3 Évaluation globale et optimisation pour la chirurgie
Évaluation médicale d’un patient présentant une fracture de hanche
Moment optimal de la chirurgie
Les déterminants du risque périopératoire
Évaluation du risque cardiaque
Optimisation du risque cardiaque
Évaluation du risque pulmonaire et optimisation
Prise en charge du diabète et optimisation
Évaluation de l’hépatopathie et optimisation
Dysfonction rénale périopératoire et optimisation du patient avec une néphropathie
Prévention de la thrombose veineuse et de la thrombo-embolie
Utilisation des anticoagulants
Utilisation des antiagrégants plaquettaires
Évaluation médicale d’un patient présentant une fracture de hanche
Un patient présentant une fracture de hanche représente un défi, une situation à haut risque pour le chirurgien, l’anesthésiste et les médecins. La réparation de la fracture de hanche n’est ni facultative, ni une réelle urgence, avec un risque immédiat pour le membre ou la vie du patient. Bushnell et al. ont classé ce type de chirurgie comme « nécessaire » ou urgent1. Chez les patients avec une fracture de hanche, l’opération doit être réalisée dès qu’elle peut l’être en toute sécurité et la consultation médicale préopératoire doit être à la fois minutieuse et rapide1. Ce chapitre décrit le bilan médical et l’optimisation d’un patient hospitalisé pour fracture de hanche. Des consensus sont disponibles pour guider la planification préopératoire et l’estimation du risque périopératoire. Il existe une controverse et des débats pour savoir si ces procédures chirurgicales devraient être retardées pour l’optimisation médicale, quel délai est acceptable, quels problèmes médicaux doivent être réglés, et si cette optimisation améliore les résultats périopératoires.
L’évaluation médicale du patient chirurgical inclut différentes étapes (tableau 3-1) : (1) analyser les causes de la chute ayant provoqué la fracture, (2) établir les comorbidités préalables du patient, (3) évaluer tous les troubles physiologiques aigus, (4) rechercher des troubles cardiaques actifs connus pour augmenter les risques, (5) estimer les risques du patient, (6) affiner ce risque en se fondant sur des investigations spécifiques, et (7) effectuer une optimisation ciblée du patient à haut risque en préparation d’une intervention chirurgicale. Un patient présentant un risque élevé de développer une complication particulière (par exemple ischémie, arythmie, insuffisance cardiaque, delirium) devrait aussi être étroitement surveillé concernant cet événement postopératoire (par exemple électrocardiogramme [ECG] et marqueurs cardiologiques, dépistage du delirium, télémétrie) dans une unité spécialisée (par exemple unité de soins intensifs [USI], unité de soins intermédiaires ou unité spécialisée).
Évaluation | Pathologies communes |
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Déterminer les causes de chutes compliquées de fracture de hanche | Syncope cardiaque Crise convulsive Origine mécanique |
Établissement des comorbidités sous-jacentes | Accident vasculaire cérébral et accident ischémique transitoire Insuffisance coronarienne Diabète Asthme Néphropathie |
Évaluation des troubles physiologiques aigus | Hyponatrémie Hyperglycémie Asthme Insuffisance respiratoire |
Stratification des risques | Pathologies et actions |
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Recherche de pathologies cardiaques associées à une augmentation du risque22 | Angor instable ou sévère Insuffisance cardiaque congestive aiguë Arythmie non contrôlée Sténose valvulaire aortique serrée |
Estimation du risque périopératoire du patient | Calculer l’indice de risque cardiaque révisé Calculer l’indice de risque de défaillance respiratoire |
Effectuer des investigations pour affiner le risque du patient | Effectuer une échographie cardiaque Obtenir un TDM cardiaque au dipyridamole technétium |
Optimisation | Actions |
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Optimiser le patient pour minimiser le risque | Traiter une pneumonie Optimiser le statut hémodynamique dans l’insuffisance cardiaque congestive Stabiliser l’arythmie Continuer les traitements spécifiques pendant le jeûne par voie intraveineuse, si nécessaire Traiter l’hyponatrémie Prendre en charge les anticoagulants S’assurer de la thromboprophylaxie veineuse |
Épidémiologie et évolution
Les fractures de hanche surviennent plus fréquemment chez les personnes âgées et le risque de fracture de hanche augmente exponentiellement avec l’augmentation de l’âge2. En 2004 aux États-Unis, plus de 320 000 patients ont été admis à l’hôpital avec une fracture de hanche3. Ce nombre représente un taux approximatif de 850 pour 100 000 habitants3. Comparativement, en 2008 au Canada, il y a eu 456 fractures pour 100 000 seniors4 et 78 554 admissions en 2002 en Angleterre5. Cette population a un très fort risque de mortalité hospitalière, dépassant les 7 %4. La mortalité dans les 30 jours a été rapportée comme étant entre 5 et 12 % et entre 12 et 37 % à un an2,6. La mortalité attendue dans ce groupe d’âge était approximativement de 10 %7. Généralement, l’augmentation du risque de décès lié à une fracture de hanche apparaît précocement après l’événement. Leibson et al. ont trouvé que le risque de décès à 3 mois était de 12 % chez les patients qui avaient une fracture de hanche, et de 3 % chez ceux d’âge identique sans fracture de hanche et qui avaient été appariés sur leurs caractéristiques médicales générales (risque relatif, 4). À 1 an, le risque relatif de décès approchait 1,8 (20 % versus 11 %) et à 5 ans 1,2 (52 % versus 44 %)2, un déclin qui peut aussi représenter, en partie, un avantage de survie.
Cette mortalité frappante peut résulter d’une augmentation du nombre de comorbidités avec l’âge et par conséquent du risque plus important de complications chirurgicales8. La plupart de ces patients (environ 88 %) avaient 65 ans ou plus et leur moyenne d’âge était de 83 ans (extrêmes de 52 à 105 ans)4,8. L’âge moyen à l’arrivée était également en hausse (de 67 ans en 1944 à 79 ans en 1993)9. Certaines des comorbidités incluaient la démence (23 %), le diabète de type II (18 %), l’insuffisance cardiaque chronique (ICC ; 16 %), et la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO ; 14 %). Il a été montré que la présence de ces comorbidités augmentait de 2 à 3 fois le risque postopératoire de complications8.
Certains chercheurs ont impliqué l’âge lui-même comme un facteur de risque indépendant de complications périopératoires. En 2009, Kheterpal et al. ont analysé plus de 7 500 patients et ont constaté que l’âge de 68 ans ou plus était un facteur prédictif indépendant d’événements indésirables cardiovasculaires périopératoires10. L’âge a aussi été identifié comme un facteur de risque de complications périopératoires par Detsky et al.11, tout comme la version 2002 des recommandations de l’American Heart Association/American College of Cardiology 12. Cependant, l’indice de stratification du risque préopératoire le plus largement utilisé (le Revised Cardiac Risk Index [RCRI]) n’inclut pas l’âge comme un facteur prédictif indépendant d’effets indésirables13.
Le développement de complications postopératoires augmente le taux de mortalité. Roche et al. ont étudié 2448 patients consécutifs avec des fractures de hanche en aigu5. Cette population avait un taux de mortalité de 9,6 % à 30 jours et 33 % à 1 an, résultats similaires à ceux de nombreuses autres études. Les patients ayant développé des infections avaient un taux de mortalité augmenté à 43 % à 30 jours et à 71 % à 1 an. L’ICC postopératoire était associée à des complications plus graves, un taux de mortalité de 65 % à 30 jours et de 92 % à 1 an. Roche et al. ont également démontré que la maladie thrombo-embolique développée malgré le traitement thromboprophylactique augmentait le taux de mortalité de 4,5 fois5. On ne sait pas si l’implication périopératoire des spécialistes médicaux change ces résultats.
Le risque élevé de mortalité et de morbidité nécessite une équipe médicale entière, incluant le chirurgien, l’anesthésiste et l’interniste, pour collaborer à la planification de la chirurgie, l’optimisation préopératoire du patient, la minimisation des complications postopératoires, et à la prise en charge appropriée de toutes les complications susceptibles de survenir14.
Complications périopératoires
Les complications périopératoires communes comprennent les événements cardiorespiratoires, le delirium, les événements thrombo-emboliques, les infections, les hémorragies, les ulcères de décubitus et l’altération de l’état général8.
Les complications cardiaques délétères incluent l’infarctus du myocarde, l’œdème aigu pulmonaire, la fibrillation ventriculaire, l’arrêt cardiorespiratoire et le bloc cardiaque complet. Les complications moins graves sont les troubles du rythme supraventriculaires incluant la fibrillation auriculaire, l’angor et une surcharge volémique. La pneumopathie, l’exacerbation d’une maladie pulmonaire sous-jacente (asthme, BPCO) et une insuffisance respiratoire hypercapnique sont parmi les événements respiratoires postopératoires les plus fréquents. La plupart des médecins se concentrent sur le risque cardiaque et respiratoire car ces paramètres sont le plus directement liés à la mortalité et la morbidité et sont potentiellement modifiables. Le risque thrombo-embolique a été bien décrit et des protocoles standard pour réduire son taux sont recommandés par l’American College of Chest Physicians (ACCP)15. Certains résultats indésirables peuvent avoir des manifestations subtiles. Par exemple, chez des patients délirants, avec des anomalies électrolytiques, une hyperglycémie ou une dysfonction rénale, le diagnostic est souvent manqué ou erroné.
Moment optimal de la chirurgie
Le moment opportun pour opérer des patients avec une fracture de hanche dépend de plusieurs facteurs. La disponibilité du bloc, la disponibilité et les préférences du chirurgien orthopédique, les investigations médicales, et l’optimisation potentielle contribuent au retard de la réparation chirurgicale6,16,17. Orosz et al. ont classé les raisons potentielles du retard chirurgical (tableau 3-2)16. Un retard de 24 à 48 heures était le résultat de retards classiques en routine médicale retrouvé chez 52 % des patients ; dans 41 % des cas, le retard était lié à l’indisponibilité du chirurgien ou du bloc ; et 8 % des patients nécessitaient une stabilisation médicale. Un retard de plus de 48 heures résultait d’une question de prise en charge médicale chez 63 % de ces patients ; chez 44 % des patients, ce retard était dû à une indisponibilité du chirurgien ou du bloc ; et chez 35 % de ces patients, une stabilisation médicale était nécessaire. Beaucoup de patients de cette étude avaient plus d’une raison de voir leur intervention reportée16.
Attente d’une consultation ou d’une autorisation médicale Absence d’une salle opératoire ou d’un chirurgien disponibles Attente d’une discussion familiale Attente de résultats de laboratoire/d’autres examens Attente de la stabilisation d’un problème médical Admission du patient trop tardivement dans la journée |
Adapté de Orosz GM, Hannan EL, Magaziner J, et al. Hip fracture in the older patient : reasons for delay in hospitalization and timing of surgical repair. J Am Geriatr Soc 2002 ; 50 : 1336-40.
L’heure de la journée et la date de l’admission peuvent retarder davantage la chirurgie. Dans une revue canadienne de la chirurgie de hanche, les patients admis à l’hôpital entre minuit et midi ou les week-ends sont davantage susceptibles d’être opérés dans les 48 heures. Bien que ces découvertes semblent contre-intuitives compte tenu des effectifs durant ces heures, cette contradiction peut refléter l’impact d’une chirurgie élective dans les blocs disponibles17.
Le moment de la chirurgie peut aussi être compliqué par le retard de présentation du patient à l’hôpital après l’incident traumatique. Dans une étude prospective de 571 patients avec une fracture de hanche s’étant présentés dans 4 hôpitaux citadins importants des États-Unis, 17 % des patients ont attendu de l’aide pendant plus de 24 heures après le traumatisme. Approximativement la moitié de ces patients se sont présentés plus de 72 heures après la chute initiale. La plupart de ces patients (77 %) n’avaient pas compris qu’ils souffraient d’une fracture de hanche, et certains ne s’étaient pas présentés à l’hôpital plus tôt car ils étaient incapables de communiquer16. Le fait que ce retard contribue à l’augmentation du taux de complications et à la mortalité a été confirmé dans plusieurs études.
Le retard de réparation implique-t-il une moins bonne évolution ?
Le délai de la chirurgie peut influencer le taux de complications postopératoires, la récupération fonctionnelle, l’autonomie, le temps d’hospitalisation et potentiellement la mortalité. L’augmentation des taux de thromboses veineuses profondes (TVP ; ≤ 62 %), d’ulcères de décubitus, d’infections (pneumopathie, infection urinaire), et la perte de densité osseuse et de masse musculaire ont été rapportées même après une période relativement courte d’immobilisation8,16–19. Ces variables et d’autres qui demeurent inconnues ont le potentiel d’augmenter le taux de mortalité chez des patients chez qui le délai entre le traumatisme et le traitement chirurgical est prolongé17.
De multiples études prospectives et rétrospectives ont essayé de faire le lien entre le délai de chirurgie et l’évolution. Si une association entre retard et conséquences graves (surtout le décès) existe, il faut considérer que le retard lui-même est la cause principale ou que c’est un marqueur de la complexité de l’état du patient qui reflète la nécessité d’un bilan et d’une optimisation préopératoires (par exemple la neutralisation des anticoagulants, la prise en charge des décompensations d’insuffisance cardiaque)17. Idéalement, cette association pourrait être mieux comprise grâce à une étude randomisée contrôlée. Pour des raisons éthiques et de faisabilité, beaucoup d’études ne seront jamais réalisées6. La plupart des analyses des effets du retard de prise en charge chirurgicale sur l’évolution des patients sont observationnelles. Ces études sont souvent biaisées et peuvent permettre d’établir une association plutôt qu’une relation causale.
Une méta-analyse de Shiga et al. de 16 études anglophones qui ont analysé plus de 250 000 patients a identifié un risque accru de mortalité dans les 30 jours quand l’opération était retardée de 48 heures après l’admission (odds ratio [OR], 1,4 ; nombre nécessaire pour nuire, 20)6. De la même façon, il y avait une augmentation de l’OR à 1 an de 1,3 (nombre nécessaire pour nuire, 40). Malheureusement, la qualité de ces études était mauvaise, avec un score de qualité de 14 pour un maximum de 326. La métarégression a déterminé qu’un retard de chirurgie chez des patients à faible risque à la base et chez les patients jeunes augmentait le risque de mortalité toutes causes confondues6. Ces découvertes suggèrent qu’une chirurgie précoce peut être plus bénéfique chez ces patients. Alternativement, le retard résultant de l’optimisation chez les patients à haut risque peut engendrer une diminution des taux de mortalité.
Orosz et al. ont démontré les relations entre le retard de chirurgie, les comorbidités et l’évolution20. Dans une étude prospective de 1178 patients consécutifs admis dans 4 hôpitaux différents, le hazard ratio pour la mortalité dans le groupe avec prise en charge chirurgicale précoce (< 24 heures) était de 0,68 (intervalle de confiance [IC] à 95 %, 0,48 à 0,97). Après analyse du score de propension des deux groupes, aucune différence n’était notée dans la mortalité (OR, 0,98 ; IC 95 %, 0,63 à 1,50)20. Le traitement précoce a entraîné une diminution du nombre de jours de douleurs intenses à très intenses (différence de 0,22 jour) et un temps de séjour plus court (différence de 0,94 jour). En postopératoire, les variables douleur et durée de séjour hospitalier n’ont pas été affectées par la chirurgie précoce. La prise en charge chirurgicale précoce des patients qui étaient stables médicalement en préopératoire a entraîné une réduction significative de l’incidence de complications majeures (OR, 0,26 ; IC 95 %, 0,07 à 0,95).
Ainsi, un traitement chirurgical précoce est l’objectif chez des patients médicalement stables. Le retard dans les consultations médicales visant à préparer le patient avant la chirurgie (chez des patients qui ne nécessitent pas une optimisation) augmente l’incidence de complications postopératoires graves. En général, retarder l’intervention chirurgicale de plus de 48 heures peut augmenter les risques de mortalité. La consultation médicale préopératoire et l’optimisation doivent être ciblées pour corriger les anomalies physiologiques associées à de moins bons résultats (tableau 3-3). Retarder la chirurgie de plus de 48 heures pour continuer l’optimisation peut ne pas être bénéfique étant donné l’augmentation des taux de complications (ulcère de décubitus, infection urinaire, thrombose veineuse) associés à l’ajournement de l’opération. Le rôle des interventions spécifiques au-delà de la stabilisation des troubles physiologiques (par exemple β-bloquants, imagerie, revascularisation) est détaillé plus loin dans ce chapitre.
Système | Anomalies |
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Cardiovasculaire | Hypotension (pression artérielle systolique < 90 mmHg) Hypertension (systolique > 180 et/ou diastolique > 110 mmHg) |
Respiratoire | Infection des voies aériennes basses (bronchite, pneumonie) Asthme aigu/exacerbation de BPCO Insuffisance respiratoire (PCO2 > 55 mmHg, PO2 < 60 mmHg, saturation en oxygène < 90 %) |
Rénal | Insuffisance rénale aiguë (créatinine > 185 μmol/l, urée > 14 mmol/l) Perturbation électrolytique (Na < 125 ou > 155 mEq/l, K < 2,5 ou > 6 mEq/l) Perturbation acidobasique (HCO3− < 18 ou > 36 mEq/l) |
Endocrinien | Diabète incontrôlé (glycémie > 25 mmol/l) Désordres thyroïdiens (thyrotoxicose, hypothyroïdie) |
Hématologique | Anémie (hémoglobine < 80 g/l) Coagulopathie (INR > 1,5) |
BPCO : bronchopneumopathie chronique obstructive ; HCO3− : bicarbonate ; INR : international normalized ratio ; K : potassium ; Na : sodium ; PCO2 : pression partielle en dioxyde de carbone ; PO2 : pression partielle en oxygène.
Adapté de Orosz GM, Magaziner J, Hannan EL, et al. Association of timing of surgery for hip fracture and patient outcomes. JAMA 2004 ; 291 (14) ; 1738-43.
Les déterminants du risque périopératoire
Le risque préopératoire est la combinaison du risque spécifique propre à la chirurgie et du risque spécifique intrinsèque du patient, fondé sur la présence de comorbidités existantes et de troubles physiologiques aigus. La détermination de ce risque peut aider à guider l’équipe dans ses décisions, qu’il s’agisse de la nécessité ou de l’utilité d’une optimisation préopératoire, ou de l’intérêt d’un niveau important de surveillance, de monitorage et de prise en charge en postopératoire10. Un patient avec un risque préopératoire prédictif bas peut non seulement ne tirer aucun bénéfice d’une optimisation, mais peut aussi souffrir à la fois du résultat du retard de prise en charge et des complications liées aux investigations non justifiées, sans lien avec la chirurgie. À l’inverse, un patient à haut risque subissant une procédure à risque élevé doit être évalué étroitement et optimisé par les anesthésistes et les médecins avant l’opération proposée10,14.
Risques spécifiques de la chirurgie
Les facteurs qui contribuent à augmenter le risque chirurgical incluent la durée de l’opération, la perte sanguine, les échanges hydriques et l’ampleur du geste chirurgical en matière de manipulation des os et des tissus mous. Les fractures extracapsulaires ont souvent une perte sanguine importante (≤ 1 litre) associée à la fracture elle-même, et la procédure chirurgicale peut augmenter cette perte7. La mortalité est elle aussi augmentée chez des patients avec ce type de fracture (38 % de mortalité à 1 an versus 29 % chez les patients avec fracture intracapsulaire)9. Une durée opératoire de 3,8 heures ou plus et l’administration d’une unité de culot globulaire ou plus sont les facteurs prédictifs indépendants des complications cardiaques indésirables10. La manipulation de la moelle osseuse et l’application de ciment induisent chez le patient un risque d’embolisation systémique14. L’expertise du chirurgien va guider la décision sur le type de prise en charge opératoire. La prothèse totale de la hanche réalisée pour les fractures subtrochantériennes est beaucoup plus invasive et est associée à un taux beaucoup plus important de perte sanguine, d’échanges hydriques, d’arrêts cardiaques et de décès, comparativement au remplacement de hanche dans les fractures du col fémoral déplacées. Les plaques, clous intramédullaires et autres mécanismes de fixation sont moins invasifs et par conséquent sont associés à un risque périopératoire moindre14.
Risques spécifiques au patient : troubles physiologiques aigus et homéostasie
Certaines anomalies préopératoires communes sont répertoriées dans le tableau 3-3. Dans une étude de cohorte prospective de McLaughlin et al., 34 % des patients avec une fracture de hanche avaient des anomalies mineures (par exemple pression artérielle systolique > 180 mmHg, douleur thoracique aiguë avec électrocardiogramme normal, glucose > 25 mmol/l)8. Des anomalies majeures (par exemple fièvre liée à une pneumonie, œdème aigu pulmonaire, hyponatrémie sévère avec natrémie < 125 mEq/l) étaient présentes chez 23 % des patients. La présence de deux anomalies majeures ou plus à l’admission hospitalière était associée à une augmentation des complications postopératoires supérieure au quadruple. Quand ces anomalies majeures étaient encore présentes en préopératoire, le risque de complication postopératoire était encore augmenté de 12 fois. Les chercheurs ont observé que les patients avec seulement des anomalies mineures ou aucune anomalie préopératoire avaient une probabilité de complication postopératoire de 7 %. Ce risque passait à 21 % en cas d’anomalies majeures8.
À ce jour, aucun essai clinique randomisé n’a déterminé lesquelles de ces anomalies, et à quel degré du trouble, devaient être corrigées. La majeure partie de la littérature est fondée sur l’opinion des experts ou est dérivée d’une situation non périopératoire. Une correction et une normalisation excessives de ces anomalies sont souvent inutiles et peuvent retarder la prise en charge chirurgicale. Une correction rapide des anomalies qui sont considérées comme aiguës mais qui sont en réalité chroniques peut nuire au patient. Par exemple, la correction rapide d’une hyponatrémie alors que la concentration en sodium est inférieure à 125 mmol/l peut engendrer une myélinolyse centropontine avec des conséquences neurologiques dévastatrices21. Une correction rapide de la pression artérielle chez un patient hypertendu chronique peut engendrer une hypoperfusion cérébrale et un accident vasculaire cérébral (AVC), un infarctus du myocarde ou une insuffisance rénale.
Risques spécifiques du patient : troubles aigus du système cardiovasculaire
Les recommandations périopératoires de 2007 de l’American Heart Association/American College of Cardiology (ACC/AHA) mettent en avant plusieurs pathologies qui sont des facteurs prédictifs majeurs de mauvais résultats (tableau 3-4). Chez les patients soumis à des procédures chirurgicales électives, la présence d’une ou de plusieurs de ces pathologies requiert des investigations supplémentaires, une optimisation possible, et un retard ou une annulation de l’opération22. Chez les patients avec une fracture de hanche, le degré d’investigation et d’optimisation est contraint par la courte période de temps disponible. Il est possible de retarder la prise en charge d’une fracture de hanche à 48 heures sans induire une augmentation du risque pour le patient (voir plus haut « Moment optimal de la chirurgie »). Un infarctus du myocarde récent et une valvulopathie importante nécessitent investigations et procédures pouvant excéder le peu de temps disponible. Par exemple, le traitement d’une sténose aortique sévère nécessite un bilan échographique, une consultation chirurgicale, un remplacement valvulaire et une convalescence postopératoire. Une insuffisance coronaire instable nécessite en général une évaluation avec un test d’effort, une angiographie, une angioplastie ou une chirurgie, même si aucune preuve n’est venue démontrer l’intérêt de ces interventions périopératoires. Seuls les patients avec un infarctus du myocarde aigu ou une instabilité hémodynamique liée à leur insuffisance coronarienne sous-jacente devraient potentiellement bénéficier de ce genre d’intervention. À l’inverse, le médecin peut potentiellement intervenir et stabiliser le patient présentant une décompensation cardiaque, une arythmie instable ou non contrôlée et annuler ainsi les effets de mauvais facteurs prédictifs cardiologiques.
Pathologie cardiaque | Indicateur |
---|---|
Syndrome coronarien instable | Infarctus du myocarde dans les 30 jours Angor stade III ou IV de la classification canadienne Angor instable |
Insuffisance cardiaque congestive décompensée | Insuffisance cardiaque d’apparition récente Aggravation d’insuffisance cardiaque Insuffisance cardiaque sévère symptomatique (classe IV de la New York Heart Association) |
Arythmie incontrôlée | Fibrillation auriculaire rapide (fréquence cardiaque > 100 battements/min) Tachycardie ventriculaire Bloc cardiaque de 3e degré Bradycardie symptomatique d’autre origine |
Valvulopathie sévère | Sténose aortique avec surface valvulaire < 1,0 cm2 ou gradient moyen > 40 mmHg Sténose mitrale sévère (symptômes de syncope, présyncope, dyspnée, ou insuffisance cardiaque congestive) |
Adapté de Fleisher LA, Beckman JA, Brown KA, et al. ACC/AHA 2007 Guidelines on perioperative cardiovascular evaluation and care for noncardiac surgery : executive summary. J Am Coll Cardiol 2007 ; 50 (17) : 1707-32.
Évaluation du risque cardiaque
Une des premières tentatives systématiques de quantification du risque cardiaque du patient en périopératoire fut décrite en 1977 par Goldman et al.23. Par la suite, Detsky et al. publièrent une approche bayesienne pour établir le risque du patient11. Une approche plus récente et actuellement plus fréquemment utilisée est l’utilisation du RCRI13. Lee et al. ont identifié six facteurs de risque prédictifs de complications cardiaques (complications définies par un infarctus du myocarde, un œdème aigu pulmonaire, une fibrillation ventriculaire, un arrêt cardiorespiratoire et un bloc cardiaque complet). Ces facteurs sont énumérés au tableau 3-513. Dans ce système, l’augmentation du nombre de facteurs est associée à une augmentation du taux d’événements cardiaques périopératoires (tableau 3-6). Cet indice de risque prédictif simple a des caractéristiques similaires à celles des indices de Goldman et Detsky, avec une complexité réduite et une table de données reflétant davantage les avancées récentes en chirurgie et en techniques d’anesthésie. Malheureusement, les données utilisées pour remplacer le RCRI dérivaient d’une population de patients subissant une chirurgie non cardiaque13. Ce facteur peut engendrer un indice moins valide en cas de patients nécessitant une chirurgie urgente. En effet, Detsky et al. ont identifié la chirurgie en urgence comme une situation à haut risque, avec un risque similaire à un infarctus du myocarde récent, une ICC dans la semaine précédant la chirurgie ou une insuffisance coronarienne modérée à sévère (angor stade III à IV de la Canadian Cardiovascular Society)11.
Chirurgie à haut risque Insuffisance coronarienne Antécédent d’insuffisance cardiaque congestive Antécédent de maladie cérébrovasculaire Insulinothérapie pour diabète Créatininémie préopératoire > 2,0 mg/dl |
D’après Lee TH, Marcantonio ER, Mangione CM, et al. Derivation and prospective validation of a simple index for prediction of cardiac risk of major noncardiac surgery. Circulation 1999 ; 100 : 1043-9.
Classe (nombre de facteurs de risque) | Taux d’événements cardiaques (%) |
---|---|
I (0) | 0,4 |
II (1) | 0,9 |
III (2) | 6,6 |
IV (3 ou plus) | 11,0 |
D’après Lee TH, Marcantonio ER, Mangione CM, et al. Derivation and prospective validation of a simple index for prediction of cardiac risk of major noncardiac surgery. Circulation 1999 ; 100 : 1043-9.
Une étude de validation de l’indice de risque cardiaque de Lee a identifié la chirurgie orthopédique en général comme à risque faible à modéré, avec approximativement un tiers du risque d’autres procédures à risque intermédiaire (par exemple procédure abdominale, thoracique, cérébrale, rachidienne) et un odds ratio pour la mortalité périopératoire cardiaque de 2,8 à 30 jours versus 10,324. Dans la même étude, la chirurgie en urgence induisait une augmentation du risque de plus de 10 fois (6,1 % versus 0,5 %)24. L’interaction de comorbidités préexistantes avec la nature urgente d’une chirurgie de hanche explique probablement le taux élevé de mortalité en périopératoire observé dans cette population de patients. Il est probable que le RCRI sous-estime le risque chez les patients présentant une fracture de hanche.