Chapitre 4 Foie, voies biliaires et maladie du pancréas
• Contrôle de la synthèse et du métabolisme des protéines. Toutes les protéines circulantes, sauf les γ-globulines produites par les lymphocytes, sont synthétisées dans le foie. Il s’agit notamment de l’albumine (qui maintient la pression oncotique intravasculaire et transporte, dans le plasma, des substances insolubles dans l’eau comme la bilirubine et certains médicaments), des protéines porteuses et de transport comme la transferrine, et de tous les facteurs impliqués dans la coagulation et dans le système du complément. Le foie élimine les déchets azotés par la dégradation des acides aminés, la conversion de l’urée et l’excrétion rénale.
• Maintien de la glycémie. Le foie assure cette fonction en libérant du glucose dans le sang lorsque l’organisme est à jeun, soit par dégradation du glycogène stocké, soit en synthétisant du glucose à partir des acides aminés (à partir des muscles) ou du glycérol (à partir de tissu adipeux).
• Métabolisme des lipides. Le foie produit la plupart du cholestérol de l’organisme ; le reste provient des aliments. Le cholestérol est utilisé pour la synthèse des sels biliaires et est également nécessaire à la production de certaines hormones, notamment les estrogènes, la testostérone et les hormones surrénaliennes. Le foie synthétise également les lipoprotéines et des triglycérides (la plupart sont d’origine alimentaire).
• Métabolisme et excrétion de la bilirubine et des acides biliaires. Les acides biliaires sont formés à partir du cholestérol et sont excrétés dans la bile ; ils passent dans le duodénum via le canal cholédoque, où ils solubilisent les lipides en vue de leur digestion et absorption. La bilirubine provient de la dégradation des globules rouges vieillis et est finalement excrétée dans les urines et les fèces.
Biochimie hépatique et tests de la fonction hépatique
Un échantillon de sang envoyé en routine au laboratoire pour une biochimie hépatique sera traité par un analyseur automatisé à multiples canaux, qui fournira les taux sériques de bilirubine, de transaminases, de phosphatase alcaline, de γ-glutamyl transpeptidase (γ-GT) et des protéines totales. Ces tests sont souvent appelés « tests de fonction hépatique » (TFH), mais cette dénomination est trompeuse, car elle ne reflète pas fidèlement la façon dont le foie fonctionne. Les termes qui conviennent sont « tests sanguins hépatiques » ou « biochimie hépatique ». La fonction synthétique du foie est évaluée par mesure du temps de prothrombine (les facteurs de coagulation sont synthétisés dans le foie) et de la concentration de l’albumine sérique ; une altération de la fonction se traduit par une augmentation ou une diminution de la synthèse de ces protéines. Une hypoalbuminémie est également constatée dans les états hypercataboliques (par exemple en cas de maladie inflammatoire chronique ou de septicémie) et lorsque les pertes protéiques, par les reins (syndrome néphrotique) ou l’intestin (entéropathie avec perte de protéines), sont excessives. En cas d’obstruction biliaire, le temps de prothrombine peut également être prolongé à la suite de carence en vitamine K (un faible apport de sels biliaires dans l’intestin réduit l’absorption de vitamine K), mais contrairement à ce qui se passe dans une maladie hépatique, la coagulation est corrigée par la vitamine K, 10 mg par voie intraveineuse durant 2 à 3 jours.
• La bilirubine (normes < 17 mmol/l, 1,00 mg/dl) est le produit de dégradation de l’hémoglobine (voir plus loin). Une élévation isolée de la bilirubine sérique avec une biochimie hépatique par ailleurs normale est susceptible d’être due à un défaut héréditaire du métabolisme de la bilirubine (généralement, la maladie de Gilbert), à une hémolyse ou une érythropoïèse inefficace (mort prématurée des globules rouges dans la moelle osseuse). Une hyperbilirubinémie causée par une maladie hépatobiliaire est presque toujours accompagnée d’anomalies de la biochimie du foie ; elle atteint des niveaux particulièrement élevés le plus souvent en cas d’obstruction des voies biliaires. Des dosages répétés sont utiles au cours du suivi de certaines maladies, par exemple une cirrhose biliaire primitive, ou de la réponse au traitement, par exemple après le placement d’une endoprothèse en cas de cancer de la tête du pancréas.
• Aminotransférases ou transaminases. Ces enzymes sont présentes dans les hépatocytes et passent dans le sang lorsque les cellules hépatiques sont endommagées. Des taux très élevés peuvent être atteints en cas d’hépatite aiguë (20 à 50 fois la normale). L’aspartate aminotransférase (AST, normes de 10 à 40 U/l) est aussi présente dans le cœur et les muscles squelettiques, et une augmentation de la concentration plasmatique est également observée après un infarctus du myocarde et des lésions musculaires. L’alanine aminotransférase (ALT, normes de 50 à 40 U/l) est plus spécifique du foie que l’AST.
• La phosphatase alcaline (normes de 25 à 115 U/l) est située dans les membranes canaliculaires et sinusoïdales du foie. Sa concentration plasmatique augmente en cas de cholestase (l’écoulement de la bile est diminué ou complètement arrêté) quelle qu’en soit la cause, intra- ou extrahépatique. La phosphatase alcaline circulante provient également du placenta et des os, et le taux sérique s’élève pendant la grossesse, la maladie de Paget, l’ostéomalacie, la croissance des enfants et en cas de métastases osseuses. Les dosages des isoenzymes des phosphatases alcalines sériques ou de la γ-GT (voir ci-dessous) permettront de déterminer si la phosphatase alcaline sérique provient principalement des os ou du foie.
• La γ-GT (normes : hommes < 50 U/l, femmes < 32 U/l) est une enzyme hépatique des microsomes qui peut être induite par l’alcool et les médicaments inducteurs de l’enzyme, par exemple la phénytoïne. Une concentration sérique élevée est un test utile pour la détection d’un abus d’alcool. En cas de cholestase, la γ-GT augmente en parallèle avec la phosphatase alcaline sérique, car elle a une voie d’excrétion similaire.
Interprétation de la biochimie hépatique anormale
Une élévation prédominante des transaminases sériques indique une lésion hépatocellulaire. Une augmentation de la bilirubine sérique et de la phosphatase alcaline en excès des transaminases indique un trouble cholestatique comme la cirrhose biliaire primitive, la cholangite sclérosante primitive ou une obstruction extrahépatique du conduit biliaire. Une augmentation isolée de la bilirubine est probablement due à la maladie de Gilbert. L’attitude à prendre devant un taux élevé de bilirubine est discutée plus loin au paragraphe « Jaunisse ». Une anamnèse poussée (consommation d’alcool, exposition à des médicaments hépatotoxiques, facteurs de risque de maladie hépatique chronique), l’examen physique (en particulier les caractéristiques d’une maladie chronique du foie), des tests de laboratoire simples (pour rechercher des hépatites virales, des maladies métaboliques et auto-immunes du foie, tableau 4.1) et une échographie hépatique sont les premières étapes habituelles chez les patients dont les transaminases sériques restent élevées. Une biopsie du foie (voir ci-après) peut ensuite s’avérer nécessaire.
Cause | Marqueurs non invasifs de l’étiologie |
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Fréquente | |
Alcool | Antécédents d’alcoolisme, ↑ γ-GT sérique, ↑ VGM |
Hépatite B ± D | Ag HBs ± Ag HBe/ADN dans le sérum |
Hépatite C | Anticorps anti-VHC et ARN du VHC dans le sérum |
Autres | |
Cirrhose biliaire primitive | Anticorps sériques antimitochondries, ↑ IgM sériques |
Cirrhose biliaire secondaire | L’imagerie montre des conduits extrahépatiques dilatés |
Hépatite auto-immune | Autoanticorps sériques, ↑ IgG sériques |
Hémochromatose | Antécédents familiaux, ↑ ferritine sérique, ↑ saturation de la transferrine, gène HFE |
Syndrome de Budd-Chiari | Présence de facteurs de risque connus, hypertrophie du lobe caudé, flux anormal dans les veines hépatiques majeures à l’échographie |
Maladie de Wilson | < 40 ans, ↓ céruloplasmine sérique, ↓ cuivre sérique total, ↑ excrétion du cuivre (urine de 24 h), anneaux de Kayser-Fleischer |
Médicaments | Antécédents de prise de médicament, par exemple méthotrexate |
Déficit en α1-antitrypsine (AAT) | Âge jeune, emphysème associé, ↓ AAT sérique |
Mucoviscidose | Manifestations extrahépatiques de la mucoviscidose |
SHNA | Caractéristiques du syndrome métabolique, foie hyperéchogène à l’échographie |
Cholangite sclérosante primitive et secondaire | La plupart des patients ont également une MII et des p-ANCA sériques, des sténoses et dilatations des voies biliaires sur la cholangiographie (CPRM ou CPRE) |
Maladies métaboliques de stockage | Manifestations extrahépatiques |
Idiopathique (cryptogénique) | Absence de toute cause identifiable, y compris à la biopsie hépatique |
CPRE : cholangiopancréatographie rétrograde endoscopique ; CPRM : cholangiopancréatographie par résonance magnétique ; γ-GT : γ-glutamyl transpeptidase ; MII : maladie inflammatoire intestinale ; p-ANCA : peripheral antineutrophilic cytoplasmic antibody (ou ACPN pour anticorps anticytoplasme des polynucléaires neutrophiles) ; SHNA : stéatose hépatique non alcoolique ; VGM : volume globulaire moyen.
Autres examens en cas de maladie hépatique ou biliaire
L’échographie abdominale et la tomodensitométrie (TDM) sont largement utilisées dans les investigations des maladies hépatiques et des voies biliaires. L’échographie est généralement effectuée en premier et s’avère un test plus utile pour les lésions de la vésicule biliaire et des voies biliaires. L’échographie endoscopique (voir chap. 3) sert à la détection des tumeurs pancréatiques, à l’évaluation de l’état des voies biliaires, à la confirmation d’un cancer (cytoponction tumorale guidée par échographie) et au placement d’un tube devant drainer les collections liquidiennes pancréatiques.
• L’imagerie par résonance magnétique (IRM) est l’examen le plus sensible de la maladie hépatique focale. Elle est également utile chez les patients allergiques aux produits de contraste à base d’iode et chez qui une TDM avec produit de contraste est exclue. Une technique spécifique (cholangiopancréatographie par résonance magnétique [CPRM]) produit des images de haute qualité des canaux pancréatiques et biliaires qui sont semblables en apparence à celles obtenues par cholangiopancréatographie rétrograde endoscopique (CPRE) (voir ci-dessous). Cette technique non invasive remplace la CPRE diagnostique, mais non la thérapeutique.
• Une cholangiopancréatographie rétrograde endoscopique (CPRE) implique le passage d’un endoscope dans la deuxième partie du duodénum ; elle est réalisée sous sédation intraveineuse. Les canaux pancréatiques et biliaires sont visualisés après l’injection d’un produit de contraste radiographique par l’ampoule de Vater. Une lithiase peut être retirée d’un conduit et une endoprothèse peut être placée pour soulager l’obstruction causée par des rétrécissements. Les complications de la CPRE sont une hémorragie (après l’incision du sphincter afin de faciliter la canulation du cholédoque ou le retrait d’une lithiase), une pancréatite aiguë, une perforation ou une cholangite.
• La cholangiopancréatographie transhépatique percutanée (CTP) implique l’injection d’un produit de contraste dans le système biliaire par voie percutanée au moyen d’une aiguille insérée dans un canal intrahépatique. Elle est réalisée chez des patients avec dilatation biliaire et chez lesquels la CPRE a échoué ou est impossible. Si le canal biliaire est obstrué, une endoprothèse de contournement peut être insérée, qui assure à long terme un drainage externe ou interne.
• La biopsie du foie en vue d’un examen histologique est habituellement réalisée par voie percutanée sous anesthésie locale. Les contre-indications sont : une attitude peu coopérative du patient, un temps de prothrombine prolongé (plus de 3 à 5 s), un nombre de plaquettes < 50 × 109/l, une cholestase extrahépatique ou une suspicion d’hémangiome. Une biopsie guidée par échographie ou TDM est également effectuée lorsque des lésions spécifiques doivent être examinées. Les complications sont : une péritonite biliaire et un saignement dans le péritoine ou dans le conduit biliaire (hémobilie).
• L’évaluation de la fibrose et de la cirrhose du foie repose généralement sur l’examen histopathologique d’une biopsie hépatique. Les inconvénients de la biopsie sont l’erreur d’échantillonnage et son caractère invasif. L’imagerie (échographie, TDM et IRM) permettra de détecter une maladie hépatique avancée comme la présence de nodules et une hypertension portale, mais elle ne permet pas l’évaluation des premiers stades de fibrose. Des techniques non invasives développées récemment sont l’élastographie par IRM ou échographie, qui mesure la rigidité du tissu hépatique comme indicateur de fibrose, et des tests sériques qui dosent divers biomarqueurs (Fibrotest/Fibrosure), révélateurs de la gravité de la fibrose. Ils peuvent exclure une fibrose de manière très précise. Ces méthodes sont encore en cours d’évaluation, mais elles peuvent déjà limiter la biopsie hépatique, parmi les patients atteints d’une maladie hépatique chronique de cause connue, à ceux chez qui des tests non invasifs n’ont pas montré de manière fiable le stade de la fibrose/cirrhose.
Symptômes et signes d’une maladie du foie
Une affection hépatique aiguë, par exemple une hépatite virale, peut être asymptomatique ou se manifester par des symptômes généralisés de léthargie, d’anorexie et de malaise dans les premiers stades, un ictère se développant plus tard (voir ci-dessous).
• une ascite, avec gonflement et inconfort abdominaux ;
• une hématémèse et du méléna en raison de saignements de varices œsophagiennes ;
• de la confusion et de la somnolence dues à l’encéphalopathie hépatique.
Les patients arrivés à ce stade sont souvent extrêmement affectés et l’anamnèse peut s’avérer difficile. Cependant, un examen physique révèle en général des signes de maladie chronique du foie (fig. 4.1) et oriente le diagnostic vers la maladie hépatique responsable du tableau clinique.
Jaunisse
La jaunisse (ictère) est une coloration jaune de la sclérotique et de la peau à la suite d’une bilirubinémie élevée. Elle est habituellement visible cliniquement lorsque la bilirubine dépasse 50 mmol/l (3 mg/dl).
La bilirubine est dérivée principalement de la dégradation de l’hémoglobine dans la rate, et est transportée dans le sang par l’albumine. La bilirubine est conjuguée dans le foie par la glucuronyl transférase en glucuronide de bilirubine, qui est excrété dans la bile et transféré dans l’intestin grêle par les voies biliaires. Dans l’iléon terminal, la bilirubine conjuguée est transformée en urobilinogène et excrétée dans les selles (comme stercobilinogène, responsable de la pigmentation des matières fécales) ou réabsorbée et excrétée par les reins (fig. 4.2).
• l’hyperbilirubinémie congénitale – altération de la conjugaison de la bilirubine ou de son métabolisme hépatique. La biochimie hépatique autre que l’augmentation de la bilirubine est normale ;
• l’ictère cholestatique – insuffisance de la sécrétion de la bile par le foie ou obstruction des voies biliaires. La biochimie hépatique est anormale.
Ictère hémolytique
Une dégradation accrue des globules rouges conduit à une production accrue de bilirubine, qui se traduit généralement par une jaunisse bénigne (68 à 102 mmol/l ou 4 à 6 mg/dl), car le foie peut généralement faire face à l’excès de bilirubine provenant de l’hémolyse. La bilirubine n’est pas soluble dans l’eau et par conséquent ne passe pas dans l’urine, contrairement à l’hyperbilirubinémie conjuguée d’un ictère cholestatique. L’urobilinogène urinaire est augmenté. Les causes sont celles d’une anémie hémolytique (voir chap. 5), les caractéristiques cliniques dépendant de la cause. Les examens révèlent les conséquences de l’hémolyse (voir chap. 5), ainsi que l’augmentation de la bilirubine sérique non conjuguée et une biochimie du foie par ailleurs normale.
Hyperbilirubinémie congénitale
L’hyperbilirubinémie congénitale la plus fréquente est le syndrome de Gilbert, qui affecte 2 à 7 % de la population. Elle est asymptomatique et est généralement découverte de manière fortuite sur la base d’une bilirubine sérique augmentée (17 à 102 mmol/l, 1 à 6 mg/dl). Des mutations dans le gène codant l’UDP-glucuronyl transférase réduisent l’activité enzymatique et la conjugaison de la bilirubine avec l’acide glucuronique. Le diagnostic repose sur l’hyperbilirubinémie non conjuguée qui accompagne une biochimie hépatique par ailleurs normale, un hémogramme normal et notamment l’absence de réticulocytes (ce qui exclut une hémolyse) ainsi que sur une absence de signes de maladie hépatique. Le patient doit être rassuré, aucun examen supplémentaire ou traitement n’étant nécessaire.
Ictère cholestatique
• la cholestase intrahépatique, causée par un gonflement hépatocellulaire dans une maladie du parenchyme ou par des anomalies de l’excrétion biliaire au niveau cellulaire ;
• la cholestase extrahépatique résultant de l’obstruction du flux biliaire à n’importe quel point en aval des canalicules biliaires.
Examens
La figure 4.4 décrit la démarche diagnostique en cas d’ictère cholestatique.
• La biochimie hépatique sérique confirmera la jaunisse. L’AST a tendance à être élevée au début de l’hépatite, avec une petite hausse de la phosphatase alcaline. Inversement, dans l’obstruction extrahépatique, la phosphatase alcaline est élevée, alors que l’AST n’est que légèrement augmentée.
• En cas de cholestase extrahépatique, l’échographie montre une dilatation des voies biliaires et peut montrer où se situe l’obstruction et identifier la cause, par exemple une lithiase ou une tumeur.
• Les marqueurs viraux de l’hépatite A ou de l’hépatite B sont présents dans le sérum en cas d’hépatite virale aiguë. Des anticorps contre le virus de l’hépatite C (VHC) apparaissent tardivement au cours de l’infection aiguë, mais l’ARN du VHC est habituellement détectable après 1 à 2 semaines.
• Autres tests – le temps de prothrombine peut être prolongé en raison d’une malabsorption de vitamine K et être corrigé par l’administration de vitamine K (voir chap. 5). Des autoanticorps sont présents dans le sérum en cas de maladie auto-immune du foie (voir plus loin).
Hépatite
Les caractéristiques pathologiques de l’hépatite sont la nécrose des cellules hépatiques et l’infiltration de cellules inflammatoires. Sur la base de critères cliniques et pathologiques, on distingue les formes aiguës et chroniques.
Une hépatite aiguë est le plus souvent causée par un des virus d’hépatite (fig. 4.5). L’hépatite aiguë guérit généralement spontanément avec récupération d’une structure et d’une fonction normales. Parfois, une nécrose massive des cellules hépatiques survient (voir plus loin). Cliniquement, le patient peut devenir ictérique, et le foie hypertrophié et sensible ; l’atteinte hépatocellulaire se manifeste par une augmentation des aminotransférases sériques. La gravité de la maladie peut être évaluée par le temps de prothrombine et la bilirubinémie. L’hépatite alcoolique se distingue des autres causes d’hépatite aiguë par des anomalies de laboratoire caractéristiques (voir plus loin « Hépatite alcoolique »).
Une hépatite chronique est définie comme une maladie inflammatoire du foie durant depuis plus de 6 mois (tableau 4.2). Une hépatite virale chronique est la principale cause de maladie hépatique chronique, de cirrhose et de carcinome hépatocellulaire (CHC) dans le monde entier.
Virale Hépatite B ± D Hépatite C Auto-immune Médicaments Méthyldopa Nitrofurantoïne Isoniazide Kétoconazole Héréditaire Maladie de Wilson Autres Maladie inflammatoire intestinale Alcool |
Hépatite viraleMDO
Les caractéristiques différentes des formes courantes d’hépatite virale sont résumées dans le tableau 4.3. Tous les cas doivent être notifiés (MDO) à l’autorité de santé publique appropriée. Cela permet de tracer les contacts et fournit des données sur l’incidence de la maladie.
Hépatite AMDO
Épidémiologie
L’hépatite A (VHA) est le type le plus commun d’hépatite virale aiguë. Elle survient dans le monde entier et affecte particulièrement les enfants et les jeunes adultes. La transmission est féco-orale et résulte de l’ingestion d’eau ou d’aliments contaminés (par exemple crustacés, coquillages). Le virus est excrété dans les selles des personnes infectées pendant environ 2 semaines avant le début de la maladie et jusqu’à 7 jours après. Il est le plus infectieux juste avant l’apparition de la jaunisse.
Examens
• La biochimie hépatique montre une augmentation de l’ALT et de la bilirubinémie lorsque l’ictère se développe.
• On peut constater une leucopénie avec lymphocytose relative et une vitesse de sédimentation (VS) accélérée. Le temps de prothrombine est allongé dans les cas graves.
• L’infection aiguë par le VHA est diagnostiquée sur la base des IgM sériques anti-VHA ; les anticorps IgG anti-VHA indiquent une infection passée.
Prophylaxie
• Immunisation active. La vaccination par une souche inactivée du virus est indiquée pour les voyageurs dans les zones de forte prévalence (Afrique, Asie, Amérique du Sud, Europe de l’Est, Moyen-Orient), les patients atteints de maladie chronique du foie (chez lesquels la maladie est plus grave), les hémophiles traités avec des facteurs de coagulation dérivés du plasma et les personnes exposées par leur profession (personnel et résidents de foyers qui ont de graves difficultés d’apprentissage, travailleurs à risque d’exposition à des eaux usées non traitées).
Hépatite BMDO
Épidémiologie
L’hépatite B (VHB), présente dans le monde entier, est particulièrement répandue dans certaines régions d’Afrique, au Moyen-Orient et en Extrême-Orient. Dans le monde entier, c’est la transmission verticale de la mère à l’enfant pendant l’accouchement qui est la voie la plus commune. Le VHB se transmet également par les produits sanguins et le sang, par les rapports sexuels, en particulier chez les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes, et par transmission horizontale entre enfants à la suite d’abrasions mineures ou de contact étroit.
Infection aiguë par le VHB
Le VHB pénètre dans l’hépatocyte, et les protéines étrangères du VHB exprimées par les hépatocytes suscitent chez les adultes immunocompétents une forte réaction de l’immunité cellulaire. Celle-ci conduit à l’élimination de l’infection chez 99 % des adultes infectés ; en conséquence, l’Ag HBs disparaît du sérum, des anticorps contre l’antigène de surface (anti-HBs) apparaissent, et le patient est devenu immunisé contre une infection ultérieure (fig. 4.6A et tableau 4.4). L’infection aiguë peut être asymptomatique ou entraîner des symptômes et des signes similaires à ceux observés dans l’hépatite A. Elle est parfois associée à une éruption cutanée ou à une polyarthrite touchant les petites articulations. Une insuffisance hépatique fulminante survient chez 1 % des patients (voir plus loin). Les examens sont généralement les mêmes que pour l’hépatite A. Contre l’infection aiguë par le VHB, on ne dispose d’aucune thérapie spécifique ; le traitement est essentiellement de soutien.
Hépatite B chronique
La persistance de l’Ag HBs dans le sérum pendant plus de 6 mois après l’infection aiguë définit une infection chronique. La progression de l’infection chronique aiguë dépend de plusieurs facteurs, dont la virulence du virus et l’immunocompétence du patient ainsi que son âge. Lorsque l’infection au VHB est acquise à la naissance (transmission verticale) ou durant la petite enfance, la tolérance immunologique est élevée et les réactions immunitaires cellulaires aux protéines VHB dans la membrane des hépatocytes ne se produisent pas, d’où la persistance fréquente d’une infection chronique. Cette phase de tolérance immunitaire est caractérisée par une activité inflammatoire hépatique minime et des taux sériques d’ALT normaux ou quasi normaux, malgré la présence d’Ag HBe et un degré élevé de réplication du VHB, qui se traduit par l’abondance de son ADN dans le sérum. Cette phase peut persister pendant 2 à 3 ans avant que ne se développe une phase de clairance immune, de durée variable et s’accompagnant de taux élevés d’ADN viral comme dans la phase précédente. L’hépatite est devenue active, avec un taux sérique élevé d’ALT, et peut aboutir à une fibrose et à une cirrhose. Cette phase se termine avec la disparition de l’Ag HBe et l’apparition des anticorps anti-HBe (séroconversion HBe), avec une diminution marquée de l’ADN viral dans le sérum et une normalisation des taux sériques d’ALT (état inactif de porteur d’Ag HBs). Chez certains patients, pendant la phase de clairance immune, le virus mute (voir ci-dessus) et ne produit plus d’Ag HBe, mais il continue à se répliquer fortement, ce qui cause des lésions hépatiques progressives se manifestant par des fluctuations des taux sériques d’aminotransférases (phase de réactivation). Une infection survenant plus tard dans la vie peut être associée à une phase très courte de tolérance immunitaire. Mais la plupart des patients se débarrassent du virus (voir infection aiguë), et l’infection ne devient chronique que chez un petit pourcentage de patients (fig. 4.6B).
Le tableau 4.4 reprend les marqueurs sérologiques d’infection par le VHB aux différents stades.
Traitement de l’infection chronique : qui traiter
Pour les patients qui sont porteurs d’Ag HBs et chez qui les données cliniques et/ou épidémiologiques suggèrent une infection chronique, on peut envisager un traitement sans attendre le délai de 6 mois, qui définit la chronicité après une infection aiguë. En effet, les personnes porteuses d’Ag HBs courent un risque certain car il existe une relation étroite entre la réplication du VHB et l’évolution de la maladie hépatique chronique vers la cirrhose, le carcinome hépatocellulaire, ou les deux. La quantité d’ADN du VHB dans le sérum reflète directement le taux de réplication virale et doit être mesurée chez tous les patients atteints d’infection chronique. Le traitement est administré aux patients qui sont les plus susceptibles de développer une maladie hépatique progressive (c’est-à-dire des taux élevés de réplication du VHB) et à ceux qui sont les plus susceptibles de répondre au traitement. Aussi, des patients avec une infection chronique à VHB, c’est-à-dire qui sont porteurs de l’Ag HBs et qui ont les taux sériques d’ALT et d’ADN du VHB élevés (≥ 20 000 UI par ml), doivent recevoir un traitement antiviral (voir ci-dessous). Un traitement antiviral n’est pas utilisé chez les porteurs d’un VHB inactif (ALT normale et ADN VHB ≤2 000 UI/ml), qui courent un risque faible de maladie hépatique évolutive. Toutefois, chez ces patients, la sérologie de l’hépatite B et la biochimie hépatique devraient être contrôlées annuellement, puisque certains développeront une maladie évolutive et nécessiteront un traitement. Les patients qui se situent en dehors de ces catégories peuvent nécessiter un traitement si une biopsie hépatique révèle une inflammation importante ou une nécrose, ou si l’ALT sérique augmente au cours du suivi.
Hépatite B et co-infection par le VIH
Les voies d’infection sont similaires pour le VHB et le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) et les taux de co-infection atteignent 10 à 20 %. Tous les patients atteints d’infection chronique à VHB devraient subir un test de dépistage du VIH, et vice versa. Les tests doivent être répétés si le risque d’infection par le VIH est continu, en particulier avant qu’un traitement anti-VHB ne soit envisagé. Chez une personne exposée au VHB, une infection par le VIH augmente le risque d’infection chronique et d’évolution vers une maladie hépatique plus grave. Le traitement de la co-infection est complexe et ne peut être appliqué que dans un centre spécialisé.
Hépatite D (delta ou agent δ)MDO
Le virus de l’hépatite D (VHD), qui est incomplet, a son ARN enfermé dans une coque d’Ag HBs. Il est incapable de se répliquer seul ; il ne peut le faire qu’en présence du VHB. Il peut toucher tous les groupes à risque d’infection par le VHB, mais il est particulièrement fréquent chez les consommateurs de drogues par voie intraveineuse. L’infection peut survenir comme une co-infection avec le VHB ou comme une surinfection chez un patient déjà porteur d’Ag HBs, et occasionne dès lors une maladie impossible à distinguer de l’infection à VHB aiguë, ou comme une poussée (avec augmentation des transaminases) d’une infection chronique à VHB préalablement latente. Le diagnostic repose sur la mise en évidence de l’ARN du VHD ou d’IgM anti-VHD dans le sérum.
Hépatite CMDO
Épidémiologie
L’hépatite C (VHC) est répandue dans le monde entier, mais est plus fréquente dans le sud de l’Europe, l’Afrique et l’Egypte. Dans les pays développés, le principal mode de contamination est l’usage de drogues intraveineuses et, dans les pays en développement, la transfusion de produits sanguins et l’exposition à des instruments mal stérilisés (tableau 4.3). On distingue six génotypes viraux, dont le type 1 est le plus commun en Europe et aux États-Unis.
Caractéristiques cliniques
L’infection aiguë est généralement bénigne, un ictère n’apparaissant que dans moins de 10 % des cas. La plupart des patients infectés par le VHC développeront une maladie du foie chronique, et le diagnostic ne sera posé que lorsqu’ils se présenteront, des années plus tard, avec une augmentation des taux sériques des transaminases découverte à l’occasion d’un examen sanguin de routine (par exemple lors d’un contrôle de santé), ou lorsque des symptômes et des signes de maladie hépatique chronique et de cirrhose se manifesteront (fig. 4.1). Les patients atteints de cirrhose secondaire à une hépatite C chronique courent un risque accru de carcinome hépatique. L’infection chronique peut se compliquer d’une arthrite, d’une porphyrie cutanée tardive et d’une glomérulonéphrite avec cryoglobulinémie.
Hépatite EMDO
L’agent est un virus à ARN qui provoque, comme le VHA, une hépatite par voie entérique, lors d’une épidémie ou d’une contamination hydrique, en particulier dans les pays en développement (tableau 4.3). Le diagnostic repose sur la détection d’anticorps sériques IgG et IgM anti-VHE ou de l’ARN viral dans le sérum ou les selles.
Insuffisance hépatique fulminante
Il s’agit d’une insuffisance hépatique avec encéphalopathie (une affection neuropsychiatrique, conséquence de maladie hépatique), qui se développe en moins de 2 semaines chez un patient avec un foie auparavant normal, ou en cas d’exacerbation aiguë d’une maladie hépatique latente. Pour les cas qui évoluent à un rythme plus lent (2 à 12 semaines), on parle d’insuffisance hépatique subaiguë ou subfulminante. Elle est une complication rare de l’atteinte hépatique aiguë quelle qu’en soit la cause (fig. 4.5) et survient à la suite d’une nécrose massive des cellules hépatiques. En Europe, l’hépatite virale et un surdosage de paracétamol sont les causes les plus communes. Le tableau clinique est celui d’une encéphalopathie hépatique (tableau 4.5) de gravité variable, accompagnée d’un ictère important et d’une coagulopathie marquée. Les complications sont notamment l’œdème cérébral, l’hypoglycémie, de graves infections bactériennes et fongiques, de l’hypotension et une insuffisance rénale (syndrome hépatorénal). La plupart des patients doivent recevoir un traitement de soutien dans un service d’hépatologie spécialisé (tableau 4.6). Parmi les cas très graves (encéphalopathie de grade IV), 80 % pourraient mourir en l’absence de transplantation hépatique d’urgence, dont l’efficacité dépend en fait de la cause.
Stade | Signes neurologiques |
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0 | Pas d’altération de la conscience, des fonctions intellectuelles, de la personnalité ou du comportement |
1 | Somnolence diurne, brève durée d’attention, astérixis léger* |
2 | Léthargie, somnolence, désorientation en général dans le temps, comportement inapproprié, astérixis évident* |
3 | Endormi, mais peut être réveillé, confusion, discours incompréhensible |
4 | Coma |
* Astérixis : battements involontaires de la main quand le bras est tendu et le poignet redressé.
Rapport international normalisé > 3,0 Encéphalopathie hépatique Hypotension après restauration hydrique et électrolytique Acidose métabolique Temps de prothrombine (secondes) > intervalle (heures) depuis le surdosage (paracétamol) |