3: Fonctionnement, troubles, évaluation et rééducation de l’appréhension et de la reconnaissance visuelle



Fonctionnement, troubles, évaluation et rééducation de l’appréhension et de la reconnaissance visuelle


Maar (1982, cité in [12,20,39]) propose une analyse du phénomène neurovision en fonction de trois étapes successives (fig. 3.1) :




• La détection et la localisation du signal permettent la perception du stimulus visuel. On prendra pour exemple l’individu qui scrute le ciel de minuit et perçoit des points brillants. Le traitement neuro-sensoriel du stimulus le rend efficace.


• Son identification, caractérisée par la reconnaissance de la forme, est possible par un second traitement correspondant à l’intégration des données perceptives. Il est actuellement difficile de dire s’il est neuro-sensoriel ou cognitif. Dans l’exemple choisi, la disposition et les rapports entre les six points brillants détectés permettent la reconnaissance de la forme du chariot.


• La transposition ou transformation est un traitement cognitif. Il permet la reconnaissance de l’objet grâce à l’interprétation des données perceptives. Dans le cas proposé, on reconnaîtra et nommera la Grande Ourse.


À un niveau plus élémentaire, reconnaître l’étoile demande le même travail.


L’objectif de ce chapitre est de proposer une prise en charge rééducative des patients atteints d’un trouble de l’appréhension ou de la reconnaissance visuelle. Comprendre ce double mécanisme permet de dissocier ces deux fonctions. À partir de cette distinction sont donc envisagées d’abord la pathologie, l’évaluation et la rééducation des troubles de détection et de capture du signal spécifiques aux hémiparétiques gauches, puis celles de la reconnaissance visuelle qui, bien que plus rare, peut se trouver altérée chez tous les hémiparétiques.



3.1


L’appréhension et la reconnaissance visuelle



Appréhension visuelle


Si l’on reprend l’exemple de la reconnaissance de la Grande Ourse, on constate que la détection et la localisation de l’objet dans un but de reconnaissance s’accompagnent d’un paramètre « attention » dont on ne peut faire l’économie.



Attention


L’homme scrute le ciel, il cherche, il porte son attention sur… L’attention revient sans cesse dans l’étude des fonctions cognitives et de ses troubles : l’attention et ses répercussions en cas d’altération sont fréquemment présentes dans la plainte du patient ; elle est tenue pour responsable de bien des difficultés ; ses troubles sont souvent observés par les rééducateurs…


L’attention se définit en termes de processus par lequel le cerveau sélectionne et maintient dans la conscience un événement extérieur ou une pensée [25,108]. Les modèles cognitifs offrent des apports théoriques qui permettent de l’évaluer concrètement chez les patients cérébro-lésés qui nous sont adressés. « Cependant, l’attention déficiente d’une personne souffrant d’un syndrome d’héminégligence visuelle gauche n’est pas comparable à celle d’une autre, hémiparétique anosognosique ou traumatisée crânienne en phase d’éveil de coma [114]. » Que doit-on retenir de l’attention dans le domaine de l’appréhension visuelle ?



Attention au sens général du terme


L’attention au sens général du terme, telle qu’elle est définie, est la première composante de la capacité attentionnelle permettant d’appréhender visuellement, puis de reconnaître un stimulus. Elle repose, selon Posner (cité in [72,108]), sur deux composants indépendants et pourtant en interaction : l’intensité de l’attention et la sélectivité.




Sélectivité

La sélectivité « concerne la capacité du sujet à se focaliser sur certains aspects de la tâche tout en inhibant volontairement en même temps toute réponse à des stimuli non pertinents » (Sturm, in [108]). On envisage une sélectivité automatique (un feu rouge et un panneau « stop » entraînent l’arrêt immédiat du véhicule et, même hors contexte, le cri « au secours » est chargé d’un potentiel d’intervention) et une sélectivité individuelle. « L’effet cocktail » fait référence à l’attention que l’on porte soudain sur un mot prononcé derrière soi, alors que l’on est en train de parler avec d’autres personnes. Mais elle relève également d’une motivation particulière : « J’attends un barbu » et ne serai attentif qu’à ce type d’individu. On retiendra par ailleurs que « l’attention volontaire peut s’appliquer à un stimulus extérieur ou à une représentation mentale » dont le support est absent [72]. On verra que la sélectivité a des liens étroits avec l’orientation de l’attention.


L’attention volontaire impliquée dans la sélectivité s’exerce particulièrement lors de l’attention partagée. Cette capacité de traitement est envisagée comme la faculté de traiter plusieurs registres simultanément. Plus la tâche est automatisée, plus il peut y avoir d’interférences : c’est le cas de la conduite automobile acquise qui s’accompagne volontiers de rires et de discussions. À l’opposé, plusieurs utilisations d’un même canal se combinent difficilement et peu de personnes peuvent lire et parler en même temps.



Orientation de l’attention


Afin de pouvoir détecter et localiser un signal, on envisage un développement particulier de la sélectivité. L’orientation de l’attention est envisagée à partir du moment où l’on pose que « l’attention se dirige vers des informations spatiales, permettant de se former une représentation topologique de l’espace englobant le maximum d’informations en présence » (Sieroff, in [108]). Cette capacité, permettant de balayer tout l’espace du regard, intervient spécifiquement dans l’appréhension visuelle et la détection d’un signal. L’orientation spatiale de l’attention sélective est développée sur la base de deux dichotomies (Bartolomeo, in [108]).



Explicite/implicite

La capacité à orienter son attention dans l’espace entraîne le plus souvent un « comportement d’orientation » ([56] Bartolomeo in [108]) consistant en un mouvement des yeux, de la tête, voire du tronc dans la direction investie. Elle est alors dite « explicite » (overt). Mais il est possible qu’elle s’effectue sans mouvement, ce qui lui vaudra d’être qualifiée d’« implicite » (covert). On pensera en particulier à cette situation où l’on « surveille du coin de l’œil » (Camus, in [108]). L’orientation de l’attention vers une image mentale [72] est généralement implicite. Pourtant, à y bien regarder, on s’apercevra souvent que l’interlocuteur, brutalement en prise avec une attention interne, baisse les paupières, puis ouvre les yeux en les dirigeant vers la droite…



Exogène/endogène

L’orientation de l’attention, si elle est guidée par les stimuli, est automatique et envisagée comme « passive, réflexe et sans effort » (Bartolomeo, in [108]). On la nomme « exogène ou bottom-up ». Sa particularité est de permettre l’appréhension de nouveaux éléments en inhibant une réorientation vers un objet déjà perçu. Cette capacité, extrêmement importante, permet ce que les auteurs nomment « engagement/désengagement » qui sous-tend la possibilité de sélectionner une cible autant que celle de s’en détacher afin de pouvoir appréhender un autre indice. L’orientation « endogène », encore qualifiée de top-down, est volontaire puisque mise en œuvre en fonction d’un but ou d’une stratégie active. Elle permet de maintenir son attention sur un stimulus malgré les distracteurs alentour.



Appréhension visuelle


Lors de la fonction neurovision, il existe donc tout d’abord une stimulation visuelle qui attire l’attention.


Bartolomeo (in [108]) reprend les conclusions de Carbetta, Mezin, Shulman et Peters (1993) qui « montrent une implication préférentielle du lobe pariétal droit pour une orientation gauche comme pour une orientation droite de l’attention, alors que le lobe pariétal gauche est activé seulement pour une orientation dans le champ visuel droit ».


La stimulation, sous la dépendance de l’attention, est captée par la rétine et déclenche l’orientation de la tête (éventuellement du tronc), dans l’objectif de fixer, de regarder le stimulus. Il s’agit donc ici d’une attention explicite (overt) envisagée comme exogène. Berthoz [80] montre que ce réflexe d’orientation dépasse la réaction motrice puisqu’il s’agit d’un « mécanisme qui établit une transition d’un état de l’organisme à un autre ». Il y a alors détection du signal. Simultanément, l’objet est localisé dans l’espace (position, éloignement, direction par rapport au corps…).


Ces opérations correspondent à l’appréhension visuelle.


Cette première activité, fondamentale dans le processus vision, est extrêmement rapide et peu décrite quant à ses mécanismes. Pourtant, les troubles qu’elle engendre en cas de lésion sont très fréquents chez les hémiparétiques gauches.



Phénomène d’identification


Capté et localisé, l’objet ne peut pas être reconnu par une seule opération. D’abord décomposée, l’image est reconstruite pour devenir significative [7]. Trois traitements permettent l’identification de l’objet. Le premier concerne la perception de la forme, le second sa reconnaissance et le dernier la signification de l’objet.



Perception de la forme


Le traitement permettant la perception de la forme est dit neuro-sensoriel et préattentif. Effectué par le système visuel périphérique, il a pour objectif de coder les « attributs primitifs » de l’objet. Ces codages indépendants et complémentaires ne sont pas hiérarchiques. Ils dépendent de la sélectivité des neurones. Extrêmement complexes, ils sont ici présentés très schématiquement. Les structures neuronales rétiniennes sont sensibles à des « antagonistes [46] » de lumières, de répartitions dans l’espace et de variations dans le temps. À titre d’exemple :



• Certaines d’entre elles sont sensibles à la luminosité indépendamment de la couleur. C’est ainsi que la photocopie en noir et blanc d’une image composée de rouge et de vert donne un cliché gris uniforme. Il n’y a en l’occurrence aucune différence de luminosité. On la constate par contre dans celle d’un dégradé de gris.


• D’autres ont une sensibilité temporelle. L’intensité lumineuse n’est pas stable dans le temps, et l’on parle du seuil de sensibilité temporelle. Celle-ci est largement décrite pour la télévision où l’œil ne perçoit aucune alternance malgré la succession permanente d’images dans le temps. Certaines méthodes d’endoctrinement ont, semble-t-il, utilisé la sensibilité temporelle qui, à une certaine fréquence, interdit de percevoir des images pertinentes incluses parmi celles que le système visuel enregistre consciemment.


• D’autres encore sont sensibles à la fréquence spatiale et au contraste. L’intensité lumineuse n’est pas uniforme dans l’espace. La fréquence spatiale s’exprime en nombre de lignes régulières par unité de largeur et le contraste spatial correspond à la différence d’intensité lumineuse de ces lignes. C’est ainsi que lorsque nous observons des hachures, nous ne pouvons pas les distinguer si elles sont éloignées de nous et que l’apparence d’un texte imprimé dépend de la qualité de la résolution choisie.


Ces sensibilités primitives [12], auxquelles il convient d’en ajouter d’autres comme le codage de la couleur et la disparité rétinienne, permettent la détection de l’orientation, du contraste, du sens de la direction, de la profondeur et du relief et celle de la couleur.


Le stimulus est alors efficace puisqu’il possède des caractéristiques. On dit qu’il est « perçu ».



Reconnaissance de la forme


La forme étant perçue, l’individu doit la reconnaître. La majorité des auteurs considèrent qu’il s’agit d’un traitement perceptif.


L’homme organise les informations présentes dans le système visuel afin qu’elles deviennent significatives, puis met la forme en évidence. Les gestaltistes suggèrent que cette organisation s’effectue suivant des règles et des lois [12,14,39].



Regroupement


L’organisation peut s’effectuer par le regroupement des informations en fonction de la proximité des éléments, de leur ressemblance, de leur liaison, de leur prolongement, de leur texture, de leur couleur, de la direction des mouvements…, mais également en fonction de l’attention portée sur eux. C’est ainsi que l’on peut les regrouper en fonction du tout (aspect global de la forme) ou des parties (aspect local de la forme).


Le système visuel va donc « extraire [les] attributs élémentaires, [les] identifier [et les] regrouper pour former des objets [35] ».


Il est sans doute utile de rappeler ici que les hémisphères cérébraux utilisent chacun leur mode d’analyse des informations. Le gauche, analytique, appréhende les parties qu’il regroupe ensuite en un tout (il analyse le tronc, les branches, les aiguilles, les pommes de pin… dont la synthèse devient sapin) et le droit, global, envisage directement le tout qu’il décompose secondairement en parties [72].


Le groupement est la première étape de la reconnaissance de la forme.



Mise en évidence de la forme


Deux traitements simultanés autorisent la mise en évidence de la forme. Ils concernent les données contour/surface et figure/fond.



Contour et surface

On peut repérer la transition entre deux luminosités différentes. Ce repérage définit une limite qui permet d’isoler une surface par rapport à une autre ou par rapport à un fond. Elle circonscrit un espace qu’il faut remplir, nécessitant un « processus de remplissage [12] ».


Il existe des contours particuliers que l’on nomme « contours virtuels » dans la mesure où il n’existe aucune discontinuité de luminosité. Le triangle imaginé par Kanizsa (cité in [7,25]) en est l’exemple le plus célèbre : cette forme est perçue comme une figure, alors qu’il n’existe aucun contour entièrement délimité (fig. 3.2). Illusoires, ils sont capables d’activer des structures neuroniques visuelles sélectives à l’orientation au même titre que les contours réels. Ils imposent la solution nommée « figure/fond ».



La gestalt-théorie (cité in [39]) suggère que nous prenions la solution la plus simple, la plus pertinente et propose la notion de « la bonne forme ».



Figure et fond

La figure n’existe pourtant que sur un fond. Cette notion est due à Rubin (1921, cité in [12]) et correspond à la base de la reconnaissance de la forme : celle de la figure, caractérisée par des propriétés objectales susceptibles de s’apparier à un référent-objet, sort du fond qui est informe, diffus, indéfini. Ainsi est posée la différence entre la figure et son arrière-plan.


La gestalt-théorie considère que cette capacité à distinguer la figure du fond fait partie du traitement de base perceptif ascendant. D’autres auteurs l’intègrent dans le traitement cognitif descendant où le « référent-objet » intervient. Parmi ces auteurs, Ramachandran (cité in [35]) pense que la distinction figure/fond ne peut s’élaborer qu’après identification et regroupement des formes tridimensionnelles.


Bien des expériences ont été entreprises sur les illusions optiques et peuvent apporter quelques éclaircissements. Dans l’illusion optico-géométrique, il existe une discordance entre notre perception et notre représentation cognitive (fig. 3.3). Robinson (1972), Coren et Girus (1980) (cités in [12]) pensent qu’il ne s’agit pas d’une erreur dans le processus de jugement, mais de l’impossibilité de retrouver une information sensorielle correspondant à la réalité. Dans un autre type d’exemple (fig. 3.4), il y a visibilité relative. Le sujet doit orienter volontairement son attention vers un « nœud d’organisation » d’où surgira une représentation cognitive.




Que le traitement soit perceptif ou cognitif, la forme est reconnue. Résultat de l’intégration sensorielle, elle est bidimensionnelle. Il s’agit d’une image, d’une figure distincte des représentations cognitives de l’objet.



Perception et reconnaissance de l’objet


Malgré diverses théories et bien qu’objectif de la fonction neurovision, il semble que l’on connaisse peu de chose sur les processus permettant la reconnaissance de l’objet. Tous les auteurs s’entendent cependant pour dire qu’il s’agit d’une fonction supérieure traitée par le cortex [12,18,39]. Ce traitement consiste à passer d’une image en deux dimensions (2D) à un objet en trois dimensions (3D).


Au niveau cognitif, l’individu ne traite plus les formes, mais les objets. On entend par ce terme une entité définie dans un espace tridimensionnel ayant un rôle précis et désignée par un mot.


Afin de le reconnaître et de l’identifier, l’individu doit en avoir une représentation interne dénommée imagerie interne [35]. On l’envisage comme une image mentale mémorisée et abstraite comprenant le plus d’informations possible sur un objet, dans l’objectif de permettre sa discrimination entre d’autres de formes voisines. Sa construction suivant un modèle typique serait continuellement remise à jour [35].


Ce « prototype » tridimensionnel permet au sujet d’effectuer des comparaisons avec la forme perçue, appelées « appariements », reposant sur trois paramètres : les représentations structurale, sémantique et phonologique des objets.



Représentation structurale à trois dimensions


Cette notion correspond à la transformation tridimensionnelle de la forme et à l’élaboration de propriétés invariantes malgré les changements d’apparence. Elle nécessite la rotation mentale du prototype pour que sa comparaison avec la forme soit correcte.



« 3D »

Le passage en 3D semble ne pas pouvoir s’établir d’emblée et l’individu passe par une étape intermédiaire que Maar nomme « 2D et demie » (2 dimensions et demie) (cité in [16,39]).


À partir d’un premier codage en 2D, l’homme commence à interpréter les stimuli de profondeur et de relief par rapport à sa position. Cette interprétation « egocentrée » permet le passage en 2D et demie. Il peut alors s’en détacher pour envisager les stimuli indépendamment de son point de vue. Ce traitement « exocentré » permet le passage en 3D.


La profondeur est la base de la construction de l’espace visuel en trois dimensions. Elle concerne la distance qui sépare l’observateur de l’objet et l’éloignement relatif des objets entre eux. L’intégration de ces distances permet, avec l’aide de la disparité rétinienne, une représentation du relief. Un sujet n’ayant plus de vision stéréoscopique le perçoit pourtant. Il existe donc des indices cognitifs parmi lesquels on cite :



Le rôle de ce dernier indice semble particulièrement pertinent. Le cerveau, correspondant ici au système neuro-visuel, « considère a priori que la scène est éclairée par une source lumineuse unique », généralement venant du haut en référence au soleil [35]. Cette direction est en relation avec la position de la rétine et non en rapport avec l’environnement ; elle correspond à une hypothèse « simplificatrice [34] ». La source de lumière implique une face éclair��e, une sombre et, entre les deux, une zone semi-lumineuse. Cette donnée permet d’envisager la forme comme concave ou convexe.


Comme il pose l’hypothèse d’une origine lumineuse unique, le système neurovisuel envisage celle d’une « règle de direction » des différents éléments.


De même encore, l’individu traduit le mouvement des objets par rapport à lui : une déformation totale de l’image est comprise comme le résultat du déplacement du sujet. Peu ou en partie déformée, elle implique le mouvement de l’objet. Ces illusions de mouvement sont aisément expérimentées lors d’un trajet en chemin de fer.


Lors de la transformation en 3D d’une forme, le système visuel tend à interpréter les stimuli à l’aide d’une de ces règles.




Représentation sémantique des objets


Cette représentation correspond à la connaissance de la signification de l’objet et à la maîtrise de ses rapports avec d’autres objets ou parties d’objets. La sémantique inclut :



Ces trois niveaux de la représentation sémantique sont généralement synergiques, mais les traitements ne sont pas toujours aussi rigoureux. C’est ainsi que certains objets peuvent avoir leur prototype propre sans passer par la hiérarchie ci-dessus décrite. Murphy et Smith (1982, cités in [12]) citent un exemple du niveau de base de l’objet « oiseau ». La catégorie sous-ordonnée typique qui vient immédiatement à l’esprit est composée des images « moineau, rouge-gorge, corbeau… », et l’on constate que celle du « pingouin » est atypique. On peut donc tout à fait imaginer que le pingouin possède sa propre représentation.



Représentation phonologique des objets


La représentation phonologique consiste à dénommer les objets. Il semble que cette opération ne puisse survenir qu’en conclusion de la représentation sémantique.


Certains auteurs soulignent que la forme dénommable est plus facilement identifiable que celle non dénommable [12]. On constate effectivement que le stimulus non significatif est structuralement apparié à une forme significative plus ou moins transformée et les chercheurs avancent la « supériorité de l’objet » (fig. 3.5). Elle est mise en exergue dans toutes les expériences où l’on demande la reconnaissance d’un objet dans et hors contexte ou l’identification d’une lettre isolée ou partie intégrante d’un mot.



La « familiarité » semble être une propriété non des stimuli, mais des représentations.



Perception et reconnaissance d’une scène complexe


Il est différent de reconnaître un objet et une scène puisque cette dernière présente des relations déterminées entre les objets. Biederman (1981, cité in [12]) distingue deux aspects, la sémantique et la syntaxe, qui, directement liés à notre connaissance du monde, facilitent la reconnaissance. Ces deux critères sont basés sur la cohérence.



La sémantique


La sémantique fait référence à la scène quant à sa signification. Elle comprend trois règles :





Reconnaissance des visages


Les auteurs sont encore très incertains sur la nature des processus permettant la reconnaissance des visages. Ils envisagent « la dominance du lobe occipital droit […], le rôle critique de la lésion du gyrus fusiforme droit dans la prosopagnosie [53] » et « l’intervention de deux facteurs différents (mnésique et perceptif) dans le déficit de la reconnaissance des visages […] qui s’inscrit dans un ensemble symptomatique fort complexe [39] ».


On peut retenir deux orientations :



Le codage primitif débouche sur un codage en 3D qui permet la représentation structurale « visage/non-visage » correspondant à la décision faciale. À la suite de cette première catégorisation, des analyses perceptives spécifiques se portent sur l’âge, le sexe, la race, l’expression… et sur une évaluation de la familiarité reposant sur un système de traitement particulier (Bruce et Young, 1986, cités in [16]).





b. La seconde orientation envisage plutôt la mise en place d’un registre particulier très tôt dans le développement de l’enfant, voire « spécifique de l’espèce Homo sapiens [40] ». La forme « visage humain » serait alors un « déclencheur spécifique ». Bodamer (1947), Bruyer et al. (1983) et Signoret (1987) (cités in [56]) envisagent, parmi les hypothèses, que la reconnaissance des visages puisse reposer sur une mémoire spécifique atteinte lors de la prosopagnosie.


Hécaen [40] écrit que l’on devrait « peut-être séparer plusieurs types différents de prosopagnosie [puisqu’il] semble impossible pour le moment de décider si la prosopagnosie correspond à une altération de l’aptitude à reconnaître les figures à composantes multiples et à organisation particulière ou à une destruction spécifique des détecteurs particuliers aux visages ».



Conclusion


Le phénomène neuro-vision repose sur deux données fondamentales, chronologiques et distinctes : l’appréhension visuelle et la reconnaissance visuelle.



• L’appréhension visuelle consiste à appréhender et à localiser un signal. Elle nécessite la mise en action d’un système attentionnel permettant l’orientation de l’attention vers le stimulus interne ou externe, sa détection et le maintien de cette attention. Cette appréhension déclenche inévitablement des mouvements de saccades oculaires pour tous les stimuli externes, qu’ils aient été ou non précédés d’une « orientation interne sans mouvement oculaire [71] ».


• La reconnaissance visuelle consiste à reconnaître un objet ou une image. Cette identification est tridimensionnelle. Elle donne un sens et un nom à l’objet perçu. D’abord périphérique, le message codé par la rétine est bidimensionnel et s’intègre dans un traitement considéré comme neuro-sensoriel. Il devient tridimensionnel grâce à un traitement cognitif où les corps striés et les zones du langage ont un rôle particulier. La gnosie visuelle suppose une synthèse cérébrale entre les différentes informations extérieures et les images mentales.


Les informations visuelles ne sont pas traitées de la même façon par les hémisphères droits et gauches.


L’hémisphère droit prédomine pour l’orientation de l’attention spatiale nécessaire à l’appréhension visuelle.


La reconnaissance des objets nécessite un travail conjoint des deux hémisphères pour lequel on envisage un partage des tâches. Global ou analytique, leur travail conjugué permet un traitement perceptif performant. Au niveau cognitif, indépendamment de la reconnaissance structurale de la forme qui nécessite souvent l’ensemble du cortex, les analyses sémantique et phonologique reposent davantage sur un traitement linguistique permis par l’hémisphère gauche. On comprend donc que tous les patients, selon le type de lésions hémisphériques, puissent souffrir ou non de troubles de la fonction vision.



3.2


Troubles, évaluation et rééducation de l’appréhension visuelle


L’appréhension visuelle constitue une entité dont l’approche doit être individualisée. Une altération de l’hémisphère droit peut engendrer des troubles de la fonction neuro-vision particuliers qu’il convient d’évaluer et de rééduquer de façon spécifique. L’objet de cette section est d’en permettre l’accès.



Troubles de l’appréhension visuelle


Restant fidèle aux étapes permettant l’appréhension visuelle, je classerai les troubles relevant de cette fonction de base selon deux critères : perturbation dans la fonction de détection et de capture du signal et perturbation dans la fonction de localisation.


Dans la littérature, ces deux types d’atteintes sont habituellement appelés « troubles de l’appréhension visuelle » et relèvent d’une lésion de l’hémisphère droit [39]. Ils sont distincts des troubles de l’identification, communément nommés « agnosie » (cf. « Troubles, évaluation et rééducation de l’agnosie visuelle »).



Troubles de la détection et de la capture du signal


Lors d’une perturbation dans la fonction de détection et de capture du signal, les neurologues isolent trois sortes de troubles de base : l’agnosie visuo-spatiale, l’agnosie spatiale unilatérale et la paralysie psychique du regard.



Agnosie visuo-spatiale


L’agnosie visuo-spatiale porte également le nom d’agnosie spatiale. Elle est caractérisée par la désorientation majeure, décrite par Wilbrand en 1892 comme une perte du sens des lieux ou par Holmes comme un trouble de la perception de l’espace (cités in [39]). Elle est due à une incapacité à appréhender l’espace par la vue.


Dans la vie quotidienne, le sujet est inapte à s’orienter. D’un espace général, il ne retient que des indices isolés à partir desquels il ne fait aucune synthèse. La taille du champ de référence n’influence pas le résultat des performances : grand ou petit, hôpital, ville ou plateau de repas, table de travail ou feuille de papier, la désorientation reste identique.


On constate chez le patient une difficulté d’appréhension visuelle globale, une perception des détails et une absence d’exploration systématique de l’espace. On imagine volontiers que l’espace qui l’entoure est constitué d’une multitude de pièces de puzzle qu’il reconnaît, mais ne peut assembler pour former un tout cohérent. L’examen plus attentif du sujet révèle d’autres caractéristiques associées, tels un trouble de la mémoire visuelle ou des apprentissages difficiles.


La désorientation s’exprime par une multitude de manifestations que les auteurs, au fil du temps, ont tenté de regrouper en tableaux cohérents. Parmi les nombreuses propositions, Ajuriaguerra et Hécaen [39] envisagent trois traitements défectueux pour expliquer cette caractéristique de l’agnosie visuo-spatiale.



Trouble de la perception spatiale

Ce trouble est décrit par Holmes et Horrax (cités in [39]) sous le nom de « désorientation visuelle ». Elle s’exprime dans les trois dimensions et semble « toujours accompagnée par des modifications de l’apparence, de la taille, des formes et des teintes des objets ». Elle correspond à la perte de la vision stéréoscopique, de la localisation des objets et à l’impossibilité de comparer leur grandeur et leur taille. On lui adjoint le plus souvent des « perturbations oculomotrices [39] ».

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May 13, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 3: Fonctionnement, troubles, évaluation et rééducation de l’appréhension et de la reconnaissance visuelle

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