3
Équations différentielles
Nous avons vu dans les chapitres précédents comment étudier une fonction modélisant un phénomène biologique (chapitre 1). Mais comment trouver l’expression de cette fonction ? Assez souvent, la description du phénomène biologique fait intervenir une notion de vitesse, qui se traduit mathématiquement par la dérivée de la fonction cherchée. Nous avons déjà vu, dans le chapitre précédent, comment, connaissant l’expression de la dérivée, obtenir celle de la fonction cherchée (méthodes d’intégration). Cependant, en général, la description du phénomène étudié, quoiqu’elle fasse intervenir la dérivée, n’en donne pas directement son expression ; en revanche, très souvent, elle se traduit par une relation entre la fonction cherchée et sa dérivée : on parle d’équation différentielle. Nous allons voir dans ce chapitre comment, dans les cas les plus simples, trouver alors l’expression de la fonction cherchée.
Notre fil conducteur sera la description de l’évolution d’une population bactérienne. Dans cet exemple, on s’intéresse au nombre de bactéries en fonction du temps, N(t), pour une population comportant initialement (à t = 0) N0 bactéries. Suivant le contexte, ces bactéries seront considérées isolées ou combattues par des macrophages1. Le nombre de ces macrophages est donné par M(t) ; initialement, il y en a M0.
I Généralités sur les équations différentielles
A Origine des équations différentielles en biologie
Considérons le cas le plus simple, où il n’y a que des bactéries (cas déjà succinctement abordé dans le premier chapitre). À un instant t donné, il y a N(t) bactéries dans cette population. Que se passe-t-il quelques instants plus tard, à t + δt ?
Pendant l’intervalle de temps δt, une certaine fraction α(t) δt des N(t) bactéries va entrer en division2 ; α(t) représente le taux de division instantané des bactéries. À l’issue de cette division, donnant deux nouvelles bactéries, il y aura α(t)δtN(t) bactéries en plus dans la population et le nombre total de bactéries sera N(t + δt) = N(t) + α(t)δtN(t). Comment s’affranchir du paramètre δt ?
Puis de faire tendre δt vers 0. Or, on sait (chapitre 1) que, par définition, , si cette limite existe. On aboutit alors à l’équation suivante :
1 Résolution
Nous verrons dans la deuxième partie (§ Application à l’exemple de la population bactérienne, page 78) comment trouver la solution de cette équation différentielle. Pour l’instant, nous allons simplement considérer le cas où α(t) = α0 est une constante, l’équation est alors N′(t) = α0 N(t) : on cherche une fonction dont la dérivée est égale (à un facteur près) à elle-même… Parmi les fonctions que vous connaissez, l’exponentielle a cette propriété : (ex)′ = ex. Ainsi, N1(t) = eα0t est une solution. Mais toutes les fonctions N(t) = Aeα0t, A ∈ sont aussi des solutions. Cette constatation est très générale : sans autre information, une équation différentielle n’a pas une unique solution, mais une infinité de solutions qui diffèrent par une ou plusieurs constantes (ici, A). On parle de solution générale de l’équation différentielle, ou de famille de solutions.
En pratique, pour connaître l’évolution réelle du nombre de bactéries, cette solution générale ne suffit pas, même si elle donne quelques informations : il faut déterminer la valeur de la constante A. Pour ce faire, il faut ajouter une information à l’équation différentielle. Le plus fréquemment, cette information est une valeur de la fonction à un instant donné ; ainsi, si l’on sait par ailleurs qu’il y a N0 = 106 bactéries dans la population lorsque l’on débute l’observation, on peut écrire que N(0) = N0 = Aeα0×0, ce qui donne N0 = A. On parle de conditions initiales qui permettent de déterminer une solution particulière.
2 Étude de la solution
La solution, N(t) = N0 eα0 t, est une fonction exponentielle3, croissante (si α0 > 0, ce qui est le cas dans ce chapitre) : l’étude de ce type de fonctions a été faite dans le chapitre 1. L’allure de cette croissance est visible dans la figure 3.1.
Fig. 3.1 Allure de la croissance bactérienne obtenue en résolvant l’équation différentielle N′(t) = α0N(t) (modèle de Malthus).
Ici, α0 = 2 h− 1 et N0 = 10.
B Classification (typologie) des équations différentielles
1 Définition générale d’une équation différentielle
On appelle équation différentielle toute équation qui fait intervenir une fonction d’une seule variable et ses dérivées. De façon très générale, on notera cette équation F(y, y′,…, y(n)) = 0, où F est une fonction de plusieurs variables (voir chapitre 4) qui ne sert (pour nous) qu’à symboliser l’équation – il n’est donc pas nécessaire d’avoir lu le chapitre suivant pour comprendre ce qui va suivre – et y la fonction qui nous intéresse.
2 Caractéristiques générales d’une équation différentielle
Ces caractéristiques sont celles à regarder en premier, car elles existent pour toute équation différentielle ; elles sont plus ou moins reliées à la forme de la fonction F.
a: Ordre On appelle ordre d’une équation différentielle l’ordre de la dérivée la plus élevée qui intervient dans cette équation. Ainsi, dans N′(t) = α(t)N(t), il apparaît la fonction et sa dérivée première, l’ordre de l’équation différentielle est donc 1.
Dans l’équation y″ + 3y′cos x − 2ey = 3sin x, il apparaît la fonction (y, implicitement fonction de x), sa dérivée première et sa dérivée seconde : il s’agit d’une équation différentielle du deuxième ordre.
b: Linéarité On dit qu’une équation différentielle est linéaire si la fonction F peut s’écrire comme une combinaison linéaire de ses variables4 – soit F(z0, z1, z2,…, zn) = γ + β0z0 + β1z1 + β2z2 +…+ βnzn, où les βi et γ ne dépendent pas des zi. Cette définition peut paraître un peu abstraite, aussi l’illustrerons-nous par divers exemples et la reformulerons-nous ainsi : une équation différentielle est linéaire si elle ne fait intervenir que des termes de la forme βk(x)y(k) et γ(x) − ou encore, si l’équation est de la forme, pour une équation d’ordre n,
Si l’on reprend l’exemple d’équation différentielle d’ordre 2 donné précédemment, y″ + 3y′ cos x − 2ey = 3sin x, on a cette fois F(z1, z2, z3) = z3 + 3 z2cos x − 2 ez1 − 3sin x : cette fonction n’est pas une combinaison linéaire de ses variables, puisque z1 apparaît dans une exponentielle. Cette équation différentielle n’est donc pas linéaire – on dit qu’elle est non linéaire.
c: Détermination des constantes Le nombre de constantes apparaissant dans la solution générale et, par conséquent, le nombre de conditions supplémentaires nécessaires pour entièrement caractériser une solution particulière5, sont directement liés à l’ordre de l’équation différentielle. En effet, nous verrons plus loin que ces constantes résultent de l’intégration qui est faite pour résoudre l’équation.
II Équations différentielles du premier ordre
A Équation différentielle linéaire du premier ordre
Une telle équation est, éventuellement après réécriture, de la forme :
1 Équation sans second membre (y′+ α(x)y = 0)
a: Conséquences de la linéarité Soit y0 une solution de l’équation y′ + α(x)y = 0 et A une constante. Alors y = Ay0 est aussi une solution. En effet, y′ = Ay′0 et en remplaçant ci-dessus, on vérifie que l’on a bien une nouvelle solution, puisque cela donne A(y′0 + α(x) y0) = 0.
Ce résultat est fondamental (il est d’ailleurs vrai quel que soit l’ordre de l’équation différentielle linéaire sans second membre) : il montre que si l’on connaît une solution, alors tout multiple de cette solution est aussi solution. Il montre aussi, en prenant A = 0, que la fonction constante y = 0 est toujours solution (triviale) d’une équation différentielle linéaire sans second membre.
b: Principe de résolution On peut réécrire cette équation sous la forme y′ = − α(x)y, ce qui nous donne une information sur les propriétés de y : quand on la dérive, elle donne une fonction qui, à un facteur près, est inchangée. La seule fonction qui ne change pas en dérivant est l’exponentielle : (ex)′ = ex et plus généralement (eu)′ = u′eu. Il est donc tentant de chercher une solution qui s’exprime à l’aide d’une exponentielle, y(x) = eu(x). Mais quelle fonction u(x) utiliser dans cette exponentielle ?
Pour le savoir, remplaçons y et y′ par leur valeur dans l’équation : u′(x)eu(x) + α(x)eu(x) = 0. Comme l’exponentielle ne s’annule jamais, on peut diviser par eu(x). Il reste alors u′(x) + α(x) = 0, ce qui donne la réponse : u(x) = ʃ −α(x) dx. Rappelez-vous, lorsque l’on intègre ainsi, il apparaît une constante d’intégration (chapitre précédent) : c’est la raison pour laquelle la solution n’est pas unique. Ceci donne des solutions, mais peut-on en trouver d’autres ? On peut montrer que non.
Ainsi, avec le résultat qui précède, on obtient la solution générale de l’équation différentielle étudiée, faisant intervenir une constante arbitraire, A :
c: Application à l’exemple de la population bactérienne L’équation donnant la croissance bactérienne s’écrivait N′(t) = α(t) N(t), où encore sous la forme précédent N′(t) – α(t)N(t) = 0. La solution générale sera donc de la forme N(t) = A e− ʃ−α(t) dt = Ae ʃα(t) dt.
On retrouve bien l’expression donnée au paragraphe 1. Résolution (page 72).
2 Équation avec second membre (y′ + α(x)y = β(x))
On considère maintenant le cas général, avec β(x) quelconque :
a: Conséquences de la linéarité Là encore, la linéarité de l’équation joue un rôle clé dans la recherche des solutions. En effet, soient y1 et y2 deux solutions de l’équation avec second membre. On a, par définition,
b: Solutions évidentes Le cas le plus simple est lorsqu’il existe une solution particulière évidente. Les solutions évidentes des équations différentielles sont les fonctions constantes. En effet, la dérivée d’une constante est nulle, ce qui simplifie considérablement l’équation, et il est alors facile de vérifier si une constante est solution ou non.
Si l’on suppose N(t) = a constant, N′(t) = 0 et il reste donc :
L’équation différentielle admet ainsi une solution évidente, la fonction constante : solution particulière. Nous avons déjà vu, par ailleurs, que la solution générale de l’équation sans second membre est Ng(t) = A eα0t. La solution générale de l’équation avec second membre est donc :
La constante A s’obtient avec une condition supplémentaire. Si l’on donne les conditions initiales, à t = 0 il y a N0 bactéries présentes, on en déduit .

Stay updated, free articles. Join our Telegram channel

Full access? Get Clinical Tree


