Chapitre 31. Souffrance psychosociale et carences éducatives
Psychosociale (souffrance)Carence éducativeLa délimitation du champ des souffrances psychosociales, des carences éducatives et des négligences graves reste difficile à circonscrire. À ces situations de précarité et de souffrances, s’ajoutent parfois des carences affectives. Dans ce champ, confusions et amalgames sont fréquents. La précarité sociale, l’existence de carences affectives et/ou de carences éducatives ne sont pas du même ressort et ne relèvent pas des mêmes mécanismes; les confondre serait une erreur grave et délétère. Elles sont cependant parfois associées, et tout le monde s’accorde sur la gravité potentielle de leur retentissement sur le développement psychique de l’enfant.
Par ailleurs, ces situations d’enfants en souffrance psychosociale ou relevant de carences ne sont pas des situations spécifiques de pédopsychiatrie de liaison. Pour autant, un certain nombre de ces enfants et d’adolescents sont admis à l’hôpital pédiatrique, en général aux urgences pédiatriques. Plusieurs de ces enfants sont déjà connus des services sociaux et ont déjà des parcours complexes, fait de ruptures affectives et de placements successifs. Ils arrivent souvent en urgence, dans un contexte de crise, à la demande d’un tiers émanant du champ social ou éducatif – eux-mêmes ne formulant généralement aucune demande d’aide ou de soins. Parfois encore, ce sont les parents dépassés, débordés par les troubles des conduites de leur adolescent, et qui l’amènent aux urgences du fait d’une escalade symptomatique ou de conflits familiaux majeurs. Il existe alors souvent une demande d’hospitalisation du jeune, en vue d’opérer une séparation et une mise à distance. Parfois, il s’agit d’un passage à l’acte du jeune, et les parents n’imaginent pas un retour au domicile, pour l’instant.
Le pédopsychiatre de liaison est très habituellement sollicité pour toutes ces situations, qui engendrent beaucoup de souffrance, tant du côté des enfants et des adolescents (bien qu’ils n’aient souvent pas de demande) que du côté des parents et des éducateurs. Pour autant, le sanitaire n’a pas à répondre du social, et il serait inapproprié de proposer une réponse exclusivement pédopsychiatrique à ces situations complexes, qui relèvent également du social, de l’éducatif, voire parfois du judiciaire. Si le pédopsychiatre de liaison est légitimement sollicité, c’est pour participer à une réflexion collégiale visant à améliorer encore la qualité de l’accueil et de l’accompagnement de ces jeunes, relevant parfois de soins urgents voire de soins en urgence.
Définitions
La notion de souffrance psychosociale est vaste. Elle renvoie à l’expression d’une souffrance psychique qui est fortement associée la notion de précarité, voire parfois à l’exclusion, et concerne le champ social. D. Mellier parle de précarité psychique pour désigner des situations multiples et hétérogènes dans lesquelles les liens entre les sujets sont peu fiables et ont un caractère provisoire (Mellier, 2006). Souffrance psychosociale et carences éducatives ne sont pas liées directement; elles s’associent cependant fréquemment.
Aux urgences pédiatriques, lieu dans lequel prédomine une approche catégorielle, sont clairement distinguées :
• les urgences somatiques, qui regroupent les urgences médicales et chirurgicales;
• et les urgences dites «psy» qui regroupent souvent les urgences psychiatriques et les urgences psychosociales. Dans cette dernière catégorie, qui concerne les situations de souffrance psychosociale, les pédiatres urgentistes, souvent peu à l’aise, font rapidement appel au pédopsychiatre de liaison et à l’assistante sociale.
Plusieurs terminologies renvoient à des situations de souffrance psychosociale : enfants «cas sociaux», familles à problèmes multiples… Ce terme de «cas social» désigne les enfants et les familles pris en charge par des administrations, services et personnels sociaux (Noël & Soulé, 1985). Les risques majeurs pour ces enfants sont la carence de soins et les carences d’identification (Mazet & Houzel, 1999).
La notion de famille à problèmes multiples implique des problèmes économiques, sociaux et psychopathologiques. Elle renvoie à des difficultés de plusieurs ordres : conditions de vie difficiles ou stressantes, précarité (difficultés financières, surendettement, chômage, problèmes de logement) et pauvreté, isolement, absence de soutien social, parfois psychopathologie parentale (alcoolisme, toxicomanie, antécédents de carences affectives chez les parents, dépression), fratrie nombreuse avec un faible écart entre chaque naissance. Marcelli parle de familles-problèmes, de familles à risque ou de familles sans qualité (Diatkine, 1979), pour qualifier ces familles en grande difficulté, qui constituent un nouveau champ pour l’action médicosociale (Marcelli & Cohen, 2009). On retrouve, chez un grand nombre d’enfants issus de ces familles à problèmes multiples, des formes de carences affectives, de carences éducatives et de négligences, parfois graves.
Les négligencesNégligences relèvent souvent de défaut d’initiatives et d’empathie de certains parents envers leur enfant. Les soins de base sont mis en défaut. C’est le cas par exemple chez certaines mères frustes, voire débiles légères, qui présentent des difficultés à mesurer les besoins de leur enfant. Ces mères apparaissent souvent démunies.
Les carences socioéducatives concernent les situations caractérisées par la pauvreté globale des apports sociaux, éducatifs et culturels de l’entourage; la défaillance des modèles, les défauts de l’encadrement, l’absence de projet (Classification française des troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent (CFTMEA) : Misès & Quémada, 2002). Les carences éducatives ne sont pas l’apanage des familles à problèmes multiples; elles peuvent se rencontrer chez des enfants et des adolescents issus de tous les milieux.
Enfin, l’ODAS regroupe sous la notion d’enfants en danger les enfants maltraités et les enfants en risque (ODAS, 2001; Manciaux et al., 2002); l’enfant en risque étant celui qui connaît des conditions d’existence qui risquent de mettre en danger sa santé, sa sécurité, sa moralité, son éducation ou son entretien, mais qui n’est pas pour autant maltraité (ODAS, 2001). Les situations de souffrance psychosociale ou de carences éducatives ou affectives ne sont pas rares chez ces enfants en risque. Certaines situations de carences importantes surviennent dans un contexte de négligences graves et rentrent dans le cadre de la maltraitance à enfant (cf.chapitre 30).
À côté de ces situations de souffrance psychosociales et de carences éducatives se retrouvent d’autres types de carences, et notamment les carences affectivesCarence affective, qui sont d’un autre ordre. En effet, il faut ici bien distinguer si la frustration porte sur des besoins ou des désirs. Être frustré au niveau de ses besoins entraîne une privation, un préjudice; être frustré au niveau de ses désirs amène une déception, une entrave au désir (Golse, 1993). Ces conceptions relèvent de modèles théoriques distincts et définissent de fait des approches et des modalités de soins différentes.
Ces carences affectives ont fait l’objet d’importantes recherches chez le nourrisson, dans les années 1940 à 1960 aux États-Unis (Spitz, 1968) et en Angleterre (Bowlby, 1973). Pourtant, il semble que la prise en compte de leurs conséquences ne constitue plus, en pédopsychiatrie, une préoccupation privilégiée des chercheurs et des cliniciens (Mille & Henniaux, 2007), même si plusieurs auteurs insistent toujours sur l’importance de repérer les situations d’hospitalisme intrafamilial dans des familles qui ne paraissent pas pouvoir apporter à leurs enfants les diverses stimulations nécessaires (Marcelli & Cohen, 2009; Mille & Henniaux, 2007). Pour rappel, la classification des carences affectives maternelles (Ainsworth et al., 1978) distingue :
• les carences quantitatives, où l’enfant doit faire face à une absence physique de la mère (ou de son substitut);
• les carences qualitatives, où la mère est présente physiquement mais absente psychiquement ou inaccessible en raison de son état psychique personnel (dépression…). Les difficultés d’accordage affectif sont centrales;
• les discontinuités interactives, qui associent souvent des effets carentiels à la fois quantitatifs et qualitatifs.
Dans ces situations de carences affectives, les principales fonctions maternelles (fonction de maintenance, fonction de contenance et fonction d’individuation de soi) risquent de faire défaut à l’enfant et favorisent la survenue d’une grande vulnérabilité. De nombreux auteurs insistent sur l’importance du dépistage et de la prise en charge précoce de ces enfants et de leurs familles en situation de souffrance (; Bednarek et al., 2009; Dumaret & Picchi, 2005; Mille & Henniaux, 2007).
Les risques de confusion sont grands entre toutes ces situations de souffrances; d’autant que plusieurs de ces mécanismes sont fréquemment intriqués. Le pédopsychiatre de liaison doit pouvoir repérer cliniquement ces différents types de souffrances, sans les opposer. Il est aidé en cela par les autres professionnels, dans un partenariat qui cesse d’opposer les éducateurs du médicosocial et les soignants du sanitaire. Toutes ces situations doivent faire l’objet d’attention et de soins, auprès de l’enfant et de sa famille.
Quelques données
La prévalence des situations de souffrance psychosociale et de carences éducatives est extrêmement difficile à apprécier, du fait du flou et du nombre des définitions qui les caractérisent. Par ailleurs, si les négligences graves sont relativement bien repérées, et si certaines familles à problèmes multiples sont connues des services sociaux, les situations de carences éducatives au sein de familles mieux insérées et de nombreux cas de souffrance psychosociale ne sont identifiés que très tardivement, quand l’adolescent ou ses parents ont recours à un interlocuteur du champ sanitaire (médecin généraliste, urgences pédiatriques, service de psychiatrie) ou du champ social, pour évoquer des difficultés souvent cachées.
Bien qu’ils ne reflètent pas la fréquence de la souffrance psychosociale, il nous paraît intéressant de rappeler quelques chiffres concernant les mineurs bénéficiant d’une mesure de protection :
• selon B. Samson, en 2005 et en France, pour 1 000 jeunes de 0 à 21 ans, on enregistre en moyenne 17 bénéficiaires de l’ASE et, parmi eux, 51 % de jeunes accueillis à l’ASE, (Samson, 2007);
• Selon l’ONED, sur l’ensemble de la France, 2 % des moins de 18 ans (soit 266 000 mineurs) bénéficient d’au moins une mesure de protection de l’enfance : soit une intervention en milieu ouvert, soit l’accueil de l’enfant dans une structure spécifique (ONED, 2007).
Circonstances de rencontre à l’hôpital
Les situations de souffrance psychosociale chez les mineurs et les femmes enceintes, ainsi que les enfants ou adolescents victimes de carences multiples, ne sont pas rares à l’hôpital général, en particulier dans les services d’urgence. La souffrance psychosociale et les situations de carence touchent des enfants de toutes tranches d’âge et des deux sexes.
En périnatalité
PérinatalitéÀ la maternité, les femmes enceintes en situation sociale précaire ont souvent des difficultés d’accès aux soins. La mise en place d’organisations en réseau ville-hôpital améliore la prévention et la prise en charge de ces femmes et de leurs (futurs) bébés. Ce fonctionnement en réseau inclut de nombreuses structures : hospitalières publiques et privées (maternités et services de néonatalogie), et de multiples partenaires : médecins traitants, gynécologues obstétriciens et pédiatres libéraux, sages-femmes, PMI, secteurs de pédopsychiatrie, services sociaux, associations (Lejeune, 2008). Parfois, il existe certains dispositifs hospitaliers spécifiques (unités mère-enfant). Au CHU d’Angers, un dispositif de prise en charge multidisciplinaire pour les femmes (et leurs conjoints) présentant des difficultés obstétricales, psychologiques, sociales et économiques a été créée : l’unité médico-psycho-sociale en périnatalité (UMPSP). Cette unité, constituée d’un obstétricien, d’un pédiatre, d’une sage-femme, d’un pédopsychiatre de liaison et d’un psychologue, prend en charge ces femmes et ces bébés en situations de souffrances psychosociales et de précarité (cf.annexe IV). Enfin, l’existence de conventions écrites entre partenaires (hôpitaux, conseil général…) offre un cadre à l’accompagnement de ces femmes et de ces couples en situation difficile.
Dans les services de néonatalogie et les services de pédiatrie accueillant des petits enfants, le pédopsychiatre (ou le psychologue) de liaison peut dépister des situations de carences, parfois éducatives mais aussi affectives. Les signes d’alerte chez le nourrisson sont maintenant bien connus («clignotants» de Soulé et Noël, 1985). On retrouve, à des degrés divers : la persistance d’un mauvais état général, la stagnation de la courbe pondérale, la sensibilité aux infections ORL, l’inappétence, les vomissements ou les diarrhées répétés, les troubles de l’appétit et du sommeil. Le retard psychomoteur est souvent associé (Mille & Henniaux, 2007). À défaut d’un repérage et d’une prise en charge précoce, des tableaux dépressifs vont s’organiser. Selon le type de carences affectives (qualitatives ou quantitatives) pourront apparaître :
• une dépressionDépression blanche, avec atonie thymique, inertie motrice, repli interactif et désorganisation psychosomatique (Kreisler, 1987);
• des discontinuités interactives, qui concernent les «enfants paquets» amenés à vivre de multiples placements, déplacements et replacements (Guex, 1950).
Dans toutes ces situations, l’équipe de pédopsychiatrie de liaison est sollicitée. Les interventions précoces permettent fréquemment de noter une réversibilité spectaculaire des troubles (Golse, 1993). Cette réversibilité clinique permet au passage de différencier les processus dépressifs des enkystements psychotiques. À défaut de soins, le retrait relationnel se majore au fil du temps. L’enfant semble alors privilégier des habitudes motrices autocentrées (stéréotypies, oscillations rythmiques du corps, succion triste du pouce…). Lorsque aux carences affectives s’ajoutent des défaillances éducatives, les services de PMIProtection maternelle et infantile (PMI) sont sollicités avec visites à domicile de travailleurs sociaux et de puéricultrices.
Nous ne pouvons qu’insister, une fois de plus, sur l’importance du dépistage précoceDépistage précoce dans les unités de néonatalogie et dans les services de pédiatrie accueillant des tout petits enfants.
Chez l’enfant et l’adolescent
Les circonstances de rencontre avec ces jeunes en situation de précarité psychique et sociale sont diverses. Elles surviennent principalement aux services des urgences (pédiatriques et adultes). Dans certains cas, ces enfants, souvent issus de familles à problèmes multiples, sont déjà connus par les services sociaux et porteurs d’une histoire complexe, faite de ruptures affectives répétées, de carences éducatives et de placements successifs. Parfois, ils résident dans un foyer de l’enfance. Ils sont souvent admis en urgence à l’hôpital, dans un contexte de crise ou pour des troubles du comportement, à la demande d’un tiers émanant du champ éducatif. Ils arrivent parfois seuls, conduits aux urgences par l’ambulance appelée par l’éducateur au décours d’une crise clastique survenue au foyer; l’éducateur devant rester au foyer pour être auprès des autres jeunes… Le trouble présenté par le jeune est souvent agi et s’apparente à un signal d’alarme. Il signe une souffrance, même si le jeune n’en dit rien et ne souhaite qu’une chose : qu’on le laisse tranquille!

Stay updated, free articles. Join our Telegram channel

Full access? Get Clinical Tree

