39: Choroïdite serpigineuse

Chapitre 39 Choroïdite serpigineuse

La choroïdite serpigineuse est une affection inflammatoire rare, multifocale, chronique, récidivante, intéressant l’épithélium pigmentaire rétinien, la choriocapillaire et la choroïde. Les lésions se développent typiquement près du nerf optique et s’étendent lors des récurrences de façon pseudopoïdale, ou « en serpent » — d’où le qualificatif de « serpigineuse ». Ces épisodes inflammatoires disparaissent en six à dix semaines en laissant place à une cicatrice choriorétinienne. La récidive apparaît après plusieurs mois ou années en bordure de cicatrice. L’étiologie exacte de la choroïdite serpigineuse reste méconnue et les stratégies thérapeutiques mal définies.

Épidémiologie

La choroïdite serpigineuse est rare, représentant moins de 5 % des uvéites [13], hormis en Inde où cette pathologie représenterait 19 % des uvéites postérieures [4, 5]. La maladie peut survenir entre vingt et soixante-dix ans, avec un âge moyen de quarante ans [4, 6, 7, 8]. Il n’existe le plus souvent aucune prépondérance liée au sexe [610] ni de prédilection familiale ou ethnique [5, 11, 12]. Selon une etude finlandaise, les patients atteints de choroïdite serpigineuse présentent une prévalence plus importante du HLA-B7 (54,5 %) comparativement à la population générale (24,3 %) [13].

Anatomopathologie

Deux équipes ont pu réaliser une étude anatomopathologique post mortem des yeux de patients atteints de choroïdite serpigineuse, montrant la participation de l’inflammation au sein des lésions choroïdiennes. Wu a ainsi décrit une infiltration lymphocytaire diffuse et focale au sein de la choroïde avec, fréquemment, d’importants agrégats de lymphocytes à la limite des lésions [14]. La choroïdite proprement dite était associée à la perte de l’épithélium pigmentaire rétinien et de la couche des photorécepteurs. La bordure de la plupart des lésions présentait une hyperplasie variable de l’épithélium pigmentaire associée à des altérations de la membrane de Bruch, au travers desquelles s’insinuait un tissu fibreux cicatriciel. En dessous de ces lésions épithéliales, la choriocapillaire apparaissait acellulaire. Gass a également montré l’existence d’une infiltration lymphocytaire sous-jacente aux zones d’hyperplasie de l’épithélium pigmentaire de la rétine [15].

Physiopathologie

L’origine exacte de la maladie demeure encore inconnue, bien que de nombreuses hypothèses (infectieuse, inflammatoire, vasculaire) aient été émises.

HYPOTHÈSE INFECTIEUSE

Plusieurs agents infectieux ont été incriminés comme pouvant être à l’origine de la maladie : la tuberculose, une infection à herpes simplex virus (HSV), à virus de la varicelle et du zona (VZV) et, plus récemment, une infection candidosique. Une forte incidence de positivité au test à la tuberculine a été retrouvée dans les années soixante-dix dans des cohortes de patients [6, 16]. Plus récemment, des lésions proches de la choroïdite serpigineuse ont été décrites chez des patients atteints de tuberculose présumée (intradermoréaction à la tuberculine positive, lésions radiographiques, parfois PCR positive dans l’humeur aqueuse, bonne réponse au traitement anti-inflammatoire et antituberculeux) [17]. Le contact avec un antigène tuberculeux, mis en évidence par la production d’interféron γ par les lymphocytes (tests TSPOT-TB ou QuantiFERON), est également rapporté chez 52 % des patients atteints de choroïdite serpigineuse [18].

Gass a rapporté un cas de choroïdite serpigineuse faisant suite à une infection zostérienne [15] et Priya a retrouvé la présence du génome d’HSV ou de VZV dans l’humeur aqueuse par PCR chez six patients sur neuf [19]. Une PCR positive pour HSV ou VZV était notée chez cinq patients sur soixante-dix (7 %) dans une série plus récente [4]. En revanche, une étude histologique post mortem d’un œil atteint de choroïdite serpigineuse a démontré l’absence d’ADN viral d’HSV, de VZV, du virus d’Epstein-Barr et du cytomégalovirus au sein de l’infiltrat lymphocytaire [20].

Enfin, une étude récente montre qu’une infection fongique (Candida) peut être décelée chez des patients atteints de choroïdite serpigineuse, avec présence d’anticorps spécifiques, d’antigènes fongiques et du génome fongique (PCR quantitative) sanguins [21].

La difficulté d’interprétation de ces données est liée au nombre limité de patients inclus, à l’absence fréquente de groupe contrôle et aux disparités géographiques : les corrélations retrouvées ne sont pas nécessairement synonymes de relation causale.

HYPOTHÈSE INFLAMMATOIRE, AUTOIMMUNE

La présence d’infiltration lymphocytaire au niveau des lésions de choroïdite serpigineuse et de leurs bords [14] est en faveur d’un processus inflammatoire. Ceci est conforté par l’association à une inflammation de la choriocapillaire (suggérée en angiographie au vert d’indocyanine et autofluorescence) [22, 23] et, parfois, à une inflammation extrachoroïdienne, telle qu’une uvéite antérieure, une vascularite rétinienne, une papillite ou une hyalite. Par ailleurs, il existe une sensibilisation importante des sujets atteints de choroïdite serpigineuse à l’antigène rétinien soluble (Ag-S) bovin [24].

Au total, la réaction inflammatoire non spécifique primitivement localisée à la choroïde conduirait à la destruction de la choriocapillaire, entraînant une atrophie de l’épithélium pigmentaire rétinien et des photorécepteurs. Ceci a amené à envisager l’hypothèse où l’occlusion vasculaire choroïdienne représenterait la phase terminale de ces processus inflammatoires [25].

Signes cliniques

EXAMEN BIOMICROSCOPIQUE

La chambre antérieure est le plus souvent calme, bien que quelques cas d’uvéite antérieure non granulomateuse aient été décrits [4, 29, 30].

Au fond d’œil, l’aspect pendant les premières semaines d’évolution est celui d’une lésion à contours géographiques, bien délimitée mais souvent irrégulière, correspondant à une décoloration gris blanchâtre de l’épithélium pigmentaire rétinien. Cette lésion est située dans la région péripapillaire (80 % des cas) et évolue en « serpentin » de façon centrifuge. La rétine sus-jacente est œdémateuse et, parfois, siège d’un décollement séreux du neuroépithélium.

Une réaction cellulaire inflammatoire est présente dans le vitré postérieur dans environ 30 % des cas pendant la phase active de l’affection [15]. L’atteinte du nerf optique est rarement observée, sous la forme d’un œdème papillaire [11], d’une néovascularisation papillaire [31] ou d’une atrophie sectorielle séquellaire [14].

Au bout de six à huit semaines, des marbrures et des plages de dépigmentation inhomogène de l’épithélium pigmentaire rétinien viennent remplacer progressivement les lésions actives. Le bord périphérique de la lésion garde souvent cet aspect blanc grisâtre pendant un mois ou plus longtemps. Un tissu cicatriciel fibreux, associé à une perte de tissu choroïdien plus ou moins accentuée, peut être noté dans les lésions anciennes, de même que des hyperplasies de l’épithélium pigmentaire rétinien adjacentes aux foyers atrophiques. La présence de lésions multiples à différents stades d’évolution est typique de la maladie (fig. 39-1).

Les récurrences surviennent habituellement, mais de façon non systématique, sur les bords d’anciennes cicatrices atrophiques. Les lésions progressent vers la périphérie rétinienne. Ces récurrences sont multiples, avec des intervalles de temps irréguliers allant de quelques mois à quelques années. À chaque récurrence, une extension de l’atrophie choriocapillaire et de l’épithélium pigmentaire rétinien apparaît selon une forme de carte de géographie ou en « serpentin ». Dans les formes chroniques, il existe une atrophie choriorétinienne, une fibrose sous-rétinienne et des dépôts pigmentés étendus au niveau de l’épithélium pigmentaire de la rétine (fig. 39-2).

VARIANTES ATYPIQUES

CHOROÏDITE SERPIGINEUSE MACULAIRE

Dans 6 % à 20 % des cas, la choroïdite serpigineuse débute dans l’aire maculaire [4, 32, 33]. La forme de serpentin choriorétinien, les caractéristiques démographiques et angiographiques sont semblables à celles de la forme péripapillaire. Le pronostic visuel est plus sombre, du fait de l’atteinte fovéolaire précoce et du risque accru de néovascularisation choroïdienne secondaire [33, 34] (fig. 39-3).

CHOROÏDITE SERPIGINEUSE MULTIFOCALE

Cette forme a également d’autres dénominations dans la littérature : épithéliopathie en plaques-like, « APPMPiginous », APMPPE-like.

Les lésions apparaissent isolées en avant de l’équateur sous forme de multiples foyers. Lyness et Bird en 1984 ont décrit une forme récurrente d’épithéliopathie en plaques qui ressemble à la choroïdite serpigineuse par sa nature bilatérale, ses caractéristiques angiographiques, ses séquelles choriorétiniennnes et par l’aspect de ses récurrences. La seule différence notée était la nature multifocale au lieu de l’extension à partir de lésions anciennes [35]. Comparée à la forme classique de choroïdite serpigineuse, la forme multifocale s’accompagnerait moins souvent d’atteinte maculaire. Il n’existe en revanche pas de différence concernant le nombre de récurrences ou l’association à une uvéite antérieure ou postérieure [12, 36].

Une entité dénommée relentless placoid chorioretinitis a été décrite récemment, avec également de multiples lésions postérieures et périphériques (plus de cinquante), une atteinte maculaire, une évolution rapidement progressive avec une durée prolongée des poussées (moyenne : neuf mois ; de cinq à vingt-quatre mois) [3638]. Dans la série de Jones [36], quatre des six patients présentaient une atteinte bilatérale active. L’atteinte oculaire inflammatoire semble plus fréquente que dans la choroïdite serpigineuse, avec quatre patients sur six présentant une hyalite modérée. L’analyse en OCT des lésions actives objective un décollement séreux rétinien avec hyper-réflectivité des couches rétiniennes nucléaires externe et interne [38].

Complications

NÉOVASCULARISATION SOUS-RÉTINIENNE

Une néovascularisation choroïdienne avec hémorragies secondaires et décollement séreux rétinien a été décrite dans 13 % à 35 % des cas, après un délai de suivi variant de deux à dix-sept mois [10, 39]. Rarement, la néovascularisation peut précéder la découverte de la choroïdite serpigineuse [40]. Les néovaisseaux se développent habituellement en bordure d’une ancienne cicatrice et sont parfois difficiles à détecter du fait de leur ressemblance avec une lésion de choroïdite récurrente lors de l’examen du fond d’œil. La différenciation pourra être plus aisée en angiographie à la fluorescéine [34], au vert d’indocyanine et à l’aide des examens de tomographie en cohérence optique (OCT) [41].

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Jun 13, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 39: Choroïdite serpigineuse

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