28. Guérison

Chapitre 28. Guérison


Les progrès de la médecine et de la pédiatrie sont tels qu’aujourd’hui, de nombreux enfants guérissent de leur maladie. Après parfois être passés par de longs chemins complexes, ces enfants, donnés pour mort (Brun, 1989), survivent. Et pour certains qui ont pu frôler la mort, flirter avec l’abîme, cette «échappée belle» est-elle si facile à vivre? La guérison, tellement attendue, est-elle aussi simple à intégrer, tant pour l’enfant que ses parents? À partir de quand peut-on se considérer guéri, se sentir débarrassé des angoisses d’une possible rechute, des peurs d’une éventuelle récidive?

Pendant toute une période, circulent réalité et fantasmes, idées de mort et pulsions de vie, culpabilité et angoisses, discours médicaux et paroles de familles. Autant de questions et d’enjeux qui taraudent l’enfant, passé par les affres d’une maladie mortelle ou d’un traumatisme grave. Autant d’angoisses qui envahissent ses parents. Le processus psychique de guérison est parfois long, tortueux et difficile; nous en donnons quelques repères.

Nous n’aborderons pas la guérison médicale ou sociale mais le sentiment psychologique de guérison, après une maladie (ou un traumatisme) grave et mortelle.


Un entre-deux incertain


Lorsque le médecin annonce l’arrêt des traitements, le soulagement est immense. Mais il faudra parfois attendre plusieurs mois (ou années) avant de parler de guérison. Pendant un temps, personne n’ose en effet utiliser ce mot et l’on parle plutôt de rémissionRémission. Le temps est suspendu : tout va bien… Mais on multiplie les contrôles et les consultations. L’avenir reste incertain, les doutes envahissent le quotidien. Ainsi, le corps est scruté et à la moindre inquiétude, un bilan est prescrit et tout peut se précipiter. Difficile pour l’enfant de se projeter sur l’avenir, de se construire et d’investir le monde quand l’épée de Damoclès reste suspendue au-dessus de sa tête. Difficile d’apprendre, de nouer de nouvelles relations quand, à tout moment, la maladie peut ressurgir. IdentitéIdentité et narcissismeNarcissisme sont ici grandement perturbés.

Le type de maladie, l’âge de l’enfant, le contexte familial vont jouer un grand rôle dans cette période d’incertitude. Plus l’enfant est jeune, plus la maladie est grave, plus la famille est en souffrance et plus il sera difficile pour l’enfant de s’autonomiser et de retrouver une vie «banale», comme les autres enfants de son âge.

Ici, l’arrêt du traitement ne doit pas signifier l’arrêt du soin. L’arrêt des traitements ne doit pas signer la fin de l’accompagnement, du compagnonnage.


Sentiment de guérison


Pour l’enfant, la guérison vient-elle de la normalisation des résultats des examens ou de sa perception des inquiétudes parentales, des tensions chez les soignants?

La guérison ne commence probablement pas à l’arrêt de la maladie. Elle creuse ses fondations dès l’annonce du diagnostic. Elle est un long processus psychique qui s’étale sur plusieurs années (Boman & Bodegard, 1995; Holmes & Holmes, 1975; Larsson et al., 1996; Mercier, 1997; Sawyer et al., 1995). Elle signifie à la fois la fin d’un calvaire et le début d’un long travail psychologique, fait le plus souvent dans la solitude, car plus personne n’est là pour rassurer. Plutôt que de guérison, il faut parler de sentiment de guérison, c’est-à-dire d’un ressenti subjectif particulier, propre à l’enfant. Et ce sentiment de guérison, aucun soignant ni aucun médecin ne peut en parler mieux que l’enfant guérit lui-même. Tout au plus pouvons-nous évaluer ce qu’il en est de certains aspects, observables en clinique.


Place dans la famille


La maladie grave n’est pas seulement une expérience individuelle; elle entre aussi dans l’histoire familiale (Oppenheim, 1989; Sawyer et al., 1986). Elle remodèle la famille pendant et après. Ainsi, plusieurs remaniements faits d’angoisses et de deuils (deuil de l’enfant idéal, deuil anticipé…) émaillent la constellation familiale et minent les relations. Une fois guérit, hyperprotection (souvent maternelle) et dépendance affective (parfois morbide) continuent parfois d’entraver l’autonomisation de l’enfant. Guérir, pour l’enfant comme pour ses parents, c’est se départir de l’ambivalence, de la culpabilité, de la dépendance mutuelle (Alby, 1993).


Honte et culpabilité


CulpabilitéL’enfant malade vit parfois sa maladie comme une honte, majorée par d’éventuelles modifications corporelles (alopécie, cicatrices…). Les traces laissées par la maladie sont longues à effacer, sur le corps mais aussi psychiquement.

De même, la culpabilité de l’enfant (se sentant cause des désordres et des malheurs occasionnés par sa maladie) comme celle des parents (qui s’en veulent de la maladie de leur enfant) perturbent parfois les relations intrafamiliales (Raimbault, 1975). Existe également une culpabilité de survivre quand, dans le service où l’on a passé tant de temps, on a vu d’autres enfants mourir. La guérison apaise ses ressentis, mais ne les efface pas. Et parfois au contraire, l’agressivité et les tensions longtemps contenues, s’expriment enfin et se projettent sur l’entourage.


Image corporelle


L’image du corpsCorpsimage du sort particulièrement troublée de l’épreuve de la maladie, et il faut beaucoup de temps à l’enfant pour retrouver une image narcissique satisfaisante (séquellesSéquelles physiques ou non), pour se réapproprier ce corps dans lequel se produisent tant de désordres. Pendant longtemps en effet, le corps est resté mystérieux, énigmatique, objet de fantasmes et de non-dits. La parole autour de ce corps est alors nécessaire pour retrouver une image corporelle où l’on se sent bien, sur laquelle on peut compter et que l’on peut investir sans danger.

De même, les enjeux autour de la sexualité, de la fertilité, de la filiation (longtemps occultés) sont fondamentaux dans ce processus de guérison. Les questions vont émerger, et la qualité des réponses permettra à l’enfant guéri de se représenter ce qu’il en est des potentialités et de la vitalité de son corps retrouvé.


Désir de normalité


La normalité n’existe pas mais ce que désire l’enfant guérit, c’est bien d’être comme les autres. La maladie a exclu et marginalisé l’enfant de son monde habituel et son plus grand souhait est de le retrouver, «comme avant». Guérir, pour l’enfant, se résume souvent par ce désir prononcé de se retrouver comme les autres; c’est sa manière à lui de (se) montrer que les choses rentrent dans l’ordre…


Estime de soi


Fluctuante et difficile à cerner, l’estime de soi est parfois utilisée comme marqueur de la qualité de vie et de la guérison, après une maladie chronique. Questionnaires et scores tentent de sérier cette notion d’estime de soi pourtant si subjective. Dans les entretiens avec l’enfant, il s’avère important d’évaluer le regard que l’enfant porte sur lui-même, l’estime qu’il a de lui, l’image qu’il pense donner à l’autre. Ce qui importe n’est pas la réalité des faits, mais le ressenti subjectif de ce que l’enfant vit et exprime. Le sentiment de guérison est lié à cette estime de soi.


La mort


L’enfant perçoit vite que le seul savoir sur la mort n’est guère que le savoir d’un non-savoir (Raimbault, 1982). Et après l’épreuve de la maladie mortelle, l’enfant n’a pas un plus grand savoir sur la mort. Ce rapport à la mort va cependant évoluer. En effet, pendant tout un temps, le syndrome de Damoclès (Koocher et al., 1980) pèse sur lui, jusqu’au moment où il retrouve, si ce n’est une insouciance, un apaisement. Il est alors de nouveau possible de réinvestir le monde, de s’affronter à l’inconnu; les angoisses de mortAngoissede mort sont moins prégnantes. La guérison dépend aussi de cet apaisement progressif vis-à-vis de la mort.


L’enfant donné pour mort


Quand la maladie survient et qu’elle est potentiellement mortelle, le vécu parental passe par des épreuves particulièrement difficiles et douloureuses. À l’annonce de la maladie déjà, la mort est là, soudaine. Puis, au fil de l’évolution, l’enfant est parfois au plus mal; il maigrit, pâlit, perd sa vitalité. Certains parents, pour sur-vivre, peuvent anticiper le deuil (Brun, 1989). Faire le deuil anticipé de cet enfant malade, c’est tenter de se protéger de la douleur de le perdre un jour; c’est prendre de l’avance sur la douleur pour que le jour venu, il y en ait peut-être un peu moins.

Mais le deuilDeuil anticipé implique inévitablement un détachement affectif vis-à-vis de l’enfant, qui, lui, peut le vivre comme un abandon, avec une plus grande solitude encore. C’est peut-être pour lutter contre cette tentation-là, de se préparer à la mort de son enfant malade, que la plupart des parents sont toujours présents, se relaient auprès de lui, pour qu’il ne soit jamais seul, se débattant avec ce sentiment de culpabilité, inévitable.

Puis l’enfant va mieux, retrouve des couleurs; il guérit. Il faut bien sûr s’en réjouir, mais que faire alors de ce deuil-là? Comment l’enfant sort-il de cette épreuve et retrouve-t-il une place? La difficulté d’admettre que l’enfant est guéri procède de la survivance de l’image d’un «enfant donné pour mort» (Brun, 1989).


Le survivant


Une évolution particulière se retrouve chez certains enfants dits «survivants» («survivors» en littérature anglo-saxonne). En guérissant d’une maladie mortelle, l’enfant transgresse une loi muette, il fait exception à une règle, celle du «devoir mourir» dont il n’était dans l’esprit de ses proches que provisoirement dispensé. Et pour ces enfants ayant côtoyé la mort, la survie apparaît comme un retour en force, teinté de toute-puissance. L’enfant rescapé, parfois miraculé, devient alors «immortel», au-dessus des autres, tout-puissant et fragile à la fois. Il «sur-vit». Avec ce nouveau statut et à son insu, il s’inscrit parfois dans des conduites à risque, des mises en danger de lui-même, comme pour tenter une nouvelle fois l’épreuve et la confrontation à la mort.


La dette


De nombreux enfants guéris développent ultérieurement une vocation médicale, paramédicale ou scientifique… comme s’ils devaient revenir sur les traces de ce qu’ils avaient vécu. Sans doute aussi pour pouvoir à leur tour donner d’eux-mêmes, réparer les autres, avec des processus classiques d’identification à l’agresseur. D’autres restent des «aliénés à la médecine» (Oppenheim, 1996), cherchant en elle le remède à toutes leurs difficultés. D’autres enfin, au contraire, deviennent totalement phobiques, refusant toute consultation médicale, dans un véritable déni de tout nouveau symptôme (Graindorge, 2005).

Parfois, plusieurs années après, l’enfant devenu adulte revient sur les lieux de ses soins, pour revoir les soignants et peut-être réaliser et comprendre ce qu’ils ont vraiment vécu; par où ils sont passés. Une façon de se réapproprier leur histoire, de reconstruire une période laissée de côté un temps car trop dangereuse émotionnellement à interroger.

Enfin, certains enfants sont englués dans la dette et la dépendance aux parents. La régression est alors pour eux un moyen de rester cloué à ceux à qui ils doivent tout : la vie, la guérison… Rester un enfant fragile et rester à la maison s’apparente à la façon de faire cadeau au parent de son enfance, éternellement.


Décalage entre la guérison physique et la guérison psychique


Il existe un décalage entre le temps de la guérison clinique et ce que l’on pourrait appeler le temps de la guérison psychique. Cette non-coïncidence ne saurait être imputée aux seules séquelles, aussi invalidantes et préoccupantes soient-elles. Il existe bien deux temps de la guérison (Brun, 1989). Et si le pédiatre peut un jour (après avoir tourné sept fois la langue dans sa bouche) prononcer le mot de guérison, le pédopsychiatre ne peut jamais aborder cette certitude d’une guérison psychique. Ce sentiment de guérison n’appartient qu’à celui qui a été malade; lui seul peut en garantir la réalité. Ce décalage incite à ne pas arrêter brutalement le suivi de l’enfant, même guéri.

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Apr 22, 2017 | Posted by in PÉDIATRIE | Comments Off on 28. Guérison

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