32. Handicap

Chapitre 32. Handicap


HandicapHand in cap… ou «piocher la main dans un chapeau»… pour tirer au sort et jouer la chance… ou la malchance (Caflisch, 2008). La survenue d’un handicap est souvent perçue comme une malchance injuste, une malédiction imprévue, comme si le mauvais sort de la fée Carabosse nous était tombé dessus.

Le handicap est défini par le décalage entre ce que la moyenne de la population est capable de faire dans un domaine donné, et ce que le sujet handicapé peut de son côté réaliser. Le handicap n’existe donc que dans un rapport à une «norme» collective; et par «norme», il faut comprendre «ce qui se situe dans la moyenne d’une population». Ce qui se situe en dehors de la moyenne devient donc un handicap dès lors que se posent des problèmes en termes d’intégration au sein du groupe, ou encore en termes de «simple» comparaison au groupe. À cet égard, l’OMS considère que «l’enfant handicapé physique se trouve pendant un certain laps de temps, appréciable, dans l’impossibilité, liée à son état physique, de participer pleinement aux activités de son âge». Le problème central du handicap, c’est qu’il est présent pour toujours.


Le handicap n’est pas la maladie


La maladie ne se définit pas dans un rapport à une norme collective, mais dans un rapport à une norme individuelle : elle se révèle en effet dans la comparaison entre un état dit «sain» et un état dit «pathologique». C’est d’ailleurs le sujet lui-même, lorsqu’il est en mesure de le faire, qui se plaint de son propre changement d’état par rapport à l’état antérieur qui ne suscitait aucune plainte ni demande particulière.

La question du sujet malade est double peut se traduire par : «Que m’arrive-t-il? Comment cela se traite-t-il?»

Le handicap amène le questionnement sur une scène sensiblement différente, même si ce handicap émane le plus souvent d’une maladie initiale (maladie chronique, maladie avec séquelles…). Il confronte en effet le sujet handicapé à deux autres questions : «Comment je me débrouille avec l’image que j’ai de moi en comparaison avec la représentationReprésentationsde la maladie que j’ai des autres et que les autres ont de moi? Comment je fais pour m’intégrer dans le groupe afin de me nourrir de ce que ce groupe peut m’apporter, et de le nourrir de ce que je peux lui donner?»

Le handicap pose clairement la question du «faire avec» une particularité devenue constitutive du sujet lui-même, au moins sur une durée suffisamment longue. La maladie, elle, se définit dans son rapport à la guérisonGuérison, et donc dans son rapport au retour à l’état sain antérieur, ou à une normalité physiologique, en cas de malformation initiale, ou encore à l’équilibre, en cas de maladie chronique stabilisée. Par exemple, un diabète lorsqu’il est équilibré, ne fait pas physiquement «parler de lui» : le sujet diabétique facilement équilibré est considéré comme apte à mener une vie normale. Lorsque le diabète se déséquilibre régulièrement, ou encore lorsqu’il est équilibré au prix d’efforts considérables, il devient potentiellement handicapant.

La distinction n’est cependant pas évidente, et la notion de handicap suscite indiscutablement des représentations négatives, car elle est très souvent confondue avec une maladie incurable. Cette confusion fait alors du handicap une «maladie incurable», qui, du fait précisément de ladite confusion, risque de prendre, aux yeux du sujet qui le vit ou de son entourage, la forme d’un véritable désespoir, que l’on pourrait alors traduire par : «on ne peut plus rien y faire». Si ce désespoir envahit souvent l’enfant touché par le handicap, il n’est pas rare que ce désespoir rencontre écho auprès de l’environnement familial (Tissier, 1996 and Tissier, 1999) et extrafamilial du jeune, et ce, parfois, jusqu’auprès des professionnels eux-mêmes. Cela renvoie à l’image du «miroir brisé», en référence au stade du miroir de Lacan (Decant, 1978).

Ce que doit être aujourd’hui l’approche du handicap, notamment depuis l’avènement de la rééducationRééducation fonctionnelle et de la réadaptation fonctionnelles couplées à tous les efforts dans le domaine médico-social (précoce notamment), éducatif et scolaire, est d’une tout autre nature. Son but consiste, à l’inverse du désespoir, à rendre entière la place singulière qu’elle génère, tout en la circonscrivant suffisamment (pour ne pas tout lui imputer dans le parcours du jeune). Cette dernière remarque introduit la notion de ce que certains auteurs nomment sous le terme de «surhandicap». Allusion est faite ici à tout ce qui, des réactions psychiques et affectives de l’environnement, vient parfois (souvent) «surcharger la vie émotionnelle inter- et intrarelationnelle de l’enfant d’un poids dont il a parfois du mal à se défaire» (Tissier et al., 2000), qui l’embarrasse et l’entrave dans la constitution de sa personnalité.

C’est ainsi que l’évolution du regard sur les enfants trisomiques 21 durant ces trente dernières années a permis de découvrir la surprenante capacité de ceux-ci à se saisir du cadre qui leur était offert. C’est ainsi que ce qui paraissait auparavant hors de leur portée, tels le langage, la lecture, l’écriture, la musique…, s’est avéré totalement possible pour la majorité d’entre eux, et ce, grâce à la dynamique relationnelle mise en œuvre, autrement dit grâce à l’alchimie de la rencontre entre l’enfant et son environnement. Cette remarque rejoint les travaux pionniers d’auteurs comme Winnicott, qui ont notamment montré comment le regard, ici de la mère et de la famille sur l’enfant, influençait de manière considérable son développement et son devenir intellectuel et psychoaffectif (Winnicott, 1971).

Le handicap est une circonstance de rencontre particulière entre un enfant ou un adolescent et le monde pédiatrique.


Découverte et annonce du handicap



À la naissance


À la naissance, l’annonceConsultationd’annonce d’un handicap futur renvoie toujours les parents à une blessure narcissique profonde, qui naît :




• de l’écart entre l’enfant idéal longtemps rêvé et longuement mûri et la réalité de ce qu’ils constatent parfois eux-mêmes (lorsque le problème est visible, comme pour une malformation externe);


• ou encore de ce qui est annoncé par le médecin, lorsque le problème n’est pas immédiatement appréhendable mais hautement prévisible (par exemple, dans certaines maladies de surcharge ou dans certaines infirmités motrices cérébrales (IMC) a minima).

Cette blessure génère des réactions extrêmement variées, qui sont, comme toujours, fonction de chacun, de chaque histoire. Mais quelque soit la situation, l’annonce doit être ouverte afin de ne pas enfermer l’enfant dans un tableau clinique univoque, rigide et définitif qui contraindrait les parents à ne plus voir que le handicap. C’est ici tout l’art du pédiatre (Bensoussan, 1990).

Dans cette situation d’annonce de handicap, deux types de réactions parentales sont classiquement observés :




• un premier type, qui consiste à se sentir «mauvais parents», coupables de ce qui arrive à cet enfant, par lequel tout le désir de réparation (sous-tendu par des fantasmes agressifs largement réprimés, susceptibles de réapparaître lors de certains moments interactifs) va trouver son objet. Ce type de réaction a deux conséquences :




– l’une bénéfique pour l’enfant, en termes de présence et de dévouement,


– mais l’autre potentiellement délétère, avec le risque d’omniprésence et de sacrifice et donc d’enfermement et de dépendance pour un enfant dont la problématique de séparation et d’individuation sera plus tard convoquée de façon parfois complexe;


• un second type de réaction, beaucoup plus préoccupant, qui procède d’un véritable clivageClivage assorti de projections, et consiste alors à faire porter à l’enfant tout le poids de la souffrance de chacun. C’est ainsi, à travers lui, que la plainte surgit; plainte liée par exemple à ce qu’il impose à chacun comme organisation, comme charge, comme épuisement… Dans ce contexte, que l’on peut qualifier de maltraitant, le risque psychologique est essentiellement de type abandonnique. Il convient d’ajouter à ce risque d’ordre psychologique, toute la palette des risques de maltraitance physique (actives ou par défaut de soins) qu’il sera capital de prévenir ou, le cas échéant, de détecter.

Et à tout moment, découragement et pessimisme s’imposent et les fantasmes de mort peuvent être envahissants… «Si seulement il était mort à la naissance, cela aurait été difficile mais moins qu’aujourd’hui…». Penser la mort de cet enfant du cauchemar et non du rêve, souhaiter la mort de cet enfant raté qui ne peut s’inscrire dans la filiation… voilà ce qui relève de l’insupportable de certains parents d’enfants handicapés (Ringer, 1998).

De tout cela, il découle que la révélation du handicap doit être progressive. Elle doit permettre de préserver des interactions précoces de bonne qualité, en ne détruisant pas trop rapidement l’enfant imaginaire.


Dans l’enfance


Plus tardivement déclaré, l’annonce du handicap reste un choc pour la famille, mais aussi pour l’enfant lui-même, qui, très souvent, réagit en plusieurs temps :




• un premier temps de révolte, d’ailleurs davantage dirigé, de façon très défensive, vers son environnement;


• un second temps, tout aussi défensif, de déni, durant lequel l’enfant rêve de nouveau à des projets pourtant hors de sa portée, et qu’il conviendra de respecter;


• un troisième temps, de nature plus dépressive, qui, certes douloureux, permettra l’élaboration secondaire de la blessure narcissique initiale. Cette élaboration est étroitement dépendante de la capacité des parents à aider leur enfant dans ce cheminement et cette construction. Ils pourront soit participer activement à cette construction d’une nouvelle identité non dégradante, soit enfermer l’enfant dans un statut d’enfant handicapé dévalorisé et infantilisé (Epelbaum, 1993).

L’annonce doit donc être progressive et ne pas trop rapidement prendre en compte les éléments d’un avenir trop lointain. L’accompagnement doit s’apparenter à un «compagnonnage» et, tout en suivant les étapes maturatives de l’enfant, permettre aux parents de modifier progressivement l’image idéale qu’ils avaient de leur enfant. La prévention de certaines difficultés ne doit pas devenir une prédiction qui condamnerait l’enfant à ne plus être que ce que l’on redoute.


À l’adolescence


S’il est une problématique commune aux adolescents atteints de handicap, c’est en termes de blessure narcissique qu’elle doit être abordée. Toute altération physique constitue une atteinte portée au narcissismeNarcissisme et peut être interprétée en termes de blessure narcissique, et ce, en particulier, du fait de l’antinomie entre, d’un côté, l’accès à une pulsionnalité génitale qui impose d’accéder à la pleine expression de la puissance sexuelle à travers la libido dirigée à la fois vers soi (libido narcissique) et vers l’autre (libido d’objet), et, de l’autre côté, un mauvais fonctionnement d’organe susceptible de barrer le chemin à l’expression de cette libido. C’est ainsi que «l’atteinte d’une fonction corporelle peut représenter pendant la période pubertaire ou post-pubertaire une véritable mutilation (…) du plaisir libidinal lié au fonctionnement génital» (Slama & Rollot-Loyer, 1994).

Only gold members can continue reading. Log In or Register to continue

Stay updated, free articles. Join our Telegram channel

Apr 22, 2017 | Posted by in PÉDIATRIE | Comments Off on 32. Handicap

Full access? Get Clinical Tree

Get Clinical Tree app for offline access