Chapitre 4. Groupe cheval
en quoi le cheval peut être un médiateur thérapeutique ?
Karine Innocent
infirmière diplômée d’état
Anne-Laure Sebellini
psychomotricienne
Aujourd’hui encore il évoque chez chacun de nous puissance, vitesse, beauté et fierté. Ses vertus ont été reconnues tout au long de l’histoire comme permettant une ouverture nouvelle dans la recherche du bien-être, du plaisir, de la connaissance et de la reconnaissance de soi.
Depuis 40 ans, le cheval est utilisé dans un but thérapeutique parce qu’il mobilise psychiquement le patient simplement parce que c’est un être vivant « qui éprouve des sensations, très certainement des émotions et qui extériorise des comportements »32
Il demande de la part de l’homme qui souhaite entrer en communication avec lui une perception, une acceptation des signaux envoyés et une bonne interprétation de ceux-ci impliquant du verbal et du nonverbal. « À cheval, le geste devient communication, mais aussi expression d’un certain désir »33.
Entrer en communication avec le cheval mobilise des ressources que parfois n’utilisent plus les patients pour entrer en lien avec autrui.
Dépourvu d’intentionnalité, le cheval devient un contenant capable de recevoir les projections humaines qu’il renverra en miroir.
« Le cheval est un objet de soins, d’alimentation, de pansage, de manipulations d’un espace à un autre. Il devient alors support possible de projections des expériences vécues du sujet dans son propre corps et dans sa relation à l’autre. Le cheval peut être pensé en terme de contenant. En tant qu’être vivant, il est le support privilégié d’une circulation émotionnelle. L’image du cheval contient une force, une puissance, une liberté qui permettent la réactivation des images internes paternelles mais elle peut aussi renvoyer au contenant maternel en terme de chaleur, de portage, de bercements et d’odeurs… »34.
Le médiateur cheval permet alors de travailler et de restaurer la notion de « Moi-peau » par l’intermédiaire de deux principes fondamentaux : le holding et le handling.
Selon Didier Anzieu, la peau est importante en ce qu’elle fournit à l’appareil psychique les représentations constitutives du Moi et de ses principales fonctions. Il définit le Moi-peau comme « une figuration dont le Moi de l’enfant se sert au cours des phases précoces de son développement pour se représenter comme Moi à partir de son expérience de la surface de son corps »35.
Holding, handling
Si nous nous appuyons sur la théorie de D. Anzieu, la peau remplit une fonction de soutènement du squelette et des muscles et le Moipeau remplit une fonction de soutènement du psychisme.
La fonction biologique est exercée par ce que Winnicott a appelé le holding, c’est-à-dire par la façon dont la mère soutient le corps du bébé.
« L’utilisation du cheval permet un retour aux relations primitives mère-enfant. »36 C’est au cours de la monte à cheval que le patient peut expérimenter cette impression de portage et d’étayage physique qui amènera ensuite la fonction psychique de maintenance.
La sensation de la peau comme sac est éveillée chez le tout-petit par les soins du corps que lui procure la mère et qui sont appropriés à ses besoins. Avec le cheval la dimension de pansage prend sens par les caresses, les soins que l’on va prodiguer au cheval. Le corps du cheval est ainsi découvert dans sa globalité. Par le cheval, le patient pourra transposer la notion de contenant sur son propre corps.
Le cheval permet une phase de régression, possible par les différentes sensations corporelles ressenties. Le thérapeute par ses verbalisations, aide le patient à les transposer en fonctions psychiques. Nous voyons une illustration de cette régression face aux réactions de Bérénice, patiente du groupe. Au contact du cheval elle retrouve instantanément un vocabulaire et des attitudes de l’enfance, allant jusqu’à se comporter comme une petite fille lorsqu’elle est à cheval, parfois ne pouvant pas lâcher notre main au risque de tomber.
« Cet objet porteur permet de vivre une régression à un état originel. » « Se laisser bercer par le cheval (…) évoque une attitude affective régressive, une situation rappelant celle du maternage. Cette régression peut être souhaitable et s’inscrire dans un processus d’évolution »37.
Contexte
L’activité cheval a lieu dans un secteur de psychiatrie adulte de la banlieue parisienne. Elle existe depuis 5 ans.
Elle a été au départ créée pour répondre aux besoins spécifiques de certains patients hospitalisés au long court pour lesquels l’emprise institutionnelle était importante et pour lesquels le bénéfice thérapeutique était interrogé.
Il s’agissait d’élaborer du soin autour d’une activité régulière se déroulant à l’extérieur de l’hôpital.
L’activité a été pensée et initiée dans le contexte de l’arrivée de deux psychomotriciens. Cette nouvelle représentation professionnelle sur le secteur a permis en équipe de réfléchir à la mise en place de nouvelles formes de prises en charge faisant appel à leurs compétences spécifiques.
Elle a été pensée dès le départ avec pour référents des soignants ayant des approches de soins différentes de part la spécificité de leur profession, dans une volonté de pluridisciplinarité et de complémentarité.
Le fait que nous soyons psychomotricienne et infirmière, issues de deux formations différentes pour animer ce groupe permet grâce à des regards soignants différents et complémentaires d’enrichir nos réflexions autour de cette activité. De plus, cela permet aux patients de nous interpeller en fonction de nos spécificités.
La séance ne se tient que si l’une d’entre nous est présente. En cas d’absence, un autre membre de l’équipe (aide-soignant, infirmier ou ergothérapeute) prendra part à l’activité ceci afin de garantir l’existence et la continuité du groupe…
Actuellement ce groupe a adopté le fonctionnement d’un groupe semi-ouvert de cinq patients dont trois d’entre eux sont hospitalisés au long court. Les deux autres places peuvent être occupées par des patients ne restant hospitalisés que quelques semaines. Les indications ne sont dans ce cas pas du même ordre, il s’agit par exemple de rendre possible ou de maintenir, pour les premiers, un contact avec l’extérieur, et pour les seconds, de faciliter le lien thérapeutique, et également d’évaluer leurs capacités à interagir dans le groupe et vers l’extérieur.
La durée de l’engagement est discutée au cas par cas avec les patients et leurs thérapeutes.
Autour des séances, gravitent différents intervenants dont on peut dire que chacun a un rôle thérapeutique contribuant à la dynamique de groupe et à faire vivre l’activité.
La fonction de psychomotricienne amène à être attentive au rapport du patient à son schéma corporel ainsi qu’à son image du corps. La psychomotricienne remarque aussi la manière dont le patient mobilise son tonus, la façon dont tonus et émotions interagissent et donnent des indications sur l’état psychique et émotionnel du patient.
L’infirmière quant à elle est plus attentive aux interactions du patient dans le groupe, elle met en lien ce qui émerge lors des séances avec le quotidien du patient. Elle est un interlocuteur que le patient s’autorise à interpeller sur sa prise en charge ou à qui il demande de restituer des éléments des séances au reste de l’équipe. Elle valorise ainsi la participation du patient à ce groupe.
La monitrice du centre équestre a une place importante, elle est perçue par les patients comme une intervenante rassurante, garante des aspects techniques se rapportant à la discipline et à l’animal. Elle a une fonction de tiers entre les patients et les chevaux ainsi qu’entre les patients et les soignants et animateurs.
La participation ponctuelle de différents soignants du secteur facilite l’inscription de l’activité au sein de l’institution et permet d’amener dans ces moments une dynamique de groupe différente. Les patients ont alors l’opportunité d’initier un nouveau soignant ce qui peut leur permettre de montrer leur implication, leur savoir-faire.
Cette présence occasionnelle donne une réalité à cette activité pour l’équipe. Elle facilite les échanges dans le service entre les différents membres de l’équipe et les patients.
Ce type d’activité nécessite que les animateurs aient une connaissance en éthologie et en pratique équestre.
Cadre et indications
Les indications pour cette activité sont multiples, elles s’appuient sur le désir particulier de chacun, patients ou thérapeutes. Elles sont affinées en fonction de l’évolution du patient au sein de l’activité.
Elles sont initiées de deux façons, par un membre de l’équipe soignante ou par le patient lui-même. Leur pertinence est alors discutée en réunion de synthèse en lien avec le projet de soin du patient.
Après quelques années de pratique, l’évolution du groupe par sa constitution et du fait d’un changement de lieu ont amené des réajustements. Les indications ont été élargies ; le groupe est pensé à présent pour des patients hospitalisés à court terme ou suivis en ambulatoire afin de créer une nouvelle dynamique. Cela participe aux échanges entre le milieu hospitalier et l’extérieur.
Comme dans toute activité à médiation, il nous a fallu établir un cadre reconduit à chaque séance :
• Des horaires en lien avec le fonctionnement institutionnel : par exemple, l’heure de retour coïncide avec l’heure du déjeuner.
• Des règles de sécurité externes à l’activité qui sont à respecter, comme le port de la ceinture de sécurité dans le minibus.