29. La mort d’un enfant Accompagnement et travail de deuil

Chapitre 29. La mort d’un enfant Accompagnement et travail de deuil


Lorsqu’un enfant vient à mourir, ce sont tous nos investissements, tous nos affects, tous nos repères historiques (temporaux, filiaux, générationnels…) non seulement personnels, familiaux, mais aussi socioculturels, qui s’en trouvent complètement bouleversés.

La mort d’un enfant est toujours un séisme, un événement incroyable (Baudry, 2006). C’est ainsi qu’il ne peut y avoir de hiérarchie entre les situations dans ce domaine-là. Il n’est pas de mort qui ne bouleverse tous les registres précités. La mort d’un enfant est d’autant plus terrible qu’elle inverse l’ordre des choses : l’enfant meurt avant son parent! C’est une mort anti-naturelle, anti-humaine. Pour le parent, il lui faut perdre sa propre chair, une partie de soi, là où il pensait se survivre à lui-même en faisant un enfant, là où il pouvait imaginer que l’enfant poursuivrait sa lignée, l’inscrivant à jamais dans une filiation.

Ces bouleversements prennent des formes extrêmement variées en fonction du contexte de la survenue de la mort (maladie aiguë ou chronique, mort brutale ou non, mort accidentelle…) et du contexte environnemental de l’enfant (contexte familial, social, culturel).


La mort n’est pas qu’une fin


«La mort ne se contente pas de limiter notre vie, c’est-à-dire de lui donner forme à l’heure du trépas, au contraire, elle est pour notre vie un facteur de forme, qui donne coloration à tous ses contenus», parce que, «à chaque instant de la vie, nous sommes des êtres qui allons mourir» (Simmel, 1993). L’enfant grandit en sachant qu’il va mourir un jour, même si c’est le plus tard possible. Et pour lui, la mort n’est pas une fin. La mort introduit la temporalité dans l’existence humaine et, par ce rapport à la durée, cette existence acquiert son humanité même. Elle introduit aussi une altérité radicale en plaçant l’homme dans la situation d’avoir conscience de l’impensable. Cette altérité est d’autant plus troublante qu’elle impose son opacité dans l’évidence même de la vie : comme la nuit en plein jour… (Baudry, 2006).

Pour le parent, la mort de son enfant est terrible. Ni la mort ni la négociation avec l’angoisse qu’elle provoque ne peuvent jamais s’accepter. C’est une déchirure qui nous marque à jamais. La disparition d’un fils ou d’une fille entaille profondément notre chair et nous restons endeuillés permanents, c’est notre manière de les faire vivre. En tant qu’événement incroyable et devant lequel la résignation solitaire n’offre aucun secours, la mort entraîne la nécessité de la culture, l’élaboration d’un sens, la mise en scène de solidarités. Cela pose la question du deuil et de ses aléas.


Qu’est-ce que la mort pour l’enfant malade?


Si l’idée de mort, chez l’enfant sain, fait l’objet de toute sa curiosité, au même titre que la sexualité, et que cette curiosité représente indiscutablement un véritable moteur pour son développement psychoaffectif (à travers les fantaisies et théories en tous genres qu’elle induit à partir des petites expériences de la vie), il n’en n’est pas du tout de même lorsqu’il s’agit d’un enfant atteint dans son corps par une maladie dont le potentiel létal le confronte non plus à une fiction métaphorisante, mais à un Réel impensable. Paradoxalement, ce qui est pensable pour un enfant, c’est ce à quoi il n’a pas accès directement : la sexualité, la mort, la guerre, l’inceste… autant de thèmes qu’il aborde tour à tour en en inventant des contenus et des dénouements sans cesse renouvelés, dont le point commun réside dans le fait qu’en principe, l’enfant ressort «grandi» de toutes ces mésaventures intrapsychiques, dès lors que le jeu en a bâti des représentations à hauteur des expériences de vie auxquelles l’enfant se confronte chaque jour. Jouer pour donner du sens à ce qui arrive; jouer pour retrouver de la maîtrise dans ce qui arrive, pour faire en sorte que la fiction habille la réalité d’un voile suffisamment épais pour ne pas la masquer tout à fait (ce n’est pas du déni), et suffisamment fin pour en apercevoir les contours, afin de prendre appui dessus pour en réinventer le contenu.

Tout cela n’est possible qu’à la condition que la réalité, que les expériences de la vie, soient de nature à ne pas trop envahir la scène du jeu. Lorsqu’une expérience de la vie – que celle-ci touche à la sexualité ou à la mort – devient à ce point envahissante que l’espace du jeu ne peut la contenir et en créer une représentation acceptable, alors le trauma est là, qui fait effraction dans une psyché débordée par un Réel qui devient de ce fait impensable. Que le corps propre soit touché, et il est extrêmement difficile pour la psyché de se déprendre de l’emprise de ce corps de souffrance.

Un enfant qui va mourir est en effet aux prises avec la fatigue, la douleur, l’impotence fonctionnelle, etc., qui rendent ainsi l’espace du jeu, celui de la métaphore donc, très compliqué à investir.

Le problème, dans le cas présent – celui de la mort ou plus exactement de sa perspective – réside de surcroît dans le fait que l’environnement lui-même se trouve bien souvent débordé dans ses propres capacités contenantes.

Dans ces conditions, s’il est une représentation possible de la mort (Alby & Alby, 1974), c’est bien celle de la séparation et de la perte actuelle qui lui est associée : la mort en tant que cause de toutes les séparations et de toutes les pertes; séparation et perte de ce qui est familier, séparation et perte des objets d’amour…

C’est ainsi que l’enfant atteint d’une maladie létale a souvent une conscience claire de l’imminence de sa mort, dont il parle même avec un certain réalisme lorsque la possibilité lui est donnée. Mais le silence, le secret très souvent gardé sur la maladie et son issue, l’évitement de toute question posée par l’enfant à ce propos, constituent, pour les parents et l’entourage, des mécanismes défensifs visant à annuler la maladie ou à en dénier la gravité. Ce non-dit autour de la maladie risque, en retour, d’induire chez l’enfant des attitudes de retrait et de mutisme qui contribuent à accroître son isolement et son vécu abandonnique (Brun, 1989; Chiland & Beaudoin, 1977; Ferrari, 1993)


Quels symptômes face à une telle problématique?


SymptômeL’imminence de la mort est une expérience non pas d’une séparation ou d’une perte, mais de la menace de celles-ci, ce qui est très différent. Ainsi, face à cette menace, l’on observe cliniquement très souvent une symptomatologie anxieuse qui peut prendre d’ailleurs des formes extrêmement variées : parfois très brutes, sous la forme de crises d’angoisse ou d’anxiété généralisée, parfois déplacée vers des formes plus phobiques ou obsessionnelles, ou encore parfois vers certaines somatisations, selon les enfants et les situations.

L’angoisseAngoisse est ici à entendre comme un signal visant à se protéger d’un danger. Il s’agit donc d’une réaction à concevoir comme un moyen de se défendre contre ce qui agresse. Il est donc capital, dans ces conditions, d’organiser le soin de sorte que ce ne soit pas l’angoisse elle-même qui soit visée (elle permet de se défendre) mais ce qui la génère : les hospitalisations prolongées, l’isolement, la douleur, la fatigue, l’impotence fonctionnelle… tout ce qui est susceptible de venir laminer les capacités contenantes et métaphorisantes du psychisme.

Parfois, ce n’est plus l’angoisse face à la menace de séparation ou de perte qui est observée, mais, de manière beaucoup plus préoccupante, une véritable identification à des objets considérés par l’enfant comme déjà perdus. Cliniquement, cela se traduit alors par une dépressivité, voire un authentique effondrement dépressif qui prend parfois le nom de «syndrome de glissement». Cet effondrement dépressif constitue alors souvent l’ultime ressource pour se défendre de l’impensable de la mort, en en présentifiant tous les stigmates : le repli, le ralentissement psychique et moteur, le mutisme, la clinophilie, l’hypersomnie…

Condamné à vivre pour mourir bientôt, l’enfant vit un paradoxe terrifiant. Et à l’approche de la mort, l’enfant présente parfois des attitudes de refus, de négation quant à la gravité de sa maladie et à la possibilité de l’issue fatale; attitudes de déni à considérer comme défensives, permettant notamment d’atténuer l’angoisse. Parfois, cette même angoisse se trouve projetée sur l’environnement, prenant alors volontiers des formes agressives envers un entourage familial alors perçu par l’enfant comme épargné par le mal qui le touche. Quand l’enfant fait le mort, c’est souvent que «c’est mort» autour de lui.

À la période terminale, s’opère souvent un détachement du monde extérieur. La communication s’amenuise. Un enfant peut se laisser mourir quand il perçoit que le grand Autre, celui garant de son existence, disparaît. Spitz l’a démontré en son temps dans des pouponnières d’enfants (Spitz, 1946).


Qu’en est-il des soins palliatifs?


Palliatifs (soins)Les soins palliatifs s’inscrivent précisément dans ce contexte. Leur enjeu est double : ces soins visent en effet autant à lutter contre l’angoisse et l’effondrement ainsi que leurs diverses causes (psychiques et somatiques) qu’à en comprendre paradoxalement leur valeur défensive. Ainsi, l’angoisse et la dépression ne sont pas seulement des symptômes «à abraser», mais à considérer comme le moyen, parfois le seul, que l’enfant trouve, paradoxalement, pour ne pas trop souffrir. Il faut bien sûr traiter ces symptômes, mais à condition de percevoir ce qu’ils masquent parfois de profondément impensable. Il est ainsi certaines souffrances qui en cachent d’autres, plus profondes, plus insondables encore, au-delà de nos propres représentations et limites professionnelles.

Sans doute convient-il ici de considérer le palliatif comme une manière humble de respecter ce qui revient à l’enfant mourant, mais également à son entourage. Intervenir? Certainement, mais à la condition d’en considérer sans cesse le sens et le but recherché. Une question doit ainsi toujours nous guider dans cette circonstance de la mort proche : est-ce la tyrannie de notre idéal de soignant à laquelle nous répondons, ou bien à ce que nous percevons comme un appel, une demande d’aide, de la part de l’enfant?

Tous les cas de figure peuvent se présenter. Nous évoquons ici ceux qui se présentent dans le contexte d’une hospitalisation en pédiatrie.

Une remarque s’impose d’emblée : on ne «prépare» pas la mort, on s’adapte à ce que nous montre ou nous adresse un enfant et une famille en détresse. Dans la grande majorité des situations, la dégradation de l’état de santé de l’enfant alerte suffisamment à l’avance pour que l’équipe se mobilise autour de la fin de vie de l’enfant. Tout est alors pensé en termes de liens :




liens entre l’enfant et son environnement : visites et permissions (lorsque ces dernières sont possibles) visant à maintenir la qualité des liens entre l’enfant et son environnement :




liens entre l’enfant et l’équipe, par exemple à travers la mise en place d’un système de référence dans chaque registre du soin (médical, paramédical, éducatif) afin de renforcer la qualité de l’attention portée aux détails du quotidien de l’enfant, et faire en sorte que ce dernier ait, pour l’enfant, du sens doublé autant que possible de moments de plaisir,


liens entre la famille et l’équipe soignante, avec notamment le double souci de prendre appui sur les observations parentales afin d’ajuster les soins, tout en faisant preuve, à certains moments, d’une certaine fermeté doublée d’une «pédagogie» adaptée dans le but d’éviter de faire porter aux parents le poids de certaines décisions jugées nécessaires par l’équipe (intervention invasive, examen complémentaire contraignant…). Ce dernier cas de figure crée parfois les conditions de certaines projections parentales à l’égard de l’équipe soignante, mais a le mérite d’éviter certains effondrements;


liens au sein de l’équipe, en particulier à travers la mise en place de temps réguliers de concertation et de partage, au-delà des classiques «transmissions».

À cette qualité des liens, s’ajoute la question du confort. Il est envisagé à tous les niveaux :




confort physique : lutte active contre la douleur et l’inconfort respiratoire ou digestif, avec la protection des téguments (nursing, massages adaptés, psychomotricité adaptée, nutrition adaptée); le respect du sommeil, la limitation des examens et des interventions dès lors qu’ils ne sont pas jugés indispensables…


confort psychique : respect des besoins relationnels de l’enfant, ce qui suppose de bien le connaître afin de doser les temps et la nature de la présence auprès de lui, les temps d’absence, ainsi que le rythme de leur alternance; lutte contre l’anxiété ou l’angoisse (travail de la parole, mais aussi à partir d’autres supports, anxiolyse chimique souvent nécessaire…). Entretiens et présence sont adaptés à la situation (de fatigue physique et psychique, d’angoisse, de douleur, etc.) et d’une manière générale, le pédopsychiatre ou psychologue de liaison est à concevoir en tant que contenant de l’angoisse de l’enfant, ce d’autant que les parents se trouvent souvent protégés par l’enfant lui-même qui redoute leur souffrance et les effets culpabilisant de celle-ci sur lui (Alby, 1993).

Permettre à l’enfant de parler de sa maladie et, éventuellement, s’il le souhaite, de son issue, apporter certaines réponses aux questions qu’il se pose, rétablir avec lui le contact, lui apporte indiscutablement un grand soulagement. Toutefois, il ne paraît pas possible de systématiser, de façon rigide, ce qui peut lui être dit de son état : ceci ne peut résulter que d’une analyse soigneuse de la situation, en tenant compte notamment de la demande de l’enfant, de son âge, de la nature et de l’intensité de ses angoisses, ainsi que de la qualité du soutien familial (Brun, 1989; Ferrari, 1993).

Au moment de la période terminale, s’opère souvent, chez l’enfant, un détachement du monde extérieur. Si ce phénomène est à respecter, il convient toutefois de ne pas en conclure que l’enfant doit rester seul : la qualité de la présence physique autant que la qualité de la présence psychique de l’entourage s’avèrent ici d’une extrême importance (Alby & Alby, 1974).


Lorsque la mort survient


Par définition, une mort survient toujours brutalement, même si elle est annoncée. Elle survient par conséquent toujours en rupture avec tout ce qui lui a précédé, y compris dans les situations de soins palliatifs prolongés. En revanche, la manière dont elle est vécue dépend très largement de celle dont l’accompagnement qui la précède a été conduit.

Plus rarement, la mort survient dans des conditions totalement imprévisibles, notamment en milieu de réanimation, en particulier dans des circonstances accidentelles. Dans ce cas de figure, c’est le trauma psychique qui apparaît bien souvent au premier plan, et qui nécessite parfois l’intervention de l’équipe de pédopsychiatrie de liaison auprès de la famille afin d’aider à poser quelques mots sur ce qui sinon pourrait devenir durablement, voire définitivement, indicible et constituer un Réel susceptible de se manifester plus tard sous des formes parfois préoccupantes (secrets de famille, violences, passages à l’acte…).

Le pédopsychiatre de liaison n’intervient qu’exceptionnellement à ce moment précis, moment très particulier où se mêlent silence, émotions, moments de «lâchage» (très souvent repris par la mobilisation du reste de la famille ou parfois de l’équipe), rituels, religieux ou non. Parfois cependant, il importe d’offrir un lieu d’expression des affects (souvent violents) et de ne pas laisser les parents seuls.


Cas particulier de la mort in utero


Mortin uteroCette situation est très particulière, en ce qu’elle concerne un bébé mort-né. Il s’agit donc d’un enfant qui n’a pas vécu, et qui, pourtant va naître lors d’un accouchement, dans la majorité des cas par voie basse.

Cette mort in utero est parfois totalement accidentelle, parfois au contraire provoquée dans le cadre d’une interruption médicale tardive de grossesse liée à la découverte de malformations graves. Quoi qu’il en soit, il s’agit ici de vivre la mort d’un bébé avec lequel il n’y a pas eu de véritable rencontre. Ce bébé, source de toutes sortes de projections imaginaires, est alors souvent à l’origine d’un deuil d’autant plus difficile à vivre. La souffrance parentale, dans ces situations, tient donc autant de la non-rencontre avec le bébé que du décès en lui-même. Il y a là une double séparation à vivre, qui fait parfois l’objet de demandes d’écoute pour laquelle le pédopsychiatre de liaison est parfois sollicité.


Accompagnement de l’événement


La mort d’un enfant, comme toute mort, est un événement majeur dans l’histoire de ceux qui le vivent. Cet événement va devoir s’inscrire dans cette histoire. C’est en cela qu’il doit être accompagné. Si le soin a sa place dans cet accompagnement, il se doit d’être limité au registre dans lequel il se situe. En aucun cas, le soin ne doit empiéter sur l’intimité des familles. Cette remarque est d’autant plus importante que les soignants développent parfois, en particulier dans les situations de longues prises en charge, des liens étroits, privilégiés, avec l’enfant et sa famille, liens qui sont parfois à la source de certaines difficultés de séparation alors susceptibles de générer certaines confusions de place.

Quoi qu’il en soit, le soin garde une place au moment du décès d’un enfant, à tel point que certaines équipes s’y sont spécifiquement penchées. À titre d’exemple, les services de pédiatrie du CHU d’Angers ont rédigé de manière concertée un petit fascicule destiné aux familles d’endeuillés, reprenant à la fois des réflexions générales sur le vécu émotionnel mais aussi des conseils pratiques pour les parents et l’entourage (frères et sœurs, amis…).

Le pédopsychiatre de liaison peut proposer de rencontrer les parents, ou les recevoir à leur demande, surtout s’il connaissait l’enfant. Il peut répondre à des questions, souvent présentées par les parents comme des «questions bêtes». Il n’y a pas de questions bêtes; elles sont souvent au contraire le signe d’une élaboration en cours : que fait-on des jouets? Des vêtements? Doit-on enlever son lit? Comment l’annoncer aux frères et sœurs? Doivent-ils participer aux funérailles?… Le pédopsychiatre ne sait évidemment pas mieux qu’un autre répondre à ces questions. Il peut cependant aider les parents (et les frères et sœurs) à trouver leurs réponses.

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Apr 22, 2017 | Posted by in PÉDIATRIE | Comments Off on 29. La mort d’un enfant Accompagnement et travail de deuil

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