Chapitre 33. Troubles des apprentissages
À la croisée de la scolarité, de l’éducation, du socioculturel, et des soins, souvent multidisciplinaires. Au risque de s’y perdre…
Troublesdes apprentissagesLes troubles des apprentissages constituent un problème que l’on pourrait de prime abord qualifier de «fourre-tout»…
L’activité cognitive et l’activité psychique sont un peu comme la lune et le soleil : chacun influence l’autre. Mais, à la différence des astres, l’éclipse, lorsqu’elle a lieu, n’est ici jamais totale… elle n’est que partielle. C’est ainsi qu’il n’est pas d’organisation intellectuelle sans organisation psychique sous-jacente, de même qu’il n’est pas d’organisation psychique sans organisation cognitive capable de la soutenir.
Cependant, si l’essor de la neuropsychologie, des sciences cognitives, et, plus récemment et plus fondamentalement, des neurosciences (neurogénétique, imagerie anatomofonctionnelle…) montre bien l’effort constant de la médecine et de la science à relier entre elles activité cognitive et organisation neuroanatomique et neurofonctionnelle, les résistances sont encore grandes à concevoir la place de l’inconscient, des fantasmes et des affects dans le développement de la cognition.
Il faut toutefois reconnaître que les sciences cognitives ne se situent plus aujourd’hui dans le seul cadre expérimental, comme en témoigne, par exemple, l’usage extensif qu’elles font de la «théorie de l’esprit», théorie dont on sait qu’elle vise à attribuer à autrui un état mental et une intentionnalité, et qui en appelle donc, de près ou de loin, à l’intersubjectivité et donc à la vie émotionnelle, pulsionnelle et fantasmatique.
Ces réflexions ne sont pas seulement d’ordre théorique. Elles convoquent en effet non seulement la clinique, mais également le quotidien de l’enfant, entre, d’un côté, les exigences sociales et scolaires d’apprentissage (domaine de la compétence cognitive et adaptative) et, de l’autre, l’énigme à laquelle le Moi est soumis, un Moi toujours défaillant face aux tâches et aux ambitions que ne cesse de lui assigner la pulsion épistémophilique (autrement dit le désir de savoir), elle-même infiltrée, à la fois positivement et négativement, par toute l’histoire intra- et intersubjective, consciente et inconsciente, de l’enfant. Cette intrication complexe entre ce que nous enseignent les sciences cognitives et ce que nous apprend la psychanalyse, autrement dit entre compétences d’apprentissage et désir de savoir, infiltre ainsi tout le quotidien de l’enfant, et constitue la pierre angulaire de domaines aussi variés que :
• la pédagogie (et donc la scolarité), avec tout ce qu’elle comporte :
– de débats sur les rythmes et les contenus scolaires,
– de dispositifs d’aides personnalisées (réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté (RASED), services d’éducation spéciale et de soins à domicile (SESSAD), projets d’accueil individualisé – PAI –…),
– d’orientations scolaires (dépendant de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH)),
– de classes et d’institutions spécialisées (classes d’intégration scolaire (CLIS), sections d’enseignement général et professionnel adapté (SEGPA), établissements régionaux d’enseignement adapté (EREA), instituts médico-éducatifs (IME), instituts médico-professionnels (IMPRO), instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques (ITEP));
• l’éducation, exercée dans la très grande majorité des cas en milieu familial ordinaire, mais dont les formes d’exercice peuvent aller d’un simple accueil dans un lieu de vie – de type internat – à certains environnements éducatifs d’organisation (beaucoup) plus complexe (aides éducatives, placements en foyers ou familles d’accueil…), le plus souvent mis en place dans un contexte de défaillance des contenants familiaux, dont on connaît l’importance dans la construction intellectuelle et psychoaffective de l’enfant;
• le soin, dont le champ devient actuellement véritablement tentaculaire, dès lors qu’il s’assigne comme ambition de vouloir cerner l’ensemble du fonctionnement intellectuel et psychique de l’enfant. Il convient alors ici de ne jamais perdre de vue la dimension du sujet, avec ce qu’il comporte précisément d’intime et de non prédéterminé, et donc de surprise.
À titre informatif, et de manière non exhaustive, le soin peut ainsi concerner des structures et réseaux aussi variés que :
• les centres d’action médicosociale précoce (CAMSP)Centre d’action médicosociale précoce (CAMSP), chez l’enfant de moins de six ans;
• les centres de référence et réseaux pour les troubles «dys» (dyspraxie, dystonie, dyslexie, dyscalculie, dysothographie…);
• les centres de ressources sur l’autisme (CRA)Centre de ressources sur l’autisme (CRA), notamment lorsque certaines difficultés d’apprentissage s’assortissent de troubles du comportement ou de certains antécédents familiaux (enquêtes génétiques) orientant vers un diagnostic de troubles envahissants du développement;
• les services spécialisés en neurologie pédiatrique (bilans psychologiques, enquêtes génétiques, investigations complémentaires en fonction des points d’appel clinique évoquant notamment une organicité sous-jacente…);
• les centres médico-psycho-pédagogiques (CMPP), lorsque les difficultés d’apprentissage se trouvent étroitement entremêlées avec des difficultés d’ordre psychologique;
• les consultations pédopsychiatriques dans les unités de pédopsychiatrie de liaison, dans les secteurs de pédopsychiatrie (CMP), dans les consultations libérales, lorsque sont évoquées des difficultés d’ordre psychopathologique dont les difficultés d’apprentissage peuvent s’avérer être le symptôme (inhibition intellectuelle, dépression masquée, troubles anxieux…);
• les hôpitaux de jour (HJ) de secteurs de pédopsychiatrie;
• les centres d’accueil thérapeutiques à temps partiel (CATTP).
Il va de soi qu’au sein d’une telle constellation d’offres de soins et d’aides en tous genres, toute indication ou décision doit être mûrement réfléchie, sans surenchère, sans pression, et, si possible, de la manière la plus collégiale qui soit, en veillant à bien situer l’enfant au cœur de toute décision ou proposition afin que tout projet ait pour lui un sens, sans lequel rien de bon ne peut émerger. Et dans ces conditions, chaque projet doit être pensé de manière singulière, prenant en compte non seulement la dimension intellectuelle et psychoaffective de l’enfant lui-même, mais également la qualité de son environnement socioculturel et éducatif.
Mais de la singularité à la discrimination il n’y a parfois qu’un pas, qu’il convient de ne jamais franchir… Entre errance des prises en charge (qui convoque toujours la question de leur sens) et dérives discriminatoires (qui convoque la dimension éthique de toute aide), le pédopsychiatre portera, notamment à l’occasion d’un «problème lambda» susceptible d’être l’expression symptomatique d’une souffrance psychique sous-jacente, un regard attentif visant toujours à aider à la rectification subjective, en donnant à l’enfant la place et la valeur heuristique de ce qu’il manifeste par sa parole ou son comportement, et, plus largement, à toute manifestation de sa part susceptible d’interroger le sens qu’elle peut éventuellement avoir.
Lorsqu’ils durent ou lorsqu’ils sont à l’origine de difficultés ou de retards scolaires, ces troubles font alors souvent l’objet d’investigations spécialisées, sous formes de bilans à la fois somatiques, psychologiques, orthophoniques, psychométriques, etc., dont l’analyse et la restitution nécessitent parfois l’intervention d’un tiers – en l’occurrence le pédopsychiatre de liaison – susceptible d’aider à tisser des liens et à envisager certaines articulations entre professionnels, mais aussi entre registres en apparence disjoints.
Le travail de liaison est ici grandement concerné, en particulier de par l’effort pédagogique dont devra faire preuve le pédopsychiatre à travers des interventions dont la qualité se mesurera à leur intelligibilité et à leur pertinence, au regard des choix thérapeutiques et des prises en charge qui suivront.
Regard du pédopsychiatre de liaison
Désir de savoir – pulsion épistémophilique
PulsionépistémophiliqueL’observation du développement psychoaffectif de l’enfant montre que le désir de savoir commence dès le début de la vie, d’abord en lien avec l’objet maternel vis-à-vis duquel le nourrisson entretient un désir ambivalent de contemplation esthétique (Meltzer, 1985) et de tentative d’emprise et de destruction. Cette destruction vise notamment à découvrir (curiosité) et à posséder (incorporation puis intériorisation) les qualités du corps de la mère (Klein, 1959). Il résulte de cette destructivité une souffrance dépressive à l’origine du rapport ambivalent de l’enfant vis-à-vis des objets d’amour, mais aussi de tout objet de savoir dès lors que celui-ci entre en résonance avec l’objet d’amour, notamment maternel. C’est ainsi que M. Klein, rapportant l’analyse d’un petit garçon de sept ans souffrant d’une inhibition à l’apprentissage de la lecture, montre comment cet apprentissage était vécu fantasmatiquement par lui comme tentative de possession et de destruction d’objets précieux à l’intérieur du corps maternel (Klein, 1959).
On voit ici ce que la psychanalyse apprend sur le processus de connaissance, à savoir qu’avant d’être des objets isolables d’un monde cohérent, organisé et unifié, les objets du monde sont initialement liés au corps de la mère, partie intégrante de celui-ci et de la personne même de la mère qui les présente à l’enfant (Ferrari, 1997).
Très vite, dans la vie de l’enfant, le désir de savoir prend la forme d’une curiosité dont la curiosité sexuelle (Freud) constitue sans nul doute la matrice fondamentale et fondatrice, sous-tendue par une pulsion dite «pulsion épistémophilique» (Freud, 1905). Cette pulsion est à concevoir comme une véritable attraction de l’enfant vers un questionnement sur les origines de la vie. Ce questionnement, pendant longtemps sans réponse très précise (l’enfant n’a pas accès à la sexualité génitale), est à son tour générateur de constructions imaginaires de l’enfant (constructions connues sous le terme de «théories sexuelles infantilesThéoriessexuelles infantiles») visant à s’approprier ce qui, précisément, échappe à sa connaissance directe. Le désir de savoir est ainsi à comprendre comme un besoin d’appropriation des objets du monde, beaucoup plus que comme la «simple» volonté de comprendre. Nous le savons bien pour les observer tous les jours, les enfants (mais pas seulement les enfants) ont un sens aigu de la propriété…
C’est ainsi que l’on saisit mieux l’hiatus – et donc le malentendu – entre désir de savoir (résultant d’un phénomène pulsionnel inconscient) et envie d’apprendre (qui convoque, elle, les compétences cognitives). Avant l’appréhension, la préhension… et, avant celle-ci encore, l’incorporation : le tout-petit découvre ainsi les objets par la bouche; il commence donc par les incorporer.
Mais très vite, la violence des pulsions épistémophiliques assaille un Moi immature, dépourvu de moyens de faire face aux tâches et aux ambitions que ne cesse de lui assigner la pulsion, et l’on comprend bien alors que, même si certaines compétences cognitives de l’enfant sont précoces – comme le montrent les données des neurosciences – le rapport au savoir de l’enfant, puis de l’adulte, reste marqué par ce sentiment accablant d’être confronté à une tâche impossible; blessure narcissique qui infiltre toute tentative de connaissance et d’apprentissage. Cette analyse trouve ainsi son prolongement clinique à travers certaines expressions symptomatiques telles que l’inhibition, la souffrance dépressive, l’anxiété, face à diverses situations d’apprentissage, de ce fait problématique.
Plaisir de penser – érotisation de la pensée
Si l’activité de pensée implique la notion de compétence et de performance, elle convoque également la notion de plaisir. Une pensée sans plaisir à penser donnerait en effet à toute démarche intellectuelle un caractère purement opératoire qui assécherait toute la sphère associative et donc toute créativité. C’est d’ailleurs ce que l’on observe dans certains fonctionnements psychiques très obsessionnels, au sein desquels la pensée ne vise qu’à colmater la détresse sous-jacente : elle ne procure, dans ce cas, aucun plaisir, et a alors pour effet de réifier, plutôt que de les nourrir, les objets dont elle traite, notamment le savoir.
Ce plaisir de penser résulte d’une identification réussie à l’autoérotisme de la rêverie maternelle (comprendre ici l’objet maternel, qui n’est pas nécessairement la mère en tant que telle), autrement dit, au plaisir que prend la mère, elle-même, à rêver ses propres pensées dans la rencontre inaugurale avec son enfant (Hochmann, 1993). De cette rencontre entre l’espace psychique maternel et celui de l’enfant, de ce travail de co-pensée et de partage, dépend donc la qualité du rapport autoérotique que l’enfant, puis l’adulte, entretiendra ultérieurement avec sa propre activité de pensée.
On comprend alors comment, selon cette approche, tout obstacle dans la capacité de la mère à faire se rencontrer, dans le plaisir, sa propre rêverie avec celle de son enfant, puisse être source, pour l’enfant, d’une difficulté à penser, qui prend alors ici volontiers la forme symptomatique d’une inhibition fantasmatique parfois massive, dont les conséquences au plan intellectuel (inhibition intellectuelle) sont susceptibles d’entraver à leur tour les capacités d’apprentissage exigées en particulier au cours de la scolarité (Duverger & Gohier, 1998).
À ce titre, certains auteurs ont décrit les supports narcissiques nécessaires aux mécanismes de pensée, dont les défaillances risquent d’induire certaines désorganisations du raisonnement et des structures cognitives (Gibello, 1984; Misès, 1990).
Ces considérations rejoignent celles des chercheurs cognitivistes sur l’importance qu’il convient d’accorder, dans les processus d’apprentissage, aux «métacognitions», c’est-à-dire à l’opinion que l’enfant se fait de ses propres connaissances et ses capacités d’apprentissage. Nombre de difficultés d’apprentissage apparaissent ainsi, au moins en partie, liées aux représentations défavorables que se font les enfants d’eux-mêmes.
Sexualisation des pensées chez l’adolescent
Chez l’adolescent, il n’est pas exceptionnel que le désir de savoir – dont on rappelle les liens initiaux (secondairement refoulés) avec la curiosité sexuelle de l’enfant qu’il fut – vienne contaminer les processus de pensée de fantaisies masturbatoires (rejetons du refoulé). Dans ces conditions, les processus de pensée peuvent être ressentis par l’adolescent comme liés à l’activité sexuelle, et se trouver alors frappés du sceau de la censure, afin d’éviter l’émergence d’angoisses.
L’activité autoérotique laisse alors sa place à une activité autohypnotique, «une rêverie blanche, sorte d’écran blanc du rêve où viennent se neutraliser et se désexualiser les fantasmes masturbatoires de l’adolescent, en même temps que s’installe le sentiment de vide cérébral» (Ferrari, 1997).
Processus déficitaire
Le déficit est ici abordé sous un angle processuel, dont la genèse apparaît d’ordre multifactoriel et surdéterminée par de nombreux événements tels que des avanies d’ordre historique (individuel et interindividuel), innées (défaillances innées de certaines compétences), socioculturelles (problématiques carentielles en particulier), psychopathologiques. C’est ainsi que ces avanies, ou leur conjugaison, sont susceptibles de limiter les capacités de maturation cognitive de l’enfant, et d’engendrer de ce fait le processus déficitaire dont il est ici question.
P. Ferrari insiste sur trois points qui participent plus directement à l’évolution déficitaire :
• l’échec de la mise en place d’activités transitionnelles (autrement dit du jeu) qui, en obérant les échanges et le commerce entre les objets du monde interne imaginairement créés et les objets offerts par le monde externe, stérilise la créativité de l’enfant et neutralise son désir d’agir sur le monde;
• l’activité qu’il nomme «anti-symbolisante», qui empêche le maintien du lien mais aussi de l’écart entre la chose et le symbole (équation symbolique) et qui, ce faisant, entraîne une instabilité fondamentale du système des représentations, des symboles et de l’activité métaphorique, et qui, finalement, vide le perçu de toute signification;
• l’inorganisation du monde fantasmatique, qui empêche la pulsion de se lier à des représentations susceptibles de s’organiser en scénario fantasmatique, qui participe au fait, notamment, d’être en mesure de «se raconter des histoires» et donc de cheminer à travers toute cette sphère associative entraînée par le va-et-vient entre vie psychique interne et expériences en liens avec le monde externe (Ferrari, 1997).
Tout cela aboutit à laisser libre cours à une pulsion sans objet, devenue, dès lors, pure excitation traumatique (Perron, 1994) et à laisser place à un retour au sensoriel (c’est-à-dire à l’originaire) par court-circuitage de la pensée.
Le langage – ce que parler implique…
Troublesdu langageLe langage n’est pas seulement un vecteur d’informations entre émetteurs et récepteurs. Il a, pour le pédopsychiatre d’autres fonctions.
Un premier «pas de côté» fait du langage un outil de communication, c’est-à-dire d’échange relationnel, et donc nécessairement émotionnel, entre deux sujets. On conçoit dès lors que le langage soit altéré dans toutes les affections de la sphère relationnelle de l’enfant, de même qu’à l’inverse, une altération du langage n’est pas sans conséquence sur la qualité des échanges entre l’enfant et son environnement.
Un second «pas de côté» fait du langage une fonction d’affirmation de soi, en ce sens qu’il permet l’expression de tout vécu personnel.
Un troisième «pas de côté» confère au langage une fonction d’abstraction, du fait du décalage toujours présent entre le mot et la chose. Le mot n’étant jamais superposable à la chose qu’il désigne – il est même «le meurtre de la chose», disait Lacan (1953). Il donne ainsi à cette chose une forme nouvelle, qui exprime alors bien d’autres aspects que le seul aspect concret de cette chose. Par ce décalage entre lui et la chose qu’il désigne, le mot ouvre ainsi au monde des concepts abstraits, mais aussi à celui de la métaphore (valeur métaphorique du langage), et, pour la psychanalyse, à celui de l’inconscient (expression inconsciente du sujet à travers le langage, le lapsus en étant un exemple).
Dernier «pas de côté», donc : le langage comme lieu de l’inconscient.
C’est ainsi que le langage apparaît comme le lieu où s’explicitent et s’associent les pensées, en même temps qu’il apparaît comme le lieu où elles se dissimulent, où elles se cachent. Il est en effet des sens qui se cachent sous les mots, des mots qui ont, qui recouvrent ou qui renvoient donc à des sens ou significations différents, et qui offrent à l’ambivalence son support, son lieu d’expression privilégié.
On conçoit dès lors, au-delà du nécessaire bon fonctionnement anatomophysiologique – compétences génétiquement transmises (Mehler & Dupoux, 1990), organes phonatoires, appareil auditif, structures corticales et sous-corticales – qu’exige l’expression langagière, l’importance de l’environnement de l’enfant, et notamment de son environnement familial, dont les qualités affectives précoces (qui se traduisent notamment par l’accordage affectif, la fonction interprétative, la fonction contenante, la fonction de pare-excitation) et linguistiques influent en particulier sur la qualité et la richesse ultérieures du langage de l’enfant (Wiatt, 1969; Bruner, 1983).
Développement psychomoteur
Psychomoteur (développement)Le terme même de «psychomoteur» indique bien la double composante, psychique et motrice, de l’élaboration par l’enfant des modalités d’action qu’il développe pour exercer son influence sur le milieu qui l’entoure. Et l’on voit, une fois de plus, l’intrication étroite entre motricité et vie affective (Ajuriaguerra, 1974; Bergès, 1985).
Vouloir, par l’acte, découvrir et modifier le monde environnant, suppose en effet l’acquisition par l’enfant d’une confiance suffisante en lui et en son entourage. Désirer et oser agir, c’est donc faire preuve d’une audace qui ne va pas de soi. C’est ainsi qu’un mouvement dirigé vers un objet suppose que la pulsion (excitation qui naît dans le corps et qui vient s’apaiser par la décharge d’énergie libidinale dirigée vers l’objet convoité) trouve au départ un objet qui, d’une certaine manière, «lui tende les bras», au propre comme au figuré : c’est ainsi que, par exemple, si le bébé tend les bras à sa mère, c’est parce qu’elle-même lui indique son désir de l’accueillir, et, lui, celui d’être accueilli par elle. De la même façon, le sourire du bébé, dont l’élaboration motrice paraît si simple à réaliser, ne peut se faire qu’en réponse au plaisir de celui qui lui sourit. La rencontre, dans le plaisir, apparaît tout à fait indispensable.
Ce qui paraît simple et naturel a priori, ce que l’on appelle communément (mais de manière erronée) «un jeu d’enfant», ne va en réalité pas de soi. Il ne suffit pas que la maturation neurologique rende possible le développement d’une fonction pour qu’elle se développe réellement et totalement, sur un mode satisfaisant. Celle-ci doit s’inscrire dans un échange avec l’autre au sein duquel la dimension de plaisir est fondamentale (Epelbaum, 1993).
À cet égard, la joie que suscitent les premiers pas de l’enfant s’accompagne d’un mouvement des parents vers l’enfant qui finit souvent sa course chaotique fort heureusement dans leurs bras. Ce double mouvement de prise d’autonomie et de plaisir à se sentir porté psychiquement et physiquement constitue la pierre angulaire de tout développement psychomoteur.
Et les avanies de cette rencontre à la fois tonico-motrice et psychoaffective entre l’enfant et le monde qui l’entoure constituent, pour le neuropédiatre et le pédopsychiatre, tout l’enjeu du dépistage des troubles des interactions, en particulier des interactions précoces, dans la mesure où, au tout début de la vie, le tonus et la motricité comportent une certaine préséance par rapport au langage verbal, même si celui-ci, il faut toujours le souligner, baigne toute relation précoce d’adulte à enfant.
C’est donc à travers le tonus et la motricité que l’attention se porte en particulier à ce moment de la rencontre intersubjective, mais aussi de la rencontre de l’enfant avec son propre espace corporel. Les toutes premières représentations de soi et du monde dépendent ainsi de ces premières rencontres.
Approche diagnostique
Une fois passée la période néonatale, durant laquelle l’attention parentale conjuguée aux examens pédiatriques rapprochés évalue le bon déroulement de la croissance staturo-pondérale et du développement psychomoteur, psychoaffectif et des premières interactions, c’est dans le cadre des premières socialisations (crèches, haltes-garderies) puis de la scolarisation que les apprentissages et les acquisitions font l’objet d’observations dont les attentes s’avèrent être toujours plus exigeantes et plus normatives au fil du temps. C’est en particulier dans ce contexte qu’ont lieu de très nombreuses demandes de consultation spécialisées.
Tout l’enjeu du soin réside alors dans le fait de tenir compte de la demande d’évaluation et d’aide, tout en évitant l’écueil de la surenchère, parfois véritablement iatrogène voire dangereuse, des bilans d’évaluation comme des prises en charges. C’est donc l’expérience du clinicien qui établira l’opportunité de leur réalisation.
C’est d’ailleurs à la fois pour prévenir ce risque de surenchère, autant que pour affiner l’exploration de certains troubles ou de certaines manifestations, que des consultations conjointesConsultationconjointe entre pédiatres et pédopsychiatres de liaison voient aujourd’hui le jour, de manière souvent très fructueuse, tant du côté du croisement des regards que de celui des préoccupations de chacun pour l’enfant. Ce travail conjoint, cette attention conjointe d’un médecin à l’égard des préoccupations de l’autre médecin, permet alors à son tour d’envisager séparément certaines explorations dont l’intérêt pour le spécialiste qui les envisage trouve écho du côté de celui dont ce n’est pas le champ mais qui en perçoit non seulement l’intérêt, mais, plus encore, le sens.
Le pédopsychiatre de liaison est ainsi convoqué dans ce travail d’élaboration diagnostique, à la fois en tant que tiers observateur de l’élaboration neuropédiatrique (examens, bilans divers, préparation à la restitution du bilan…) et en tant qu’acteur de la réflexion lorsque, à la demande de l’équipe et parfois même à sa propre demande lorsqu’il en ressent l’intérêt, il est amené à rencontrer l’enfant et sa famille.
Examen somatique
Outre l’examen clinique et neuropédiatrique standard, il convient d’être particulièrement attentif aux points d’appel cliniques suivants :
• l’asthénie, en particulier lorsqu’elle persiste dans les activités qui plaisent à l’enfant, doit faire rechercher une affection endocrinienne ou hématologique, même si l’asthénie apparaît beaucoup plus fréquemment liée à des troubles du sommeil, notamment en lien avec une symptomatologie anxieuse;
• une dégradation progressive des capacités intellectuelles, qui peut révéler une affection neurologique évolutive;
• un déficit sensoriel (amblyopie, surdité) est à rechercher devant tout retard ou toute difficulté d’acquisition. De tels déficits sont de nature, lorsqu’ils ne sont pas diagnostiqués, à entraver durablement la disponibilité de l’enfant (et donc ses apprentissages) aux stimulations de son environnement;
• certaines dysmorphies ou certains antécédents familiaux, orientant vers une particularité génétique potentiellement impliquée dans la genèse de certains retards d’acquisition ou déficits cognitifs.
Explorations complémentaires
Elles ne sont à envisager qu’au regard de l’examen clinique :
• la présence de malaises, de convulsions, de régression ou de déficit neurologique pose l’indication d’un électroencéphalogramme (EEG) ainsi que d’une imagerie cérébrale (tomodensitométrie, IRM);
• une consultation ophtalmologique, ainsi qu’un audiogramme, est à envisager face au moindre doute sur un déficit sensoriel;
• un bilan biologique endocrinien et hématologique est réalisé en cas d’asthénie mal expliquée;
• un caryotype est envisagé devant un doute quant à une particularité génétique (syndrome de l’X fragile, par exemple).
Bilan cognitif
Il s’appuie sur plusieurs épreuves psychométriques. Pour une description plus précise, se reporter à Enfance et Psychopathologie (Marcelli & Cohen, 2009), p. 185-195, aux manuels spécialisés et aux sites internet spécialisés tel celui des éditions du Centre de psychologie appliquée : www.ecpa.fr.
Tests de Binet-Simon, Terman-Merill, NEMI
Ces tests déterminent un quotient intellectuel (QI) qui est le rapport :

Ce QI illustre le degré de dispersion (retard ou avance) de l’âge mental de l’enfant par rapport à son âge chronologique ou par rapport à l’âge mental moyen des enfants de son âge (Zazzo, 1969). Ces tests prennent particulièrement en compte les acquisitions scolaires. L’interprétation des résultats doit être très prudente, et leur validité est limitée.
Wechsler Intelligence Scale for Children (WISC)
Utilisé chez l’enfant de six à douze ans, ce test comprend six sous-tests verbaux et six sous-tests non verbaux. Il prend en compte la dispersion des résultats, notamment entre les épreuves qui font appel au langage, au fond culturel et au niveau scolaire (épreuves verbales) et celles qui s’appuient sur la compréhension, l’agencement d’images ou d’objets (épreuves dites «de performance»). Ainsi, le QI verbal s’avère en général inférieur au QI de performance lorsque les facteurs socio-éducatifs occupent le devant de la scène.

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