Chapitre 27. Observance
L’observance est une problématique aussi ancienne que la médecine elle-même. Déjà, Hippocrate remarquait que «le médecin doit savoir que les patients mentent souvent lorsqu’ils disent suivre leurs traitements». C’est surtout à partir des années 1970 que la réflexion scientifique et médicale s’est développée à ce sujet. Malgré tous les travaux, cette question reste, aujourd’hui encore, un thème difficile à aborder. Dans la littérature médicale, les regards portés sur l’observance, particulièrement à l’adolescence, vont tous dans le même sens : «perte de liberté» (Schmitt, 1992), «phénomène complexe et difficile à prévoir» (Michaud et al., 1991), «question potentiellement subversive» (Wright, 1993), «vérité pénible à dire ou difficile à entendre», «sujet embarrassant» (Alvin, 1997), «entre soumission et révolte» (Marcelli, 1997), «roulette russe» (Marcelli & Alvin, 1994), «mauvais malade, mauvaise conscience» (Consoli, 1998), «lapin de garenne le jour de l’ouverture de la chasse» (un patient, 1999).
La question de l’observance reste aujourd’hui perçue comme subversive. Sujet tabou? Déni? Sentiment d’échec? Silence? Malentendus? Incompréhension? Danger? Tout soignant a été confronté à cette question de l’observance, et le phénomène apparaît trans-nosographique, multivarié et polyfactoriel. Pour ne pas se cantonner aux champs de la médecine et de la psychiatrie, complétons ce bref survol bibliographique par une référence littéraire pour le moins instructive et qui renvoie à la Pitié dangereuse (Zweig, 1939) – nouvelle qui traduit qu’avoir pitié de l’autre (du malade) ne fait qu’empirer la situation, que la compassion ne soigne pas ni n’améliore la relation entre médecin et malade, voire l’aggrave – et par une citation théâtrale classique : «Je viens d’apprendre (…) qu’on se moque ici de mes ordonnances… C’est une action exorbitante! Un attentat énorme contre la médecine! Un crime de lèse-faculté qui ne peut assez se punir!» (Molière, 1673, III, 5).
L’étude de l’observance ne peut faire l’économie d’une réflexion sur les concepts de désir, de demande et de besoin. Nombre de sujets demandent des traitements, nous disent les prendre mais la vérité est toute autre (au grand dam du médecin). Avoir envie de bien faire ne garantit en rien ce qu’il en est de son désir (tant du côté de l’adolescent que du médecin). Le désir est irrationnel; et parfois, il fait désordre! Les difficultés d’observance en sont une illustration clinique.
Définition : observance et alliance thérapeutique
Alliance thérapeutiqueDifficile à saisir, la définition de l’observance reste large : «Degré de concordance entre le comportement d’un individu – en terme de prise médicamenteuse, suivi de régime ou de style de vie – et la prescriptionPrescription médicale» (Haynes, 1973).
Le terme anglo-saxon est «compliance». Ce qui n’est pas loin de la complaisance, avec toute la dimension affective que cela comporte. Désir de plaire et soumission ne sont pas loin…
L’observance est donc complexe et se décline de multiples façons, depuis la fidélité exemplaire au refus complet. Elle apparaît comme un reflet du vécu existentiel de la maladie.
Évoquer l’observance, c’est mettre en avant l’importance de l’acte de prescription et la subjectivité du médecin. Le prescripteur est celui qui fait lien entre un diagnostic de départ et une substance proposée. Ceci est d’autant plus important qu’il s’agit d’une maladie chronique. Le choix d’une prescription introduit toute une série d’éléments subjectifs dont le prescripteur est le vecteur. Une prescription est donc toujours ramenée à son prescripteur et à la question sous-jacente de son désir : «qu’est-ce que veut ce prescripteur?», voire : «qu’est ce qu’il me veut?».
Notons au passage que l’alliance thérapeutique doit être différenciée de l’observance. Un adolescent peut entretenir une très bonne relation thérapeutique mais s’avérer incapable de respecter les prescriptions (rendez-vous, régimes, traitements…) et, à l’opposé, un autre peut respecter une très bonne observance mais sans alliance thérapeutique. De même, la non-observance «ordinaire» (oublis, refus, absentéisme) doit être distinguée des comportements de rupture voire d’attaque du corps (surconsommation, automédication, tentatives de suicide, manipulation du traitement), autrement plus problématiques.
Données épidémiologiques
Les adolescents sont réputés familiers des conduites irréfléchies et «déraisonnables» et, crise d’adolescence oblige, prédisposés aux paradoxes et rébellions de toutes sortes. Comportements irresponsables ou dangereux, manipulations, dissimulations, mensonges ou tricheries sont fréquemment utilisés pour dépeindre une population parfois difficile à cerner. Mais il convient de nuancer. Ces quelques chiffres rappellent la réalité des faits (Le Bot, 1999) :
• 30 à 50 % des patients adultes ne sont pas fidèles aux prescriptions;
• 11 % des patients adolescents malades chroniques sont correctement observants aux 3 aspects : traitement médicamenteux, autres mesures thérapeutiques (régimes…), rendez-vous de consultation.
Il y a peu d’études au long cours, et les résultats des études actuelles sont souvent contradictoires. Quoi qu’il en soit, si presque la moitié des adolescents ne sont pas correctement fidèles aux prescriptions, cette proportion ne diffère guère de celle enregistrée chez les adultes. Ceci pour tordre le coup aux idées reçues et aux préjugés qui classent les adolescents comme insupportables et par définition non observants. C’est le danger des généralisations hâtives et abusives faites parfois à partir d’une expérience mémorable avec un adolescent particulièrement difficile.
Facteurs susceptibles d’influencer l’observance
De nombreux facteurs sont susceptibles d’influencer l’observance. Il en est ainsi de facteurs sociodémographiques (âges extrêmes, niveau culturel bas, barrière ethnolinguistique, faible niveau intellectuel), personnels (conduites d’opposition, déni de la maladie, troubles psycho-comportementaux), familiaux (dysfonctionnements familiaux, interactions pathologiques, parents absents), de facteurs liés à la maladie (chronique, mortelle) et au traitement (effets secondaires), aux représentations et aux perceptions de la maladie et du traitement (de l’adolescent, des parents et du prescripteur) et enfin de facteurs liés à la relation médicale (qualité de la relation, style de l’interaction, régularité…).
Chez l’adolescent, l’observance est particulièrement soumise aux tentatives d’évitement de la dépendance à la maladie, au médicament, mais aussi au médecin. Elle sera sous-tendue par des tentatives de prise de distance et de maîtrise de la relation avec les parents et le prescripteur, dans un souci d’affirmation de soi.
Observance des médicaments, des régimes, des consultations
L’observance des soins concerne non seulement les médicaments, le respect de leur posologie et de leur rythme d’administration, mais tous les types de prescription, qu’il s’agisse de régimes alimentaires, de règles hygiéno-diététiques, de conseils éducatifs, de rééducations, d’examens complémentaires ou de rendez-vous de consultation… Ces comportements d’observance des soins apparaissent comme le reflet de la capacité du jeune à prendre soin de lui, du vécu existentiel global de sa maladie. À ce titre, il convient de parler de l’observance des soins dès l’énoncé des prescriptions et de la questionner ensuite à chaque occasion, comme une affaire allant de soi et pour chaque aspect du traitement. Ouvrir un espace de dialogue privilégié pleinement partagé entre le médecin et l’adolescent s’inscrit dans une dimension indissociable de l’acte de soin.
La qualité de la relation de soin est donc déterminante et permettra de favoriser l’expression des difficultés.
Parfois, il faudra aussi favoriser le soutien par l’entourage. Tout soutien apporté par les pairs, la famille, le milieu scolaire, les associations, peut constituer une aide pour l’adolescent, tant au plan concret, pour faciliter la réalisation du traitement au quotidien, qu’au plan émotionnel.
Non-observance et sur-observance
Il est difficile d’évaluer et de définir à partir de quel moment on peut parler de mauvaise observance. Le niveau du seuil reste très subjectif. Il varie en fonction du type d’observance souhaitée, qui peut dépendre des exigences du traitement, du type de maladie, du patient lui-même, mais également du seuil de tolérance du prescripteur.
Un comportement de non-observance ne doit surtout pas être systématiquement interprété comme une mise en cause des compétences ou qualités du médecin, ni comme une manœuvre volontairement subversive de la part de l’adolescent.
Autrement dit, les réticences initiales d’un adolescent à une bonne observance sont normales. Elles s’inscrivent dans une dimension interactive et intrapsychique. «Un adolescent n’aime pas se soumettre… À tout prendre, il préfère se démettre» (Marcelli, 1997). La non-observance est un comportement «normal», sous réserve que l’essentiel des soins soit préservé. Cette non-observance peut avoir plusieurs fonctions :
• celle d’une tentative, certes maladroite, de prise de distance par rapport aux parents, au médecin, au corps malade;

Stay updated, free articles. Join our Telegram channel

Full access? Get Clinical Tree


