Chapitre 37. Cancers de l’enfant
Cancer Le traitement des cancers de l’enfant nécessite une prise en charge pluridisciplinaire dont le souci sera non seulement d’obtenir la guérison, mais aussi d’envisager la qualité de la vieQualité de vie personnelle, interpersonnelle, familiale, sociale et scolaire de l’enfant, pendant et après la maladie.
Point sur la maladie cancéreuse chez l’enfant
Les cancers de l’enfant de moins de quinze ans représentent 1 % de l’ensemble des cancers. À partir de trois ans, c’est la deuxième cause de mortalité après les accidents. Il faut toutefois souligner que deux tiers des cancers de l’enfant guérissent. L’incidence annuelle moyenne est de 13 pour 100 000 enfants de moins de quinze ans. Le rapport en fonction du sexe est de 12 garçons pour 10 filles.
La répartition des principales tumeurs est la suivante :
• leucémies et lymphomes : 43 %;
• tumeurs cérébrales : 22 %;
• neuroblastomes : 9 %;
• sarcomes des tissus mous : 5 %;
• néphroblastomes : 6 %;
• rétinoblastomes : 2 %;
• tumeurs osseuses : 6 % (Kramarova & Stiller, 1996).
On note que 40 % des cancers se développent avant l’âge de quatre ans. Il s’agit alors quasi exclusivement de tumeurs d’origine embryonnaire.
Beaucoup de recherches sont actuellement consacrées à ce sujet et tentent de mettre en exergue une causalité initiale. Parfois, une composante ou une susceptibilité génétique de la vulnérabilité au cancer est retrouvée, mais de façon rare. Le rôle des agents exogènes, même s’il existe, paraît très mince en cancérologie infantile.
Aspects cliniques
L’examen clinique des tumeurs dépend de leur taille, de leur localisation et de leur retentissement. Leur palpation est parfois possible.
La douleur est un symptôme retrouvé dans les tumeurs osseuses, celles comprimant les racines nerveuses ou proliférant dans la boîte crânienne. Rappelons ici que le petit enfant n’exprime pas souvent sa douleur, mais modifie le plus souvent son comportement ou son activité (jeux, sourire, langage).
Les tumeurs des tissus mous, quant à elles, ne sont généralement pas douloureuses, sauf s’il existe une compression. Alors, une symptomatologie révélant une compression par la tumeur (axe trachéobronchique, axe vasculaire, axe digestif, axe nerveux) peut être au premier plan.
Examens complémentaires
Ils sont nombreux, fréquents durant le traitement, et parfois invasifs. Si certains d’entre eux sont banals (examens biologiques et radiologiques classiques), ils demeurent malgré tout au cœur du quotidien de l’enfant, et l’imprègnent d’un vécu qui, bien souvent, fait trace dans sa vie psychique. D’autres examens, plus spécifiques et parfois plus invasifs, tels que le scanner, l’IRM, les examens isotopiques, les examens anatomopathologiques (à partir d’une ponction ou d’une biopsie médullaire, ganglionnaire, tumorale) portent en eux le poids du diagnostic, du pronostic et des décisions thérapeutiques, avec toute la charge d’angoisse que cela suppose, pour l’enfant mais aussi, et parfois surtout, pour son entourage.
Possibilités thérapeutiques
Chez l’enfant, nous disposons des mêmes moyens thérapeutiques que chez l’adulte, mais avec des combinaisons différentes. La chimiothérapie tient une large place, car il s’agit souvent de tumeurs embryonnaires ayant une grande sensibilité aux médicaments antimitotiques.
Chirurgie
La chirurgie est possible à divers stades de la maladie : tumeur primitive, vérification d’un résidu tumoral, récidives locales, métastases… Dans la majorité des tumeurs, l’exérèse est le meilleur traitement local, mais son indication n’est pas toujours retenue. Elle peut être complète ou partielle.
Radiothérapie
À l’exception d’une irradiation corporelle totale dans la préparation à une transplantation médullaire en allogreffe, la radiothérapie est un traitement local. Elle est rarement utilisée seule, mais le plus souvent associée à la chirurgie ou à la chimiothérapie. Elle est réalisée après la chirurgie dans un champ qui correspond au lieu de la tumeur primitive avec une marge de sécurité. Elle complète un traitement par chimiothérapie ou par chirurgie. Elle peut aussi être antalgique sur des métastases.
Les séquellesSéquelles de la radiothérapie doivent rendre prudent, tant dans les indications que dans les champs d’irradiation. Elles peuvent toucher notamment les os (ostéoporose, retard de croissance par irradiation des cartilages), les parties molles (favorisant des séquelles orthopédiques), le système nerveux (radionécrose cérébrale et séquelles neuropsychiques), les glandes endocrines (insuffisance hypophysaire responsable de retard de croissance, insuffisance gonadique responsable d’infertilitéInfertilité), et plus spécifiquement, les différents aspects fonctionnels de tel ou tel organe irradié.
Chimiothérapie
ChimiothérapieLa chimiothérapie a bouleversé le traitement des cancers de l’enfant. Son efficacité dépend de la pénétration des drogues dans les cellules, et elle est limitée par la tolérance des tissus sains. De nombreux produits sont utilisés, et leur manipulation n’est pas toujours aisée. Leur administration se fait principalement par voie orale et par voie intraveineuse par l’intermédiaire d’un site veineux implanté sous la peau (sous anesthésie générale), et qui sert de lieu de prélèvement autant que de voie d’administration de produits. Parfois, d’autres voies d’administration sont utilisées : voies intrathécale, intrapéritonéale…
La toxicité des drogues nécessite une surveillance médicale constante et avertie du fait de la survenue possible de complications hématologiques (anomalies de la numération sanguine telles que leucopénie, anémie, thrombopénie), d’alopécie (qui régresse à l’arrêt du traitement), de troubles digestifs (vomissements et nausées, ulcérations buccales douloureuses, constipation ou diarrhée), de complications locales (dues à la causticité des drogues), de complications allergiques, de complications infectieuses (liées à l’immunosuppression).
Greffes de moelle
GreffemédullaireLes greffes de moelle sont discutées actuellement en première intention pour certaines formes de leucémies bien définies, de pronostic très sévères (Baruchel, 2005).
Point sur les principales pathologies rencontrées
Leucémies aiguës
Définition
LeucémiesIl s’agit d’un envahissement médullaire par des cellules malignes dites «blastes». Les lignées normales ont quasiment disparu. On parle de leucémies aiguës lymphoblastiques pour une atteinte de la lignée lymphoïde, et myéloblastiques pour une atteinte de la lignée myéloïde.
Tableau clinique
Il peut être plus ou moins complet et d’installation variable, avec :
• des signes d’insuffisance médullaire qualitative : pâleur, asthénie, fièvre, infection, signes hémorragiques;
• des signes de prolifération tumorale : adénopathie, hépatomégalie, splénomégalie, localisation testiculaire et méningée, voire osseuse.
Tableau biologique
• la numération formule sanguine (NFS) oriente le diagnostic;
• le myélogramme confirme le diagnostic et précise le type de leucémie en cause;
• d’autres examens permettent de mieux caractériser le type de leucémie (cytochimie, marqueurs immunologiques, caryotype, biologie moléculaire).
Traitement
La découverte d’une leucémie aiguë impose d’hospitaliser l’enfant et de bien définir le schéma thérapeutique selon la gravité établie à partir des paramètres sus-cités. Les malades sont traités selon des protocoles bien établis et la surveillance est répartie entre le médecin de famille et le centre de traitement.
Traitement d’induction, intensification ou consolidation
Son but est de détruire les cellules malignes pour obtenir une rémissionRémission complète (induction). Ce traitement initial débute dans un service d’hématologie pédiatrique spécialisé et varie selon le type de leucémie et les critères de gravité. Puis, un traitement par chimiothérapie conventionnelle est réalisé, en hôpital de jour ou en hospitalisation conventionnelle.
Pour les leucémies aiguës lymphoblastiques, la durée de ce traitement est de six à huit mois.
Concernant les leucémies aiguës myéloblastiques, elles sont traitées avec des chimiothérapies lourdes responsables d’aplasies prolongées nécessitant un environnement «protégé» durant de longs mois.
Traitement d’entretien
Une fois l’enfant en rémission complète, un traitement d’entretien est mis en place pour une durée variable (un à trois ans), avec les drogues qui ont permis d’obtenir la rémission complète. Ces réinductions s’effectuent au cours d’hospitalisations de jour.
Plusieurs problèmes vont venir fréquemment émailler le déroulement des soins, problèmes allant du «simple» report d’une séance de chimiothérapie du fait d’une mauvaise numération sanguine ou encore d’une «simple» transfusion de plaquettes ou de sang, à des complications comme la survenue d’un épisode fébrile révélant parfois une immunosuppression sévère nécessitant alors le recours au secteur protégé, ou, plus grave, la survenue d’une rechute.
L’allogreffeGreffeallogreffemédullaire constitue un nouvel espoir, mais nécessite une parfaite identité HLA entre le donneur et le receveur. Elle est réservée aux formes les plus sévères et ne constitue donc pas un traitement de première intention pour la grande majorité des leucémies aiguës.
Les résultats thérapeutiques globaux donnent 75 % d’espoir de guérison.
Néphroblastome (tumeur de Wilms)
NéphroblastomeSignes cliniques : la tumeur reste intrarénale et est le plus souvent diagnostiquée cliniquement par une masse abdominale (contact lombaire). L’hématurie existe dans 20 % des cas. Certaines malformations sont significativement associées au néphroblastome.
Les examens radiologiques précisent le siège rénal de la tumeur et sa taille, ainsi que son éventuelle extension et sa possible dissémination.
Le traitement comporte généralement une chimiothérapie préopératoire puis une néphrectomie suivie d’une chimiothérapie postopératoire avec ou sans irradiation selon l’extension locorégionale et le type histologique.
Surveillance : le risque majeur est la survenue de métastases pulmonaires dépistées par des radiographies ou des scanners systématiques. On surveille également par échographie le rein controlatéral. La survie globale est de 95 %.
Neuroblastome rétropéritonéal
NeuroblastomeLes neuroblastomes sont des tumeurs provenant des cellules de la crête neurale formant les ganglions sympathiques et la médullosurrénale. Ils peuvent siéger à tous les étages et ont tendance à former des prolongements dans les trous de conjugaison vers le canal rachidien, susceptibles alors de se révéler par une compression médullaire. Leurs localisations les plus fréquentes sont : la médullosurrénale, les chaînes sympathiques lombaires et la gouttière thoracique latérovertébrale. Après l’âge d’un an, le neuroblastome est métastatique d’emblée dans 50 % des cas.
Les signes cliniques sont fonction de la localisation tumorale (tumeur abdominale, thoracique, compression médullaire…). Les formes métastatiques après l’âge d’un an se révèlent par une fièvre prolongée, des algies diffuses avec un syndrome inflammatoire.
Examens radiologiques et prélèvements osseux précisent le siège extrarénal de la tumeur, ses dimensions, ainsi que la présence d’éventuelles métastases.
Biologie : il existe une augmentation de l’élimination urinaire de certains marqueurs de la tumeur (catécholamines).
Traitement : les indications thérapeutiques sont complexes et fonction de l’âge de l’enfant, des caractéristiques biologiques de la tumeur, de sa localisation, de son caractère métastatique ou non. Elles peuvent aller de l’abstention thérapeutique (enfant de moins d’un an, chez lequel une régression spontanée est possible) à des traitements très lourds associant chimiothérapie, chirurgie et radiothérapie.
Plus généralement dans les formes peu évoluées, on effectue d’abord une exérèse chirurgicale suivie d’une chimiothérapie. Dans les formes inopérables d’emblée, ou métastatiques, on commence par une chimiothérapie, suivie une exérèse puis d’une chimiothérapie avec ou sans irradiation. Enfin, pour les formes métastatiques chez les enfants de plus d’un an, on propose un conditionnement conventionnel puis une chimiothérapie plus intense, avec autogreffe de moelle.
Résultats : la survie globale est variable. Elle dépend des caractéristiques initiales de la tumeur et oscille entre 100 % dans les formes localisées du petit enfant à 20 % dans les formes les plus sévères.
Tumeurs cérébrales
Cette question est traitée dans le chapitre 36, dans la section consacrée à la neurologie pédiatrique (pour des raisons de pure forme).
Effets des soins sur le quotidien de l’enfant
Quatre espaces du quotidien apparaissent profondément bouleversés par la maladie cancéreuse et ses traitements : l’espace corporel, l’espace temporel, l’espace social, l’espace familial.
Enveloppes corporelles
Enveloppe (corporelle)Elles sont bien sûr les premières convoquées, à la fois par les effets de la maladie (fatigue, pâleur, douleurs, masse tumorale visible…) et par les effets des traitements (prélèvements, ponctions, biopsies, chirurgie, chimiothérapie, radiothérapie), souvent bien plus intrusifs sur les enveloppes corporelles que le cancer lui-même. C’est cette attaque violente du sentiment de continuité (propre à l’enfant) des enveloppes du corps qui produit les effets psychiques que nous étudierons plus loin.
En quoi consiste concrètement cette effraction des enveloppes du corps?
En premier lieu, il convient d’en souligner le caractère inédit, c’est-à-dire l’impossibilité, pour l’enfant, de se représenter ce qui se passe en prenant appui sur des représentations préalables, conscientes ou non. C’est ainsi que, par exemple, l’image inconsciente du corps, dont l’élaboration repose sur la somme des expériences psychosensorielles de l’histoire précoce de l’enfant, se trouve brutalement confrontée à des perceptions actuelles qui lui sont étrangères (totalement ou au moins en partie) et donc susceptibles de sidérer l’activité représentationnelle du corps.
C’est ainsi que, très souvent, les attaques corporelles dont il est question font beaucoup plus l’objet, chez l’enfant, d’un rejet massif de tout soin, de toute aide, que d’une plainte élaborée autour d’un compromis acceptable qui tiendrait compte à la fois de la pénibilité du traitement mais aussi de son caractère incontournable du fait des enjeux vitaux.
Ce constat renvoie au mécanisme défensif du clivage et de l’identification projective, qui pourrait se traduire par un rejet de la partie douloureuse du corps et s’exprimer ainsi : «Je rejette cette partie douloureuse de mon corps en la considérant comme étrangère à moi. Cette douleur et cette partie de mon corps ne m’appartiennent pas. Elles appartiennent aux soignants qui m’imposent quelque chose qui m’est étranger et qui me fait du mal.» Bien souvent d’ailleurs, ces mécanismes défensifs projectifs rencontrent leur pendant du côté des parents eux-mêmes, rendant l’alliance thérapeutique souvent très complexe, pour le moins mâtinée d’une forte ambivalence à l’égard des soignants, dont la dimension persécutrice ne tarde pas à émerger à l’occasion de tel ou tel événement – même anodin – du quotidien.
En second lieu, l’atteinte durable et massive du corps attaque non seulement les représentations de celui-ci, mais aussi le sentiment d’invulnérabilité, fondateur de toute cohérence psychique interne. Là encore, cette attaque du sentiment d’invulnérabilité se trouve amplifiée par un vécu parental de même nature : comment imaginer son propre enfant aussi menacé dans sa chair? C’est le cas de cet enfant âgé de sept ans, opéré d’un rhabdomyosarcome de la fesse. L’enfant, pendant sa chimiothérapie, est agité et anxieux et déclare : «Je voudrais être la chimio dans la perf. Si j’étais la chimio, je la tuerais, j’ai toujours peur que la chimio la perde, ma tumeur, et alors elle me mangera les poumons et le cœur.» Le savoir de cet enfant, flou et terrifiant, est finalement proche des risques réels encourus, et exprime bien la perte de maîtrise du sentiment d’invulnérabilité (Alby, 1993).
Ce Réel de la menace est un Réel avec lequel il devient très difficile de jouer, c’est-à-dire de produire une fiction à laquelle s’accrocher pour «tirer son épingle du jeu» et «se sortir de ce guêpier». Et cela rend tout mouvement d’extraction d’autant plus difficile que l’enjeu vital, avec les soins ainsi que les aléas de la maladie et du traitement, occupe le plus clair du quotidien.
On le pressent, cette problématique des enveloppes corporelles touche les enfants de tout âge mais s’avère d’autant plus fondamentale que l’enfant est petit (moins d’un an et demi ou deux ans).
Chez l’adolescent, une difficulté s’ajoute, qui concerne l’attaque par la maladie et le traitement, non seulement du corps sexué (perte de la pilosité, fonte musculaire…), mais également de la pulsionnalité pubertaire, en détournant l’excitation génitale vers un envahissement du corps malade. Pour illustrer ce propos, citons cet extrait du récit littéraire de l’expérience vécue d’un patient, à propos d’une céphalée d’origine tumorale : «Malheureusement, après deux Doliprane, je compris très vite qu’elle avait pour moi une affection certaine. La douleur était là, productive et sincère, ivre de me montrer tout ce qu’elle savait faire. Blotti dans mes draps, elle devint rapidement ma seule raison d’être, la préoccupation de chacune de mes secondes. Mon univers s’était réduit à ma boîte crânienne, et, plus j’y pensais, plus la douleur accroissait son atrocité, plus elle frappait dans ma tête en s’esclaffant de joie comme une folle qu’on égorge» (Jariès). C’est ainsi que puberté et maladie se mettent brusquement à coexister, avec le risque toujours menaçant que le corps malade lamine le corps sexué (Malka et al., 2007).
Rapport au temps
Plusieurs remarques s’imposent ici. La première concerne évidemment le rapport à la finitude, dans la mesure où sont convoquées pêle-mêle des questions aussi variées que la finitude du sentiment d’invulnérabilité évoqué plus haut, la fin du traitement, la fin de la maladie, la fin de l’hospitalisation, de la rémission, de la rechute, la fin de l’espoir, la mort, mais aussi la guérison en tant que finitude d’une expérience qui fera trace (Alby, 1986).
La seconde concerne le rapport à l’infinitude. Face à toutes ces questions, omniprésentes et omnipotentes de «quand est-ce que ça va s’arrêter», le sentiment d’infini envahit la pensée et la sidère bien souvent : un projet à la merci d’une hospitalisation impromptue, une sortie annulée par la survenue d’une fièvre, une aplasie qui dure, une rechute… Kévin nous dit qu’il «n’en peut plus du chaud» (comprendre «du secteur protégé») qu’il endure depuis six mois. Le médecin lui précise que ça ne fait qu’un mois… Perte des repères temporels, donc.
S’il est une chose qui rime avec l’infinitude, c’est bien le sentiment de solitude. Solitude en tant qu’expérience de l’inéprouvable (au sens de «mise à l’épreuve de l’autre»), dans la mesure où il s’agit d’une expérience fondamentalement non partageable. C’est ainsi que la pensée risque de se trouver véritablement sidérée par le vécu de ce qui ne peut se dire faute d’interlocuteur capable de co-ressentir. A l’enfermement physique risque donc de succéder un enfermement psychique, dont la manifestation clinique est le plus souvent celle de la dépression (Kashani & Hakami, 1982).
Une mention particulière doit être faite en ce qui concerne le petit enfant, dont le rapport au temps diffère fondamentalement de l’enfant plus grand ou de l’adolescent. Que signifie demain, hier, dans un mois, pour un bébé ou un enfant de moins de trois ou quatre ans? Cela signifie en grande partie ce que ses propres parents et les autres adultes vont tenter de lui restituer, à la fois par les mots et les gestes, mais aussi par la qualité de leur présence, de leur absence, et de la cohérence de leurs allés et venues. On voit là alors combien le rapport au temps du tout-petit s’inscrit dans la qualité des liens affectifs aux parents, ainsi que dans la capacité de l’équipe soignante à en prolonger les effets auprès de lui en leur absence. Le magnifique récit d’Oscar et la Dame rose est ici très révélateur de ce rapport au temps (Schmitt, 2003).
Il est enfin une dernière manière de décliner le temps pour un enfant confronté à la maladie cancéreuse : un temps que l’on pourrait artificiellement diviser – tout en préservant malgré tout une certaine pertinence – en plusieurs étapes : le moment du diagnostic et de l’annonce (le temps de la sidération, de l’impensable, de l’effroi…), le temps d’adaptation aux traitements (moment de découverte, de frustration, de révolte, ou au contraire de soumission passive), le temps de la rémission (moment d’accalmie, de retour vers le milieu ordinaire, de routine du traitement d’entretien), celui de la guérison (soulagement de ne plus être malade, couplé à l’angoisse de la perte d’étayage des soins) ou de la rechuteRechute (toujours traumatique). Chaque temps est susceptible de convoquer les autres temps passés. Il en est ainsi, par exemple, de la rechute qui convoque le diagnostic initial de manière parfois encore bien plus violente.
Vie extrahospitalière, école
École (à l’hôpital)Les premiers contacts de l’enfant avec l’extérieur après une première hospitalisation sont souvent difficiles, en particulier si l’apparence physique est modifiée. Il est donc important de respecter un temps d’adaptation, d’autant plus acceptable que l’environnement aura été prévenu (amis, famille, école). Cela permet d’éviter à l’enfant d’avoir à donner des explications susceptibles de le déstabiliser ou de l’angoisser.
La plupart des enfants restent très discrets sur leur maladie, souvent vécue comme honteuse, ainsi que sur leur expérience hospitalière, à ce point particulière qu’elle s’avère difficilement restituable. Un cercle restreint d’amis se trouve alors parfois dépositaire de certaines confidences. Bon nombre d’enfants vivent par ailleurs très mal un excès de sollicitude ou de curiosité, qui les renvoie bien entendu à leur différence ou à la gravité de leur mal, et risque alors d’aggraver un sentiment de solitude.
Par ailleurs, les contraintes générées par la maladie et sa prise en charge présentent toujours le risque d’isoler l’enfant et de le mettre du même coup à distance de ses pairs et donc des objets auxquels s’identifier, notamment à travers le plaisir du jeu et celui des relations affectives. À cet isolement de fait fait parfois écho, en particulier chez l’adolescent, un isolement de nature régressive dont le jeune se trouve être lui-même acteur et qui freine le travail psychologique maturatif de séparation et d’individuation.
Concernant l’école, plusieurs remarques sont nécessaires. À l’instar d’autres services de pédiatrie proposant des hospitalisations de longue durée ou traitant de pathologies à forte répercussion sur la continuité et la qualité de la scolarité, les unités d’hémato-oncologie travaillent en partenariat avec l’Éducation nationale par l’intermédiaire d’enseignants détachés dans ces services; enseignants travaillant par ailleurs en partenariat avec l’établissement scolaire dont chaque enfant dépend.

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