Chapitre 3 Traitement des insuffisances osseuses à visée implantaire
Introduction
Les insuffisances osseuses des maxillaires sont de composition variable. L’orientation de leur diagnostic précise [1] :
Ces pertes de substances osseuses rendent irréalisables une mise en place d’implants tant d’un point de vue fonctionnel qu’esthétique. La correction des déficits osseux maxillaire ou mandibulaire est habituellement employée pour rétablir la morphologie osseuse. Les techniques réparatrices généralement décrites font appel aux modalités thérapeutiques suivantes [2] :
Chirurgie pré-implantaire
Les indications et les techniques opératoires sont variées et très controversées quand il s’agit de choisir l’intervention la plus appropriée et la plus fiable avec des résultats reproductibles, tout en minimisant les possibles complications. Le chirurgien adapte sa technique en fonction :
L’évidence clinique, face à une insuffisance osseuse des maxillaires, corrobore une augmentation verticale et/ou transversale de la crête alvéolaire pour positionner correctement les implants. La prise en charge en pratique conventionnelle rassemble les stratégies reconstructrices présentées dans le tableau 3.1 [18].
Déficit osseux | Traitement |
---|---|
Insuffisance osseuse transversale | |
Insuffisance osseuse verticale |
Un nombre de cas cliniques non négligeable place le chirurgien face à des insuffisances osseuses dites « combinées » car elles réunissent un déficit osseux transversal et vertical (figure 3.1).
Fig. 3.1 Les déficits osseux et leurs corrections interprétés sur les reconstructions coronales obliques.
Déficit osseux : transversal (A et B) ; vertical (C et D) ; combiné (E et F).
Les solutions thérapeutiques sont multiples et rassemblent notamment une greffe d’apposition, une régénération osseuse guidée ou un comblement du sinus maxillaire. Le contexte clinique évalue :
Déficit osseux transversal, vertical et combiné : formes et traitements
Avantages et inconvénients des matériaux de greffe
L’os autogène et différents matériaux (cf. chapitre 1) sont classiquement utilisés pour corriger les déficits osseux. Les études statistiques, très hétérogènes, ne confirment pas la prééminence d’un substitut à l’os autogène sur un autre [20]. Les greffes osseuses autogènes, les allogreffes, les xénogreffes ou encore les substituts alloplastiques donnent des résultats positifs en permettant une régénération osseuse plus rapide pour l’os autogène que pour les autres matériaux [21, 22] (tableau 3.2).
Aucun des matériaux précités n’est employé systématiquement. Le chirurgien pose l’indication en fonction de l’étendue de la reconstruction, en appréciant les avantages et les inconvénients de chacun de ces matériaux. Si l’efficience des substituts à l’os autogène n’est plus à démontrer, des différences de performance et d’efficacité concernent [24] :
Greffes osseuses autogènes
Caractéristiques des prélèvements osseux intra-oraux
Les sources de prélèvement de greffons intra-oraux communément décrites sont :
Les prélèvements osseux intra-oraux sont corticospongieux, excepté le prélèvement tubérositaire qui est de nature exclusivement spongieuse (figure 3.2).
Le bloc osseux corticospongieux par sa nature corticale assure la résistance mécanique aux contraintes imposées par les implants [28]. Sa constitution spongieuse lui confère le potentiel ostéogénique qui contribue à la régénération osseuse rapide du site traité.
Les couches profondes des sites donneurs mandibulaires procurent des particules osseuses trabéculaires à forte densité cellulaire (ostéoblastes et précurseurs d’ostéoblastes) impliquées directement dans le processus d’ostéogenèse [29].
Concernant l’ostéotomie, l’avènement des microscies (encadré 3.1, figures 3.3 à 3.12) et de la piézo-électricité (encadré 3.2, figures 3.13 à 3.18) a simplifié les techniques de prélèvement.
Encadré 3.1 Prélèvement parasymphysaire à l’aide d’une microscie
Fig. 3.6 Deux traits verticaux et deux traits horizontaux délimitent l’ostéotomie du greffon parasymphysaire.
Fig. 3.8 Un segment corticospongieux est mobilisé et dissocié du site donneur.
L’os spongieux est récupéré dans les couches profondes quand le volume osseux est conséquent.
Fig. 3.9 Pour rétablir la morphologie, un substitut à l’os autogène comble le défaut créé par le prélèvement.
Encadré 3.2 Prélèvement de l’angle mandibulaire à l’aide d’inserts reliés à un générateur piézo-électrique
Fig. 3.13 Site de prélèvement de l’angle mandibulaire.
La 38 est extraite, un intervalle de 6 semaines sépare l’avulsion du prélèvement.
Le choix du greffon se fait en fonction du volume osseux à greffer et de la morphologie du déficit osseux à corriger.
Si le prélèvement s’effectue sous anesthésie locale une prémédication sédative est préconisée.
Greffe d’apposition autogène
L’ostéo-induction, mécanisme biologique complexe, consiste en l’intégration d’un greffon autogène au cours de laquelle se succède un certain nombre d’étapes avec comme objectif l’augmentation de volume de la crête osseuse alvéolaire.
Mode opératoire
Voie d’abord
La voie d’abord privilégiée retient, le plus habituellement, un tracé d’incision de la crête alvéolaire édentée à direction horizontale et à orientation palatine ou linguale avec des contre-incisions verticales à distance du site receveur osseux afin de récliner un lambeau mucopériosté, exposer l’étendue du déficit osseux puis assurer le repositionnement du lambeau.
Une approche différente est rapportée avec la technique de « tunnelisation » qui consiste à créer un tunnel par deux incisions verticales en mésial et distal du défaut osseux pour exposer ce dernier et introduire un greffon qui sera stabilisé. Cette technique, qui préserve les tissus mous kératinisés et diminue les risques d’exposition du greffon, requiert plus d’évaluations cliniques pour être prévisible [30].
Préparation du site receveur
La préparation du site receveur poursuit les objectifs suivants [31] :
Stabilisation du greffon
La charpente osseuse que constitue le site receveur est optimisée de façon à limiter la création d’espaces libres, propices à l’infection, entre le réceptacle et le greffon.
La décortication et la plastie du rebord osseux concourent à l’adaptation du greffon. L’ostéosynthèse, réalisée le plus souvent avec des vis ou, plus rarement, avec des plaques modelables vissées à appui cortical, place le segment osseux prélevé dans des conditions mécaniques dans lesquelles aucun mouvement ou micromouvement n’est permis tout au long de la période de consolidation [32]. Les vis d’ostéosynthèse, utilisées seules ou en complément des plaques, sont adaptées aux volumes des greffons. Pour la plupart, les vis sont autotaraudantes de longueur allant de 2 mm en 2 mm avec des diamètres de 1 et 1,2 mm pour fixer les fragments de petites tailles et jusqu’au diamètre de 2 mm. Ces différentes longueurs sont suffisantes dans notre spécialité, pour augmenter les capacités mécaniques du greffon (encadré 3.3, figures 3.19 à 3.25).
Complications
Les greffes osseuses autogènes sont encore une référence dans le processus de réparation des insuffisances osseuses des maxillaires et représentent la modalité de traitement la plus classique. Malgré l’efficacité reconnue des greffes osseuses autogènes [33, 34] et des protocoles opératoires réglés et bien conduits, ces greffes ne doivent jamais être considérées comme une certitude. Comme tout acte chirurgical, les complications et échecs, bien que peu fréquents, sont réels et nécessitent souvent une modification du plan de traitement [35].
Les complications les plus fréquentes caractérisent les situations cliniques dans lesquelles une exposition, une infection, une perte ou encore une résorption du greffon peuvent toujours survenir. Un diagnostic précoce participe au meilleur contrôle des complications par la maîtrise de leur prise en charge [36].
Exposition du greffon (encadré 3.4, figures 3.26 à 3.28)
Sans une conduite préventive efficace, l’exposition d’un greffon présente comme conséquences probables : une infection du site greffé, une perte partielle ou totale de la greffe [37]. Sans prétendre être exhaustif, les causes d’exposition sont diverses : ruptures des points de suture, operculisation de la vis d’ostéosynthèse, aspérités liées à une insuffisance de préparation du greffon, intensité d’une sollicitation mécanique, etc.
Perte du greffon
La perte partielle ou totale du greffon, conséquence d’une désunion entre le segment osseux greffé et le site récepteur, est rare (encadré 3.5, figures 3.29 et 3.30). Les facteurs aggravants sont l’insuffisance de vascularisation du greffon ou une ostéosynthèse instable. Cette situation clinique, plus symptomatique des corrections osseuses verticales, devient complexe. La finalité thérapeutique peut révêtir deux aspects [38] :
Résorption du greffon (encadré 3.6)
La mise en fonction d’implants prévient la résorption de l’os natif ainsi que celle de l’os greffé comme en témoigne le nombre de publications menées sur ce thème [39–42]. La résorption de l’os greffé cliniquement a été établie par quelques auteurs qui ont imputé à la seule origine embryologique du greffon, le processus de résorption [43, 44]. Cette perte du volume osseux greffé, imprévisible, s’avère plus importante après la première année de mise en fonction des implants dans le site greffé. Son retentissement est moindre dans les années qui suivent [45]. Cependant, la résorption de la greffe ne se limite pas à l’origine embryologique du greffon malgré les affirmations des publications précitées. En effet, d’autres éléments doivent être pris en compte tels que :
Encadré 3.6 Résorption tardive du greffon : recherche d’une issue thérapeutique favorable
Fig. 3.32 La reconstruction implantoportée est déposée sans difficulté.
Un lambeau mucopériosté récliné révèle le déficit osseux provoqué par la résorption.
Infection du greffon
L’infection du greffon chez un patient ASA I ou ASA II est exceptionnelle compte tenue de l’antibiothérapie qui est systématiquement prescrite dans ce type d’intervention. Une mauvaise hygiène buccale et le tabagisme sont des facteurs qui favorisent une infection. Le niveau de risque doit alors être évalué lors du bilan préopératoire pour mettre œuvre une stratégie de prévention avec le patient.
Une exposition du greffon prise en charge tardivement peut être à l’origine d’une suppuration du site greffé : une désinfection méthodique (povidone iodée ou chlorexidine) associée à une antibiothérapie curative est capitale pour contrôler l’infection et conserver la consolidation osseuse. La récidive septique mène à l’excision chirurgicale de la greffe osseuse avec révision du site, recherche des séquestres et des tissus fibreux [48, 49].
Blocs osseux allogéniques corticospongieux (cf. chapitre 1)
Compétence ostéogénique du site receveur
L’emploi de greffon allogénique a conduit à de nombreuses applications en chirurgie orthopédique. Les résultats histologiques qui ont suivi confirment l’incorporation du greffon allogénique, sa substitution et son remodelage, autant de conditions du succès d’une néoformation osseuse [50, 51].
En dépit du fait que les allogreffes soient d’un usage habituel en chirurgie orthopédique, peu d’études rapportent leurs applications, isolément ou combinées, à un autre substitut osseux pour les augmentations osseuses verticales ou transversales de la crête alvéolaire [52].
Le greffon allogénique se comporte comme une matrice poreuse ostéoconductive qui est colonisée par des cellules et des vaisseaux lorsque ce greffon bénéficie d’une vascularisation rapide, facteur indispensable à son intégration et à sa stabilisation [53]. La vascularisation originaire du site récepteur est le paramètre incontournable du développement de l’ostéogenèse à la jonction du greffon et du site récepteur. L’intégration du greffon s’accompagne d’une cascade d’événements vasculaires et ostéogènes liés à la qualité du site traité [54].
Caractéristiques d’un bloc osseux allogénique corticospongieux
Les blocs osseux allogéniques iconographiés dans cet ouvrage proviennent de têtes fémorales prélevées sur des patients bénéficiant d’une arthroplastie de la hanche (encadré 3.7, figures 3.36 et 3.37). Des blocs allogéniques de donneurs cadavériques sont également disponibles.