Chapitre 36. Tumeurs cérébrales
Point sur la maladie
Les tumeurs cérébrales représentent environ la moitié des tumeurs solides de l’enfant. Leur incidence est de 5 ‰ par an; elles constituent la deuxième cause, après les leucémies (traitées au chapitre 37), de néoplasie de l’enfant.
La localisation sous-tentorielle est la plus fréquente – notamment dans la fosse postérieure –, contrairement à l’adulte. Cette localisation n’est pas sans effet sur l’expression clinique de la maladie, et en particulier sur les circonstances de sa découverte. En effet, la localisation sous-tentorielle est à l’origine de manifestations cliniques dont les plus précoces touchent au comportement (changement de caractère, irritabilité), à la cognition (troubles de la mémoire, baisse de la concentration, difficultés scolaires; Herskowitz, 1982) et à la vigilance (apathie, somnolence) en lien avec l’hypertension intracrânienne. Ces différentes manifestions sont d’autant plus dangereuses qu’elles sont susceptibles d’égarer le diagnostic vers une pathologie psychiatrique, en particulier vers une dépression ou des troubles du comportement d’origine psychogène.
Dans les formes sus-tentorielles, les manifestations comportementales sont en général plus aiguës et associées à des signes de localisation plus précoces ainsi qu’à la survenue de crises comitiales.
Enfin, les tumeurs suprasellaires, comme les craniopharyngiomes, sont susceptibles de provoquer des hallucinations visuelles ou olfactives qui, là encore, peuvent égarer le diagnostic lorsque les investigations complémentaires (tomodensitométrie, IRM) ne sont pas réalisées rapidement.
Manifestations psychologiques secondaires
Elles se distinguent des manifestations comportementales en rapport direct avec la croissance et l’expansion tumorale. Elles peuvent être secondaires :
• au vécu de la maladie (retentissement psychosocial de la maladie);
• mais aussi aux mesures thérapeutiques telles que la radiothérapie, qui peut induire des troubles cognitifs parfois importants (Duffner et al., 1985) ou la chirurgie – 40 à 60 % des enfants opérés gardent des séquelles comportementales : trouble du contrôle des impulsions, anxiété (Gérard et al., 1993).
Ces deux types de manifestations secondaires – retentissement psychosocial de la maladie et conséquences lésionnelles des traitements associées au stress qu’ils provoquent – sont par ailleurs étroitement intriqués. Comme devant toute pathologie grave et chronique (cf. 3e partie, chapitres 22 et 25), sont retrouvés (Oppenheim, 1991) :
• la terreur que provoquent la tumeur et l’intervention chirurgicale, soit par l’intensité et la brutalité de leurs effets, soit parce qu’elle touche un territoire «sacré», invisible, difficilement représentable : le cerveau. Mutisme et sidération, détresse et colère muette, sont fréquents et se mêlent à l’horreur et aux angoisses de mort;
• l’incompréhension, souvent associée à une grande difficulté pour les enfants de parler et de se représenter leur maladie. Faute de pouvoir élaborer et transmettre ces sentiments d’horreur, ils peuvent se croire eux-mêmes objet d’horreur… d’autant qu’il existe une dégradation physique associée (maigreur, pâleur, perte des cheveux…). Ironie, pessimisme voire cynisme infiltrent alors leurs propos;
• les angoissesAngoisse et la culpabilitéCulpabilité teintent toutes les relations intra- et extrafamiliales, comme dans la survenue de toute maladie chronique grave. Aux souffrances de l’enfant, s’ajoutent celles des parents, qui sont parfois telles qu’elles peuvent amener à des séparations et des divorces;
• la violence et l’agressivité : la violence des effets ressentis, le refus d’être seul à souffrir, se mêlent à l’agressivité, vécue par l’enfant. La teneur de ses propos est souvent révélatrice de ce qu’il vit, de ses angoisses et de ses peurs, à l’image d’un enfer…
• les troubles de l’identité : La tumeur elle-même, ou les traitements entrepris, peut bouleverser le sentiment d’identité. Des moments de confusion sont possibles, entrecoupés de perplexité anxieuse, plus ou moins verbalisée. À l’angoisse de mort, s’ajoute alors l’angoisse de se perdre. Les parents (la mère surtout) reste alors très souvent au chevet de l’enfant, jour et nuit, pour le rassurer régulièrement sur ce qui se passe pour lui;
• des modifications corporelles. Au risque de «perdre la tête», le corps se modifie, du fait de la maladie elle-même et des traitements; il échappe à l’enfant, tant dans son apparence que dans son fonctionnement. Les douleurs (céphalées…) sont envahissantes, et l’enfant reste impuissant devant ces troubles;
• le vécu de rupture : bouleversement des repères, rupture radicale entre un avant et un après la tumeur… la maladie et ses effets (chimiothérapie…) accentue le sentiment de rupture avec la famille, la fratrie, les pairs. L’enfant peut se sentir exclu, en exil (Oppenheim, 1990). L’annonce diagnostique, la rapidité d’évolution de la tumeur et ses conséquences, peuvent entraîner une sidération et un silence qui majore à son tour le sentiment d’isolement et de vide où s’engouffrent toutes les angoisses et les culpabilités silencieuses;
• un avenir figé : l’enfant peut se figer dans un statut de malade handicapé et dans un univers de soins, qui le protège de tous les risques. Tout est aménagé autour de l’enfant et de ses séquelles éventuelles, toute surprise est évitée au maximum. Le passé est effacé, l’avenir est inimaginable : le temps est suspendu.
Ce qui confère à la psychopathologie des enfants atteints de tumeur cérébrale un caractère particulier est incontestablement que ces tumeurs, outre leurs conséquences psychiques indirectes, agissent directement, du fait de leur localisation cérébrale sur les perceptions sensorielles, le comportement, la cognition. Ces tumeurs bouleversent violemment les différents rapports au corps, au fonctionnement intellectuel et émotionnel.
Plus l’enfant est grand, plus il se trouve confronté à l’expérience inédite et angoissante d’un rapport au corps et à la pensée qu’il avait mis tant de temps à élaborer, et qui lui échappent tous deux. Il va ainsi devoir réorganiser toute sa vie affective et pulsionnelle autour de ces changements, avec l’enjeu majeur, autant que la difficulté, de préserver son sentiment d’identité et de continuité d’être et de penser. En ce sens, la survenue tardive, chez l’adolescent, d’une tumeur cérébrale, vient s’intriquer avec le processus pubertaire qui, à sa manière, confronte également le jeune à des remaniements narcissiques et pulsionnels inédits. À cela s’ajoute la difficulté, pour son entourage (parents, fratrie, pairs) à le reconnaître; elle vient renforcer le sentiment d’insécurité interne de l’enfant.
Dans un deuxième temps, c’est aux éventuelles séquelles et au travail de guérison que l’enfant se trouve confronté : séquelles psychiques mais aussi cognitives (baisse de l’efficience intellectuelle, troubles de la mémoire, troubles de l’attention), perceptivomotrices (désorientation temporelle et spatiale), physiques (liées aux traitements) et sociales. Il faut ajouter à cela les troubles du comportement, souvent attribués à des troubles frontaux séquellaires, dont l’intrication est en réalité très complexe avec l’expression (à entendre, comprendre et accompagner) d’une révolte en lien avec une tentative de réappropriation de ses désirs, de sa pensée et de son histoire, par l’enfant redevenu sujet. Rappelons ici que de nombreuses études (Duffner et al., 1988; Hoppe-Hirsch, 1990) ont montré, malgré les progrès des traitements, des résultats encore médiocres sur la qualité de vie des enfants devenus adultes.
Place du pédopsychiatre de liaison
Le pédopsychiatre de liaison est amené à rencontrer l’enfant et sa famille au cours de son long parcours pédiatrique. Les entretiens montrent la grande violence que provoque la survenue d’une tumeur cérébrale.

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