Aspects médico-légaux du RCF
Andrew Symon
INTRODUCTION
Bien que le monitorage fœtal électronique expose à des risques de litiges (sinon pourquoi avoir ce chapitre ?), le risque médico-légal ne doit pas être une obsession lors de l’utilisation du RCF. Il existe de bonnes raisons pour utiliser le RCF en continu. Les poursuites ou la peur des poursuites ne doivent pas en être une.
Dans la première partie du livre, les indications du RCF en continu ont été décrites. La deuxième partie traite de l’interprétation des tracés, et la troisième examine le rôle joué par le RCF dans les litiges. La troisième partie a pour but de montrer comment les débats autour de l’interprétation du RCF sont parfois critiques lorsque l’issue néonatale est mauvaise et qu’une action en justice est entreprise. La section principale de cette partie se réfère à des affaires juridiques où les points suivants sont abordés : « Quand utiliser le RCF continu ? », « Difficultés d’utilisation du RCF continu », « Utilisation correcte du matériel », « Interprétation du tracé », « Retard de prise en charge », « Mettre à jour ses connaissances ». La dernière section s’intitule « Quelques bonnes nouvelles ».
L’objet de cette partie n’est pas de discuter du bien-fondé ou non de la situation médico-légale actuelle, où un tort doit être établi pour pouvoir permettre une compensation financière. Il n’est pas question non plus d’explorer les motivations des poursuites ou les chances de succès du plaignant. Ceux qui souhaiteraient en savoir plus sur les aspects médico-légaux peuvent se référer aux textes « standards » (Dimond 2006 ; Masson et Laurie 2010) ; le taux de succès dans les affaires de paralysie cérébrale est discuté par Symon (2002) ; le taux de succès des poursuites en obstétrique est discuté par Symon (2001) et la NHS Litigation Authority (2010).
N.D.T. Le terme d’infirmité motrice cérébrale (IMC) est dorénavant inusité et remplacé par celui de paralysie cérébrale.
Considérant l’objectif de ce chapitre, nous nous contenterons de reposer le principe de base du contentieux relatif à la négligence médicale qui est que pour établir une négligence, un plaignant (pursuer en Écosse) doit pouvoir démontrer que trois conditions ont été remplies :
1. qu’il y avait une obligation de soins (le doute est rare concernant cette condition) ;
3. que la rupture de l’obligation de soins a causé ou a matériellement contribué au dommage.
Les plaintes relatives à la paralysie cérébrale tournent souvent autour des deuxièmes et troisièmes conditions, mais le présent chapitre sera centré sur la deuxième (standards de soins), car il s’agit de celle présentant l’importance la plus directe pour les praticiens.
Le tableau clinique complet de la paralysie cérébrale ne se manifestant pas immédiatement, il faut souvent de nombreuses années avant que des plaintes ne soient déposées et, à la différence d’autres actions en matière de négligence médicale, le dépôt de plainte ne connaît aucun délai de prescription. Mobiliser la mémoire après plusieurs mois peut s’avérer problématique et, après plusieurs années, généralement impossible. C’est pourquoi la documentation clinique est utilisée pour établir les faits. Gibb et Arulkumaran (2007) notent : « L’importance de conserver soigneusement des notes lisibles est évidente. Malheureusement, dans de nombreux hôpitaux, la norme en la matière est pauvre. »
N.D.T. De nombreux aspects de ce chapitre peuvent paraître propres à la culture médicale et obstétricale britannique. Pourtant, l’évolution qui se dessine en France depuis plusieurs années concernant les problèmes médico-légaux, la gestion du risque ou la communication avec les usagers tend à se rapprocher de celle décrite dans les lignes qui suivent.
CONTEXTE DU CONTENTIEUX RELATIF AU RCF
Le contentieux en obstétrique (qui inclut les poursuites à l’encontre des sages-femmes) est en tête de liste du risque médico-légal. L’obstétrique n’est pas la première spécialité en nombre d’affaires juridiques au Royaume-Uni (la chirurgie peut s’enorgueillir de cette « distinction »), mais son potentiel en matière de compensations financières en fait de loin la plus coûteuse (NHS Litigation Authority 2010). Ce constat s’explique par l’importance financière des soins assurés tout au long de la vie d’une personne ayant subi un dommage cérébral irréversible. Alors que le contentieux en obstétrique est fréquent, la probabilité qu’une sage-femme soit impliquée reste encore faible jusqu’à aujourd’hui.
Comme noté dans la première partie, le monitoring fœtal continu a été introduit dans les années soixante-dix, avec l’espoir qu’il réduirait l’incidence de la paralysie cérébrale, mais, bien que la proportion de césariennes ait crû de façon massive depuis cette époque, le taux de paralysie cérébrale est resté plus ou moins stable. L’American College of Obstetricians and Gynecologists (2009) a reconnu que « dans le cadre de la prédiction de l’infirmité cérébrale, le taux de faux positifs du RCF est très élevé, au-delà de 99 % ». Les recommandations de 2009 de l’American College of Obstetricians and Gynecologists ont vu la catégorisation des tracés « rassurant/non rassurant » être remplacée par « normal/intermédiaire/anormal », une évolution dont Dickens et Cook (2010) considèrent qu’elle est susceptible de réduire le risque… d’hyperréactivité face aux anomalies de tracés de RCF et de césarienne injustifiée. La prise de conscience croissante du fait que seule une petite minorité des cas de paralysies cérébrales peut être attribuée à un accident intrapartum n’a pas encore réduit l’utilisation du RCF pendant le travail. Les recommandations du National Institute for Health and Clinical Excellence (NICE) sur les soins au cours du travail comportent des recommandations spécifiques sur les situations où utiliser le RCF en continu. Le but de ce chapitre est de mettre en évidence quelques-unes des zones de vulnérabilité pour les praticiens lorsqu’ils utilisent le RCF. L’utilisation accrue du RCF a été citée comme un exemple de pratique clinique de défense (Symon 2000, 2001 ; Greer 2010), c’est-à-dire des procédures cliniques entreprises ou évitées en seul lien avec la crainte des conséquences juridiques. Les praticiens doivent se garder d’une telle approche, notamment parce qu’elle peut être cliniquement contre-productive. Graham et al. notent que la méta-analyse des essais randomisés contrôlés comparant le RCF en continu à l’auscultation intermittente a montré une incidence accrue des accouchements par césarienne et une diminution des convulsions néonatales, mais aucun effet sur l’incidence de l’infirmité cérébrale ou des décès périnataux. De même aux États-Unis, Miller et Depp (2008) notent que le RCF est une des interventions visant à améliorer l’issue des grossesses, largement intégrée dans la pratique obstétricale courante sans aucune preuve d’une réduction de l’infirmité cérébrale pour les accouchements à terme.
Le RCF a clairement des limites et il doit donc être utilisé et interprété avec prudence. L’absence de reconnaissance générale de ces limitations est déplorée par Hankins et al. (2006) : de nombreux juges, les jurés et les plaignants dans les procès pour dommages cérébraux ne semblent pas être au courant de la fiabilité des outils de haute technologie de l’obstétrique moderne, y compris le RCF, et que ces dispositifs ne peuvent pas prédire de façon totalement fiable l’issue obstétricale. Ils faisaient allusion à la situation aux États-Unis et, bien qu’il existe de nombreuses similitudes entre les USA et le Royaume-Uni, nous devons être prudents concernant l’extrapolation à partir d’études américaines. Par exemple, les jurys ne sont pas utilisés dans les cas de négligence au Royaume-Uni, et la majorité des indemnisations aux États-Unis va aux frais juridiques et aux frais administratifs (Hankins et al. 2006). Néanmoins, il existe certaines similitudes en termes de litiges pour dommages cérébraux : il est souvent invoqué l’absence ou l’insuffisance d’utilisation du RCF, une réponse trop tardive en cas de tracé pathologique et la réalisation d’une extraction fœtale insuffisamment rapide. Clark et al. (2008) ont constaté que la reconnaissance avec retard d’un tracé pathologique par le médecin et la réalisation trop tardive d’une extraction fœtale étaient des aspects importants dans les réclamations juridiques américaines.
Les litiges en matière de paralysie cérébrale sont souvent initiés de nombreuses années après la naissance (voir ci-dessus). Ceci ne réduit pas le niveau de détresse pour tous les intéressés. Il faut garder à l’esprit que les données utilisées pour déterminer si les praticiens ont agi selon les bonnes pratiques sont celles en vigueur à l’époque des faits. En d’autres termes, les progrès dans la compréhension du rythme cardiaque fœtal ou les changements de pratique acceptés depuis la naissance seront ignorés. Cependant, il est maintenant reconnu que des erreurs systémiques peuvent contribuer au même titre que des erreurs individuelles à un pronostic défavorable. Miller (2005) fait remarquer que « même le plus instruit des cliniciens pourra faire des erreurs s’il est dans une structure où il existe des problèmes de communication entre les soignants ». Il faut reconnaître que ceci se rapporte à des cas remontant à plusieurs années, si bien que la prise de conscience de ce problème n’existait pas encore à cette époque.
N.D.T. La situation actuelle en Grande-Bretagne décrite par les auteurs est sensiblement différente de celle qui prévaut en France aujourd’hui. Alors que les recommandations pour la pratique clinique britanniques sont en faveur de l’auscultation intermittente, en cas de travail spontané eutocique sans pathologie identifiée, le rapport de l’ANAES (actuelle Haute Autorité de santé) de 2002 et les Recommandations pour la pratique clinique du CNGOF de 2007 stipulent que l’enregistrement continu du RCF est la méthode de référence en France.
LE RCF DANS LES POURSUITES JUDICIAIRES
Le début des années 1990 a marqué un regain d’intérêt concernant les questions médico-légales en obstétrique. Ennis et Vincent (1990) ont noté des plaintes concernant des tracés de mauvaise qualité ou manquants, l’absence d’identification d’anomalies ou l’absence de prise en compte de celles-ci ou encore des tracés tous simplement non réalisés. Sur 11 affaires de ce genre, ils ont noté que, dans trois cas, « le médecin avait demandé à la sage-femme de réaliser un RCF mais qu’elle l’avait oublié ». La question d’un tracé de RCF manquant a également été notée par James (1991) : « Le tracé de RCF est souvent crucial. Pourtant, le volume qu’il représente après un travail long et compliqué le rend difficile à conserver dans le dossier. Les plaintes deviennent indéfendables en l’absence de cette pièce à conviction vitale, en cas de notes inadaptées dans le dossier ou lorsque les personnels en charge n’ont pu être retrouvés. »
Capstick et Edwards (1990) ont montré les problèmes posés par la non-identification de signes de détresse fœtale ou par l’absence de réaction rapide lorsque de tels signes étaient identifiés. Vincent et al. (1991) ont noté que les tracés manquants ou de mauvaise qualité étaient fréquents et que l’interprétation du tracé était un thème récurrent : « Dans 14 cas, le médecin ou la sage-femme n’ont tout simplement pas reconnu un tracé anormal. Dans cinq cas, l’anomalie était identifiée mais aucune décision n’était prise ; l’équipe a cru en une erreur de la machine et a donc ignoré les données fournies par elle. »
Ces références assez anciennes ont suscité un débat autour des pratiques cliniques et sur l’efficacité du système légal concernant la négligence médicale. Les préoccupations autour du coût des litiges médico-légaux (particulièrement en obstétrique) ont conduit à des propositions d’arrangements structurés, avec un recours plus fréquent à la médiation notamment. Le souhait politique d’une réforme a été illustré par un rapport du Lord Chancellor (Lord Chancellor’s Department 2002) : les litiges devraient être évités autant que possible, devraient être moins complexes et moins contradictoires lorsqu’ils surviennent. Les litiges concernant le RCF faisaient partie intégrante de ce débat.
Les préoccupations initiales sur les RCF, au début des années 1990, ont mis en évidence un certain nombre d’insuffisances dans leur utilisation. On aurait pu s’attendre à ce que cette prise de conscience aboutisse à des améliorations au cours des années suivantes. Pourtant, les cas médico-légaux décrits ci-après, qui s’étalent du milieu des années 1990 à ce jour, illustrent le fait que les praticiens continuent d’être pris en défaut par moments. Ces extraits incluent des allégations de non-utilisation du RCF lorsqu’il y avait une indication à l’utiliser, l’utilisation inappropriée du matériel et une mauvaise interprétation du RCF. Ces extraits sont purement illustratifs et leur succès (ou non) ne doit pas interférer avec les informations données.
Certains cas sont extraits de ma recherche doctorale personnelle dans les années 1990 (ils ont été anonymisés et sont rapportés sous la forme de cas n° 1, n° 2…) et d’autres sont des cas rendus publics par les tribunaux (la grande majorité des actions légales n’arrivent pas au stade du tribunal).
Les citations des cas jugés sont données et, bien que les attendus de jugements soient des documents publics, j’ai utilisé des pseudonymes concernant les équipes cliniques : leur identité n’apporte rien aux leçons à tirer de ces cas, et leur implication dans les procès a déjà été assez stressante. La surveillance au cours du travail est multidisciplinaire et ces cas concernent donc aussi bien des médecins que des sages-femmes.
Quand utiliser le RCF continu ?
Les indications d’enregistrement du RCF ont été abordées dans la 1re partie. Les recommandations sur ce point ont été élaborées du fait de l’absence de réalisation d’enregistrements du RCF dans des cas où, à l’évidence, cela aurait dû être le cas.
Dans cette observation, il existait des décélérations précoces et persistantes du RCF. La sage-femme semble les avoir considérées comme « bénignes », malgré la coexistence d’une variabilité réduite et d’un liquide méconial. Le rapport d’expert mentionne :
Cas n° 1
« Pendant une période de 90 min, il n’y a aucun enregistrement du RCF, ce qui est inacceptable, alors que la patiente avait un antécédent de césarienne, qu’elle était à 42 semaines d’aménorrhée avec un liquide amniotique méconial, qu’il existait des anomalies persistantes du RCF et que la femme était sous perfusion d’ocytocine. »
Cette énumération caricaturale de facteurs de risque ne semble pas avoir alerté la sage-femme sur la nécessité d’une vigilance particulièrement accrue et, sans surprise, cette attitude a été considérée comme fautive. Pourtant, étant donné la demande de certaines femmes enceintes d’une diminution des technologies de surveillance et des interventions au cours du travail, l’option d’utiliser le RCF ne devrait pas être automatique, même en cas de constatation de certains facteurs de risque (Symon, 2006).
N.D.T. En France, la proposition de ne pas effectuer d’enregistrement du RCF ne serait pas considérée comme acceptable aujourd’hui. Il faut néanmoins prendre garde au fait que l’enregistrement du RCF ne met pas à l’abri de la faute si des anomalies patentes n’ont pas été prises en considération.
Dans cet autre cas, la femme s’est plainte a posteriori de ne pas avoir été surveillée de manière plus étroite, alors qu’elle avait expressément demandé avant le travail une surveillance fœtale minimale. De fait, au cours du travail, la surveillance du RCF avait été interrompue à sa demande à cause de l’inconfort qu’elle engendrait. Les termes employés par son avocat sont les suivants :