Chapitre 39. Infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH)
Contexte et évolution de la maladie
Virus de l’immunodéficience humaine (VIH)Le traitement antirétroviral, tel qu’il est disponible depuis 1996 (trithérapie), a radicalement transformé le pronostic de la maladie, qui, jusqu’en 1994 où l’épidémie a culminé (juste avant l’avènement de la prophylaxie durant la grossesse), vouait inéluctablement à la mort. Cette évolution fatale occupait une place considérable non seulement dans la vie psychique des familles, mais également dans celle des soignants qui assistaient, impuissants, à une lente et inévitable hécatombe. À cette époque, l’enjeu du soin aux enfants portait, d’une part, sur la tentative de retarder l’évolution de la maladie tout en préservant une certaine qualité de vie et, d’autre part, sur la dimension familiale d’une maladie qui touchait le plus souvent un ou deux parents et parfois plusieurs enfants, avec les implications psychologiques, sociales, économiques que cela supposait. Le décès des parents convoquait les familles élargies dans leur capacité à élever un enfant orphelin malade.
Les enfants et adolescents atteints par la maladie, lorsqu’ils ne décédaient pas rapidement du fait d’un déficit immunitaire néonatal déjà grave, se trouvaient fréquemment hospitalisés à l’occasion d’infections sévères et de dénutrition entraînant d’importantes limitations fonctionnelles. Ces hospitalisations s’avéraient d’autant plus traumatiques que certains de ces enfants avaient déjà perdu l’un de leurs parents, parfois les deux.
De nos jours, le contexte de la maladie a radicalement changé. Les décès sont devenus rares, et l’hospitalisation des enfants a pratiquement disparu. Les familles qui ont survécu jusqu’à l’arrivée des trithérapies ont vu leur vie se transformer complètement, du fait d’une santé et d’une autonomie retrouvées et de la disparition des marques de la maladie. Projets et projections dans l’avenir à long terme sont redevenus possibles. Bref, cette maladie, aux conséquences toujours dramatiques dans certaines parties du monde ne disposant pas des traitements modernes, s’est transformée, dans les pays qui en bénéficient, en une situation médicale chronique, stable sur le long terme et qui autorise une vie normale dans le monde adulte pour la plupart des enfants. Une nouvelle génération d’enfants qui n’ont jamais été malades est donc en train de grandir et d’évoluer dans un climat beaucoup plus serein, au sein d’un environnement parental lui aussi rassuré.
On estime, en 2008, qu’environ 1 500 à 2 000 enfants infectés par le virus du SIDA vivent en France. Les nouveaux cas de contamination néonatale sont devenus rares (pas plus d’une vingtaine par an). En revanche, un nombre significatif d’enfants nés dans des pays de forte endémie et récemment installés en France sont régulièrement diagnostiqués comme étant infectés. Ils représentent aujourd’hui une population croissante dans les grandes villes et leur périphérie.
Par ailleurs, les contaminations par voie sexuelle ou lors d’expérience de toxicomanie ne concernent plus à ce jour, du fait du travail de prévention et des changements de comportement, qu’un nombre restreint d’adolescents.
Une double révolution thérapeutique
En ce qui concerne la transmission du virus de la mère à l’enfant
Transmission (maternofœtale)De nos jours, une femme enceinte séropositive dépistée à temps et bénéficiant d’une trithérapie ne présente pratiquement plus de risque de transmission. À la naissance, le nouveau-né reçoit lui aussi un traitement antiviral durant quelques semaines, afin d’encadrer la période de risque maximal de transmission que représente le moment de l’accouchement. Le nouveau-né est ensuite suivi pendant environ 18 mois afin de s’assurer qu’il n’est pas infecté et au-delà, jusqu’à l’âge de 5 ans, pour s’assurer de l’innocuité des traitements administrés pendant la grossesse.
De plus, des techniques de procréation médicalement assistées sont désormais à la disposition des couples dont l’un est infecté et l’autre pas (selon que l’homme ou la femme, ou les deux, sont infectés, la technique de PMA varie).
En ce qui concerne les enfants infectés par le VIH
Aujourd’hui, la plupart des enfants sont traités avant l’apparition de tout symptôme clinique. Ce traitement leur permet un développement physique harmonieux. Mais si ces traitements sont assez simples à prendre, ils requièrent une parfaite observance quotidienne pour être efficaces à long terme et éviter le développement de résistances du virus aux antiviraux.
Cette question de l’observance est donc au cœur de la réussite de la prise en charge, et justifie, de la part de l’entourage et de l’équipe soignante, un accompagnement capable de s’adapter aux problématiques propres à chaque période de la vie du sujet, depuis le nourrisson jusqu’au jeune adulte, en passant par l’adolescent.
Ainsi, de nos jours, les difficultés à vivre avec une infection au VIH s’apparentent davantage à celles des autres maladies chroniques.
Une situation paradoxale
Deux singularités doivent cependant être soulignées, parce qu’au cœur du problème de l’infection au VIH et de son contexte historique : le problème du secret, et celui de la sexualité – les deux rappelant que l’infection VIH est une maladie familiale, transmissible et fortement stigmatisée. Ces enjeux confrontent ainsi les patients à de nombreux égards à l’expérience de la différence et au risque de marginalisation, si bien que l’on se retrouve dans la situation très paradoxale d’une population en bonne santé, non symptomatique, capable de mener une vie normale, et en même temps confrontée au poids d’une histoire dramatique encore très présente dans la mémoire et les fantasmes de la société qui, aujourd’hui encore, connote l’infection VIH de la notion de déviance, d’immoralité, bref, de préjugés sur la sexualité et la moralité des sujets atteints, au point que cette infection reste parfaitement tabou.
Ce tabou est par ailleurs particulièrement présent chez les populations migrantes originaires d’Afrique noire et des territoires d’outre-mer, qui vivent toujours l’infection au VIH comme l’équivalent d’une condamnation – au point que cette infection est souvent tue au sein même des familles et des communautés, du fait de la peur de s’en trouver exclu. L’information à l’enfant sur sa maladie apparaît alors dans ce contexte comme un problème particulièrement sensible, dans la mesure où le traitement ne souffre aucune hésitation. Depuis quelques années toutefois, et devant le recul constaté de la maladie et l’allongement considérable de l’espérance de vie, en parler devient progressivement plus facile.
En ce qui concerne les adolescents, à un âge où les liens interpersonnels tiennent une place centrale dans leur vie, ne pas se faire rejeter constitue un enjeu majeur de leur vie sociale et affective au quotidien. C’est ainsi qu’environ la moitié d’entre eux optent pour le secret absolu sur leur infection, dans le but d’éviter toute stigmatisation. Le maintien, psychiquement extrêmement coûteux, de ce silence, apparaît alors tout à fait paradoxalement comme une seconde maladie chronique qui vient bien souvent doubler et même occulter la première. Ce problème est crucial dans la mesure où certains mécanismes de défense, tels le déni de leur séropositivité, s’expriment alors parfois par des comportements allant jusqu’à l’inobservance du traitement ou encore certaines prises de risque.
D’autres jeunes s’engagent au contraire dans un combat actif d’affirmation de soi au sein d’une société à laquelle ils se réclament appartenir, au même titre que n’importe qui d’autre.
Quoi qu’il en soit, la période d’activité sexuelle dans laquelle entrent les adolescents les confronte à des inquiétudes sur le risque que leur entourage puisse se méprendre sur l’origine de leur contamination. La sexualité fait donc chez eux doublement effraction : du fait de leur adolescence d’une part, du fait de leur séropositivité d’autre part. Cette double effraction les propulse parfois dans un univers adulte doublement inconnu : celui du relais de la prise en charge pédiatrique initiale vers des services d’adultes, et celui de malades adultes dont les problématiques s’avèrent parfois pour eux très déroutantes, loin de leurs préoccupations d’adolescents, rendant alors difficile le travail d’identification.
C’est pourquoi certains adolescents attachent une grande importance à faire savoir que leur contamination remonte à la période de l’enfance et qu’ils n’en sont donc pas responsables. Il s’agit là d’une manière de maintenir hors de portée leur propre sexualité balbutiante tout en se distinguant clairement des adultes dont ils peuvent, à tort ou à raison penser, qu’ils se sont contaminés par voie sexuelle (ou lors de conduites toxicomaniaques), et auxquels ils refusent de s’identifier.
Une infection à dimension familiale
Information de l’enfant sur l’infection de ses parents
Si l’adolescent se défend d’une contamination par voie sexuelle, la sexualité de ses parents est en revanche clairement convoquée : lors d’une infection périnatale par le VIH, l’un des deux parents au moins est infecté ou est décédé du SIDA. C’est ainsi que le secret, souvent préservé dans l’enfance, sur l’histoire intime de la contamination des parents se trouve rompu au moment de l’adolescence, période où la sexualité et la question des origines sont à nouveau convoquées. Dans les faits, les parents en parlent peu et en ignorent même parfois l’origine précise. Risque alors de s’installer un climat de non-dit qui peut aller jusqu’à véritablement structurer les modalités relationnelles et transactionnelles au sein de la famille, avec les difficultés que cela implique pour se construire.
Relation des parents avec un nourrisson infecté
La découverte de la présence du virus VIH chez un enfant est toujours pour les parents une expérience traumatique, massive et inévitable. Elle génère une forte charge d’angoisse, fréquemment associée à (…) des réactions de révolte, d’autant plus lorsque s’ajoute à la découverte du virus chez l’enfant la découverte du virus chez la mère, et parfois chez le père. À cette occasion, des fragments de vie privée jusqu’alors tenus secrets sont dévoilés, entraînant de fortes tensions dans le couple, ce qui complique encore le drame familial en train de se vivre. L’annonce d’une séropositivité bouleverse la vie psychique et peut entraîner des ruptures familiales irréversibles, dont l’enfant qui vient de naître est victime à des degrés divers, tandis qu’il devient le témoin révélateur de la faute commise par les parents. Par la voie de la contamination maternelle, les fautes familiales inscrites dans une histoire transgénérationnelle sont aussi transmises à l’enfant. L’enfant séropositif peut ainsi devenir l’héritier désigné de cette histoire, du fait qu’il est marqué du sceau de la maladie. Le danger est alors qu’il reste figé dans l’imaginaire familial et social, sans pouvoir être investi avec des affects positifs. Au pire, cet héritage familial, parfois empoisonné, peut prendre la forme d’un second handicap qui peut le suivre toute sa vie (Funck-Brentano et al., 2009). Cela permet de mesurer tout l’enjeu de la relation entre les parents et le bébé dans un tel contexte, avec tout le risque projectif que ces situations comportent : projection de la culpabilité ou encore de la haine parentale sur le bébé notamment, avec l’ambivalence et les difficultés des premiers liens qui en découlent.
Familles restructurées
Fréquence d’un seul des deux parents, familles élargies (grands-parents, oncles, tantes), famille d’accueil, mobilité familiale… telles sont les reconfigurations fréquemment observées autour des enfants concernés par le SIDA. Au cours du temps, la qualité du milieu familial favorisera ou contrariera le développement de l’enfant au sein de son environnement.
Aujourd’hui, un tiers des adolescents ont perdu au moins l’un de leurs parents.
En ce qui concerne les populations migrantes, venues principalement d’Afrique noire pour bénéficier des traitements, l’éloignement de leur famille et de leur culture d’origine et la précarité économique et sociale de leur condition constituent autant d’obstacles supplémentaires à la construction harmonieuse de l’enfant.
Vécu de l’enfant infecté par le VIH
Angoisses de mort
Angoissede mortMoins prégnantes qu’elles ne l’étaient lorsque VIH rimait avec décès, les angoisses de mort demeurent toujours présentes, en particulier chez les enfants confrontés à la mort d’un ascendant, mais aussi chez les enfants au sein des familles desquels circulent certains fantasmes, voire certains vœux inconscients de mort. Ces angoisses sont importantes à repérer, car elles ne sont que rarement exprimées par l’enfant mais souvent à l’origine de difficultés rencontrées dans la vie sociale et scolaire du jeune.

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