3. La question de l’empathie

e devais m’occuper d’un garçon d’une vingtaine d’années qui était handicapé mental et moteur, il avait des problèmes pour se déplacer. Quand il me regardait, au début, j’étais mal à l’aise car il ne pouvait pas parler mais on pouvait ressentir sa souffrance. J’étais très touchée par ce regard et par sa souffrance. Il était gentil avec moi, il prenait ma main et me faisait des bisous. Il ne le faisait pas avec tout le monde. On aurait dit un tout petit enfant. En plus, je lui mettais des couches parce qu’il était encoprétique. Mais il aidait beaucoup pour sa toilette et comprenait bien ce qu’on lui demandait. Il prenait ma main pour que je dessine avec lui. Seul, il gribouillait tout ce qu’il trouvait.


Un jour, je venais pour lui faire une piqûre et il m’a parlé alors que l’équipe disait qu’il ne parlait pas. Il m’a dit : « non, je t’en prie ». Je n’ai pas fait la piqûre tout de suite, d’abord parce que j’étais trop surprise et puis, parce qu’il avait dit « non ». Je ne savais plus quoi faire parce qu’il fallait que je lui fasse cette prise de sang. Mais, moi non plus j’aimais pas qu’on me fasse des piqûres quand j’étais petite, alors je le comprenais. J’ai fait ce que j’aurais aimé qu’une infirmière fasse avec moi dans cette situation : j’ai tenté de le rassurer. D’abord, je lui ai dit que je devrais faire la piqûre mais que ce n’était pas urgent, on a dessiné un peu, je lui ai mis de la musique parce qu’on était vers Noël et qu’il adorait les chants de Noël. Il était souriant et détendu. J’ai laissé la musique et je lui ai dit que j’allais faire la piqûre en chansons. Je chantais avec la musique en l’installant sur le lit, ce qu’il a accepté. Cela le faisait rire que je chante. J’ai fait la piqûre presque sans qu’il s’en aperçoive et c’était facile parce que, comme il était bien et détendu, ça a été rapide. Il n’a pas eu mal. C’est quelqu’un qui m’a apporté beaucoup. »





Cette jeune infirmière, très impliquée affectivement auprès de son patient, n’a pas craint de prendre du temps afin de mettre en confiance ce jeune patient dont les difficultés mentales qui le faisait apparaître comme un « tout petit enfant » l’ont touché dans le lien transférentiel qu’elle a noué avec lui. Les personnes victimes de maladies mentales sont encore plus sensibles au transfert que les autres et « foncent dedans », dans un lien fusionnel extrême qui les rend très attachants mais qui peut conduire le professionnel à se sentir tellement touché qu’il peut faire des erreurs. Cela n’a pas été le cas pour cette future professionnelle qui a intuitivement su agir pour arriver à ses fins sans violence, dans la bonne humeur et la paix.

Elle dit clairement ce qui a créé l’empathie avec ce jeune homme : elle se sentait en position maternelle, maternante dans le transfert (il lui fait des bisous, elle lui met des couches, ils dessinent ensemble, ce qu’elle accepte bien). En outre, elle se sentait émue par sa souffrance qui venait sans doute toucher des souffrances liées à sa propre histoire. Et surtout, elle s’est identifiée à lui lorsqu’il a refusé la piqûre parce qu’elle-même se souvenait avoir détesté les piqûres étant jeune. Cette identification consciente lui a permis de montrer de l’empathie et de mettre en place ce qu’elle aurait aimé qu’on fasse avec elle quand elle était petite. L’enfant en elle dont le souvenir est ravivé par la situation lui inspire ses actions et ce qu’elle se doit de faire par rapport à son éthique : ce qu’elle aurait pu craindre être une perte de temps en dessinant, en chantant avec le jeune patient a été en réalité un gain de temps et une véritable réussite sur le plan humain, psychique et médical.

Le patient se met à parler pour la première fois (en tout cas depuis qu’il est à l’hôpital) à la fois parce qu’il a peur de la prise de sang mais aussi parce qu’il sait qu’il va être entendu par cette jeune infirmière, c’est pourquoi il prend la peine d’articuler ces paroles bouleversantes pour la jeune femme qui ne sait plus que faire durant quelques secondes. Elle sent bien que ces paroles lui sont adressées et que cet effort fourni par son patient nécessite d’adapter la situation. Elle décide alors de le rassurer, de recréer le climat de confiance qu’il a d’habitude avec elle, de le détendre, de créer une ambiance chaleureuse et de bonnes conditions au soin. La musique et le chant (la voix de la jeune femme) jouent un grand rôle dans ce climat : elle met à profit ce qu’elle sait être agréable au jeune homme, grâce au lien qu’elle a pris le temps de mettre en place avec lui dans ses observations cliniques. La musique a une fonction contenante, le rythme est entraînant, source de plaisir pour le jeune homme et la voix de l’infirmière (qui le fait rire, dit-elle) possède des qualités prosodiques qui le motivent positivement par l’évocation d’images amusantes, peut-être, et qui instaurent un lien humain rassurant, une communication qui l’apaise et où l’infirmière peut ensuite proposer à nouveau la piqûre puisque cette piqûre n’est plus qu’un élément parmi d’autres du lien (il y a de la musique, elle continue de le distraire en chantant) et n’est plus perçue comme une menace.

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May 9, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 3. La question de l’empathie

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