Chapitre 3. Urgences médicales et psychiatrie
F. Carpentier, C. Paquier, B. Luche and G. Musiedlak
Chaque année en France, 14 millions de passages sont recensés dans les différentes structures d’urgence [9]. Si la pathologie traumatique domine largement les motifs de recours et peut être le plus souvent rapidement prise en charge sans difficulté diagnostique et/ou thérapeutique, certaines situations sont plus complexes, soit par une présentation atypique, soit du fait d’intrication des symptômes ou signes cliniques pouvant faire errer le diagnostic et entraîner des erreurs de prise en charge.
Une présentation psychiatrique peut être au devant de la symptomatologie d’un grand nombre de pathologies organiques et la survenue de pathologies organiques peut survenir chez un patient psychiatrique. Le risque est alors de méconnaître ces situations sources d’erreurs diagnostiques, de retard de prise en charge thérapeutique [22]. Parmi les patients se présentant avec un motif de recours ou une étiquette psychiatrique, dans 25 % des cas il s’agit d’une pathologie organique [14]. L’attribution trop rapide d’une étiquette psychiatrique chez un malade peut entraîner définitivement une erreur médicale et une orientation inadéquate vers des structures dépourvues de moyens nécessaires au diagnostic et au traitement approprié.
L’urgence psychiatrique doit être envisagée comme une urgence médicale et répond à la nécessité d’agir avec compétence et disponibilité. La médicalisation initiale, visant à donner la priorité à l’organique plutôt qu’au psychique, répond à un impératif de sécurité.
LES GRANDES CLASSIFICATIONS
De nombreuses manifestations aiguës non spécifiques organiques et/ou psychiatriques sont marquées par l’installation d’un symptôme « cible » conduisant le patient à avoir recours à la médecine d’urgence du fait de son caractère bruyant et de la souffrance qu’il engendre. Le praticien qui prend en charge ce patient est alors souvent confronté à des situations diverses car le symptôme est rencontré dans de nombreuses situations cliniques très différentes. L’anamnèse, l’interrogatoire du patient et de son entourage, l’examen clinique prennent ici toute leur valeur et les différentes étapes de la stratégie diagnostique doivent répondre à un impératif de rigueur afin de ne pas négliger toutes les hypothèses [21]. À titre d’exemple, plusieurs situations peuvent ainsi être listées :
Cause organique à une pathologie d’allure psychiatrique
Elle peut se décliner en :
– états d’agitation
:

• troubles métaboliques (hypoglycémie),
• causes toxiques (alcool, stupéfiants),
• causes iatrogènes,
• hémorragie méningée,
• rétention aiguë d’urines ou fécalome chez une personne âgée
,

• état démentiel ;
– états de prostration
:

• méningite et méningo-encéphalite,
• encéphalopathie métabolique, principalement hypercapnique ou hépatique ;
– états confusionnels
avec troubles confuso-oniriques dominants :

• causes neurologiques (tumeur, épilepsie partielle),
• fièvre,
• troubles métaboliques (hypoglycémie, hypercalcémie),
• causes toxiques : intoxication au monoxyde de carbone (CO),
• delirium tremens,
• causes iatrogènes ;
– angoisse
aiguë :

• pathologie organique grave silencieuse : infarctus du myocarde ou embolie pulmonaire,
• cause iatrogène (corticoïdes, benzodiazépines avec réponse paradoxale),
• sevrage aux opiacés, benzodiazépines et alcool
;

– mutisme
, en fait aphasie.

Masque organique d’une pathologie psychiatrique
Plusieurs symptômes sont décrits, mais ils ne prennent souvent toute leur signification que, rétrospectivement, lorsque le diagnostic est évident :
– troubles du sommeil
;

– manifestations somatiques prévalentes : céphalées, vertiges
, douleurs
diffuses, bourdonnements d’oreille pouvant être le témoin d’une dépression
masquée ;



– état d’agitation
: agitation paradoxale des états catatoniques
;


– conduites alcooliques et toxicomaniaques
;

– mutisme :
• catatonie,
• accès mélancolique.
Intrication des tableaux organiques et psychiatriques
Il faut se méfier des patients psychiatriques qui peuvent présenter des symptômes cliniques en rapport avec un réel problème somatique, de type :
– état confusionnel
;

– démence et état confusionnel et/ou troubles du comportement ;
– automutilation sévère nécessitant des soins organiques ;
– plaintes hypochondriaques
: mélancolie délirante, paranoïa avec délire de revendication
;


– demande de sevrage
;

– syndrome de manque.
Conséquences organiques d’une pathologie psychiatrique
Elles se déclinent en :
– troubles ioniques et anorexie ou boulimie
;

– pneumopathie de déglutition ;
– troubles iatrogènes :
• troubles hydro-électrolytiques,
• rétention aiguë d’urines,
• syndrome extrapyramidal et neuroleptiques
,

• syndrome malin des neuroleptiques
.

Conséquences psychiatriques d’une maladie organique, maladie chronique notamment
Il peut s’agir de :
– troubles de l’humeur
:

• affections endocriniennes,
• maladies chroniques,
• maladies malignes cancers, hémopathies,
• infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH),
• au décours de maladies aiguës bénignes : grippe, mononucléose infectieuse,
• à l’issue de gestes thérapeutiques : chirurgie esthétique, chirurgie cardiaque ;
– syndrome dépressif
;

– confusion
mentale ;

– troubles du comportement.
LES GRANDES MALADIES ORGANIQUES À RETENTISSEMENT PSYCHIATRIQUE
De nombreuses affections médicales sont susceptibles de se manifester par des symptômes purement psychiatriques qui peuvent être au devant de la présentation clinique. Les affections organiques peuvent mimer toutes sortes de manifestations psychiatriques parfois peu spécifiques :
– syndromes confusionnels
;

– syndromes démentiels (voir « Personne âgée »
) ;

– troubles de l’humeur
: instabilité émotionnelle, anxiété, dépression ;

– modification du caractère, irritabilité, indifférence, opposition ;
– modification du comportement : apathie, fatigabilité
ou plus rarement hyperactivité ;

– manifestations délirantes
et hallucinatoires
;


– agressivité
inexpliquée, récidivante ;

– névrose d’angoisse ;
– dépression ;
– état maniaque
.

La symptomatologie psychiatrique peut soit inaugurer la maladie (syndrome dépressif
premier symptôme d’une tumeur cérébrale), soit dominer la présentation clinique (état d’agitation
sur méningo-encéphalite), soit compliquer un traitement (état maniaque
secondaire à un traitement corticoïde). Certaines situations aiguës peuvent donc prendre le masque d’une urgence psychiatrique. Dans ces situations, le diagnostic des affections somatiques à masque psychiatrique repose, comme toujours, sur les données de l’examen clinique et paraclinique avec :



– enquête anamnestique « policière », en particulier à la recherche de modifications récentes ou inhabituelles du comportement et/ou du caractère, menée auprès du patient et surtout de sa famille ou de son entourage ;
– examen clinique centré tout particulièrement sur l’état neurologique, cardiovasculaire, respiratoire, hépatique ;
– bilan biologique orienté en fonction des données de l’examen clinique : ionogramme sanguin, glycémie, calcémie, urée, recherche de toxiques, gaz du sang, ponction lombaire au moindre doute ;
– examen complémentaire : électroencéphalogramme, scanner cérébral voire IRM cérébrale.
Les éléments devant orienter vers une pathologie organique sont les suivants :
– symptomatologie psychiatrique atypique d’apparition récente ou progressive (une note confusionnelle par exemple doit faire suspecter en première intention une pathologie organique) ;
– absence d’antécédent psychiatrique ;
– résistance à un traitement psychotrope ;
– association à des symptômes somatiques.
PATHOLOGIES NEUROLOGIQUES
Épilepsie
Les troubles psychiques de l’épilepsie peuvent être liés à l’atteinte cérébrale responsable sous-jacente, aux manifestations critiques ou intercritiques.
Les manifestations psychiatriques « critiques » peuvent survenir à la phase prodromique ou critique ou post-critique [34] :
– à la phase prodromique, les symptômes les plus fréquents sont l’irritabilité précédant parfois de plusieurs heures la crise mais cédant au décours de celle-ci ;
– pendant la crise les symptômes psychiatriques sont l’apanage de crises partielles ou des états de mal non convulsifs :
• les crises partielles simples, principalement temporales, peuvent s’accompagner d’hallucinations
psychosensorielles. Les crises partielles simples plus complexes peuvent s’accompagner de troubles de la vigilance
et de signes moteurs à type d’automatisme avec un risque de passage à des actes agressifs
;



• au cours des états de mal non convulsifs, un état confusionnel peut s’installer, associé à des troubles de la vigilance.
– en phase prost-critique, la symptomatologie psychiatrique est largement dominée par une confusion
, des troubles du comportement à type de syndrome confuso-onirique.

Les manifestations psychiatriques « intercritiques » ne sont pas liées proprement dites à des anomalies électrophysiologiques comitiales. Elles surviennent fréquemment chez l’enfant
et l’adolescent
qui peuvent présenter des manifestations anxieuses
et/ou dépressives
, des troubles du comportement [2, 3].




L’ensemble de ces troubles psychiques doit être rattaché à une épilepsie devant les critères suivants :
– antécédents comitiaux ;
– absence d’antécédent psychiatrique ;
– troubles organiques associés ;
– début et fin brusques ;
– durée brève ;
– caractère stéréotypé et récidivant sur le même mode ;
– confusion
post-critique et amnésie des troubles ;

– efficacité du traitement antiépileptique ;
– absence d’élément délirant au décours de l’épisode ;
– constatation de mouvements tonicocloniques, morsure de langue et/ou perte d’urines ;
– amnésie
des troubles.

La certitude diagnostique repose sur :
– un examen clinique rigoureux ;
– la réalisation d’une glycémie capillaire et d’examens biologiques ;
– le dosage médicamenteux ;
– le dosage de certains toxiques et l’alcoolémie ;
– l’électroencéphalogramme ;
– l’imagerie médicale (scanner et IRM).
Traumatisme crânien
Les traumatismes crâniens représentent un motif de recours fréquent aux urgences. En dehors de la gravité initiale responsable de lésions neurologiques sévères, les manifestations psychiatriques dominent le pronostic de part le retentissement psychique, social, familial et/ou professionnel que peut entraîner un traumatisme crânien même bénin [4, 7]. Il est de la compétence de l’urgentiste de les reconnaître, de les prévenir si possible et d’orienter les patients sur des filières spécialisées.
Les manifestations psychiatriques post-traumatisme crânien sont de trois types :
– manifestations directement liées aux lésions cérébrales traumatiques ;
– syndrome subjectif des traumatisés crâniens
– état de stress post-traumatique (ESPT)
.

MANIFESTATIONS DIRECTEMENT LIÉES AUX LÉSIONS CÉRÉBRALES TRAUMATIQUES
Il s’agit de bradypsychie, irritabilité, agressivité inhabituelle, apathie, tableau démentiel ou confusodémentiel, troubles de mémoire
associés à des modifications de la personnalité
et de séquelles neurologiques (déficits moteurs, épilepsie séquellaire, troubles du langage). L’hématome sous dural – chronique représente l’entité anatomique la plus fréquente avec des troubles apparaissant dans les semaines ou les mois suivant un traumatisme crânien qui peut avoir été minime ou oublié (sujet sous anticoagulants, sujet alcoolique, patient âgé
).



SYNDROME SUBJECTIF DES TRAUMATISÉS CRÂNIENS
ÉTAT DE STRESS POST-TRAUMATIQUE 
Il s’agit d’un cas pour lequel une prévention psychothérapique et chimiothérapique doit être proposée dès les urgences. Parmi les troubles psychotraumatiques, l’ESPT est le plus étudié ; le handicap fonctionnel pour les sujets est souvent sérieux [17, 20]. Les victimes sont en proie à des phénomènes de reviviscences diurnes et nocturnes (la scène traumatique est revécue sans cesse) ; elles présentent également une hypertonie neurovégétative avec des sueurs, une tachycardie et surtout des réactions caractéristiques de sursaut au moindre imprévu. Les troubles s’accompagnent de comportements d’évitement extrêmement fréquents. Ces conduites d’évitement génèrent à leur tour un handicap évident sur le plan social, relationnel et professionnel. Enfin, le traumatisme psychique peut être à l’origine de modifications profondes de la personnalité : existence centrée sur l’événement (avant et après le traumatisme), impression d’incommunicabilité des sentiments vécus, repli affectif. La prévalence de l’ESPT sur la vie entière en population générale aux États-Unis est estimée à 8 % [23], le coût socioéconomique et le retentissement en termes de santé sont très importants. Dans une étude récente [10], les troubles psychopathologiques sont nombreux : 31 % de dépression, 62 % de troubles anxieux et 29 % d’ESPT. L’impact médicoéconomique pour les sujets présentant un ESPT est significativement supérieur ; surtout, l’impact économique des sujets présentant un ESPT non traité est très nettement supérieur à celui des sujets ESPT traités. Les connaissances sont en revanche encore pauvres en ce qui concerne les stratégies de prévention :
Prévention primaire
Elle concerne la survenue de l’événement traumatique et appartient à l’évidence au champ social ou politique.
Prévention secondaire
Elle s’attache à éviter l’apparition d’un trouble séquellaire en intervenant dans les suites immédiates de l’événement et devrait être proposée aux victimes dès le service des urgences. Les stratégies de prévention secondaire se sont souvent limitées à évaluer l’impact du débriefing psychologique dont l’efficacité est mise en doute par des études contrôlées de suivi [26]. Il apparaît actuellement évident de développer d’autres stratégies dans le champ de la prévention secondaire, notamment pharmacologiques et l’approche pharmacologique semble une voie d’avenir particulièrement prometteuse :
– l’usage des benzodiazépines
est très répandu au décours d’un psychotraumatisme et pour les médecins généralistes
, comme pour nombre de psychiatres et d’urgentistes, c’est le psychotrope de première intention malgré l’absence de données contrôlées dans la littérature scientifique tout en sachant que leur prescription pendant le premier mois suivant le traumatisme serait au minimum peu efficace, voire délétère sur le devenir de la symptomatologie [18] ;


– l’autre voie de recherche concerne l’emploi de bêtabloquants au décours immédiat du traumatisme. Une étude récente a été menée qui confirmerait l’intérêt de l’usage de propranolol [31] ;
– récemment, il a été proposé d’utiliser l’hydroxyzine dans le contrecoup immédiat d’un traumatisme psychique qui pourrait limiter les phénomènes d’hyperfixation mnésique et émotionnelle en comparaison d’un groupe contrôle sous placebo, et/ou pourrait réduire l’incidence, la durée ou l’intensité des troubles psychotraumatiques à 3 mois [24]. À l’heure actuelle, aucun produit maniable à l’urgence et bien toléré n’a fait la preuve de son intérêt en prévention secondaire de l’ESPT.
Prévention tertiaire
Elle implique les différentes approches thérapeutiques visant à réduire les symptômes cliniques et le handicap des sujets souffrant d’un ESPT mais n’est pas du ressort de l’urgentiste.
Tumeurs cérébrales
Il est rare que des manifestations psychiatriques isolées soient révélatrices d’une tumeur cérébrale ; il s’y associe fréquemment des céphalées, une crise comitiale, des signes neurologiques de focalisation. Les manifestations sont en fait variables selon :
– la topographie de la tumeur ;
– le retentissement anatomique (œdèmes, compressions, hypertension intracrânienne, etc.) ;
– le stade évolutif de la maladie ;
– l’état psychologique antérieur du patient [39].
Selon la localisation, diverses manifestations sont décrites :
– les tumeurs frontales, longtemps asymptomatiques, peuvent se révéler par :

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