine, flottant vers l’aval du vaisseau, parfois sur plusieurs centimètres de long.
Le degré d’oblitération du conduit vasculaire est variable
• Thrombus totalement oblitérant : il s’agit le plus souvent d’un thrombus veineux ou capillaire, mais aussi des thrombus des artères de petit ou moyen calibre.
• Thrombus partiellement oblitérant ou mural : artères de gros et moyen calibre, cœur.
Évolution anatomique du thrombus
Organisation du thrombus
C’est l’éventualité la plus fréquente. Il s’agit d’une organisation fibreuse qui débute à la 48e heure. Le thrombus est progressivement recouvert et pénétré par des cellules endothéliales, par des monocytes-macrophages et par des cellules musculaires lisses, provenant de la paroi vasculaire à laquelle il adhère. Progressivement le thrombus est remplacé par un tissu conjonctif néo-formé qui apparaît à la zone d’insertion du thrombus et qui contient des fibres collagènes, des néo-capillaires sanguins et des macrophages chargés d’hémosidérine. Si le thrombus était mural, il va s’incorporer à la paroi vasculaire (épaissie) en se recouvrant progressivement de cellules endothéliales. Si le thrombus était oblitérant, les néo-vaisseaux sanguins qui traversent le thrombus peuvent aboutir à une reperméabilisation de la lumière vasculaire. Celle-ci reste le plus souvent incomplète ou très rudimentaire (figure 4.6). En l’absence de reperméabilisation, le thrombus organisé pourra éventuellement se calcifier (rare), aboutissant à la constitution de phlébolithes au niveau de varices thrombosées, par exemple.
Ramollissement du thrombus
Il s’agit d’une évolution rare, qui résulte de l’action des enzymes des polynucléaires présents dans le thrombus. Le ramollissement peut survenir sur un thrombus récent aseptique, et favoriser sa migration. Le ramollissement purulent (suppuration) est rare. Il correspond à l’infection primitive (par exemple dans le cas d’une endocardite) ou secondaire du thrombus par des bactéries, avec risque de désintégration-migration du thrombus et d’embolie septique.
Formes topographiques des thromboses
Thromboses intracardiaques
• thrombus mural développé sur une zone d’infarctus du myocarde ;
• thrombus sur les valvules cardiaques altérées par une infection bactérienne ; on appelle ces thrombus des « végétations » (figure 4.7) ;
Thromboses artérielles
Elles sont essentiellement déclenchées par le facteur pariétal, c’est-à-dire l’altération de la paroi artérielle (au minimum l’altération du seul endothélium). La cause principale est l’athérosclérose. Moins fréquemment, elles peuvent être la conséquence d’atteintes inflammatoires primitives de la paroi artérielle (synonymes : artérite ou angéite [figure 4.8]) ou d’une déformation de la paroi (anévrisme).
Les localisations les plus fréquentes correspondent aux artères les plus touchées par l’athérosclérose : aorte, artères des membres inférieurs, coronaires (figure 4.9), carotides, artères rénales, artères mésentériques, artères cérébrales.
Embolie
L’embolie est la circulation d’un corps étranger (exogène ou endogène) dans le courant circulatoire et son arrêt dans un vaisseau trop petit pour lui livrer passage. Le corps étranger prend le nom d’embole. Le point d’arrêt est déterminé par le lieu d’origine et par le diamètre de l’embole. Il en résulte que ce point se situe nécessairement dans une partie du système circulatoire sanguin où le calibre des vaisseaux va en diminuant : le système artériel (y compris pulmonaire).
Classification des embolies selon la nature de l’embole
Autres emboles, beaucoup plus rares
• Gazeux : blessure vasculaire avec introduction d’air, accident de décompression.
• Graisseux : il s’agit en fait souvent d’un embole de moelle osseuse à partir d’un foyer de fracture (figure 4.10) ou éventuellement de l’injection intraveineuse inappropriée d’une substance huileuse.
• Athéromateux (dit « de cholestérol ») : par migration d’un fragment de plaque athéroscléreuse ulcérée.
• Tumoral (néoplasique) : agrégat de cellules cancéreuses circulant dans le système lymphatique ou vasculaire sanguin, qui constitue le mode de dissémination à distance des tumeurs malignes (voir chapitre 9).
• Corps étranger (matériel médical, cathéter, etc.).
• Parasitaire, microbien (ex : embolie septique à partir d’une endocardite), amniotique.
Trajet des emboles
Trajet normal
• À partir de thromboses des veines de la grande circulation (veines des membres inférieurs, plexus pelviens, veine cave inférieure) : l’embole remonte vers le cœur droit, et se bloque dans une branche de l’artère pulmonaire. Si l’embole est volumineux, il se bloque dans le tronc de l’artère pulmonaire ou dans l’artère pulmonaire droite ou gauche. Les emboles plus petits, souvent multiples, se bloquent dans des petites artères pulmonaires distales intraparenchymateuses.
• À partir de thromboses des cavités cardiaques gauches (oreillette, ventricule) et des artères (aorte, iliaque, carotide) les emboles cheminent dans la grande circulation. L’embole s’arrête dans une artère des membres inférieurs, des reins, de la rate, du cerveau, du foie, etc.
Trajet anormal
Exceptionnellement, l’embole suit un trajet anormal : c’est l’embolie paradoxale.
• L’embole court-circuite le système artériel pulmonaire et passe du système veineux (cœur droit) vers le système artériel (cœur gauche) en empruntant une communication anormale entre les cavités cardiaques (communication inter-auriculaire), souvent à l’occasion d’une inversion du flux au travers de la communication par augmentation de pression dans l’oreillette droite, lors d’une embolie pulmonaire.
• Trajet rétrograde, par inversion du flux sanguin normal (cas de petits emboles néoplasiques).
Conséquences des embolies
Embolie pulmonaire
• Mort subite : par embolie massive dans le tronc de l’artère pulmonaire (l’interruption de la circulation entraîne l’arrêt cardiaque).
• Insuffisance cardiaque droite aiguë si une seule artère pulmonaire ou grosse branche artérielle est occluse (figure 4.11).
• Insuffisance cardiaque chronique (appelée « cœur pulmonaire chronique ») à la suite de multiples petites embolies pulmonaires distales souvent passées inaperçues (la réduction du lit vasculaire entraîne une augmentation des résistances pulmonaires et une hypertension artérielle pulmonaire).