4. Distance et soins

‘étais dans un stage dans une école où il y avait une infirmière pour 1 200 élèves. Elle était épuisée à la fin de la journée. En plus, personne n’écoute la personne qui travaille là, ce qu’elle fait n’est pas compris. Avec moi, elle pouvait parler à quelqu’un, ça lui faisait du bien car elle prenait sur elle tous les problèmes des adolescents à longueur de journée et il y avait des situations très douloureuses. Ce qui manque, c’est quand on a un trop plein, il faudrait des psychologues dans toutes les institutions pour déverser ce qu’on a à dire car à force d’être remplis des choses des autres, il faut bien à un moment donné pouvoir les “recracher”, se débarrasser de ça. On se remplit des choses des autres même si on a une grande distance. »








Les terme de « trop plein », de « être rempli de », « déverser », « recracher » sont des images fortes qui illustrent bien ce que le transfert des personnes à soigner, pris violemment du fait que l’infirmière s’est laissé envahir, emplir, sans pouvoir parler de l’angoisse qu’elle a pu ressentir, peut générer. De quelle « grande distance » parle-t-elle ici ? La distance est-elle un comportement physique ?

Voici comment réagissent certains élèves infirmiers par rapport à la question de la « distance » :

« B9782294701924500041/u04-02-9782294701924.jpg is missinga compassion, c’est dangereux pour nous. Si on fait ça à longueur de journée, on sait plus où on en est et je trouve ça super dangereux. »

« B9782294701924500041/u04-03-9782294701924.jpg is missingest pas notre famille. Je veux bien être humain mais il y a des limites à poser, sinon, on s’en sort plus. On devient fou. »

« B9782294701924500041/u04-02-9782294701924.jpg is missing’empathie, la compassion, ça fait beaucoup je trouve. Il ne faut pas se laisser détruire par la maladie de celui dont on s’occupe. Sinon, on peut plus travailler. »

« B9782294701924500041/u04-04-9782294701924.jpg is missingn fait, c’est quoi la bonne distance avec le patient ? Il faut se déshumaniser si on veut être distant, non ? Il faut se détacher de notre propre nature si notre nature c’est d’être compatissant. »

« B9782294701924500041/u04-05-9782294701924.jpg is missingi on est distant, alors tout est mécanique : on prend le patient, on fait le soin, on l’écoute, on le laisse. Tout ça, c’est mécanique et j’apprécie pas trop que ça soit mécanique. »

« B9782294701924500041/u04-02-9782294701924.jpg is missingorsqu’une patiente pleure et souffre, on peut pas faire comme si c’était pas important, mais, on peut pas toujours écouter non plus parce que c’est trop triste. C’est pas facile comme position. »

« B9782294701924500041/u04-06-9782294701924.jpg is missingoi, j’ai compris qu’on ne doit pas se mettre à la place du patient. Il faut rester le corps soignant, c’est ça la distance. On compatit, mais bon… Il ne faut pas de registre affectif. »





Les étudiants, futurs infirmiers, se défendent de se laisser toucher par le patient ce qui est une manière aussi de dire à quel point leur profession est difficile, à quel point ils sont touchés et ont envie de parler de leur malaise devant la souffrance, ainsi que de leur interrogation sur ce qui serait une position juste face au malade.

La parole de ces futurs professionnels est très précieuse parce qu’ils ont le courage de dire ce qui leur pose problème, ce qui les effraie, c’est un premier pas pour analyser et trouver des solutions à ce qui leur pose question : quelle position adopter dans laquelle les professionnels aient le sentiment d’être justes par rapport au patient et par rapport à eux-mêmes, professionnellement et humainement aussi ?

Il est tout à fait normal d’avoir peur de se lancer dans une pratique concernant des êtres humains. C’est même plutôt rassurant de ressentir de la crainte : cela montre le prix que l’on accorde à la vie humaine et la crainte que l’on a de faire souffrir quelqu’un. Ce qui serait terrible, ce serait que cette crainte disparaisse, parce qu’alors cela signifierait que le professionnel aurait développé une insensibilité à la douleur d’autrui préjudiciable à sa fonction par la suite.



◗ Qu’est-ce que la « distance » avec le patient ?


La distance n’est pas synonyme d’insensibilité, de froideur. De toute façon, les divers témoignages ci-dessus montrent que les futurs infirmiers ne le sont pas, n’ont pas envie de le devenir car ils sentent qu’il s’agirait là d’une dérive dans leur évolution professionnelle. Toutefois, ils pensent que prendre de la distance c’est se forcer à ne pas se laisser toucher par le malade.

Je me souviens, en maison de retraite, d’un jeune stagiaire infirmier qui me disait que, dans ses formations, on lui avait dit qu’il ne fallait pas s’attacher aux personnes âgées parce qu’elles allaient mourir un jour et que cela deviendrait insupportable pour lui s’il s’y attachait. Pour lui, c’était cela faire preuve de distance : ne pas s’attacher. Or, il était ennuyé parce qu’il s’attachait « malgré lui » disait-il. Comme pour beaucoup d’autres soignants qui s’occupent de personnes âgées, c’était un premier lien, enfant, avec une voisine âgée dont ses parents et lui s’occupaient qui lui avait donné envie de diriger son métier dans cette voie. Ce lien, plein d’affection et d’émotions, soutenait son désir auprès de ces personnes âgées. Celles-ci bénéficiaient donc d’un transfert de la part de ce jeune homme qui réactualisait, dans sa relation de soin avec les résidents de la maison de retraite, les affects qu’il avait eus pour cette voisine de son enfance. Elle avait, me disait-il, tenu une place importante dans sa vie et celle de sa famille, comme un membre de cette famille à part entière.

Cette situation transférentielle soutient le soin et le facilite lorsque, psychiquement, l’infirmier sait qu’une partie de l’affection que reçoit le patient est liée à une autre personne qu’il a connue et que les sentiments générés jadis par ce lien renaissent à l’occasion de la relation de soin présente. La distance, psychique, s’effectue plus naturellement lorsque la part des choses est ainsi faite : l’infirmier a une affection pour la personne soignée, et tant mieux. En même temps, c’est parce qu’en elle il retrouve un peu de cette personne âgée de son enfance pour laquelle subsiste en lui des sentiments affectueux. Dans l’inconscient il n’y a ni passé, ni futur. L’inconscient ne connaît pas le temps, tout ce qui a été refoulé subsiste dans un présent et une permanence ravivée dans le transfert avec une actualité des affects même si ces derniers sont liés à des situations infantiles.

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May 9, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 4. Distance et soins

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