Chapitre 30. Maltraitance
Maltraitance La maltraitance à enfant – mauvais traitements, abus sexuels, négligences graves – constitue un problème majeur de santé publique. Sa prise en compte s’est considérablement modifiée ces dernières années, et les prises en charge se sont grandement améliorées.
Les situations de maltraitance ne se rencontrent pas spécialement à l’hôpital pédiatrique et ne constituent pas une activité particulière de pédopsychiatrie de liaison. Cependant, lors de la découverte d’une maltraitance à enfant, les services de pédiatrie sont un recours fréquemment utilisé. En effet, l’hôpital pédiatrique est souvent sollicité pour la protection et la mise en place de soins d’enfants victimes de maltraitance. L’hôpital peut également être le lieu de révélation ou de dévoilement de mauvais traitements, lors d’une admission en urgence ou au cours d’une hospitalisation pour un tout autre motif (plaintes floues, somatisations multiples, accidents à répétition, mal-être, tentative de suicide, scarifications, fugue…). Équipes pédiatriques, assistantes sociales, mais aussi pédopsychiatres de liaison, sont alors sollicités.
Définitions
Plusieurs définitions de la maltraitance existent, que ce soit dans les champs médicosocial ou juridique. Selon l’Observatoire national de l’action sociale décentralisée (ODAS), l’enfant maltraité concerne tout enfant victime de violences physiques, d’abus sexuels, de violences psychologiques, de négligences lourdes, ayant des conséquences sur son développement physique et psychologique (ODAS, 2001; Horassius & Mazet, 2004).
Par ailleurs, l’ODAS regroupe, sous la notion d’enfants en danger, les enfants maltraités et les enfants en risque. L’enfant en risque est celui qui connaît des conditions d’existence qui risquent de mettre en danger sa santé, sa sécurité, sa moralité, son éducation ou son entretien, mais qui n’est pas pour autant maltraité (ODAS, 2001; Epelbaum, 1999).
Parmi les enfants admis et hospitalisés dans les hôpitaux pédiatriques, il est fondamental de repérer ceux qui relèvent d’une maltraitance ou de négligences ainsi que ceux pouvant être qualifiés d’enfants en risque.
Quelques chiffres
La prévalence exacte des mauvais traitements sur mineurs reste difficile à appréhender. Comme le souligne la défenseure des enfants, malgré le grand nombre de sources de statistiques en matière d’enfance maltraitée, la maltraitance envers les enfants demeure un phénomène quantitativement mal connu (défenseure des enfants, 2008).
L’ODAS procède chaque année au recueil des signalements d’enfants en danger. Ainsi, en 2006, 98 000 enfants étaient signalés en danger dont 19 000 enfants maltraités et 79 000 enfants en risque (ODAS, 2007). Les types de mauvais traitements pour les 19 000 enfants maltraités étaient répartis de la façon suivante :
• violences physiques : 6 300;
• abus sexuels : 4 300;
• négligences lourdes : 5 000;
• violences psychologiques : 3 400.
D’autre part, selon une enquête nationale, 3 % des français interrogés déclarent avoir été victimes d’inceste dans leur jeunesse (enquête téléphonique Ipsos, 2008).
Certaines données sont également disponibles par le SNATED (Service national d’accueil téléphonique) par le biais du numéro vert national 119 (Allo enfance maltraitée). Par ailleurs, l’Observatoire national de l’enfance en danger (ONED) est désormais chargé de centraliser les données et signalements transmis anonymement par les cellules départementales, sur l’ensemble du territoire; il gère également le numéro de téléphone gratuit 119.
Différents types de maltraitance
La maltraitance touche les mineurs des deux sexes et de tout âge, du nourrisson à l’adolescent. Elle peut être intra- ou extrafamiliale; active (physique ou psychologique) ou passive (physique ou psychologique). La maltraitance et les négligences intrafamiliales s’inscrivent toujours dans le cadre de perturbations relationnelles entre parents et enfant (Lamour, 1992). Certaines formes de maltraitance peuvent être ponctuelles (abus sexuel extrafamilial unique); d’autres sont plus durables dans le temps (sévices physiques ou inceste pendant plusieurs années).
De nombreuses lois et circulaires ministérielles ont réaffirmé le rôle de l’hôpital dans la protection de l’enfance (Balençon & Roussey, 2004). Ces refontes législatives sont le reflet de la place de l’enfant au cœur de la vie sociale (Roussey, 2009).
Différents types de maltraitance peuvent se rencontrer à l’hôpital pédiatrique : maltraitances physiques, violences psychologiques, négligences graves, abus sexuels, syndrome de Münchhausen par procuration… Le pédopsychiatre de liaison est souvent appelé dans ces circonstances de maltraitance, avérées ou non, et se doit d’en bien connaître les différents aspects, tant cliniques que médicolégaux.
Maltraitance physique
Les nourrissons et les jeunes enfants sont les plus touchés par la maltraitance physique (Bader-Meunier, 2004). Cette maltraitance peut entraîner de graves séquelles, voire le décès de l’enfant. Ces violences physiques sont variées :
• lésions tégumentaires et des muqueuses : lésions cutanées, hématomes, ecchymoses, plaies, brûlures, morsures, plaques d’alopécie, lésions endobuccales…
• traumatismes crâniens et lésions cérébrales : fractures du crâne, syndrome du bébé secoué, hématome sous-dural, hématome extradural. Ces causes représenteraient la cause de décès la plus fréquente chez le nourrisson (Bader-Meunier, 2004);
• lésions osseuses : fractures, lésions épiphysométaphysaires, appositions périostées, fractures diaphysaires, fractures de côte… Des lésions osseuses multiples et d’âges différents sont très évocatrices de maltraitance;
• lésions viscérales. Elles sont rares et diverses. Les lésions intra-abdominales constitueraient la seconde cause de décès des enfants battus (Epelbaum, 1999).
• autres lésions : fractures dentaires, lésions oculaires…
La maltraitance physique renvoie souvent, chez le parent maltraitant, à la réactivation d’un traumatisme. Dans les familles maltraitantes, l’enfant est souvent porteur, dès sa naissance, d’une histoire familiale traumatique.
Certains enfants semblent être plus exposés que d’autres aux sévices. C’est le concept d’«enfant-cible», qui désigne l’enfant qui, parmi ses frères et sœurs, a un statut particulier de bouc émissaire.
Violences psychologiques
Violences (psychologiques)Si la violence psychologique est présente à chaque fois qu’un enfant est agressé (Manciaux et al., 2002), elle peut également être isolée et difficile à repérer.
Par ailleurs, l’ODAS définit la notion de cruauté mentale comme l’exposition répétée d’un enfant à des situations dont l’impact émotionnel dépasse les capacités d’intégration psychologique : humiliation, verbale ou non verbale, menace verbale répétée, marginalisation systématique, dévalorisation systématique, exigence excessive disproportionnée à l’âge de l’enfant, consignes et injonctions éducatives contradictoires ou impossibles à respecter (ODAS, 2001; Epelbaum, 1999).
Négligences graves
NégligencesLes négligences graves sont représentées par un abandonnisme, une absence de soins et une carence de stimulations (Manciaux et al., 2002). Ces négligences doivent être considérées comme une maltraitance quand elles créent un dommage chez l’enfant (Epelbaum, 1999).
Les conséquences de ces négligences peuvent être nombreuses et graves : altération du développement physique et neurophysiologique, altération du fonctionnement émotionnel, mais aussi retard psychomoteur et déficit cognitif (Bednarek et al., 2009). Malheureusement, chez le nourrisson, il semble que seules les formes flagrantes de négligences, se traduisant aussi par un défaut de soins physiques, soient facilement repérables par les équipes de la PMI (Mille & Henniaux, 2007).
Les situations de négligences graves renvoient à la notion de vide et de carence d’investissement et s’accompagnent le plus souvent d’un défaut de disponibilité psychique des parents à l’égard de leur enfant. Aux défaillances psychiques, s’ajoutent des carences éducatives.
Abus sexuels
Abus sexuelSelon l’OMS, l’exploitation sexuelle d’un enfant implique que celui-ci est victime d’un adulte ou d’une personne sensiblement plus âgée que lui, aux fins de la satisfaction sexuelle de celle-ci (Gabel, 1992).
En 2002, la maltraitance sexuelle est définie comme une exploitation sexuelle qui s’appuie sur la notion de l’abus et de ses modalités : abus sans toucher, abus avec toucher sans violence, abus avec violence, attitudes malsaines, modalités de type passif relevant d’une action de protection et d’un climat incestueux et de type actif impliquant attouchements et prostitution (OMS, 2002; Horassius & Mazet, 2004).
Il existe des maltraitances passives (absence de protection, d’informations relatives à la sexualité, promiscuité sexuelle…) et des mauvais traitements actifs (attouchements, abus, inceste, viol, prostitution, pornographie…) (Haesevoets, 2003).
L’abus sexuel est la participation d’un enfant ou d’un adolescent à des activités sexuelles qu’il n’est pas en mesure de comprendre, qui sont inappropriées à son développement psychosexuel, qu’elles soient subies sous la contrainte, par violence ou séduction, ou qui transgressent les tabous sociaux (Krugman & Jones, 1998; Horassius & Mazet, 2004).
Enfin, l’inceste est l’existence d’une relation à caractère sexuel entre différents membres d’une même famille, en dehors de celle qui existe entre le père et la mère. L’inceste, comme la pédophilie, peut être considéré comme un phénomène transgénérationnel (Hayez, 1992). Pour autant, il convient de bien distinguer les abus intrafamiliaux des abus extrafamiliaux, les déterminants comme les conséquences psychiques étant différents.
Abus sexuels extrafamiliaux
Les abus sexuels extérieurs à la famille sont fréquemment commis par des familiers en qui l’enfant a confiance et qui ont autorité sur lui (amis, voisins, enseignants…) (Manciaux et al., 2002). Le viol correspond souvent à un acte ponctuel, non prévisible par l’enfant, et qui revêt un caractère traumatique. Le traumatisme lié au viol risque d’entraver l’épanouissement psychosexuel du mineur victime, d’autant que la honte et la culpabilité en ont maintenu le secret, empêchant toute élaboration mentale de l’événement traumatique et sa place dans la vie psychique du sujet.
Abus sexuels intrafamiliaux
C’est vers l’âge de huit à dix ans que les enfants sont le plus souvent victimes d’inceste (Manciaux et al., 2002; Marcelli & Cohen, 2009), même si des enfants de tous les âges – de la petite enfance à l’adolescence – peuvent en être victimes. Les incestes entre père et fille ou beau-père et belle-fille sont les plus fréquents.
L’inceste débute généralement dans un climat de séduction, auquel se surajoutent souvent la contrainte et la menace. Dans les situations d’inceste, la loi du silence se substitue à la loi symbolique (et à la loi fondamentale de l’interdit de l’inceste). L’inceste se pérennise, fondé sur le secret et la menace qui pèse sur sa révélation.
Un certain nombre de traits sont souvent retrouvés dans les familles incestueuses : reproduction des mêmes drames sur plusieurs générations; dysfonctionnement familial important; l’enfant n’est pas reconnu comme sujet (Marcelli & Cohen, 2009). Les délimitations générationnelles sont floues, avec souvent une confusion des rôles entre parents et enfants. Certaines situations telles que les soins corporels nécessités par une maladie chronique ou un handicap chez un enfant, pourraient favoriser l’acte incestueux. Dans ce domaine de la maltraitance, se retrouve la «confusion des langues» entre les adultes et l’enfant (Ferenczi, 1933).
Syndrome de Münchhausen par procuration
Syndromede Münchhausen par procurationLe syndrome de Münchhausen par procuration est une pathologie alléguée, provoquée ou simulée par un parent – le plus souvent la mère – chez son enfant. Il peut également s’agir d’une pathologie réelle de l’enfant, aggravée par la conduite maternelle (Meadow, 1977). Ce syndrome est rare et touche plutôt des enfants de moins de cinq ans.
Les symptômes de l’enfant entraînent son hospitalisation (voire des hospitalisations répétées dans des services différents). La symptomatologie est très variée et conduit souvent à de nombreux examens paracliniques et explorations médico-chirurgicales de plus en plus invasifs. Les examens complémentaires réalisés ne retrouvent pas d’étiologie claire aux symptômes. Les errances diagnostiques peuvent être longues, et le diagnostic est difficile à poser. Il est important d’y penser devant une symptomatologie cliniquement discordante (Le Heuzey & Mouren, 2008) et lorsque l’enfant s’aggrave à domicile et se rétablit à l’hôpital, sans raison apparente.
Le parent impliqué est très souvent la mère. Elle est généralement attentive, dévouée, active durant les soins et très présente pendant l’hospitalisation. En revanche, elle paraît peu préoccupée par l’éventuelle gravité des diagnostics évoqués. Tout se passe comme si l’important était que son enfant soit reconnu malade (Epelbaum, 1999). Sa motivation est d’endosser le rôle de malade par procuration (Le Heuzey & Mouren, 2008). Lorsque le diagnostic est évoqué, il est important d’évaluer la situation en équipe pluridisciplinaire. Une hospitalisation de l’enfant en pédiatrie avec une séparation d’avec les parents peut être utile, même si elle est difficile à négocier.
Le pédopsychiatre de liaison est généralement interpellé en cas de suspicion de syndrome de Münchhausen pour participer à l’évaluation multidisciplinaire, rencontrer l’enfant, mais aussi évaluer l’interaction entre la mère et l’enfant.
Maltraitance à l’hôpital pédiatrique
L’hôpital pédiatrique tient une place centrale dans la protection de l’enfance. Il est sollicité pour accueillir et protéger l’enfant victime de négligences ou sévices. La prise en charge de la maltraitance est complexe et doit toujours être multidisciplinaire et multipartenariale.
Il s’agit plus souvent, pour les équipes soignantes, de prendre soin plutôt que de soigner au sens habituel du terme (Desombre et al., 2004).
Le diagnostic de maltraitance peut quelquefois être évoqué d’emblée du fait des allégations de l’enfant ou de ses parents. Parfois, il sera suspecté par le pédiatre ou un membre de l’équipe soignante devant des troubles du comportement aspécifiques ou des anomalies à l’examen pédiatrique, alors que l’enfant est admis pour un motif autre. Dans tous les cas, le discours de l’enfant est primordial, et, à cet égard, il est nécessaire de rencontrer l’enfant seul.
Deux grands types de situations se rencontrent : les situations de maltraitance avérée et les situations de suspicion de mauvais traitements.
Situation de maltraitance avérée
Parfois, un enfant est amené aux urgences pédiatriques par ses parents – spontanément ou adressé par son médecin traitant – suite à la révélation d’abus sexuels extrafamiliaux, par exemple. Au CHU d’Angers, un protocole est mis en place en cas d’allégation de maltraitance de la part d’un mineur aux urgences pédiatriques. La prise en charge, tant médicale que médicolégale, est bien codifiée.
Situation de suspicion de maltraitance
Les situations de suspicion de maltraitance sont beaucoup plus problématiques et nécessitent une réflexion pluridisciplinaire à laquelle participent pédiatres, pédopsychiatres de liaison, assistantes sociales et membres de l’équipe soignante ayant en charge l’enfant. Une hospitalisation à temps plein de l’enfant est souvent nécessaire afin de mieux évaluer la situation et mieux appréhender les modalités de prise en charge.
Dans le cadre de la maltraitance, l’hospitalisation en pédiatrie permet :
• d’assurer la protection immédiate de l’enfant;
• de réaliser le bilan et les soins de lésions éventuelles;
• d’apprécier le retentissement des sévices;
• d’évaluer au mieux la situation et les suites à donner en termes de prise en charge.
Situation psychologique de l’enfant victime au décours d’une révélation
La révélation survient parfois de manière inattendue, dans une urgence subjective qui déborde l’enfant. L’enfant est alors pétri d’angoisse et vit un sentiment d’insécurité psychologique liée au désordre et à la désorganisation (tant psychique que physique) que sa révélation provoque. Il se retrouve devant une scène insupportable et cette situation favorise chez lui l’émergence d’un vif et douloureux sentiment de culpabilité. Parfois simultanément, ou plus souvent au décours, l’enfant éprouve une sorte de compassion paradoxale vis-à-vis de l’agresseur; ceci particulièrement quand la maltraitance ou l’abus sexuel est intrafamilial. Puis, l’enfant présente une sorte d’inclination réparatrice vis-à-vis de cet agresseur, dans la mesure où il a perçu, au-delà parfois de l’agressivité ou de la pression exercée par cet adulte, sa fragilité et sa vulnérabilité. L’érosion narcissique (avec parfois une atteinte sévère de l’image du corps) et un sentiment pénible d’effraction (Marciano, 2004) complètent le tableau. La question centrale pour l’enfant maltraité ou abusé par un membre de sa famille reste : comment continuer à aimer un monstre?
Articulation des professionnels
Après une évaluation soigneuse et complète (pédiatrique, psychologique et sociale), la décision d’un signalement peut être prise. Il convient alors de toujours accompagner l’enfant et sa famille. Au terme du temps hospitalier, un projet thérapeutique est élaboré et la sortie de l’enfant est organisée. Les relais (médicaux, psychologiques et sociaux) sont réalisés en collaboration avec les partenaires extrahospitaliers : médecin traitant, pédopsychiatre de secteur ou libéral, PMI, ASE, équipes sociales de secteur…
Dans ces articulations entre professionnels, il convient d’éviter les traumatismes additionnels liés aux répétitions successives des événements vécus par l’enfant. Le regroupement sur un même lieu a ici toute sa pertinence (cf.annexe VI). D’autre part, le travail des professionnels, en étroite relation entre eux, doit permettre à l’enfant et à sa famille de se représenter un espace externe autour d’eux, constitué «d’objets» en lien, comme devraient désormais l’être ses «mauvais» moments intériorisés à côté des «bons». L’enfant a ainsi l’occasion de réorganiser son espace relationnel, à l’intérieur duquel peuvent cohabiter des mauvaises images d’adultes à côté de bonnes, correspondant à ces adultes attentifs, disponibles, précautionneux et susceptibles d’être intériorisés comme de bons objets apaisants (Marciano, 2004).

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