30: Maladie de Vogt-Koyanagi-Harada

Chapitre 30 Maladie de Vogt-Koyanagi-Harada




Historique


La maladie de Vogt-Koyanagi-Harada a probablement été observée dès l’Antiquité. Les médecins arabes Ali-ibn-Isa et Mohammad-al-Ghâfiqî au xe et xiie siècles auraient déjà décrit une inflammation oculaire associée à un vitiligo [1,2]. La dénomination de la maladie est liée à la description par Vogt en 1906 d’une poliose associée à une inflammation intraoculaire, par Harada en 1926 de cas d’uvéite postérieure avec décollements de rétine exsudatifs et pléiocytose à l’analyse du liquide cérébrospinal, et par Koyanagi en 1929 de patients présentant des dépigmentations cutanées localisées (vitiligo), des plaques d’alopécie, un blanchiment des phanères (cheveux et particulièrement cils), associés à une hypoacousie et à des acouphènes [35].


Dans les années trente et quarante, ces entités avec manifestations d’uvéo-méningo-encéphalite ont été reconnues comme relevant d’un processus unique et ont été regroupées sous la dénomination de syndrome de Vogt-Koyanagi-Harada.



Épidémiologie


La maladie de Vogt-Koyanagi-Harada est plus rare chez les Européens que chez les Asiatiques, les populations du pourtour méditerranéen ou les Amérindiens. Les études de population suggèrent que la fréquence augmentée de la maladie est associée aux flux de migration via le détroit de Bering, intéressant les Amérindiens d’Amérique du Nord, centrale et du Sud. Au Japon, la maladie représente 7 % à 9 % des cas d’uvéite, contre seulement 1 % à 4 % aux États-Unis [6]. Dans une série de cas américains, 41 % étaient asiatiques, 21 % blancs, 16 % « hispaniques » et 14 % noirs [7]. En France, la maladie de Vogt-Koyanagi-Harada représentait environ 2 % de l’ensemble des cas d’uvéites vus dans un centre de référence et 5,9 % des uvéites postérieures [8]. La fréquence de la maladie dans différentes séries de patients présentant des uvéites est récapitulée dans le tableau 30-I [912]. Une prédominance féminine est notée dans la plupart des études et l’âge moyen de la maladie est autour de trente-cinq ans dans la plupart des études (tableau 30-II).


Tableau 30-I Fréquence de la maladie de Vogt-Koyanagi-Harada dans différentes études.































Références Pays Fréquence parmi les uvéites postérieures
Bodaghi, 2001 [8] Centre de référence, France 5,9 %
McCannel, 1996 [9] Centre primaire, Los Angeles 33 %
  Centre de référence, Los Angeles 25 %
Rodriguez, 1996 [10] Centre de référence, Boston 5,5 %
Smith, 1993 [11] Centre de référence, Rotterdam 3 %
Jakob, 2009 [12] Centre de référence, Heidelberg 0,8 %*

* Parmi les uvéites postérieures et les panuvéites.





Physiopathologie


Une atteinte d’origine auto-immune des mélanocytes présents dans le tissu uvéal constitue le mécanisme présumé de la maladie. L’association à un vitiligo relèverait du même processus, ainsi que l’atteinte de l’oreille interne, aux sites où des cellules contenant de la mélanine sont présentes. Le mécanisme jouant le rôle de « gâchette » pour déclencher cette inflammation est toutefois inconnu. L’hypothèse d’un agent infectieux déclenchant des manifestations auto-immunes a été évoquée, mais n’a pas été étayée. Les données épidémiologiques et les études immunogénétiques montrent qu’un terrain génétique est associé à une susceptibilité augmentée vis-à-vis de la maladie, avec en particulier une liaison à certains sous-types HLA de classe II.



Données Anatomopathologiques


Une inflammation choroïdienne souvent granulomateuse, comportant des caractéristiques communes avec l’ophtalmie sympathique, a été observée dans la plupart des cas ayant pu être étudiés. Lorsqu’une inflammation granulomateuse est observée, celle-ci est caractérisée par la présence de cellules épithélioïdes, de lymphocytes et de cellules géantes multinucléées [13]. Un grand nombre de ces cellules contiennent du pigment mélanique. Des nodules de Dalen-Fuchs, comportant des macrophages, des cellules épithélioïdes, des lymphocytes et des altérations de l’épithélium pigmentaire ont été également observés au stade chronique de la maladie. Les biopsies des lésions de vitiligo chez les patients atteints de maladie de Vogt-Koyanagi-Harada ont montré de manière similaire une perte des mélanocytes le long de la lame basale de l’épithélium et une infiltration lymphocytaire focale dans les couches superficielles.



RéPonse Auto-Immune AntiméLanocytaire


Les lymphocytes CD4+ et CD8+ du sang périphérique des patients atteints de maladie de Vogt-Koyanagi-Harada sont cytotoxiques pour les mélanocytes in vitro[14]. Les études immunohistochimiques des yeux de patients présentant une maladie de Vogt-Koyanagi-Harada ont démontré une expression anormale de molécules du complexe majeur d’histocompatibilité de classe II à la surface des mélanocytes choroïdiens, avec une production locale de cytokines pro-inflammatoires [15]. La présentation d’un épitope cible aux lymphocytes T dans un contexte HLA favorisant (HLA-DRB1*0405) constitue l’hypothèse physiopathogénique principale de la maladie de Vogt-Koyanagi-Harada. Cependant, le mécanisme de l’association à cet allèle HLA reste inconnu. Certains peptides dérivés des protéines TYR, TRP1, TRP2 spécifiques des mélanocytes sont reconnus à des concentrations faibles par les cellules mononucléées du sang périphérique des patients atteints de maladie de Vogt-Koyanagi-Harada [16]. Une réponse cytokinique de type Th 1 est observée après stimulation par ces épitopes [17]. Chez les patients en poussée, une augmentation de l’expression du facteur de transcription T-bet associée au développement de cellules Th1 a été observée [18], avec une augmentation du niveau de l’interféron γ.



Maladie De Vogt-Koyanagi-Harada Et Typage Hla De Classe Ii


Une prédisposition génétique en rapport avec certains allèles HLA de classe II a été soupçonnée de longue date. Une observation de début simultané de la maladie chez des jumeaux homozygotes porteurs de l’allèle HLA-DR4 a été rapportée [19]. Les résultats des principales associations entre allèles HLA de classe II et maladie de Vogt-Koyanagi-Harada sont récapitulés dans le tableau 30-III. Dans la population japonaise, des risques relatifs supérieurs à 50 en rapport avec certains allèles ont été rapportés [20]. La fréquence augmentée de l’allèle HLA-DRB1*04 a été observée chez les patients hispaniques, japonais, chinois, coréens, brésiliens, italiens et français. Parmi les sous-types de l’HLA-DRB1*04, l’allèle HLA-DRB1*0405 est le plus fréquemment retrouvé, y compris dans une proportion des deux tiers chez des patients français [21]. Chez des patients hispaniques du sud de la Californie, les allèles HLA-DR4 et, surtout, HLA-DR1 étaient associés à un risque relatif significatif de maladie de Vogt-Koyanagi-Harada [22]. Chez les patients indiens Mestizos du sud de la Californie, les allèles DRB1*01 et/ou DRB1*04 étaient retrouvés chez 93,1 % des patients [23]. Enfin, certains haplogroupes KIR (Killer cell Immunoglobulin-like Receptors) spécifiques d’allèles HLA de classe I ont été retrouvés de manière significative en association avec la maladie de Vogt-Koyanagi-Harada [24].


Tableau 30-III Maladie de Vogt-Koyanagi-Harada et typage HLA de classe II.























Références Population Principaux résultats
Islam, 1994 [20] Japonais DR4 93 % des patients (risque relatif 17,4)
DRQ4 83 % des patients (risque relatif 9,9)
HLA-DQAl*0301 100 % des patients (risque relatif 56,5)
Weisz, 1995 [22] Hispaniques
Californie
DR4 56 % des patients (risque relatif 1,96)
DR1 36 % des patients (risque relatif 4,11)
Abad, 2008 [21] France DRB1*04 35 % des patients, dont DRB1*0405 71 %
Levinson, 2004 [23] Amérindiens
Mestizos
Californie
DRB1*04 chez 22 patients (75,9 %) (risque relatif de l’ensemble des allèles DR4 2,60)


Critères diagnostiques


La maladie de Vogt-Koyanagi-Harada a été l’une des premières formes d’uvéite pour laquelle des critères diagnostiques ont été proposés. Historiquement, les critères de Sugiura et de l’American Uveitis Society comportaient trois symptômes majeurs pour le diagnostic de maladie de Vogt-Koyanagi-Harada : uvéite antérieure bilatérale, décollements séreux rétiniens observés en angiographie fluorescéinique et pléiocytose à l’analyse du liquide cérébrospinal [25,26]. Par ailleurs, les autres symptômes de la maladie (hypoacousie, vertiges, poliose, vitiligo) étaient considérés mineurs, avec une valeur d’appoint pour le diagnostic. En 1999, une conférence internationale de consensus (Vogt-Koyanagi-Harada syndrome : first international workshop) a réuni les ophtalmologistes experts de la maladie et a défini des critères diagnostiques révisés de la maladie (tableau 30-IV) [27]. Ces critères permettent de classer les formes de la maladie selon leur caractère « complet », « incomplet » ou « possible », lesquelles regroupent les atteintes oculaires isolées. La spécificité des critères révisés est excellente dans la forme complète. Toutefois, la sensibilité est inférieure à celle des critères historiques. Dans une série de cent soixante-neuf patients japonais préalablement identifiés en tant qu’atteints de maladie de Vogt-Koyanagi-Harada selon les critères de Sugiura, seuls 11,8 % étaient classés en tant qu’atteints d’une forme complète, 71 % étaient atteints de forme incomplète et 8,9 % de forme possible [28]. Une minorité de patients (8,3 %), en particulier ceux ayant subi des interventions de cataracte, étaient exclus du diagnostic de maladie de Vogt-Koyanagi-Harada. Le caractère tardif de l’apparition de certaines manifestations, en particulier cutanées, est à l’origine du classement en tant que forme incomplète de nombreux cas, en particulier chez les patients européens [21].


Tableau 30-IV Critères diagnostiques révisés de la maladie de Vogt-Koyanagi-Harada.









1. Absence d’antécédent de traumatisme oculaire pénétrant ou de chirurgie oculaire ayant précédé le début de l’uvéite
2. Absence d’élément clinique ou d’examen complémentaire évoquant une autre maladie oculaire

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